• CHaPiTRe ( IX )

    J’eNFoNCe Le CLou… 07/08/2013

    …Elle a mis du temps, mais elle a enfin compris. Pour cela il a fallu que je coupe les ponts!
    Oui je suis à bout et j’en deviens incohérente. Je tente avec difficulté de saisir pourquoi je suis tellement en colère contre Patricia. Le dingue est libre depuis le cinq Juillet et je suis certaine qu’il me réserve une petite visite de courtoisie. Depuis que je sais qu’il a été relâché, je ne suis plus en mesure de réfléchir correctement.
    Je suis rentrée de mon séjour chez les parents de Bébé avec une pneumonie et dès que j’ai été guérie je suis retournée au squat, là au moins je me sens en sécurité. Il a fallu, manque de bol, que je tombe à Saint-Jean sur Jérémy, le fils de Pat. Le moins que l’on puisse dire est que je n’étais pas à mon avantage. Celui-ci m’a aussitôt offert de me conduire chez sa mère. J’ai décliné son offre avec un peu trop de colère et il m’a traité de … par égard pour lui je vais employer le terme, hallucinée. J’ai conscience qu’il a en partie raison, je suis trop en colère pour que mon discernement n’en soit pas affecté.
    Les confidences me concernant que Patricia a fait à Gärtner ne passent pas. Je lui en veux, mais pourquoi autant? Certainement parce qu’elle a eu le même sentiment à son égard que moi. Une soudaine défiance.
    Cette sensibilité passionnelle qu’il dit éprouver pour moi est plus inquiétante que rassurante. Nous ne nous sommes jamais rencontrés, je m’y refuse tant que je ne parviendrai pas à gérer mes emportements brutaux et mes psychoses, mais il agit comme si nous vivions un amour exceptionnel. J’éprouve des sentiments pour lui, mais pas au point de faire des bêtises. Je veux m’améliorer avant de pouvoir l’approcher et je ne suis même pas certaine d’y parvenir un jour. Quelque chose m’empêche de l’envisager.
    Il est trop tard maintenant pour revenir en arrière, et la collaboration que propose avec obstination Gärtner à Patricia afin de me venir en aide, paraît enfin suspecte à celle-ci, à la limite du harcèlement. Il est bien temps de s’en rendre compte. De quel droit lui a-t-elle livré mon quotidien tourmenté? Pour sa défense elle ne sait que me dire qu’il se fait de plus en plus insistant. Cela ne suffit pas à m’amadouer.
    Dans la foulée des emmerdes j’ai reçu un mail d’Ashlimd.
    Skype, immediatly!!!!!!!! Le nombre de points d’exclamation m’a obligé à me connecter sur l’instant. Lui aussi est très remonté contre moi. Je sors d’une maladie dont les séquelles peuvent être sévères et je ne trouve rien de mieux que d’aller m’enterrer dans une cave emplie de germes et de microbes en tous genres. Le Maharajah est furieux. Évidemment que j’aimerai retourner m’installer à l’appartement, mais là n’est plus ma place et je le lui fais savoir assez brutalement. Il désire que je l’accompagne au Monte Negro. Il plaisante? Même pas. J’ai refusé, c’est trop de contraintes. Je ne sais plus trop où j’en suis, où nous en sommes tous les deux. Ce n’est pas pour rien que Lamine me surnomme Seb. Telle une cocotte-minute je monte en pression et aussitôt … c’est l’explosion car moi je n’ai pas de soupape de sécurité. À cause, non, grâce à Christian j’ai appris à frapper, oralement s’entend, là où ça fait mal et en ce moment j’ai tendance à en abuser. Je ne m’exprime pas avec gouaille mais de façon vulgaire et me rendre compte de ce que je deviens ne me plaît pas. Je ressemble de plus en plus à une racaille. Ash à raison, il faut que je me rassemble et rapidement.
    Peut-être aurais-je dû poursuivre avec lui, nos soirées à l’étage m’étaient réconfortantes. Afin d’être totalement claire, je précise que je ne parle pas de sexe là, j’exprime décontraction en lecture et jeux de lettres. Un cocooning culturel qui me rendait un peu d’estime de moi-même.
    Oui je le reconnais j’ai déconné. Je suis retournée chez mes Charlies, j’avais besoin de légèreté, de m’amuser. Eux ne se prennent pas la tête. Ne me prennent pas la tête avec des histoires d’étiquettes, ne m’obligent pas à me nourrir correctement et ils ne me demandent pas à tous moments où je me trouve.
    Mes faits et gestes ont été décortiqués et contraints si longtemps que je suis incapable de faire la différence entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Je me mens à moi-même, je sais parfaitement jusqu’où aller. Je me comporte en peste, en poison violent, uniquement pour me prouver que je ne risque plus une volée de coups au moindre mouvement. Les premiers temps où le Tandoori m’a accueilli chez lui ont été éprouvants pour le pauvre homme. Je déplaçais ses chemises d’une penderie à l’autre, je froissais ses cravates, je laissais traîner ses vestes sur la moquette et il m’est arrivé de laisser tremper le drap de bains dans le fond de la baignoire, oui, cela uniquement pour tester sa tolérance, son flegme et son sang-froid.
    - Il viendra bien un jour où tu n’auras plus l’esprit plaisantin ma Chouquette, non? C’est le plus qu’il m’a disputé. J’ai quitté Gandhi. Je ne dirais pas sans états d’âme parce que cela me perturbe vraiment. Mon comportement est des plus extravagant. Ni excentrique ni fantasque, je suis totalement irrationnelle.
    Une fois encore, avec les gueux nous avons fait les quatre cents coups à la Part-Dieu. Cela a failli nous conduire derrière les grilles. Nous sortions d’une boutique avec un article emprunté pour le déposer dans une autre. Nous avons aussi interverti des étiquettes et sacrée marrade au passage en caisse des clients. Les délinquants qu’ils sont ont brisé, sans intention, une petite jarre aux Lafayette puis ils se sont envolés comme une nuée de moineaux. Cela a paru suspect, mais j’ai réglé la jarre. De tous, j’étais la seule à pouvoir faire l’illusion d’une cliente normale. Non je ne connais pas ces personnes, ils sont juste entrés en même temps que moi. Et ça passe Fracasse. Mais le regard bienveillant des agents de sécurité avait été attiré par nos prouesses, alors nous avons détalé comme des lapins en criant victoire. J’en suis donc arrivé là?
    Tellement contrariée par mon désaccord avec ma Nanouche, je suis incapable de suivre le fil de ma narration convenablement. Je ne parviens à m’exprimer qu’en me laissant guider par les tourments de mon esprit. Ces allées et venues dans le temps me donnent à moi aussi le tournis.
    Depuis deux semaines je suis préoccupée par l’attitude de Gärtner.
    J’aime sa présence virtuelle. J’aime le savoir là, à m’attendre. Pourtant, je le sens vieux parfois. Vieux de conduite. Je ne m’interroge pas sur son âge, mais je le trouve trop sérieux, trop intelligent pour une fille comme moi. Bon nombre de fois Patricia m’a mis en garde, je ne dois pas l’idéaliser car, dans le cas d’une éventuelle désillusion j’en pâtirais lourdement. L’avenir prouvera qu’elle avait raison. L’acharnement que cet homme met à vouloir me sauver à n’importe quel prix m’effraie. Il a déjà une idée précise du genre de vie qu’il me faudrait pour me reconstruire. Il est prêt à me l’offrir. En lisant cela, je me suis sentie étouffer. Qu’ont-ils tous à vouloir me brider? L’idée même d’une rencontre de quelques heures m’est insupportable car je sais que malgré lui il va juger mon apparence.
    Depuis que Pat a reconnu avoir bavasser dans mon dos avec Gärtner, je suis folle de rage. Hystérique même. Elle me manque. Jamais elle ne m’avait menti, mais qu’elle se laisse influencer par un homme dont elle ne connait que ce qu’il veut bien lui livrer en messagerie me met dans une rage folle. Quel besoin avait-elle de lui dire qu’en ce moment c’est le pompon? Je suis imbuvable je le sais, je me soigne, alors qu’ils me laissent en paix. Pour sa défense Patricia admet que Gärtner s’est fait pressant pour obtenir son adresse afin de la rencontrer pour parler sincèrement de mes problèmes. Des risques que j’encoure à errer seule la nuit dans des quartiers mal famés. Il se vend auprès d’elle comme n’étant pas un minable ni un dragueur de jeunes femmes. Il appuie sur le fait qu’un éventuel accident est à prendre en considération si je persiste à me mettre en danger. Il envisage même une visite en région Lyonnaise afin de me surprendre. Il lui dit ne pas vouloir me fliquer, mais me protéger. Pat le sent prodigieusement agacé par son refus de lui livrer d’autres informations me concernant. Il lui a laissé entendre qu’elle serait en partie responsable si quelque chose de grave m’arrivait, depuis elle en est vraiment tourmentée. S’il se fait menaçant, résistera-t-elle à plus de pression? Il n’est en rien exemplaire mais c’est à ma Nanouche que j’en veux. Terriblement.
    Qu’elle sotte idée que d’engager la conversation avec lui. Je sais qu’elle n’a pas eu trop le choix car sur le site que nous fréquentons, n’importe qui peut laisser un message. Pourquoi a-t-elle répondu? Pour la même chose que Gärtner la harcèle, être rassurée sur mon sort. Je sais gérer ces comportements du virtuel, Patricia non, et elle s’est laissée piéger. Je crois qu’en définitive, c’est parce qu’elle ne savait plus comment s’en sortir, qu’elle a fini par saborder sa page.
    J’ai aussitôt demandé des explications à Gärtner.
    Pour se dédouaner, me rassurer dit-il, l’abruti me livre un copier-coller de la totalité de leurs discussions. Et là c’est moi qui flippe. Que compte-t-il faire de ces dizaines de pages qu’il a thésauriser? Je ne ressens que l’inquiétude de Pat pour moi à la lecture de leurs conversations et comme elle me la laisser entendre, elle me livre trop. Cela fortifie mon ressentiment envers elle. Pourtant cela me permet de prendre conscience que les sollicitations de Gärtner sont plus qu’offensives. Patricia n’avait aucune chance de lui résister encore longtemps et je m’en veux car je la sens très affectée par ce lien virtuel qui selon elle me prive d’une partie de l’énergie et du temps dont j’ai besoin pour ma reconstruction. Ash m’a dit exactement la même chose lorsque nous étions au Costa Rica.
    Patricia combat bravement, mais déstabilisée par le ton suppliant que Gärtner prend pour lui arracher un rendez-vous, elle coupe court à la plupart de leurs connexions. Il y revient à la suivante, se comportant en gosse capricieux, lui répliquant qu’elle n’est pas gentille, qu’il dérouille suffisamment à cause de moi, à cause de nous. Il la supplie de lui faire confiance. Le manque de considération que nous avons pour lui le blesse. Lors de leurs derniers entretiens il n’emploie que le nous, il met Patricia à pied d’égalité avec moi. Voilà pourquoi elle s’inquiète, il ne parvient plus à faire la différence entre nous deux. C’est à croire qu’il a conservé leurs échanges dans le seul but de me les faire lire. De m’éloigner de Patricia. Il a réussi, je fulmine toujours contre elle.
    Elle a tenté de le dissuader de poursuivre cette relation qui selon elle ne mènera nulle part si sa petite, moi en l’occurrence, ne le désire pas vraiment. Alors il détourne sa vigilance en lui affirmant avoir de réels sentiments pour moi, avoir une réelle envie de se battre avec moi. À chacun des arguments de ma Nanouche il oppose une liste de noms de villages susceptibles d’être celui où réside Pat, il s’obstine à réclamer une piste aussi minime soit-elle, il lui assure être heureux de pouvoir faire enfin la connaissance de celle que je considère comme une maman. À présent je comprends mieux cette impression de malaise que me disait ressentir Patricia à propos de Gärtner. Il la harcèle purement et simplement. Et si j’ai bien tout compris, il lui a donné son numéro de portable afin qu’elle l’appelle. Ce qu’elle a évidemment fait pour être tranquille. Bonne Mère, l’on dirait un loup qui a planté ses crocs dans l’échine d’une hase.
    Comme elle a eu raison de disparaître de cet espace malsain.
    Le jour sous lequel il m’apparaît est déconcertant, équivoque dirais-je. Mon instinct me dicte la prudence. Si tant est que je poursuive cette relation virtuelle, mon hôte en messagerie va devoir être convaincant dans les réponses que j’attends de lui s’il ne veut pas que moi aussi je me retire de son horizon.
    Je suis paumée. Les jours, les semaines se succèdent et je ne parviens pas à me détacher de cette messagerie toxique. À présent je pose une date sur chacun des chapitres que j’écris, mais je ne suis plus très sûre de son exactitude. De Charybde en Scylla.
    Patricia est là, présente à ma mémoire, elle me donne de ses nouvelles de temps en temps, mais je ne vais plus la voir. Mes jours et mes nuits se confondent dans un chaos total. J’en suis arrivée à dormir dans ma voiture, ça y est j’ai touché le fond. Mon apparence est celle d’une … il n’existe pas de mot pour la qualifier. Ash m’a fait parvenir la clé de l’appartement, mais je me refuse à m’y rendre.
    Une bourge pimpante m’a traité de vermine des rues aujourd’hui. Elle n’a pas compris pourquoi je me suis tordue de rire. Par cette insulte la biquette croyait me rabaisser. Elle ne fait qu’illusion avec sa bague en diamant, ses vêtements griffés et ses chaussures de luxe. Mémé nomme ce genre de personne des nouvelles riches. En français correct cela se dit parvenu je crois. Et là, cette femme puait le fric frais, elle empestait également d’un parfum immonde.
    Gärtner devient envahissant et suppliant. Deux mille treize, l’année de tous les dangers...

    IDéeS FiXeS et CHiMèReS... 03 décembre 2013

    …C’est plus qu’une présence virtuelle. Elle est devenue virale et ça me bouffe la tête!
    Je vis, je respire, je pense, et je fantasme Gärtner, il est le poumon artificiel qui me maintient en vie. Il est partout, dans ma messagerie, dans mes écrits, dans ma tête et dans mon cœur. J’ai reconnu être amoureuse de lui et je pense avoir fait une énorme bourde en l’admettant. Gärtner a vingt-cinq ans de plus que moi. Tous les membres de mon premier cercle s’accordent à dire qu’en lui je recherche la présence du père qui m’a abandonné. Peut-être ont-ils raison?
    Les mijaurées qui ont flatté Gärtner pour de mauvaises raisons, l’ont, l’une après l’autre, abandonné à son triste sort, à mes fantaisies. Je suis certaine qu’il y a perdu au change, mais il ne s’en rend pas encore compte. Mes peines, mes douleurs et le fardeau de mon existence sont des parasites qui me dévorent les neurones depuis très longtemps. Il tente désespérément de stopper le festin morbide, mais il n’en a pas la carrure. Depuis peu je sens qu’il faiblit à la tâche. Moi-même je commence à suffoquer de cette liaison virtuelle qui me devient somnifère. Il m’arrive d’ignorer sa connexion à ma page, je n’ai plus envie de me raconter. Il sait presque tout de moi et jamais je ne parlerais de ce qu’il méconnaît. Pire, son concept de la vie réelle m’ennuie tellement.
    J’ai tissé deux autres très belles relations sur ma page, ce qui prouvent que les messieurs qui la fréquentent ne sont pas tous des porcs indécrottables. Je pense même que Ludo et Nono me suivront le jour où je ferais mon oiseau migrateur. Leur sympathie m’est réconfortante, mes excentricités leurs sont rafraichissements.
    Gärtner lui, aura baissé les bras depuis longtemps. La chaleur abstraite qu’il m’apporte ne me suffit plus. Je le blesse et je le déçois et il n’ose pas m’en parler. Il s’éloigne tout doucement. Cela me fera mal, très mal, le jour où il décidera de disparaître. Je le vois évoluer, se hisser et moi je piétine et je vivote, je régresse carrément. Les doux petits noms dont je l’affuble ne suffisent plus à soulager mes maux.
    Il me prend une furieuse envie de mettre quelques nippes, mon passeport et mes démons dans un sac de voyage et m’envoler à nouveau pour le pays de tous mes permis. Retourner dans mon palais aux herbes, sèches et verdoyantes à la fois, me fondre dans la masse de ces gens si accueillants qu'ils vous donnent leur repas sans rien garder pour eux, m'isoler sur ce tertre au Mexique pour songer à la vie médiocre à laquelle je ne suis pas encore prête à renoncer, voilà ce qui me tente. Et mon vieux Paco, est-il toujours de ce monde? Je ne veux pas le savoir. Je ne sais pas ce que je veux.
    Je sais seulement que je suis une véritable plaie. Pas une scarification, mais l’une de celles qui ont ravagé l’Égypte au temps de Pharaon. J’hésite entre les ténèbres et les sauterelles. Mon âme triste et sans éclat, mes facultés mentales chancelantes et mon besoin de marcher au bord du précipice assombrissent l’aura de tous ceux qui m’approchent de trop près. Elles plongent dans l’obscurité ceux qui désirent me rendre ma joie de vivre. Ma détresse permanente dévore leur sérénité, anéantit leur bon sens et les font devenir totalement idiot. Ma bêtise a fait que par ma faute Ash s’est planté en beauté dans un de ses dossiers. Je suis morte de honte. Voilà pourquoi je ne veux plus qu’il veille de loin sur moi. Ni de près.
    Malgré tous mes efforts, je suis incapable de résister. Tous deux vont m’anéantir…

    DiPSoMaNie... 25 Mars 2014

    …Les bouteilles trônent sur les étagères du bar. Un geste irréfléchi de ma part et je le paie très cher!
    Je suis inexorablement attirée par leur couleur enchanteresse. Mes yeux ne peuvent se détacher des bruns mordorés, des rouges vermillon, des jaunes irisés, des cuisses de nymphe, des roses pêche, des bleus lagon ou des blancs étincelants, mon regard est prisonnier de ces couleurs chatoyantes.
    Tout comme Cheshire, le chat d'Alice au pays des merveilles, ma dipsomanie ne me quitte jamais des yeux. Elle se fait discrète et reste tapi dans les méandres de ma volonté, observant attentivement chacun de mes faits et gestes. Si je montre la moindre faiblesse, elle prend le pas sur ma détermination.
    Je deviens son souffre-douleur, évoluant entre paradis et enfer. Je tente sans succès de détourner mon regard des alcools tentateurs, mais il est trop tard, j’ai déjà le verre en main lorsque je me rends compte qu’il me sera impossible de résister, le mal est fait. Oubliées les bonnes résolutions.
    Mon esprit lutte contre moi-même avec acharnement, puis mon regard se fait soutenu sur l’objet de ma convoitise. Mes lèvres sont sèches, j’éprouve beaucoup de difficulté à déglutir.
    Je perds rapidement le contrôle.
    Dès que le délicieux tintement des glaçons se fait entendre je sais que je suis foutue. Une gorgée, une autre, c’est délicieux. Un verre entier puis deux, le troisième et … la bouteille est vide en un temps record. Rien ne peut m’arrêter, je suis invulnérable. La démarche chancelante, les yeux rouge sang, je me trouve toutes sortes d’excuses pour justifier ma déchéance. La machine est lancée, rien ne viendra la stopper.
    La tête en feu, enveloppée dans un brouillard bienfaisant, je me vautre avec ravissement. Plus de douleurs, plus de tristesse, plus de chagrins ni de souffrances. Le monde m’appartient et du haut de mon petit nuage alcoolisé je contemple avec condescendance le commun des mortels. Je ne suis pas comme tous les vide-bouteilles, moi je peux braver tous les dangers sans aucun risque. L’éternité m’est accessible.
    J’ai encore assez de lucidité pour me rendre compte que petit à petit le vide se fait autour de moi. Mes familiers se découragent les uns après les autres, peu ont encore la force de me maintenir la tête hors de l’eau. Ils désirent m’éviter le déclin, la déchéance qui me guette. Je les déçois, je les maltraite, je les inquiète, mais je me laisse irrémédiablement glisser dans l’abîme sans me soucier de leurs sentiments.
    Si j’avais la possibilité de faire disparaître mon addiction d’un coup de baguette magique, le ferais-je? Non.
    Ce n’est pas un manque de volonté de ma part, de la volonté j’en ai, celle de me détruire à petit feu.
    Pourquoi sortirais-je de cet enfer paradisiaque? Je me sens comme dans un cocon ouaté, séduisant et rassurant car inaccessible au monde extérieur.
    L’addictologue que l’on m’a ‘‘conseillé’’ de consulter a posé un diagnostic sur ma dépendance. Dipsomanie. Et lorsqu’il m’en a expliqué les symptômes, je me suis totalement reconnue. Cette pathologie ne me déchire pas que l’estomac, elle me broie aussi le cerveau jusqu’à ce que je ne sois plus en mesure de maîtriser quoi que ce soit. Lorsque je suis en crise peu m’importe l’alcool, je crois que je serais prête à boire de l’alcool à brûler si je n’avais rien d’autre à ma portée, seule l’ivresse me soulage.
    Engourdie et amnésique consentante. Tantôt gai, tantôt loufoque ou agressive. Je ne me sens bien qu’en étant ivre éponge. L’on me presserait comme un citron, à l’extrême, qu’il en sortirait de mon sang une liqueur de vodka. Ma dépendance me nourrit, elle ne me désaltère pas.
    L’addictologue m’a parlé aussi de SPT chronique. Qu’il lui est facile d’aboutir à tel ou tel diagnostique. Si seulement cela était aussi simple. Un alcoolique lambda peut, avec beaucoup de volonté, se résoudre à l’abstinence. Moi, c’est une impulsion irrésistible et morbide qui me pousse à m’alcooliser. Un rien me conduit à cet extrême. Tristesse, angoisse, conflits familiaux, déceptions et paranoïa délirante, le choix est vaste, mon hyperémotivité s’en accommode très librement.
    J’ai apprécié la façon dont ce médecin a commencé son laïus.
    - Sachez mademoiselle que l’alcoolodépendance est une affection dont on ne guérit jamais. Ceux qui prétendent le contraire sont des menteurs! Là au moins c’est dit clairement.
    Selon lui je fais partie d’une catégorie très limitée et rares de personnes prédisposées à cette maladie. Oui je suis comme ça, même mon alcoolisme somme toute ordinaire devient cas d’école.
    Cet homme a-t-il seulement compris que je voudrais disparaître de la surface de la terre quand la crise est passée, tellement je me sens honteuse? Que je doute de reconquérir ma dignité et l’estime de moi-même un jour? Qu’il m’est impossible de culpabiliser sur le moment? Que mon cerveau confit par l’alcool me hurle que je me tue à petits feux et que malgré cela je m’obstine? Bien sûr qu’il le sait puisqu’il a le courage de m’avouer que parfois il se sent impuissant face à certains de ses patients. Il admet facilement que mon mal-être ne se dissipe qu’au summum de l’excès et il ose prétendre que cette infirmité, parce que s’en est une, ne se fera moins agressive que lorsque je me serais véritablement pardonnée mes écarts.
    Il a encore raison lorsqu’il affirme qu’au terme de chaque crise je demande mentalement pardon à celles et ceux que je fais souffrir. Je n’ai pas le courage d’affronter leur regard. Je dois faire seule le voyage de retour vers ma lumière, avec chacun des faux-pas, des égarements, des faiblesses, des erreurs que cela comporte.
    Une bonne douche c’est agréable et cela me donne l’impression d’être régénérée. Pas cette fois-ci.
    Nue devant la psyché, je constate les dégâts et j’en ai des haut-le-cœur. Je me découvre telle que je deviens au fil de mes beurrées. Famélique et repoussante, les yeux rougis, le visage bouffi, disgracieuse à souhait. Je tiens à peine debout. Je comprends qu’il soit de plus en plus facile à Ash de s’éloigner de moi.
    Frappée de sidération, je prends soudain conscience que je ne suis plus qu’un déchet.
    Bonne Mère, viens moi en aide.
    Je veux couler mon immortalité dans un sanctuaire au Costa Rica. Réincarnée en paresseux.…

    ÉLoiGNeMeNT… 16/11 /2014

    …Plus je me livre, plus je sombre. Je n’ai qu’une hâte, c’est qu’il renonce à notre lien virtuel!
    Mon Tandoori veillait sur moi, alors qu'avais- je besoin de folâtrer ailleurs? Je crois que c’est ce qui me met en mode auto destruction. Ash était mon véritable pilier, pas ce Gärtner que je ne connais ni d’Adam ni d’Ève. Pourquoi lui suis-je autant attaché alors qu’il m’arrive de plus en plus souvent souhaiter ne l’avoir jamais connu. Qu’il disparaisse et j’aurais enfin une bonne raison de le haïr, de le pleurer. L’affection que je lui porte m’est destructrice, je ne vis que par les lignes qui nous unissent parfois des journées entières. Qui nous unissaient, parce qu’elles se raréfient de semaine en semaine.
    Qui de l’alcool ou de lui réussira à m’anéantir en premier?
    Je sens que nous nous détachons l’un de l’autre et je suis incapable d’y remédier. Nuance, je n’en ai aucune envie. Il s’éloigne de moi parce qu’il est conscient que sans la vouloir je le conduis à sa perte. Il mène son train alors que, comme à mon habitude, j’avance de deux pas et je recule de trois.
    Cette année est la pire de toutes. Je suis confrontée à mes psychoses et je vire à la schizophrénie. Le rien de raison qu’il me reste me sert à combattre mes hallucinations. Cela fait six ans que je tourne le dos à la réalité. Je me suis créée un monde virtuel afin d’adoucir mes souffrances psychologiques. Le réel de mon quotidien gagne du terrain et je ne sais plus démêler le vrai du faux.
    Ash a lui aussi baissé les bras. Notre relation était devenue escarmouches, accrochages et après un dernier baroud d’honneur, il m’a sommé de m’effacer si je n’étais pas plus raisonnable. Depuis, il file le parfait amour avec Kirsten. Je n’ai plus eu accès à l’appartement alors je suis allée chez mémé pendant quelque temps. Je déçois ma grand-mère, elle compatit mais mon comportement lui déplaît prodigieusement m’a-t-elle dit. Il m’en faut peu pour me mettre de travers depuis que la cacade et moi sommes amies.
    Une fois encore la rue devient ma maison. Je ne sais plus où j’en suis.
    Gärtner a déménagé et il ne me donnera sa nouvelle adresse que si je décide de construire quelque chose avec lui. Quel benêt, cela me serait si simple de l’obtenir si je le désirais vraiment, mais je n’en éprouve qu’indifférence. Je crois qu’il doit se sentir menacer à cause de mes revirements. Quel intérêt aurais-je à divulguer ce qu’il m’a confié? Pas vraiment de quoi briser les six pattes de la tarasque. Je suis perdue, piquée, névrosée, mais je reste un tombeau en ce qui concerne les irrévélés que l’on me confie.
    En attendant je ne sais quoi, je ne sais qui, je joue au poète et à l’écrivaillon afin d'exprimer mes sentiments douloureux. Mon blog ne vaut pas grand-chose, les sottises que j’y publie seront des mots vite oubliés. Cependant certains de mes lecteurs s’accrochent et m’encouragent à m’améliorer alors je me prend au jeu et j’ai demandé à mon cher Samuel de me donner quelques notions de Français correct. Gräce à lui, le vulgaire me quitte peu à peu. Je m’ennuie tellement que je serais même prête à me mettre au tricot.
    La énième thérapeute que je viens de consulter tente de me persuader que c’est ce passage à vide qui pourrait me servir de tremplin moteur pour m’extraire de ma détresse. Je me sens si nulle.
    Je ne comprends pas Ashlimd. Il a mis fin à notre unité, son attachement pour moi s’est envolé et malgré cela, il m’a proposé d’accompagner son groupe multi nationalités pour une croisière en voilier. J’ai accepté, mais vais-je supporter de le voir roucouler avec une autre? La croisière en elle-même était très agréable, le groupe très intéressant, Jamarion … bienveillant, trop. J’ai été tentée de me laisser aller, mais je suis irrémédiablement perdue. Entamer une histoire maintenant serait un pur suicide. D’autant que je dois prendre une décision en ce qui concerne Gärtner. J’ai tenu onze jours, le temps de découvrir le bonheur de naviguer sur l’Aléthia III et de visiter quelques villes côtière, puis je suis allée voir ailleurs si j’y étais.
    En réfléchissant à propos de Gärtner, je ne me contente plus de ces sottises. Ce n’est pas moi, ce n’est pas lui. J’en suis arrivée à me pâmer devant ses pectoraux comme une adolescente saturée d’hormones qui se meurt d’amour pour un professeur. Gärtner les entretient en soulevant de la fonte à la limite de l’épuisement, pour moi dit-il. L’idée de dénigrer ses efforts ne me vient pas à l’esprit, mais auprès du Tandoori il ne ferait pas le poids. Sa silhouette fait encore illusion malgré son âge et je ne peux pas lui reprocher d’être en quête de compliments. Pour lui faire plaisir je surjoue le ravissement intense lorsqu’il pare sa musculature d’une chemise rose bonbon. Il est vrai qu’il la porte beau. Je suis même allée jusqu’à me procurer son eau de toilette afin de me sentir proche de lui. Quelle crétinerie de ma part. J’ai conscience que tout cela ne me sert à rien. Il a épuisé sa dose de patience, il doute de moi. Il cherche le moyen de se délier d’un serment qu’il n’a jamais prononcé, d’un aveu qu’il est incapable de rendre irrévocable, sans faire trop de dégâts.
    Je ne le désire pas dans ma vie, mais lorsqu’il disparaîtra, je sais que je serais inconsolable. Je n’ose le lui dire. Cette année deux mille quatorze ne m’aura apporté que des déceptions et beaucoup de chagrins. Elle me laisse comme un arrière-goût de regrets.
    Il y a peu j’ai consulté un rumathologue pour les douleurs qui m’assaillent par crise. Cela devient un peu plus atroce à chaque nouvelle poussée, en attendant que le diagnostique soit posé, je dois porter un corset pour soulager ma colonne vertébrale. Trois mois de torture pour peu d’amélioration. Oui vraiment une année de merde. Sam m’assure que ce mot est autorisé dans l’art décrire s’il est employé avec conviction. Je réitère donc, une sacrée année de merde.
    Sur l’âme de Sonia je fais le serment de livrer mon grand combat, dussé-je en crever…

    ViRTueL aSSaSSiN… 10 Mars 2015

    …Les tantines m’ont accueilli à bras ouverts. Même si je m’y attendais, ça fait un mal de chien!
    Dès le départ cette histoire était vouée à l’échec. Obsolescence programmée me dit Sam.
    J’ai hurlé de chagrin, mais je n’ai pas cédé. Mon premier réflexe a été de me confier à Ash et puis je me suis souvenue qu’il hait le ‘‘vieillard’’, c’est ainsi qu’il désigne Gärtner. Quant à Patricia, elle est trop impliquée dans ce fiasco pour que je puisse en attendre consolation. Elle a su, dès le début de mes échanges, que cela se terminerait ainsi. Je ne suis à l’aise que parmi des anonymes, jamais je n’aurais été capable d’aborder physiquement celui que je pensais être ma providence. Ash l’était lui, et je l’ai quitté pour une utopie.
    Or donc je suis allée me terrer chez les tantines. Elles ne comprennent pas trop ce qui se passe sur les réseaux sociaux, mais elles compatissent à mon chagrin. Elles m’engraissent aussi. Chocolats chauds et shamallows, brioches aux fruits confits et jus d’orange à outrance. Les brioches de Mamaiette sont divines.
    Mes tantines ont un cœur qui déborde d’amour mais elles ne possèdent que des mouchoirs en papier parfumés à l’eucalyptus. Alors depuis quelques semaines mon visage est rouge tomate et mes yeux sont semblables à ceux d’un lapin albinos. Je pleure sans vraiment savoir pourquoi, je crois que n’est pas la défection de Gärtner qui me désespère, mais seulement le fait qu’il soit parti sans explications, sans un au revoir. Je n’en ai nul besoin, je le pressentais. Je suis vexée tout simplement qu’il ait pris l’initiative. Moi, je n’y serais pas parvenue. Même en étant bien consciente que je désirais cette rupture brutale depuis quelques semaines déjà. À présent, je me rends compte qu’avoir coupé les ponts avec ma famille a été absurde de ma part. Je suis aimée par de bonnes personnes, je dois m’en persuader.
    Fichu corset de maintien. Je ne le quitte que pour la nuit, mais j’ai toujours l’impression de le porter. Quant au soulagement qu’il devrait me procurer, ça n’est pas celui escompté.
    J’attends encore quelques résultats, mais selon ceux déjà connus, je serais atteinte de spondylarthrite ankylosante. Celle maladie est une chienne, liée à un ensemble de facteurs génétiques. Christian n’est pas parvenu à m’achever, mais cette affection le pourrait s’il s’avérait que je souffre réellement d’une inflammation chronique des articulations. La maladie en elle-même n’est pas mortelle, mais les symptômes-séquelles le sont eux. C’est bien ma chance. L’on me fait des examens pour savoir si mon organisme possède le gène facteur prédisposant, et ma vie de potache n’a rien arrangé. Si j’héberge la bonne bactérie, je gagne le … nada, mes infections respiratoires seraient parfaitement expliquées.
    Est-ce la deuxième année de cacade qui se profile?
    Même si cela m’est douloureux, ma peine de cœur passe au second plan. D’ailleurs, si je veux être honnête, il me faut écrire que je commence à tourner la page et que je ne suis plus autant en souffrance, que je délire moins de tristesse. Il paraîtrait que ma réaction a été normale. Les sentiments sont exacerbés par l’image parfaite que renvoie l’absent, et le manque de contacts tactiles désoriente la libido qui se fixe sur un sujet d’aimance. C’est cette privation physique qui créée une alchimie entre deux personnes qui ne se sont jamais vu réellement. J’ai rompu le contact avec Gärtner sur un coup de tête, j’en ai bavé longuement, mais ce début d’apaisement est une victoire après les larmes de sang que j’ai versées pour lui.
    J’ai vécu cet abandon comme une trahison, mais à présent je vois ceci comme un présent, j’ai été libérée de cette tension qui me broyait à chaque connexion. J’ai compris que j’étais sous emprise d’où une rage légitime. Il m'est venu à l'idée de faire de vastes dégâts avec les nombreuses pépites que Gärtner a laissé en ma possession. Puis, je me suis rendue compte que les tristes confidences de cet homme ne valaient pas la peine que je passe pour une personne venimeuse et malveillante. Il a eu un passé compliqué et cela l’a soulagé de se confier. Finalement j’ai fait la même chose, il est tellement facile de s’épancher derrière un écran. Mes réflexions m'ont conduit à réaliser que mon ami virtuel a joué de son côté beau parleur érudit. C’est grâce à ses belles phrases qu’il m’a attiré. D’autres jeunes femmes aussi stupides que moi ont dû s’y laisser prendre. Je me souviens d’un soir où il conversait avec une autre en même temps qu’avec moi, et son vocabulaire ne m’a laissé aucun doute lorsqu’il s’est planté de messagerie pour lui répondre. Je lui ai laissé une seconde chance, je n’aurais pas dû. Le passé au passé.
    J'évite désormais de me connecter sur les réseaux sociaux. Ma mésaventure m’a fait comprendre que beaucoup d’entre eux véhiculaient de la boue immonde. À vouloir fréquenter la faune exotique l'on finit par se perdre dans la jungle, c'est ce qui m'est arrivé. Je me rétablis doucettement. Ce sera long, mais je le promets, j’oublierai jusqu’à son nom.
    Cassée, fracassée, dévastée. Mémé a rejoint la Bonne Mère, encore un être cher qui me quitte…

    Me PRéPaReR uN aVeNiR... 20 Juin 2015

    …Ma maison est pour toi ma toute petite. Fais-en un cocon qui te soulagera de toutes tes souffrances!
    Ce sont les dernières paroles que mémé m’a dites. Elle était le fil ténu qui me reliait encore à maman et voilà qu’à son tour elle a franchi la grande porte. Son dernier souffle a été pour moi, alors je vais m'efforcer de suivre ses conseils.
    Mon optimisme croît grâce à l'écriture. J’exprime mes maux par des mots et peu à peu les drames et les épreuves qui jonchent mon parcours s’effacent de mon esprit tourmenté. Je n’oublie rien, mais cela m’et moins éprouvant. Je ne repousserais jamais les pensées qui me ramènent à ma chère maman, à ma Miriette chérie et à la belle personne qu’était ma grand-mère, l’amour que je leur porte sera toujours présent dans mes pensées.
    Ma tendre chérie, ma Sonia, elle aussi a rejoint bien trop tôt les anges des Cieux de la Bonne Mère.
    Malgré les années qui passent je ne parviens pas à la laisser définitivement partir. Mes larmes sont toujours brûlantes au souvenir de nos facéties. Entendons-nous bien, Sonia était ma sœur de cœur, ma meilleure amie, pas ma petite amie. Cela aurait pu se faire, mais en dépit des horreurs que nous avons vécues l'une et l'autre avec un compagnon violent, notre foi en l'homme ne s'est pas éteinte. J’ai parfois la sensation qu’elle est à mes côtés et, dans mes peines les plus lourdes, il m'arrive de m'adresser à elle.
    Il me semble l’avoir écrit quelque part, les pages de mon cheminement de palingénésie lui sont en partie dédiées. Je me raconte à son âme.
    Mes balbutiements de gratte-papier ne seront bientôt plus qu'un souvenir car j'envisage de prendre des cours afin d'améliorer mon écriture. J’ai juste besoin de courage pour affronter le regard des autres étudiants, mais surtout pour prendre la parole. Je me cache depuis trop longtemps dans des petits trous de souris pour échapper au monde extérieur. J'espérais surtout passer inaperçue pour le reste de mes jours. Je suis comme un ancien combattant luttant contre ses terreurs, mais ne parvenant jamais à les faire taire vraiment. Syndrome post-traumatique. Il m'est resté quelques séquelles de ma mésaventure avec Christian, mais je suis en vie. Cela ne fait pas tout. Selon ma thérapeute je dois puiser dans la souvenance de cette atrocité pour reconstituer mes forces vives et aller de l’avant. Cocasse comme thérapie. Je fais tout pour enfouir ces trois années de torture au plus profond de ma mémoire, et je dois les utiliser pour m’en sortir?
    Il va me falloir faire l’impasse sur ma voix d'outre-tombe. Une combinaison désagréable des voix de Donald Duck et Rambo. La vérité est trop moche pour la servir nue. Oui, peut-être que sur le ton de la conversation ça passerait. Oui, mais non. Alors quand on me demande avec insistance le pourquoi de la chose, j’explique que mes cordes vocales ont été touchées lors d'un accident, sans autres précisions.
    L’on me sert parfois du ''Vous ne devriez pas autant fumer mademoiselle'' lorsque je me risque à aligner deux ou trois mots chez un commerçant. Cela me rend dingue, j’ai soudain envie de hurler. Le pire c’est lorsque j’entends un ''Oh pardon, bonjour monsieur'' en répondant -rarement et pour cause- au téléphone.
    A cause de ce handicap, ma vie a longtemps été un enfer au quotidien. En Amérique du Sud certains me surnommaient el diablo, c’est dire si cela a été l'enfer. Ma voix, une plaie vive au quotidien jusqu’à ce que je croise la route d’Ashlimd. Il m'a appris à l'apprivoiser.
    Ah le savoir vivre à l’anglaise, il n’y a rien à en redire.
    Je me souviens de la première fois où je me suis rendue chez ses parents. J’avais angoissé deux jours durant de peur de commentaires désobligeants. Mais pas une interrogation ni un seul battement de cils. Idem pour le personnel. J’en avais déduit que Bébé les avait briffés à la perfection, mais il m’a assuré que non. Je le crois car lui-même ne m’a posé aucune question le soir où nous avons fait connaissance. Ash est un original, il prétend que ma voix a du vécu et que je ne dois pas renier son timbre si particulier car j’ai acquis cette singularité en souffrant. Cela mérite un certain respect dit-il. Il lui arrive de vouloir exorciser mon tourment en câlinant délicatement ma trachée. Pourquoi a-t-il approché le vilain petit canard que j'étais ce soir-là, ça je ne le comprends toujours pas?
    Or donc, je me suis inscrite dans un programme spécial littérature et écriture. En attendant le début des cours, je patiente en travaillant des exercices Bescherelle et en m’appliquant à rédiger de manière plus suggestive. Il n’est nul besoin d’être vulgaire pour se faire entendre! m’avait dit ma douce Sonia un jour ou je prenais à partie la vendeuse d'une parapharmacie. Pour la rédaction c’est pareil, un chat se nomme toujours un chat, mais … je me comprends. Je ne renie pas mes écrits les plus triviaux, ils ont été ma première expérience à l'écriture, mais désormais, j'abandonne le style obscène et répugnant au profit de la touche coquine correcte.
    Quand est-il de ces semaines, que dis-je, de ces longs mois de tristesse, de mélancolie et de pleurs qui m’ont laminé? À présent je suis convaincue d’avoir fait le bon choix. Gärtner a certes fait le plus difficile en mettant fin à notre relation virtuelle, mais cela m’a permis de ne pas revenir en arrière, même si j’ai eu mal à en crever. J’étais trop fière pour l’appeler, il n’attendait que ça je crois. Mon amour-propre en a pris un sacré coup et finalement c’est ce qui m’a permis de couper définitivement les ponts. Ma peine était légitime…….
    Il en est un autre qui n’est pas parvenu à tourner la page. Ash s’est promu gardien de mon équilibre et, à distance pour commencer, il a veillé sur ma convalescence, il m’a réconforté. Son exaspération se ressentait à chaque fois que j’évoquais Gärtner. Sa rage aussi, c’est car c’est à cause de ce malotru dit-il, que nous nous sommes perdus. Moi je n’ai pas la même vision des choses, j’ai été blessée oui, mais Bébé a aussi sa part de responsabilité dans l’affaire. Il m’a laissé seule tellement souvent que cela devait arriver, forcément.
    Baisers romanesques, baisers délicats, baisers papillon, une ronde de baisers. Rapprochement.
    - Depuis sept mois tu oscilles entre colère, regrets et culpabilité. Secoue-toi Mylhenn!
    - Te morfondre à cause d’une telle chimère n'est pas digne de toi ma Chouquette!
    - Pleurer pour la sinistre farce dont tu as été victime est injustifié ma chérie!
    - Te voir te complaire dans ce chagrin inutile m’est insupportable!
    - Cette pitoyable expérience doit te servir à faire de meilleurs choix à l’avenir ma Chouquette!
    Toujours pragmatique Bébé m’encourage à sa façon. Je crois que ma peine s’est transformé en haine.
    Elle n’est pas toi et j’ai besoin de toi dans ma vie. Exit Kirsten…