• CHaPiTRe ( VI )

     

    Au ReVoiR PeNJÿ… 5 Octobre 2012

    ...La plupart des fils aînés reçoivent un prénom en relation avec les rivières sacrées. Penjÿ est de ceux-là!
    Il en plaisante souvent, me confiant qu’il a dû apprendre à écrire son nom et son prénom à rallonge dès ses quatre ans pour être sûr de ne rien oublier. Son père ne le lui aurait pas pardonné la moindre erreur lui qui se définit comme appartenant à la couche supérieure d’un millefeuille social. Cet homme n’est pas bouffi d’orgueil, il est juste fier de sa caste. Apparemment, Penjÿ, d’une autre génération, ne parie pas sur leurs dogmes et leur mythologie protectrice. Toute la différence vient de ce qu’il a connu les écoles et universités de prestige. Ashlimd a un léger temps de retard dans ses études, ses frères et lui n’ont eu accès à un enseignement de qualité qu’après avoir été adoptés. Les poncifs sont tellement ancrés dans les esprits étriqués de l'Europe bien-pensante qu’il est certainement impossible à d’aucuns d’imaginer Ashlimd et Penjÿ autrement qu’en guenilles, pataugeant dans la fange et dans le Gange en compagnie de leurs nombreux frères et sœurs. Ces idées préconçues naissent encore et perdurent, elles dénaturent la réalité. Certes, les deux gamins ont grandi côte à côte, unis par les pérégrinations de leurs parents respectifs. Ils se sont créé une amitié indéfectible lors de leurs années collège puis ils ont été séparés après le début du lycée. L'un a poursuivi avec un précepteur, l'autre dans une institution haut de gamme. Des années plus tard, ils sont à nouveau réunis en un même idéal, Dame justice.
    J'ai fait la connaissance de Penjÿ quelques semaines après avoir rencontré Ash et j'ai bonheur à partager leurs soirées révisions. Ash, le toqué du code pénal et de la législation criminelle me fend les oreilles avec ses révisions de textes de loi datant de Napoléon. Penjÿ lui, me met plein la tête des pages de la thèse qu'il prépare sur la psychologie du défenseur et le développement de la science criminelle. J’adore les soirs de relâche où tous deux tentent de m’initier au poker et aux échecs. Sans succès, je déteste les jeux d’argent macho et je manque cruellement de discernement pour vraiment comprendre les règles d’un jeu de réflexion. Leur unique but est de me distraire, d’éloigner la peur de l’avenir de mon esprit, de me lancer la bouée qui m’empêche de couler. Penjÿ a compris lui aussi que je vis dans l’angoisse de la sortie de prison de mon ex-mari. Il tente de me prouver que Christian ne sera plus le même lorsqu'il franchira les portes de la maison d'arrêt, cela m’apaise oui, mais sans plus, je ne parviens pas à dompter mes véritables peurs.
    Parfois, les deux compères organisent des veillées poker avec certains de leurs collègues excentriques et désinhibés. Je ne les aime pas trop et je déteste carrément ceux qui se croient indispensables à la société et invincibles, du fait qu’ils croulent sous leur fric puant. Je les salue puis je disparais dans ma chambre. La seule fois où je me suis risquée à jouer à l’hôtesse parfaite en leur préparant des pizzas faites maisons, qu’ils ont vraiment apprécié, j’ai été malade à en vomir le reste de la nuit à cause des vapeurs d'alcool et de la fumée âcre des cigares. Et la conversation de certains était plus que limite, elle revenait souvent sur un seul et même sujet, le sexe. Apparemment, ces messieurs ont beaucoup de temps libre et énormément d'opportunités.
    Il est vrai que Penjÿ folâtre de temps en temps, mais au moins lui, il sait rester discret quant à ses conquêtes et ne se vante jamais de leur virtuosité. Dans les années quatre-vingts, mille huit cent quatre-vingts, être juge ou greffier ou avocat imposait immédiatement le respect. C’est encore le cas à présent, je suppose, mais ils sont devenus aux yeux du public des gens comme les autres, sans auréole. Je ne me permettrais pas d’évaluer leurs compétences, mais pour certains, la façon de gérer leur vie privée laisse parfois à désirer. Je prends pour exemple le juge avec lequel Penjÿ collabore pour ses travaux, cet homme est imbu de lui-même. Il a divorcé uniquement parce que son ex-femme n'était pas assez distinguée selon ses critères. Cela n’engage que moi, mais je pense que c’était parce que madame n’avait plus l’âge de porter des mini-jupes et des décolletés plongeants. Il y a aussi parmi les hôtes de Bébé un farfelu qui m’a déclamé une tirade abjecte sur les femmes battues. Ash m’a promis de le retirer de son réseau. L'enlever de son répertoire personnel me suffirait amplement, pour avancer dans la hiérarchie, côtoyer ces gens lui est malheureusement nécessaire. L’infamie vient de ce que cet avorton de Charles prétend que la plupart des femmes agressées le sont de par leur comportement. La connerie n’est pas une légende urbaine.
    Cela fait une semaine aujourd’hui que Penjÿ nous a quittés. Ash est sonné, en état de sidération.
    Mes petits tracas sont vraiment peu de choses à côté du drame qui le terrasse. Il n’est en rien effrayé de me montrer ses larmes. Je tente maladroitement de réconforter celui qui sait pleurer un ami sans honte. J’ai beaucoup de peine, j'aimais énormément Penjÿ et sa joie de vivre. Il a recueilli bons nombres de mes confidences et il avait toujours un mot gentil d’encouragement lorsque je me laissais aller à valser de trop avec Omar le cafard. C’est ainsi qu’il nommait mon état récurrent de mélancolie. Lorsque j’abusais des larmes et des crises de colère, il me taquinait bougrement, en rajoutait une couche.
    Tes symptômes sont vraiment bluffant, me disait-il. Tu hallucines Mylhenn, tu te rends compte que tu es la seule à voir où entendre des choses qui ne sont pas? Tu te sens observée, surveillée et tu te protèges en te cachant des jours durant, si ce n’est un signe avancé de la maladie ça! Hum, je doute, j’hésite entre paranoïa et schizophrénie? Et il éclatait de rire. Je le gratifiais d’une insulte bien sentie.
    En me relisant, j’en viens à penser qu’il n’avait peut-être pas tort après tout car mes replis sur moi-même me font encore tomber en dépression et je deviens médiocre en tout. Bons nombres de fois, je manque m’estropier en utilisant de simples appareils du quotidien et cela m’arrive encore. Je possède deux mains gauches et Maë Lynette dit que je suis une véritable quiche poireaux-saumon.
    Le jour de sa disparition Penjÿ était pressé, car il était juste dans le temps pour attraper son vol en direction de Genève où l’attendaient ses parents. Le destin l’a foudroyé dans sa course, le chauffeur d’un véhicule de transport de marchandises en l’occurrence. Celui-ci a entrepris un dépassement dangereux sur la voie du milieu et il s’est légèrement déporté à cause d’un autre poids lourd. La voiture de Penjÿ a été projetée contre la rambarde de sécurité et à ce que l’on nous a dit celui-ci n’a pas eu le temps de faire un clignement d’yeux avant d’être propulsé dans l’au-delà. Au Nirvana. Un concept philosophique selon lequel la personne décédée serait dans un état de béatitude absolue, libérée du feu des passions et de l'ignorance pour entrer dans le cycle de la réincarnation. En deux mots, bonheur absolu. Il est dit que pour faire correctement leur deuil, les amis et la famille du défunt doivent se réjouir de ce passage. En ce qui nous concerne Ash et moi, il nous est impossible de fêter l’événement. Bébé est aussi anéanti que moi je l’ai été pour ma Douce, heureusement lui, il extériorise. Ses sanglots déchirent mon cœur, mais je sais que ceux-ci le soulagent de sa peine. La dépouille de Penjÿ s’est envolée pour rejoindre le lieu de la cérémonie de purification et la crémation en est l’un des passages obligés. C’est Ashanti, son frère qui a organisé la prière.
    « La confiance en vos aïeux vous apportera réconfort et consolation. La séparation sera brève et pleine d'enseignements. Les souvenirs, les mauvais comme les bons, apaiseront votre douleur, et vous comprendrez que je ne suis pas loin. La vie continue, le sentier qui me conduira à vous est déjà créé. »
    Dit comme cela, on serait tenté de s’abandonner à l’espoir. Cœur brisé, un véritable déchirement…

    La JuSTiCe DeS HoMMeS... 11 Octobre 2012

    ...Le visage tuméfié d'une femme me sert d’avatar sur ma page profil. C’est un peu dérangeant!
    Pourtant, cela ne suscite que peu d’interrogation. Je veux crier mon mal-être au monde entier, un peu comme une bouteille à la mer pourtant je ne reçois que peu de retour. Rares sont les visiteurs qui osent m’interpeller sur la réalité du sujet. Soit, ils s’en moquent, ils viennent sur le site pour accoster la gueuse, soit ils m’insultent, m’accusant de chercher à me faire plaindre. Le masculin vigoureux et reproducteur s’indigne. Les mettre le nez dans leur caca les rend nerveux.
    Je dois dire que la plateforme qui accueille ma chronique personnelle n'est fréquentée que par des m’as-tu-vu prétentieux et ringards. Il y a aussi beaucoup de mythomanes et de vantards. Je ne pense pas m’attarder de trop ici. Ludovic est mon rayon de soleil, il n’exige rien de moi et nous passons de bons moments sans nous prendre la tête. Je suis également en communion avec un autre représentant du sexe masculin. Il me divertit et m’instruit. J’aime notre libertinage, mais je devine que cet homme a lui aussi certains problèmes à régler dans sa vie. Tantine dirait qu’il est trop propre sur lui pour être honnête. C’est la vérité, il ne laisse paraître que l’admirable de sa personne et cela m’est quasi effrayant. Tentant aussi. Il a pleuré avec moi du départ de Sonia, il lui a dédié un poème également. Peut-être qu’un jour je le rencontrerai? C’est hors de question pour l’instant, il y a encore trop de non-dits de ma part. Oups, je m’égare, j’en reviens à mon sujet premier. Mon avatar représente aussi mon ressenti. Cela se situe entre effroi et répugnance.
    Dans peu de temps mon ex-mari va sortir de prison. Je suis prise de vertige à l'idée que je pourrais bientôt le croiser au détour d’une rue. L’amour qu’il me portait a failli me conduire droit au cimetière alors le spectre de ma lâcheté refait surface. Les bonnes âmes m’assurent que mon comportement était naturel à l’époque car j’étais sous emprise, son emprise. Je ne vois pas les choses comme cela, j’étais une loque sans énergie.
    Il y a peu j’ai été avertie de la procédure de libération conditionnelle que Christian a entamé avec l’aide de son avocat. Selon ce qui est écrit sur le document officiel qu’a reçu mon représentant, la décision sera prise en fonction de la conduite de mon ex-mari lors de son séjour à la maison d’arrêt, de son passé judiciaire, des circonstances de l'infraction qui a motivé sa détention, de la sincérité de son repentir et de la probabilité de récidive. Penjÿ avait bien raison lorsqu’il disait que l’on formatait une virginité psychologique à ces gens-là afin qu’il se réinsère comme si de rien n’était dans la société. Le terme infraction me paraît un peu léger, me débecte carrément, quand je pense que ce dingue a failli me tuer. De plus, il a promis de m’achever à sa sortie de prison. Dans ce courrier l’on m’informe que j’ai droit à donner mon point de vue sur les conditions de cette libération, que j’ai droit à exprimer mes craintes, mais que l’on attend pas de désapprobation ou d’approbation de ma part. Il est précisé et surligné que cela se passera en huis clos et que ma présence ne sera pas souhaitée à l’audience. La date de ladite audience me parviendra ultérieurement par recommandé. Je pourrais néanmoins être entendue si j’en fais la demande, sur les conditions de libération et uniquement sur cela. Très bien, s’il m’est impossible de m’exprimer une fois encore, je renonce à faire la petite souris hypnotisée par le cador qui intercédera en faveur de Christian
    Cela se déroulera donc par défenseur interposé. Je ne veux plus me battre.
    Lors du procès aux assises, ils m’ont laminé. J’étais trop abîmée pour paraître à mon avantage. C’est une façon de parler, mais c’est comme cela que ça s’est passé. Selon Penjÿ le procès a été saboté, ils ont fait abstraction de certains témoignages, ils se sont servis de mes antécédents pour organiser une défense plus que douteuse et selon les minutes du procès, les rapport psy auraient été dévoilés avant l’audience. Je n’ai eu aucune chance d’obtenir des indemnités malgré le témoignage du chef de service des soins intensifs, malgré les séquelles à vie que je traîne. Sans parler des menaces auxquelles j’ai été confrontée, personne ne les a prises en compte pendant le jugement. Ce n’est qu’une fois le verdict rendu que l’on m’a soutenu.
    Selon le psychanalyste judiciaire qui m’a examiné, je ne me comportais pas en victime. Ils ont joué sur ma faiblesse mentale, argumentant avec les points de ma propre défense. Et bien sûr il y avait plus d'hommes que de femmes dans le jury.
    À la lecture des faits, qui lui étaient reprochés, Christian n’a pas bronché, pas un homme ne s'est offusqué d’ailleurs, ni rien laisser paraître d'un quelconque dégoût. Les femmes elles, ont retenu à grand-peine les spasmes d'une nausée grandissante à l'énoncé des faits. Celle qui avait les larmes aux yeux était pourtant une gardienne de prison en retraite. Ah oui, cette profession se nomme surveillante pénitentiaire maintenant. Pour résumer la situation, aujourd’hui, je me rends compte que ma défense a été bâclée. Je n’étais qu’une survivante de plus. Dix ans fermes, voilà ce dont a écopé mon tortionnaire et agresseur.
    Il n’a effectué que la moitié de sa peine et déjà, il fait une demande de liberté conditionnelle. La justice est une enfoirée, car cette liberté lui sera accordée, c’est certain. Il y a un tel manque de place dans les prisons que bons nombres de brutes vont être libérées dans les mois prochains. Une cellule pour deux, mais quelle horreur. Pauvre Christian.
    Juin deux-mille treize. En leur âme et conscience, ils se sont prononcés…

    LeNDeMaiNS... 15 Octobre 2012

    ...Demain, un mot de six lettres qui devrait m’enthousiasmer. Je suis en détention à vie!
    En parlant de cela, jeudi dernier Lamine a passé vingt-quatre heures en garde à vue pour cause de divergence d’opinions avec une patrouille de la police municipale. Était-ce vraiment judicieux de jouer aux autos tamponneuses avec les containers de quartiers à l’heure même de la ronde des policiers?
    Évidemment, il n’y a pas eu d’enquête de flagrance, cela a été direct derrière les grilles. Des pignoufs les potes de Lamine, ils écopent d’une amende seulement, Lamine aussi. Il râle, mais il l’a bien cherché.
    Je vais mal, je déraisonne et pire, j’évolue de Charybde en Scylla.
    Bref, tout n’est qu'incertitudes, chaos et angoisses dans ma vie, dans mon esprit. Où est-il cet avenir plein de promesses, de joies et de tendresse qui doit m’assurer un demain apaisé?
    La réalité est que moi aussi, je suis prisonnière, et cela, dès le jour où le verdict a été prononcé. Je suis libre de mes allées et venues et en même temps, je suis enfermée dans la pire des geôles, je suis ma propre prison. Mes craintes me séquestrent aussi efficacement que des barreaux en acier. Chacun de mes cauchemars me ramène à ma claustrophobie, je suis barricadée par mon désarroi, ma paranoïa, là où aucune fuite n'est possible. Ma peur panique me rapproche du capitonné. Je suis incapable de gérer mes hallucinations, et encore moins la démence qui me pousse à fuir des fantômes imaginaires. Je ne sais pas lire l’avenir, mais la méfiance maladive qui m’habite me sauvera peut-être la vie un jour. Il m’est impossible de faire l’impasse sur les menaces de Christian, je vis à combattre leur écho dans ma tête. Ma lucidité s’est fait kaléidoscope dans lequel évolue le peu de raison qu’il me reste, se reflètent les débris de mon entendement. Je ne sais même plus ce que je dis.
    Je ne devrais plus être tourmentée depuis le temps. Pourtant, j’ai encore la sensation de me trouver en péril. Rien n’est tout blanc ou tout noir et surtout pas moi. Pour me réconforter, et surtout pour emmerder mon père et la marâtre, je n’ai pas fait que de belles actions durant mon adolescence. Est-ce le remord qui m’empêche d’avancer? Mes remords. L’un des nombreux psys qui m’ont suivi, j’ai dû le dégoûter de sa profession celui-là, nommait mon mal être, état de contrition. Peut-être étudiait-il la théologie? Je n’en sais rien, mais il a émis l’hypothèse que mon repentir pour mes inconduites passées n’était pas assez sincère à mon esprit. Selon lui, je n’avais pas assez de volonté pour ne plus me mettre en danger en commettant de grosses bêtises. Et l’on dit que c’est moi qui suis perchée?
    Bref, je me rends compte que j’abandonne des pans entiers de mon âme dans cette dérobade. Je dispose pourtant d’une cohorte de fidèles pour me soutenir, d’un cercle d'irréductibles qui passent son temps à me rassurer et à m’encourager, la vie n’est pas si difficile que cela à vivre me disent-ils.
    Et protection suprême, les jours où je suis totalement paranoïaque, Lamine met sa garde personnelle à ma disposition. Ces jours-là, je ne pense plus aux lendemains, je ne pense qu’à une échappée belle et pas forcément à la grande faucheuse. Je suis persuadée que mon absence ne se remarquera que le temps d’un cours chagrin, qu’il n’y aura pas grand monde pour me pleurer. Ce en quoi je me trompe évidemment.
    Lorsque je commence à débloquer, à affirmer que je ne suis plus là depuis longtemps, tous font bloc à mes côtés, tentant désespérément de me redonner le moral. Ash a trouvé le bon mot me concernant. Manipulatrice. Je le hais lorsqu’il m’en qualifie. Il a raison, c’est certain, mais je ne veux pas leur faire de mal, juste prouver que je vais bien. Quand je suis au trente-sixième dessous toute ma meute est abattue et cafardeuse alors d’un sourire Cheshire enchanteur, je leur procure embellie et accalmie.
    La mort ne m’effraie plus autant, car je me sais alléchante et savoureuse pour elle…

    A PaiNFuL JouRNey… 22 Décembre 2012

    ...Selon le calendrier incas, la fin du monde était pour hier. J’espère, j’attends, rien ne vient!
    L'on nous a encore raconté des bêtises. Le dos au mur, je souhaite l’assoupissement pour soulager mon corps de l'étau qui le broie. Depuis quelque temps de terribles douleurs me traversent charpente et poumons. Une nouvelle pneumonie se prépare je suppose. En début de mois je m’en suis déjà coltinée une et vraiment carabinée. Associée à une anémie sévère cela m’a séché. La série d’injection que l’on m’a prescrit m’avait rendu hystérique. Ce soir Bébé et moi partons pour le Costa Rica, alors niet, pas question de me priver de ce voyage pour une malheureuse toux et un peu de température. Le problème est qu’à l’instant j’ai la sensation d’avoir expulsé mon organe pulmonaire à mes pieds. Je suis en sueur et mes nerfs sont à vif. Ma valise, mon passeport et mes documents d’embarquement sont prêts, je patiente depuis une demi-heure, Ash tarde à arriver. Je m’assois un instant sur l’une des marches de l’escalier qui conduit au salon, tentant désespérément de débarrasser mon crâne de ce chaos qui fait vibrer mes tempes déjà douloureuses. J’en suis au sixième antalgique au paracétamol depuis deux heures, c’est comme si je pissais dans un violon dirait Maë Lynette. Cela ne passe pas.
    Des larmes brûlantes roulent sur mes joues et je les essuis rageusement du revers de la main, elles ne m’apporteront aucun réconfort. Je devrais me réjouir de partir en vacances, au lieu de cela j’ai envie de hurler comme une bête blessée. Je suis contrariée par le retard d’Ash, pourtant je devais y être habitué depuis le temps, avec lui c’est tout à la dernière minute. Cela dit il organise ces circuits des mois à l’avance alors une fois encore tout se passera bien. Je suis dépitée, la misère qui bouffe ma cage thoracique risque de me retenir ici. Je m’impatiente et je m’agite, aussitôt les pensées sombres et morbides envahissent mon esprit. En ami fidèle, le spectre de la bête me rend visite, comme à chaque fois que j’entre en panique.
    L’infâme s’invite à ma mémoire subrepticement. Souvent il me tient compagnie les nuits où mes yeux cherchent les trous du mur dans l'obscurité, les nuits où mes oreilles perçoivent les chuintements feutrés de ma fatigue, les nuits où mes sens en éveil guettent les frémissements de l'allée, amplifiés par les pulsations de mon cœur qui résonnent dans ma tête. L’ignoble caracole dans ma tête sans que je puisse stopper sa course. J’en viens à me demander si je ne l’apprécie pas un peu trop pour lui donner autant d’importance? La thérapeute de la maison de soins m’a définitivement prouvé que je ne suis qu’une pleureuse et j’ai été bien en peine de lui répondre. Tout se brouille dans ma tête.
    Allez-vous encore longtemps vous servir de vos peurs comme excuse? Les blessures des mots ne font mal que lorsqu’on leur en donne le pouvoir. Les plaintes sont inutiles, elles ne vous feront pas avancer, elles ne serviront qu’à entretenir la paranoïa galopante qui vous envahi en pleurant sur votre sort. Et voilà Mylhenn, prends ça dans les dents. Je le redis encore, je suis très loin dans la forêt et mon retour n’est pas prévu avant longtemps. C’est ridicule de penser cela, mais ce sont mes craintes qui me protègent de la folie.
    Ça y est nous partons enfin. J’ai avalé quelques cuillérées de sirop pour la toux, je somnole, je suis à l’embarquement c’est l’essentiel. Ash m’a promis que je pourrais me ressourcer, me décrasser de cette lie qui me colle à la peau. Il me promet aussi qu’au retour je trouverai le courage de demander de l'aide à ceux qui m'entourent. Cela sonne doux à mon oreille.
    Je me suis endormie comme une masse, c’est Ash qui m’a ôté ma ceinture. Les plantes pectorales sont traîtresses. Tandis que mon sommeil paraissait paisible à tous les passagers de l’avion, moi j’avais l’illusion que mon corps tout vêtu d’écume voguait sur les flots glacés de notre bon vieux Rhône. Je fais ce cauchemar tellement souvent que je ne me réveille plus en hurlant. Née de la méditerranée, mourir du fleuve fondateur serait joie pour moi.
    Nuits secrètes, rêves mystiques. La Bonne Mère veille…

    RaPTuS aNXieuX… 27 Décembre 2012

    …Je suis à l’autre bout du monde et toi ma Sonia tu es là à mes côtés. Six mois déjà que tu es partie!
    Non je n’invente pas, j’ai déposé quelques grammes de ta quintessence dans le fond d’un petit pot vide de crème hydratante que j’ai scellé avec un liseré doré auto-collant. Tu sais comme moi comment ils sont à l’aéroport, tout ce qui est entamé va … à la poubelle. Et ça a marché, ils ont cru le pot intact. Oui clame-le haut et fort, tu es une futée ma Bella. Si tu savais comme tu me manques ma Douce.
    J’ai une merveille sous les yeux, la Suisse de l’Amérique Centrale comme disent les touristes, et je trouve moyen de zapper le spectacle. Entre les heures que je passe sur mon portable à discutailler avec mon … je ne sais même plus comment nommer cet homme. Il m’indiffère, il m’énerve à avoir toujours le dernier mot, et je recherche sa présence, c’est idiot. Et le temps que je consacre à ton souvenir me prive de la fantasmagorie d’une flore et d’une faune extraordinaire. Hier la star des papillons du Costa Rica s’est posée à cinquante centimètres de mon épaule et si Bébé ne me l’avait pas fait remarquer je ne l’aurais même pas vu. Le morpho est spectaculaire, son envergure ahurissante et sa couleur changeante en divers bleus est un hymne à la liberté de création. Seulement voilà, mon esprit est ailleurs. Dans ce monde pourri où je survis, tu n'es plus là et cela devient une habitude pour moi de te pleurer chaque vingt-cinq du mois.
    Dire qu’il y a deux jours c’était Noël, je m’en suis royalement foutu, cette fête m’indiffère depuis une éternité.
    Ash m’a grondé, il dit qu’il a l’impression d’être seul à profiter du circuit que nous avons pourtant choisi ensemble. Il flâne et déambule allègrement, moi j’erre comme une âme en peine me reproche-t-il, il me traîne à suite et cela commence à le rendre grognon. Je le comprends, mais je ne fais aucun effort pour me rendre plus disponible. Je boude, je suis restée deux jours enfermée dans notre chambre d’hôtel à picoler, cela dit l’environnement est paradisiaque. C’est plus qu’une pension, ce sont des bungalows disséminés çà et là dans un magnifique parc. Ash a le chic pour découvrir de somptueux accueils.
    Moi j’ai le chic pour tout gâcher. Une fois de plus j’ai ressenti le désir, le besoin violent de tout foutre en l’air. De me mettre en danger, de passer à l’acte comme il se dit dans le milieu clos de la psychiatrie. En ce qui me concerne, mon impulsion incontrôlable n’est pas de me précipiter sur le premier couteau venu, mais de m’enfuir sans me retourner, c’est devenu un réflexe. Mon anxiété me conduit à la panique et à une envie irrépressible de m’éloigner des humains. Je les considère comme des virus dans ces moments-là, et après coup je me demande si je n’ai pas des tendances schizophrènes. Le parc aux bungalows est immense et la faune environnante n’est pas totalement contrôlée nous a-t-on prévenu à notre arrivée. Cela ne m’empêche pas de crapahuter comme une folle entre les troncs de palmiers et les plantes tropicales. Lequel de nous deux aurait eu le plus peur si j’avais repéré un serpent? Ash maîtrise à la perfection. Il me laisse me dérober aux regards, cavaler comme un cerf qui fuit les chasseurs lancés à ses trousses, il sait toujours où me retrouver et me rassurer. Et c’est cet homme que j’envisage de quitter pour un mirage. Il m’a ramené, calmé et la crise a disparu aussi vite qu’elle est apparue.
    Ash est donc parti en excursion seul et de retour, il a eu le culot de me dire qu’il a fait de belles rencontres. Évidemment je suis partie sur mes grands chevaux au quart de tour et il me prend de haut, de tellement haut que je l’aurais volontiers assommé avec la jatte en terre qui contenait un pot-pourri.
    - Le Costa Rica est un pays d'immigration ma Chouquette, et de ce fait la diversité culturelle et religieuse de ses habitants permet de lier connaissance avec des gens intéressants m’explique-t-il en s’esclaffant. Donc point de concurrence à l’horizon. Monsieur culture a encore frappé et il se moque carrément de moi.
    Fort heureusement, les nombreux coco-loco que j’ai ingurgité me permettent de rester zen. À l’hôtel ils présentent ce cocktail dans une noix de coco verte et de nombreux glaçons agrémentent la boisson confectionnée à base de guaro, la boisson nationale du Costa Rica. À trente pour cent d’alcool cela a fait mon affaire. Le guaro se boit rarement pur m’a-t-on dit, il possède un goût très particulier, proche de la vodka. Je confirme. Crème de coco, alcool et jus de fruits, je commence à me détendre, à m’assoupir.
    En toute bonne alcoolique que je suis devenue, je plonge dans un sommeil comateux, au cœur de l’utopie que mes rêveries de soulardes m’offrent. L’illusion est parfaite, la meute, toi et moi ma Sonia, empruntons une nouvelle fois le chemin libérateur. Nous parcourons en leur compagnie, sans contraintes, nos ruelles de souffrance rédemptrices. Le cocktail que nous aimons tant chez Vincent m'est toujours interdit à cause du coussin chimique que l'on me prescrit pour oublier, pour t'oublier. Ils me promettent de me l'offrir dès que ma santé le permettra. Pour la peine je me rabats sur le Terminator, beaucoup plus de whisky que de crème de café. En rêve cela me paraît beaucoup moins efficace. Et avec une brioche à la praline s’il vous plaît.
    Je suis anorexique ou boulimique, je ne sais plus, c'est de pire en pire je ne peux plus rien avaler ou garder, mais je rêve de nourriture riche. Celle servie dans notre petit bouchon, celui où ils font d’excellentes quenelles à la crème, les cervelles au beurre persillé, le tablier de sapeur, le saucisson brioché aux pistaches et des œufs à la neige en dessert. Depuis qu’il réside sur Lyon, le Maharajah adore, un jour par semaine il se goinfre au petit-déjeuner/déjeuner, bref en fin de matinée, en compagnie de ses collègues. Heureusement qu’il est fan de sport sinon c’est bibendum qui me tiendrait chaud la nuit.
    Au pays de l’illusion, la tarte aux pralines que tu adorais tant est à tomber comme d’habitude.
    Je goûte à toutes les spécialités, un kilo de beurre injecté directement dans les artères. Pas le temps de digérer, comme d’hab. je vais vomir vingt minutes plus tard. C’est du comme si j’y étais. Hallucinant jusqu’au verre d'eau de vie de poires. Cela a fait six mois le jour de Noël que tu m'as quitté.
    Je me suis réveillée en sursaut et j’ai pleuré. Mes hallucinations sont tellement réelles qu’elles me rongent de l’intérieur. Où que je sois, mon esprit me martyrise et je n’ai plus aucune jugeotte. Un peu plus de neuf mille kilomètres et douze heures de vol me séparent de mes compatriotes, de mes compagnons de galère, et je ne trouve rien de mieux que de passer des heures à bavasser sur mon portable avec un inconnu. Je me trouve dans l’un des plus beaux cadeaux qu’a fait mère nature à la terre, dans un pays qui offre des trésors de panoramas aux yeux des touristes ébahis qui le visitent, un pays qui possède le respect du vivant quel qu’il soit et je suis là à me morfondre en chialant sur mes malheurs. Ash est un saint.
    Monsieur parfait du net, je doute qu’il le soit totalement dans la vraie vie -Bébé est mon véritable monsieur parfait mais il a aussi ses défauts qu’il assume- commence à me mettre la pression. Selon lui, notre soi-disant relation ne mènera à rien si je ne suis pas honnête avec Ash. Qui a dit que je désirais une relation? Je ne connais, et encore, cet homme que par ce qu’il me confie. Je me sais naïve, mais j’émets quelques réserves quant à la véracité de certaines de ses confidences. Je ne ressens pas le mensonge, mais plutôt un enrichissement des faits réels. Bon nombre de fois j'ai essayé de m’extraire de cette dépendance, oui s’en est devenue une, mais je ne peux m’y résoudre. Lorsque je converse avec lui, je m’apaise instantanément.
    Dès ce jour d'avril où j'ai déposé un commentaire sur sa page, je noircis mon écran de pages futiles, en messagerie. De conversations en confrontations, de joutes verbales en plaisants divertissements, oui parfois c’est très chaud, d'encouragements en dissuasions, les minutes font place aux heures et j’oublie mon misérable quotidien. J’oublie qu’Ash est près de moi, je néglige sa présence, je me détache de lui, mon pilier.
    Je récolte, collecte et conserve les milliers de mots que nous échangeons, à quoi cela pourrait-il me servir?
    À toute heure de la journée il est là pour moi, mais je ressens le besoin de nous relire alors je thésaurise nos conversations. Au cours de cette odyssée nous côtoyons le beau et l'absurde, le tendre et le chagrin, une inclination amicale. Une affection enflammée me dit Patricia. Ma chère amie ne voit pas ces entretiens d’un bon œil et il nous arrive de nous disputer à ce propos. Il est certain que pour elle, comparé au Maharajah l’instrus fait figure de tripoteur. Ma Nanouche ne cherche qu’à me protéger et me conserver un minimum de respect envers Ash. Personne n’a à me faire la morale, Bébé restera à jamais mon phare, c’est lui qui le premier m’a donné la chance de me sortir de ce bourbier où je me complais apparemment. J’éprouve beaucoup trop de considération pour lui et il reste assez de correction en moi pour ne pas le mettre dans l’embarras. Je tiens à l’estime qu’il me porte. Je ne comprends toujours pas pourquoi il tient autant à moi?
    Il va sans dire que je suis tout de même sortie de ma grotte. Ne pas faire honneur à nos hôtes aurait été une ineptie et un manque total de politesse. Et oui ma chère Sonia, je devais me livrer à un petit rituel qui en principe doit me réconcilier avec mes croyances. La Bonne Mère n’abandonne jamais ses enfants.
    Douceur de vivre et gentillesse des Ticos. Pura vida...