• CHaPiTRe ( XVI )

    PeTiTes ESCaPaDes... 7 Avril 2016

    …Utilise des phrases ‘‘sonores’’ pour exprimer tes émotions, il en a de bonnes Sam!
    L'étincelle prête à jaillir qui couve en moi depuis quelques temps se décide enfin à embraser mon clavier. Écrit comme cela, ça paraît un peu pédant, mais je crois que je me suis vraiment pris au jeu des lettres et des mots. Je me raconte depuis que j’ai pris conscience que l’écriture est ce qui me sauvera. Je n’ai pas la prétention de faire de l’ombre aux grands auteurs ni même aux plus modestes, mais je travaille d’arrache touches pour améliorer mon style. La concordance des temps et l’orthographe ce sera pour plus tard.
    Je me livre disais-je jour après jour et cela me fait me rapprocher peu à peu du genre humain. Il est vrai que parfois c’est un peu du ‘‘écrire pour ne pas dire grand-chose’’, mais mes méninges ont besoin de cet exercice quotidien pour ne pas rouiller. Je continue sur ma lancée mi sérieuse, mi canaille ce qui me permet de dériver parfois dans l’intime de ma relation avec Ashlimd. Je reconnais être un brin trivial dans mes rédactions, mais j’évite le vulgaire autant que faire se peut. Cette mise au point étant faite, il est temps de porter mes pas sur le sentier de ma reviviscence.
    La réorganisation trimestrielle de son service fait que Bébé a droit à quelques jours de congé. Il m’offre une petite escapade fort agréable au cœur d’un massif situé entre Savoie et Haute-Savoie. La météo est certes clémente, mais il ne fait pas une chaleur à sortir le marcel côtelé. Pas franchement chaud d’accord, mais fort agréable pour des promenades en plein air. Il est certain que je n’ai pas joué à l’alpiniste chevronnée, je me suis contentée de crapahuter gentiment le long des sentiers de chasseurs. Ash lui, s’est inscrit à deux randonnées niveau expérimenté, le premier soir il est rentré cassé au chalet. Celle du lendemain l’a conduit à flanc de montagne, un panorama à couper le souffle m’a-t-il dit.
    Le cocon qui nous abrite appartient à une famille qui administre plusieurs gîtes disséminés dans les environs. Niché à la lisière d’une forêt de pins, le chalet surplombe un minuscule village, douze foyers à peine, en cours de rénovation, tout est reconstruit en pierres de taille, c’est magnifique.
    Cheminée, chandelles, vin divin -pour Bébé- charcuteries fines et fromages régionaux. Raclette réussie.
    C’est bien au chaud sous la couette que nous avons improvisé le remake de Roméo et Juliette version cosaque. Mes cordes vocales sont abimées, mais mes motivations sont telles que le concerto privé que je donne à mon chéri est un franc succès. Bis repetita.
    Aujourd’hui nous prenons la direction de la vallée du Rhône. Purée, il tombe des cordes. Ash s'amuse comme un gosse avec son joujou et les paysages défilent en mode TGV. Je suis un rien inquiète, mais je ne le lui montre pas. Même pas peur comme disent les enfants. Si un peu tout de même. L’orage est démentiel en région Lyonnaise. Je suis allée voit Ahmed pour prendre des nouvelles des Charlies. Chacun sa route, chacun son chemin paraît-il et ils s’en sortent enfin. Il est prévu que nous nous rencontrions bientôt et ça c’est une bonne nouvelle. Excellente. J’ai ressenti le besoin de me rendre au squat et ça n’a pas été ma meilleure idée. Le lieu est sécurisé à présent et cela m’a flanqué le bourdon. Les souvenirs de cette période de ma vie m’ont submergé et j’ai versé ma larme. Ash est allé saluer ses anciens collègues et il a proposé la location de son appartement à l’un d’eux, William. Au moins les lieux seront entretenus correctement et Ash aura toujours la possibilité de s’y arrêter quand il voyagera par Saint-Exupéry.
    Coucou les tantines, c’est nous que voilà. Je sais, je ne préviens jamais de mes visites, moi aussi je vous aime. Bébé et moi partageons le repas pantagruélique du siècle avec la famille puis nous nous installons à la villa du bord de mer. Comme j’aime cet endroit.
    Avachis sur le vieux canapé remisé sous la véranda, Bébé et moi regardons les vaguelettes danser à la lumière des lampadaires. Blottie contre Ash, ma tête au creux de son épaule, ses mains glissées sous mon T-shirt voyagent le long de ma colonne vertébrale. Il dissémine de temps en temps, çà et là, quelques baisers papillons sur mon visage. Je raffole de ces peu de temps où il parvient à déconnecter de sa vocation qui l’éloigne souvent de moi. Là, sa force et ses sourires me sont offerts généreusement, ses paroles sont silencieuses mais je les comprends, je me sens petite grenouille confiante en l’homme, abandonnée contre ton torse je m’endors paisiblement.
    Je me demande comment je suis arrivée dans mon lit? Lorsque j’ouvre les yeux il fait un beau soleil. Une balade en quad ou une mini croisière le long du Lez? J’ai parlé trop vite, à peine avions-nous terminé de petit-déjeuner que le mistral s’est annoncé tempétueux et les chevaux d’écume caracolent au sommet des vagues. Ce sera contemplation du paysage, bien calée dans ma chaise longue, pour moi et footing endiablé pour Ash. Un relax, un plaid, un mug de thé blanc, un bon livre et la symphonie de la mer en bruit de fond. Pas tout à fait le nirvana mais presque. Cerise sur le gâteau, c’est Bébé qui prépare le déjeuner.
    Mon besoin d’écume m’a poussé à aller faire faire trempette à mes petits petons. ‘‘Pas prudent du tout cela madame Mylhenn’’ me gronde ma voisine. Elle n’a pas tort je sens le sable se dérober sous la plante de mes pieds à chaque ressac.
    Comment Ash peut-il ignorer les ravages des grains de sable dans une petite culotte. Débat enjoué…

    SuR Le ReTouR… 11 Avril 2016

    …Je me sens à nouveau chez moi. Ma famille, plus qu’un entourage, une meute !
    En fin de journée nous allons abandonner le territoire des pampres et du soleil pour remonter au pays des bruyères et du brouillard. En attendant nous profitons d’un barbecue et d’un tournoi pétanque inter générations. Le mistral est un peu moins en colère que dernièrement et le ciel avenant fait que cette réunion familiale est tout en plaisir. Perchée sur la véranda je contemple les joueurs. Gérard, Sylvie, Tatian, Mamaiette, Richard, Eymeric et … la Fanny. Peu à peu je prends conscience que je n’ai jamais cessé de les aimer. Ash a trouvé sa place parmi eux, mes oncles l’ayant adopté dès notre première visite.
    Mince Bébé, nous sommes en Provence tout de même, tu ne peux pas lâcher ce fichu IPhone?
    Messages urgents du bureau suite à un évènement imprévu me dit-il.
    Il ne décolère pas et rien ne parvient à le détourner de ses problèmes. Pas même mes sourires fripons, encore moins le plongeant abyssal de mon décolleté, ni mes baisers de ribaudes.
    Désolée ma Canaille, mais je viens enfin de trouver un stratagème intéressant pour te distraire de ton écran.
    Le contact exigeant de mes petites fesses sur ses cuisses fait enfin monter sa tension.
    Sale gosse il ne m’a pas vraiment laissé le choix. Sa réponse, mains baladeuses et caresses de voyou.
    Suis-moi, je sais où nous serons tranquilles. En attirant Ash à l’écart des regards indiscrets, je ne me rends pas compte que je me jette moi-même dans la gueule du grand méchant loup.
    Sa façon policière de me plaquer au crépi rugueux de la cloison du cellier du restaurant est pour le moins brutale. Bras tendus, les deux mains à plat sur le mur et jambes espacées, comme pour une fouille au corps.
    Est-ce le canon de son arme que je sens contre le haut de ma fesse? Je ne crois pas non.
    D’ailleurs Ash n’est pas tenu d’en porter une, même en service. Il fréquente la salle de tirs mais uniquement pour travailler sa concentration. Sa main rampe allègrement vers … ma température augmente de plusieurs degrés et mon cœur accélère ses battements.
    Gaffe Bébé tout de même, mon tanga est … oups, encore un de déchiré.
    Bonne Mère, Ash est passé maître dans l’art du vite fait bien fait. Même s’il y va un peu fort, cela me convient parfaitement. Ma tête repose sur son bras et je me retiens de crier. Cela ne serait pas du meilleur effet si l’on nous découvrait ainsi, mon intimité appréciant la visite de son reptile cuivré et lui, inventoriant sauvagement ma fleur de nymphe. Mes jambes vibrent et tremblent comme feuilles au vent et de mignons petits papillons noirs volètent devant mes yeux. Son sourire béat, son menton sur mon épaule, la tendresse de ses baisers de debriefing et ses dernières caresses le long de ma cuisse me confirment que j’ai réussi à lui faire lâcher prise.
    Évidemment il a fallu qu’il pointe le bout de son nez en fin d’après-midi. Je me demande qui a bien pu l’inviter? Ses sœurs bien sûr. C’est un sacré coup de vache qu’elles m’ont fait là les tantines. Depuis quelques temps elles tentent par tous les moyens de nous faire nous rencontrer. Selon elles, j’ai obligation de renouer avec cet homme. Le pire c’est que ma thérapeute et Bébé sont du même avis que mes tantes. J’en suis incapable, il m’est impossible de rester à sa proximité et, sans un semblant de salut je me suis carrément enfuie comme une voleuse.
    Paris ce soir? Oui, oui, oui, même s'il est très tard. Allez Bébé s'il te plaît?
    Carrément indécent le prix de la suite, surtout pour le temps que nous y restons. Leur p'tit-déjeuner est excellent et tellement amélioré lorsqu'il est servi en chambre. Ash se prend au jeu du confort bourgeois si bien que nous prolongeons notre séjour. Main dans la main, il connait Paris comme sa poche, il me conduit dans des lieux ignorés des touristes. Des petites ruelles où les végétaux colonisent les murs, des places qui accueillent de nombreux bistrots à la fois sélects et séculaires, des librairies anciennes qui possèdent des trésors de littérature. Ce sont les dernières heures où il n’est rien qu'à moi, fier de me faire découvrir tout ceci. Je voudrais que cela ne s’arrête jamais, me blottir contre lui et y demeurer à jamais.
    Ah, Henry évidemment. Il n’a pas pu s’empêcher de joindre Ash à propos de ce dossier chaud qui leur est tombé dessus. Une rapide conférence entre quatre-z-yeux et nous voilà les hôtes d’une soirée démente comme sait les organiser le référant de Bébé.
    J’ai la nette impression que la blondasse peroxydée qui colle Henry telle une sangsue, drague Ash sous mon nez. Regards appuyés, sourires intéressés, vêtements provocants et maquillage outrancier, la demoiselle ne joue pas en subtilité. Le rentre-dedans, tout ce que Bébé déteste et là il la snobe carrément.
    Ash profite de la semi obscurité de la piste de danse pour me tripoter. La fidèle collaboratrice d’Henry, terme délicat pour parler de sa maîtresse, nous observe la mine envieuse, rageuse même.
    Mes bras autour de son cou, nos langues emmêlées et ses mains caressant mes fesses, je crois qu'elle a définitivement compris qu’elle ne l’intéressait pas et dépitée elle rejoint Henry. Faute de grives on mange des merles dirait ma chère Patricia. Bébé a longuement torturé mes lèvres des siennes et mes doigts sur ses reins, la chaleur de sa peau faisait vibrer le haut de mes cuisses. Je me demande si cela sera toujours ainsi entre nous, tout me paraît si naturel avec lui.
    Le chauffeur particulier d’Henry m’a conduit à l’aéroport. Ash me rejoindra aux Aspidies plus tard, il se refuse à m’imposer un long voyage de retour dans son étoile filante. Je ne serais pas seule à fendre les nuages, le samouraï m’accompagne. Là c’est la crise de trop, j’en ai vraiment assez de cette maladie.
    Brouillons d’écriture en compagnie de Brahms, symphonie n° 3, Poco Allegretto…

    JuSTe uNe MiSe au PoiNT... 13 Avril 2016

    …Je suis terriblement peinée. Je viens d’apprendre que je risque d’être une charge pour Ash!
    Pop, ma petite bulle rose a éclaté. Ce serait trop beau et tellement ennuyeux si aucune difficulté ne venait ternir le bleu de mon ciel. Mais tellement reposant si l’on me laissait un peu tranquille.
    Depuis notre retour, je reste confinée dans ma chambre car j’ai du mal à me déplacer. Je me vois rouillée tel le bûcheron en fer blanc du pays d’Oz, un jour de pluie. Je mène ma petite vie en ermite, évitant autant que faire se peut de me montrer. Oui c’est vrai, lorsque la maladie me bouscule de trop, j’ai tendance à mordre, en violence verbale s’entend. Et bien non, me faire toute petite n’est pas suffisant. Madam’ me reproche de monopoliser son personnel. Est-ce de ma faute si Mildred et Steven se relaient afin de me rendre la vie plus agréable? Je n’ai rien réclamé, mais effectivement ce cher Mildred m’a monté à l’étage des béquilles et un FTT que le dévoué Philip s’est procuré à mon intention. Dorothy a dû lui pourrir l’existence jusqu’à ce qu’il aille louer ce matériel. Cela part d’un bon sentiment, oui je l’admets, mais non, non merci. Je suis têtue à un point tel qu’ils sont incapables de le concevoir. Quant à Steven il me monte discrètement des collations afin que je ne meure pas de faim, dans ma tour d’ivoire. Le pauvret s’est fait choper par l’œil de Moscou, Peter. Aussitôt Mumy lui a expliqué froidement qu’il n’était pas à mon service exclusif.
    Je réitère, moi je n’ai rien demandé à personne.
    Quand je suis en crise, lorsque Bébé est présent, il me soutient pour descendre et monter à l’étage où il m’assiste d’un œil bienveillant lors de mes déplacements. En son absence, je n’oserai jamais déranger le personnel pour cela, ce sont eux qui se proposent gentiment pourtant Dorothy est persuadée que c’est moi qui sollicite leur intervention. Cette fois-ci encore, en l'absence de mon Pain d’Épices, plutôt que de mettre des gens déjà très occupés à contribution, j’ai squatté la chambre.
    Vingt heure quarante-cinq.
    Je plante le décor, au pied de l’escalier principal. Les protagonistes, Ash et sa mère.
    Mon isolement volontaire a grandement déplu à Madam’ qui sèchement fait savoir à son fils que je devrais avoir pris conscience, depuis le temps que je fréquente les lieux, que je ne suis pas cliente d’un hôtel cinq étoiles où tous les employés seraient aux petits soins pour moi. C’est à ce moment-là de leur altercation que j’apparais comme un cheveu sur la soupe, j’avais entendu le son rauque du moteur de son bijou et j’allais à sa rencontre. Près de la balustrade, dissimulée par la plante verte qui la recouvre, ni l’un ni l’autre ne remarque ma présence, je n’ose plus bouger.
    Aïe, aïe Muy môman a mal choisi l’instant T de l’affrontement. À savoir le retour au foyer familial du justicier après une journée éprouvante de travail. Je sais que Bébé collabore de son savoir sur une affaire pour le moins déroutante, perturbante dirais-je. Il s’évertue à rester équitable envers chaque parti et ce n’est pas gagné. La plupart du temps, durant le trajet où il rentre à la maison, il reste réfléchi et méditatif, à tel point que je me demande si son étoile filante ne se dirige pas seule. Il faut dire que monsieur ne redescend de ses réflexions qu’une fois qu’il a ôté chaussures et chaussettes et plongé sous la douche. Il est nettement plus abordable ensuite. Là je remarque immédiatement à son expression du visage qu’il ne faut pas le chercher. Apparemment sa mère ne le connaît pas aussi bien que moi car ses propos incendiaires à mon sujet troublent méchamment son debriefing mental. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
    Le contretemps et la pression qu’il subit pour clore son dossier actuel le met de mauvaise humeur et il peine à rester correct. Cela le conduit à se rebiffer méchamment et il répond un peu plus vivement qu’il ne devrait à Dorothy. Ce soir, son Poussin n’est pas ouvert à ses critiques me concernant.
    Je me fais toute petite en haut des escaliers car c’est assez violent. Dorothy a-t-elle perdu tout sens commun en s’en prenant à son fils en bas des marches? J’en connais quelques-uns qui vont en faire leur plat de résistance demain matin au petit-déjeuner. Son personnel l’adore, mais lorsque Mumy se laisse aller ainsi, tous en font des gorges chaudes après coup. Le petit salon se trouve à quelques pas de là, ne pourraient-ils pas s’y isoler bon sang ? De par ses constatations madame mère reproche à son fils de trop me materner. Il me donne de mauvaises habitudes à vouloir me passer tous mes caprices lui dit-elle. Il devrait me faire comprendre que le personnel de maison n’est pas à mon entière disposition, ce à quoi Ash répond qu’ils le font par dévouement et non pas parce que je les en prie. Évidemment elle se refuse à l’entendre. Elle recommande même à Ash de me faire rapidement prendre conscience que mon handicap pourrait devenir vraiment sérieux et que je dois m’y préparer si je ne veux pas souffrir au final d’une acceptation brutale. Le fait que je passe énormément de temps dans ma chambre et y prendre quelques-uns de mes repas serait le crime suprême selon elle et son insistance à remettre ça sur le tapis déclenche le tsunami. Ash est réellement en colère à présent, il lui balance ce qu’il a sur le cœur sans réfléchir avec une ou deux grossièretés à l’appui. Madame en reste médusée ce qui permet à Bébé de poursuivre sur sa lancée.
    - Mylhenn n’est pas prête à accepter un handicap quel qu’il soit, ne pourrais-tu pas lui fiche un peu la paix?
    - Elle ne veut pas descendre prendre ses repas en votre compagnie, où est le problème bon sang? Il me semble t’avoir rapporté son parcours, elle a besoin de calme et de quiétude! Je sais qu’elle ne se nourrit pas correctement, mais crois-moi, c’est le dernier de mes soucis pour le moment! Elle doit se reconstruire et ce n’est pas son estomac le plus endommagé!
    Je me fais petite souris près de la balustrade. Ils ne m’ont toujours pas remarqué. Abasourdie Dorothy écoute le laïus de Bébé sans l’interrompre.
    - Il est hors de question que je la contraigne à utiliser un fauteuil roulant tant que cela n’est pas vraiment nécessaire! Et d’ailleurs ce n’est pas à moi de le faire, je veux qu’elle reste autonome le plus longtemps possible, c’est bon pour son moral, tu saisis ça?
    - Je sais que n’ai pas assez de temps à lui consacrer en ce moment et naïvement je pensais qu’en te la confiant je pourrais vaquer sereinement à mon emploi et ma formation! Mais non c’était sans doute trop demander! J’admets volontiers que papa et toi êtes plus que conciliants en nous acceptant en tant que couple à la résidence et je vous en remercie! Toutefois elle a besoin d’un environnement apaisé et non pas de conflits permanents pour de ridicules questions de domesticité! Ce n’est pas l’une de vos hôtes ni l’une de tes étudiantes maman, c’est ma compagne!
    Mumy se tient à la rampe, son visage est blanc himalayen, je crois même la voir frémir d’exaspération. Il me semble bien que la plaidoirie de son fils en ma faveur vienne de la mettre KO. Histoire de bien enfoncer le clou, de la narguer d’un petit sourire satisfait, je me prépare à révéler ma présence par une légère toux discrète, mais Ash n’en a pas fini avec sa mère. Il transforme une simple semonce en un règlement de compte hallucinant.
    - Figure-toi que moi aussi je suis inquiet, j’appréhende tellement le jour où ma Chouq… Mylhenn sera définitivement clouée sur un fauteuil roulant comme son Samuel, que j’évite de me projeter dans le futur! Et oui je me sens privé de bon sens face à ce qui lui arrive! Et tu veux que je t’avoue quelque chose?
    Je trouve cette querelle disproportionnée maintenant et j’aurais dû profiter du temps d’arrêt qu’il marque pour m’éclipser.
    - Ma plus grande crainte est de ne pas pouvoir supporter de la voir diminuée! Pour l’instant c’est l’amour que je lui porte qui m’aide à éluder la question, mais qu’en sera-t-il le moment venu? J’ai peur de n’être pas assez solide pour l’accompagner dans ce qui sera une terrible épreuve de plus pour elle!
    - Je lui mens pour la rassurer car je ne suis pas sûr d’accepter moi-même ce handicap qui va lui tomber dessus! Désolé, tu es ma mère et je devais l’exprimer tout haut!
    La phrase de trop. Je suis game over. Déconcertée, non, profondément blessée.
    C’est à ce moment-là que le regard d’Ash croise le mien. En me découvrant en haut du palier, il comprend immédiatement que j’ai surpris la totalité de leur conversation, son aveu. D’un simple bonsoir à sa mère il coupe court et grimpe les escaliers quatre à quatre. Je ne l’ai évidemment pas attendu, je suis allée cacher mes larmes aussi rapidement que je le pouvais.
    Certes je le savais préoccupé quant à mon devenir, mais ce que je viens d’entendre m’ouvre les yeux sur un aspect de sa personnalité que j’ignorais, l’ambiguïté. Un son de cloche différent pour chaque interlocuteur. Pourquoi suis-je si surprise, il est avocat après tout alors il est maître dans l’art du détournement, de la manipulation de langage. Son comportement me paraît soudain si équivoque que j’en ressens comme un sentiment de trahison de sa part. Doute-t-il réellement de ma capacité à lutter efficacement contre cette dévoreuse nommée spondylarthrite ankylosante.
    Aurons-nous un avenir si je deviens invalide, il a l’air d’en douter?
    J’en ai des nausées. Je réfléchis après coup et je me dis que mon élocution est défaillante certes, mais que je maitrise assez leur langage pour avoir saisi correctement ses propos. Si Ash laisse entendre à sa mère que mon éventuelle infirmité le tourmente, cela ne veut-il pas dire qu’il est persuadé que je lui serais un fardeau plus tard? Il ne l’a pas exprimé ainsi, mais c’est comme cela que le traduit mon esprit. J’ai verrouillé la porte de ma chambre et durant quelques minutes j’ai fait l’impasse sur ma colonne vertébrale en compote. J’ai extrait brutalement une grosse valise de la penderie et commencé à jeter à l’intérieur tout ce qui me tombait sous la main, sans vraiment être à ce que je faisais. Je me suis rendue compte que c’était ridicule mais j’ai poursuivi jusqu’à ce que mes talons et mes hanches soient en feu, une douleur fulgurante, j’en aurais hurlé.
    Ash a eu beau parlementer derrière la porte de Ma chambre, c’est dans ces moments-là que je remercie Dorothy pour m’en avoir alloué une à demeure, je ne lui ai pas ouvert. Il a fini par capituler et en s’éloignant il a fini de m’achever par une ‘‘bonne nuit ma petite femme’’ dit d’un ton qui ne me laisse aucun doute sur ce qu’il ressent pour moi. Je me déteste, je suis trop soupe au lait, je démarre au quart de tour, bref je suis ingérable et sur ce point Mumy n’a pas tort. Au lieu de bouder je devrais demander à Ashlimd -je lui en veux vraiment- de me parler de son appréhension quant à mon avenir, tenter de comprendre ce qu’il ressent, ce qui l’effraie autant. Non, pour l’instant je suis douloureuse au sens propre comme au sens figuré du terme et je me complais dans mon amertume, laissant Omar le cafard agiter joyeusement ses antennes dans ma tête.
    Double dose d’anti-inflammatoires et dodo avec pour compagnie la valise qui encombre mon lit, je n’ai pas eu le courage de la déplacer. Lendemain qui chante, madame mère me fait carrément la gueule en grommelant je ne sais quoi, mais je m’en moque. Ben voyons c’est évident, je suis la peste qui rend son fils idiot et malpoli. Philip, fidèle à la philosophie des trois singes de la sagesse qui est, ne rien entendre ne rien voir ne rien dire, compte les points en se gardant bien de dévisager son épouse furibonde.
    J’ai droit à ses clins d’œil et je me retiens de rire. Il tente comme il peut de détendre l’atmosphère.
    Ash et moi ne sommes pas fâchés, mais nous méditons tous deux sur les mots malheureux qui lui ont échappés. Je suis affligée, pourtant avec le recul, quelques heures d’un mauvais sommeil, je pense qu’il y a un peu de vrai dans ce qu’il a dit. Ce ne sera pas simple pour lui, ni pour moi mais je crois qu’en y étant tous les deux préparés correctement il n’y aura rien d’insurmontable. Pour en arriver à l’apaisement le dialogue devient nécessaire. Pas maintenant, je suis encore bouleversée. Cependant, l’entendre parler de la sorte m’a convaincu d’approfondir la question avec ma thérapeute, comme me l’a dit Samuel, je suis dans ma période de déni et cet entretien ne peut que m’être bénéfique.
    Bébé est parti tôt pour Londres ce matin, il doit finaliser son étude en cours et peut-être sera-t-il de meilleure humeur en rentrant ce soir? J’ai un pincement au cœur, peu de fois les désagréments rencontrés dans sa profession n’ont franchi la porte de nos citadelles à l’étage. Et encore moins les sempiternelles récriminations de sa mère. Je ne suis pas le mal mais celle par lequel il arrive et je commence à faire désordre au milieu de leurs manies de … à faire tache sur le portrait de famille dirait Sam.
    Le moment est venu pour moi de prendre mon envol.
    Les mois soleil débutent alors je vais me rendre au pays des oliviers et des champs de lavande. Et puis j’ai hâte de recevoir les devis des entrepreneurs pour la rénovation de la maison de mémé. Je suis persuadée que c’est là-haut que je me retrouverais. Personne n’aura à redouter de pousser mon FTT si, il y a. Je me débrouillerai seule comme je le fais depuis très longtemps. Je ne suis pas non plus totalement sotte, je me suis renseignée, il existe des services qui prennent en charge les malades, à leur domicile. Kinésithérapeute, auxiliaire de vie, infirmière se relaient auprès du patient qui conserve ainsi son confort de vie.
    Lux lucet in tenebris.
    Coup de blues. I’m a poor lonesome Chouquette and a long, long way from her home…

    To The CiTy... 18 Avril 2016

    …Explications, réconciliation. Ma susceptibilité finira par me jouer des tours si je ne la contrôle pas!
    Je suis sur le pied de guerre depuis sept heure quarante-cinq. Aujourd’hui je passe la journée à Londres. Ash me sert de chauffeur et pendant qu’il travaillera, se sera shopping et salon de thé pour moi. Vers treize heures nous devons nous rendre chez son frère pour un lunch ‘‘improvisé’’ et tel que je connais Hailie cette collation sera digne d’un roi. Je ne veux pas la dénigrer, mais rares sont les occasions où elle s’affaire elle-même derrière les fourneaux. Elle dispose d’une cuisinière, d’une femme de ménage … oups, d’une technicienne de surface, d’un chauffeur et d’une nurse pour les deux minots.
    Que fait elle de ses journées me demandera-t-on?
    Hailie partage son temps entre plusieurs activités, la principale étant des cours de savoir-vivre et de bonnes manières à table qu’elle donne pour l’association que dirige Mumy et beaucoup d’étudiantes en hôtellerie s’y inscrivent. La belle-sœur de Bébé accomplit un bénévolat de quatre demi-journées dans une structure pour jeunes enfants et organise une à deux réceptions par semaine, primordiales à la carrière de son mari. La notoriété d’Hylam se construit de bouche à oreilles et apparemment cela fonctionne à merveille, son carnet de rendez-vous est complet. À propos de bonnes manières à table, je me souviens du premier repas ‘‘officiel’’ auquel j’ai participé dans la famille de Bébé, cela m’a été éprouvant, je n'osais bouger ni cils, ni couverts. J’observais, mais chez ‘‘ces gens-là’’ ça n’est pas suffisant. Et bien sûr une pêche en dessert. Voyant mon désarroi, Steven m’en a servi une toute prête. Moi, la quiche dans toute sa splendeur. Mademoiselle Françoise m’a fait un briefing complet sur les règles de la table dès le lendemain matin. Et rien ne m’a été épargné dans ce cours pour la débutante que j’étais, que l’on me croit. Ash m’accompagnait, heureusement, parce que je crois que sans lui j’en aurais pleuré, de honte. Aux yeux de mademoiselle, je devais carrément passer pour la plouc de service. Ne coupez pas votre salade avec le couteau Mylhenn, commencer le repas avec les couverts les plus éloignés de l’assiette, ne jouez pas avec la décoration de table, rompez votre pain par … oui moi aussi ça me boursoufle, j’arrête ici. C’est tout juste si elle ne m’a pas rappelé de ne pas mettre les coudes sur la table ou de ne pas manger ma cuisse de pintade avec les mains. Bébé n’était pas crâne d’assister à ça, mais il ne pouvait rien faire pour moi sinon être à mes côtés, les exigences de sa mère sont paroles d’évangiles chez eux.
    À la suite de ça, il m’a fallu un mois pour me décider à réapparaître à l’un de leur dîner de gala.
    Je ne le crois pas, cela fait bientôt vingt-cinq minutes qu’il se pomponne entre salle de bains et dressing. Pendant ce temps je trépigne d’impatience. En même temps je dois admettre que le résultat vaut la peine d’attendre. Rasé de près, coiffure parfaite, costume impeccable et keffieh répandant les effluves de son Neroli Portofino. Certains des confrères de Bébé se distinguent par leur monstrueux cigare, d’autre par leur humour décalé et d’autres encore par des lunettes griffées extravagantes, Bébé lui, ce sont ses keffiehs. Un pour chaque jour de la semaine et chacun d’eux rend hommage à son charisme.
    Ce n’est pas vrai, il passe aussi par la case salle à manger? Je ne comprendrai jamais pourquoi Ash dévore autant au petit-déjeuner alors que je sais pertinemment que son adjointe lui fait souvent livrer un latté vanille en milieu de matinée, accompagné de viennoiseries provenant d’une boulangerie renommée.
    Alors que moi un thé et deux biscottes aux céréales me suffisent amplement jusqu’à treize heures.
    D’accord, j’admets que j’ai perdu six kilos en quatre mois. Les anti-inflammatoires me tordent l’estomac, le traitement de fond pour ma S.A me procurent quelques effets secondaires forts désagréables et surtout, l'amour vache que j’entretiens avec la nourriture en général donnent un résultat désastreux … pour ma garde-robe. Ash connaît tout ça, mais il ne me force en rien, il dit que ma priorité pour l’instant n’est pas la nourriture. Cependant Peter lui fait un compte rendu régulier sur ce que j’ingurgite lors de ses absences. Cela ne change rien à l’affaire, mais ainsi Bébé a l’impression de garder le contrôle sur ma santé. Sodishan s’est rendu compte de ma … fonte et en plaisantant il a demandé à Ash s’il ne lui arrivait pas de me perdre dans notre lit? Ce à quoi mon Fripon a répondu que ses paumes n’étaient pas encore à plaindre. Ces deux fripouilles utilisent souvent entre eux le grivois sous-entendu.
    La faute à qui? La faute à Dorothy qui veille à ce que convenance et distinction règnent sous son toit.
    J’accompagne Ash à la salle à manger, j’aurais mieux fait de m’abstenir. Mumy trouve ma tenue inappropriée et elle me le fait hardiment savoir. Tant mieux, ça veut dire que je suis au culminant. Une jupe bordeaux et ses bas assortis, des girly boots caramel en cuir souple. Un T-shirt blanc à manches longues et un perfecto rose poudré pour le haut. What the matter? Effectivement je vois ce qu’elle veut dire. La longueur de la jupe n’est pas règlementaire selon ses critères. Vingt centimètres au-dessus du genou font de moi une … Ash apprécie grandement lui. C’est un James tout essoufflé qui nous rejoint devant le garage au moment où Ash démarre son bolide. Depuis dix minutes le pauvre James cherchait monsieur dans toute la maison pour lui remettre des dossiers oubliés sur le guéridon du couloir, il nous a retrouvé in extremis.
    Décidemment les retards s’accumulent, ma journée shopping va finir par être compromise.
    J’apprécie que Bébé me dorlote, me protège, mais je ne suis pas une porcelaine. Durant tout le trajet il me fait recommandation sur recommandation. Il devrait savoir que j’assume toujours mes erreurs. Oui bon, je suis parfois de très mauvaise foi. Depuis ma mésaventure virtuelle il a compris qu’il devait être plus présent. Me gâter, me chouchouter, me pourrir, me cajoler et m’honorer de tout son cœur, cela il le fait. Et à présent il m’arrive d’étouffer sous ses attentions, de ressentir un certain besoin d’espace.
    Qu’est-ce qui ne va pas chez moi? Jamais je ne me suis sentie aussi bien avec un homme. Bébé et moi sommes sur la même longueur d’ondes, il n’y a pas de doute là-dessus. Il a été mon étincelle, à présent il est ma lumière. Alors, je m’interroge à nouveau, pourquoi cette ridicule retenue d’émotions envers Ash?
    Mon Pain d’Épices sait perdre toute notion de bienséance si je lui en fais la demande. Il n’y a rien de plus désopilant pour moi que de le pervertir dans ses propos. Je minaude, je le provoque de ma voix qui se veut suave et enjôleuse et nous y sommes. Ma voix, il est l’un des rares à la considérer comme le symbole de ma résilience face aux coups que j’ai reçus. Il m’a fallu des mois avant d’accepter la cohabitation avec Donald Duck et Rambo. Cela importe peu à Bébé que le son qui franchit mes lèvres soit discordant, voire totalement désagréable, il l’apprécie car lui n’y entend que le reflet des sentiments que je lui porte.
    Les termes triviaux du genre baiser, tringler, culbuter ou sauter sont comme réhabilités, excusés de leur vulgarité lorsqu’ils franchissent ses lèvres tellement son timbre de voix à l’accent magnétique efface ce qu’ils délivrent de dérangeant. Un rien d’indécence, à consommer avec modération, peu parfois conduire au paradis. Contrairement à ce que mes écrits pourraient laisser penser, Ash et moi ne sommes pas des dépravés dépourvus de tout sens moral mais l’un de ses nombreux couples bien dans leurs chaussettes, avouant une sexualité épanouie. Mon Bad Boy et moi maitrisons les divertissements ‘’coup d’un soir’’, ‘‘à la hussarde’’ et ‘’frotti-frotta’’, alors pourquoi devrais-je le cacher? Je l’ai déjà expliqué bon nombre de fois, mes écrits me permettent de me reconstruire et de m’exercer à la composition de mes futures créations. Or donc, comme on l’aura compris, le trajet qui va de la résidence à Londres est assez long, alors j’en profite pour laisser mes méninges en veille afin de pouvoir me raconter plus tard.
    C’est ce que je viens de faire dans cet aparté.
    - On se retrouve à douze heures trente au troisième niveau du parking Chouquette?
    C’est parfait pour moi. Dix heures trente, top départ. Premier achat, des baskets fleuries. Plus loin, une tenue sportwear pour le parc. Un salon de coiffure sans rendez-vous? Je suis tentée.
    Pause déjeuner appréciée. Cela nous donne l’occasion de passer un peu de temps ensemble et une fois encore la cuisinière d’Hailie a fait des merveilles.
    Minestrone de printemps, roulés de poulet-pêches sauce chili et tarte au citron meringuée…

    Le SPLeeN D’OMaR… 20 Avril 2016

    ...Autres lieux, autres traditions. Sept heures trente tapantes, tous à vos fourchettes!
    J’utiliserais un seul mot pour qualifier le premier repas de la journée : gargantuesque. Pour le breakfast quotidien Madam’ exige une farandole d’œufs. Protéines et vitamines dit-elle.
    Ne connaît-elle pas le jus d’oranges?
    Omelette aux herbes, œufs brouillés, œufs pochés, œufs au plat avec leur galette de pomme de terre, œufs coques, et la salade d’œufs durs. La légende de mademoiselle Françoise s’est construite sur ce met. Plus d’oignons blancs et de mayonnaise que d’œufs. Ash adore ça entre deux tranches de pains de mie fait maison. S’en est affligeant. J’admets que de temps en temps un œuf coque accompagné de mouillette grillées beurrées peut m’être savoureux, mais hors de question que ce soit tous les jours. Ah oui, dois-je parler des célèbres œufs au bacon? Et les saucisses à la saveur poivrée accompagnées de champignons frits? C’est en énumérant les ingrédients qui compose ce festin matinal que je comprends pourquoi le breakfast familial est annoncé de si bonne heure.
    Quand il m’arrive de réellement petit déjeuner, je m’accorde un grand bol de Lassi à la mangue ou de véritable Masala Chai indien. L’un ou l’autre accompagné d’un muffin tout chaud aux raisins c’est … un péché. Les céréales? Beurk. Ici cela revient à s’étouffer avec un genre de ciment à la consistance indéfinie qu’ils nomment porridge. Ash avale cette mixture à la truelle, quelle horreur. Soi-disant que mademoiselle privilégie les recettes dites saines. En cachette de Mumy, Ash me ramène de temps en temps des Corn Flakes. Mon petit plaisir du goûter avec des framboises ou de la banane ou du Kiwi que Steven dérobe sans vergogne pour moi en cuisine lorsque je lui en fais la demande. Les scones à l’orange amère sont divins eux aussi, mais je ne peux pas me le permettre chaque jour, Christian a formaté mon estomac pour la dose dé à coudre. Il y a peu, ma thérapeute m’a fait prendre conscience que si je me nourris aussi irrégulièrement, c’est que les privations que m’imposaient mon ex-mari sont toujours très présentent en moi. Je ressens le besoin de me cacher pour me sustenter. Et il est vrai que je n’éprouve cette sensation de plaisir de me nourrir que lorsque l’on ne me regarde pas manger. En ce qui me concerne, le harcèlement moral quotidien qu’exerçait mon mari maltraitant sur moi est pire que les coups que je recevais. Les ecchymoses ont disparu, mais il m’est impossible de recréer sa virginité à mon âme souillée. Stop, ma raison s’égare.
    Or donc, toujours est-il que rien qu’en regardant ce qui se trouve sur la table tôt le matin, je pourrais reprendre tous les kilos que j’ai perdu. Donc pour le coup, le déjeuner de treize heures se limite souvent à la portion congrue, sandwiches light façon club sandwich et légumes crus ou cuits manière aïoli sauf qu’ici la trempette se fait plutôt dans la sauce Worcester. Mamaiette en ferait une crise cardiaque si elle voyait ça. Hier était l’un des rares jours ou mon appétit a toqué à la porte de mon estomac, il a fallu que je me contente de salsifis en persillade et d’un énorme sandwiche végétarien. Cela dit j’ai apprécié les saveurs de la crème de patate douce mixée avec de la betterave rouge. Du fromage frais de chèvre parsemé de grains de grenade et deux feuilles de chou Kale pour le croquant. Bon appétit. Franchement oui, je me suis régalée.
    Je me dois de faire une petite mise au point tout de même. Madam’ ne tolère aucun gaspillage, aussi dès le service du matin expédié, le personnel prend le relais. Mumy tient à ce que ses employés soient traités à la hauteur de leur qualité de prestation. Les repas préparés dans les cuisines leurs sont autant destinés qu’à la famille. D’ailleurs, je pense que Philip, Dorothy et leurs enfants considèrent leurs employés comme une extension de leur cercle. Certes Mumy a un balai dans le … est rigide, mais c’est une personne généreuse.
    Bébé est parti de très bonne heure car une rude journée l’attend. Je tente de paresser sous la couette en lisant, mais ma concentration n’est pas au rendez-vous. Omar le cafard agite joyeusement ses antennes dans ma tête. Je sais je me répète, mais je me sens de plus en plus à l’étroit aux Aspidies, comme prise dans un étau. Je pensais qu’une séance chez le coiffeur me ferait du bien, pourtant ça n’a pas été suffisant. Je suis en attente sans pouvoir définir de quoi j’ai réellement envie.
    Besoin d’air, ça s’est sûr. Une balade au parc est la bienvenue. Le ciel est gris mais il fait doux.
    Certes faire quelques pas me fait du bien, mais côté esprit je bouillonne toujours autant. Jonathan fait de cet espace vert une merveille. Du gazon à la tonte impeccable, pas un brin d’herbe plus haut que l’autre, aux topiaires taillés au cordeau, rien ne dépasse. Pas une feuille ne subsiste sous les arbres après le passage du soufflant. Depuis une semaine les bancs en bois traité ont été disposés à chaque embranchement d’allées. Jonathan est le paysagiste qui entretient les abords de la résidence et il fait son travail avec cœur, c’est le moins qu’on puisse dire. Il a déjà ressorti à l’extérieur certaines plantes reléguées dans le solarium pour l’hiver. Aujourd’hui il taille les haies de cornouillers qui protège la grande terrasse du vent, autour de la piscine. Depuis mes tous premiers séjours aux Aspidies, je crois ne jamais l’avoir vu cet homme paresser.
    Sans y prendre garde je commets un crime de lèse-majesté et Dorothy en est fortement courroucée. Ayant zappée que c’était un jour de réception officielle, ma tenue vestimentaire fait tache lorsque je la rencontre dans la galerie, en compagnie de ses hôtes. Pensez donc, des bottines tachées, une parka froissée et un pantalon de jogging délavé, what a scandal.
    Je suis ‘‘autorisée’’ à baguenauder dans la galerie et les pièces de vie à la condition d’arborer une tenue correcte dans les lieux de passage. Seulement voilà, je viens de transgresser la règle et Dorothy écume silencieusement de colère et je la connais suffisamment maintenant pour prédire que Bébé va passer un sale quart d’heure en rentrant ce soir. Moi j’ai droit au regard qui tue, mais elle va pourrir Ash.
    - Mais à quoi pense-t-elle donc? Mylhenn ne peut pas arpenter les couloirs dans un tel accoutrement, c’est totalement inadmissible!
    Une chance que récemment je sois passée par la case coiffeur. Cependant j’ai froissé visuellement ses visiteurs. L’on va me tailler un sacré costume, entre étiquette et bienséance je viens de briser tous les codes.
    Moi, faire des ronds de jambe à Bob et à sa … créature? Hors de question.
    Robert de Coud … oups pas de nom de famille notoire m’a-t-on conseillé. Et ce n’est pas plus mal car ce que j’ai à dire sur ces personnes n’est pas aimable du tout. Ce monsieur porte un nom aristocrate, mais il ne possède aucune qualité propre, seule sa fortune l’anobli. Je n’aime pas sa façon d’agir. Quant à sa compagne, une escorte girl en reconversion m’a confié Ash, à ne pas confondre avec une call girl même si elle en possède tous les talents, se croit sortie de la cuisse de Jupiter. Elle toise le personnel de haut et possède un langage de … bref ses ancêtres devaient être des négriers. J’ai de la chance, elle m’ignore totalement ce qui la dispense de me saluer.
    Une chemise en flanelle, un legging et des chaussons fourrés plus tard, je vais me cacher au petit salon pour lire. Le chauffage est déjà en mode restriction alors je m’enveloppe dans un plaid, mon casque audio vissé sur les oreilles. Mildred arrive en mode sioux sur le sentier de la guerre, je suis à deux doigts de la crise cardiaque. Je comprends que Philip soit très attaché à son assistant, cet homme est d’une discrétion exemplaire. Il me tend mon téléphone portable que j’ai oublié sur la table de la salle à manger. Neuf appels manqués, neuf mini messages. Bébé voulait juste entendre le son de ma voix et surtout me rappeler que Dorothy recevait. Trop tard chéri, je suis au courant.
    Je tente un appel et évidemment je tombe sur sa messagerie, alors je lui envoie un je t’aime accompagné d’une trentaine d’émojis bisous. Après ça impossible de me concentrer sur ma lecture, mon esprit vagabonde et il m’entraine direction Méditerranée.
    Omar le cafard agite mélancoliquement ses antennes. En quête de confrontation…

    CoCooNiNG eFFeCT… 23 Avril 2016

    …Jeans et blouson en cuir. Bébé fonctionne en mode décontraction aujourd’hui!
    Je savoure ces instants où le paraitre ne lui est pas essentiel. Exigeant avec lui-même, il attend de ses collaborateurs une discipline de travail exemplaire. Il instruit et valorise ses subordonnés et ne supporte pas le travail bâclé. Ash en fonction et Ash détendu, ce n’est pas la même personne. Cela va faire cinq ans que je le côtoie et parfois j’ai l’impression de ne pas vraiment le connaitre. Je me demande encore ce qu’un homme comme lui trouve en moi pour qu’il soit aussi attentionné à mon égard. Il n’y a pas que cela, parfois il m’arrive d’être intimidée en sa présence, effrayée par le charisme qu’il dégage, comme s’il était doté de pouvoirs surnaturels. En résumé, quelle que soit sa personnalité du moment, je profite de chaque instant passé en sa compagnie. Détente et bien-être sont au programme de ce samedi.
    Bridget se précipite à l’encontre de Bébé dès qu’il franchit les portes du salon d’esthétique. Un pas de plus et voilà qu’elle lui met le grappin dessus.
    - Mais c’est notre client préféré, vous êtes le bienvenu! Suivez-moi je vais vous installer! Minaude-t-elle. Ash sourit poliment, non bêtement
    Dommage ma belle, mais votre client favori n’est pas venu seul. La température ambiante descend d’au moins dix degrés lorsqu’elle se rend enfin compte de ma présence. Un échange de regards et ennemies pour la vie. Qu’Ash vienne avec une amie elle peut s’en remettre, mais avec sa petite amie alors là elle est effondrée. Je ne m’inquiète pas pour elle, elle survivra.
    Je suis conquise par cet établissement. Vraiment. Le concept est innovant et doit grandement simplifier la vie de celles qui passent leur temps en institut. Je dois préciser qu’Ash possède un abonnement coiffure car sa crinière d’étalon se doit d’être impeccable. Je comprends qu’il fasse l’impasse sur ses séances de tir pour venir ici se faire bichonner en tout bien tout honneur.
    Le salon propose Hammam, jacuzzi, massages, soins du corps, épilation, manucures et coiffure, tous ces soins emploient neuf personnes à temps complet. Pour Ash, ô miracle, il y a toujours un désistement à son profit, voilà pourquoi il m’a demandé de l’accompagner.
    Nous baignons dans une ambiance zen, détente obligatoire. Saucissonnés dans des serviettes aussi moelleuses que de la chantilly nous marinons dans un océan de vapeur pendant une bonne demi-heure. C'est agréable et excitant à la fois. Suivent un bain bouillonnant aux milliers de bulles agressives puis un massage aux huiles essentielles, c’est l’extase. Un soin coiffure pour Ma Canaille, une manucure complète pour moi. En début d’après-midi, lorsque nous ressortons des lieux, Bébé et moi sommes en mode petits nuages. Légers, légers.
    Nous avons tenu tête à Madame mère, bon d’accord nous avons fermement et poliment refusés son invitation à nous joindre à sa coure, elle organise une énième soirée caritative et nous ne tenons pas à entendre ses hôtes se vanter de leur générosité, un peu forcée tout de même. Rares sont les week-ends à deux qu’Ash et moi pouvons nous offrir, aussi nous tenons particulièrement à ce que celui-ci soit parfait.
    Soirée cinéma, restaurant et plus si affinités.
    Lèvres soudées et corps alanguis, nous nous reposons du marathon aux frissons qui nous a occupé à notre retour. Pendant ce temps-là, au rez-de-chaussée, les joyeux drilles s’en donnent à cœur joie. Les flonflons de la fête parviennent à nos oreilles, mais cela ne nous empêche pas de nous endormir comme deux bienheureux. Demain sera un ‘‘Bed Day’’, Ash et moi en maitrisons chaque instant. Petit-déjeuner câlin, slow mousse, feulements étouffés et miaulements roucoulés, et surtout promenades délicieuses en des contrés soyeuses et suaves. Ma chère Sonia nommait ceci, une journée à ne pas sortir une petite culotte.
    Je suis celle par qui le scandale arrive. Je ferme les yeux et je voyage…

    DaNS La TouRMeNTe… 28 Avril 2016

    …Plus que contrariée. Les fleurs que Bébé m’a offertes ont fini dans la poubelle!
    Quelques jours après notre ‘‘Bed Day’’ mes relations avec Ash se sont dégradées et sont plus que tendues. Il n’a pas compris que je cherchais le moindre prétexte pour exploser. C’est sa mère qui me l’a fourni.
    Maléfique me surveille et cela me boursoufle. Je déteste les sermons et cette fois-ci Bébé a fait écho aux accusations de Madam’. Je n’ai pas apprécié, mais alors pas du tout. Lui désapprouve le fait que dans mon énervement je nomme sa môman Maléfique. Je persiste, elle en est la copie conforme. Je reconnais que j’exagère, mais là elle m’a saoulé. Je ressens le besoin de m’affirmer face à Dorothy et je m’y prends comme un manche, carrément la pelle. Je devrais lui lisser le dos dans le bon sens du poil, mais c’est plus fort que moi, je ne peux accepter qu’elle fasse de moi son grand œuvre. Je n’ai rien à prouver, je sais me tenir en société, et j’ose exprimer tout haut que leur mode de vie ne me convient pas, cela dérange.
    Ash a pris parti pour … sa mère, je serais par trop insolente avec elle ces derniers temps. Là j’aurais abusé en répondant vertement à Dorothy que si elle n’était pas satisfaite de mon comportement elle n’avait qu’à m’offrir un séjour au The Berkeley, un cinq étoiles. Au moins je n’y serais pas sans arrêt harcelée pour des broutilles. Je n’aime déjà pas les sermons et ceux de Dorothy n’ont rien d’affectueux ou de courtois. Elle me réprimande en décortiquant chacune de mes erreurs et insiste sur mes torts. Je l’ai gentiment prévenue à plusieurs reprises qu’il ne fallait pas me chercher, que cela allait mal se terminer, elle a ignoré mon avertissement, et je me suis emportée. Pas la petite colère d’une gamine capricieuse, mais belle et bien cette agressivité qui me pousse parfois à tout fracasser autour de moi. Le plus impressionnant ce sont mes hurlements de poissonnière qui s’achèvent généralement par une crise de sanglots à laquelle il m’est impossible de mettre fin. Mon organisme s’est mis en mode survie et bonjour les dégâts. Mon rythme cardiaque s’est accéléré, j’étais essoufflée et au bord de l’évanouissement. Ils ont enfin compris que j’allais très mal lorsque je me suis mise à convulser, j’étais en panique totale. Le docteur Tweeg a été appelé en urgence. Depuis, une fatigue intense m’a envahi et la charge émotionnelle de cette crise a fait remonter l’un de mes traumatismes à ma mémoire. Pour résumer, ma thérapeute est inquiète et exaspérée. Elle préconise un retour immédiat dans mes collines. J’envisage de suivre ses recommandations et cela de plus en plus depuis qu’Ash me fait comprendre à mots couverts que mes bouffées délirantes et mes dépressions le freinent dans ses activités.
    - Chouquette tu es mon rayon de soleil, tu le sais, mais deviens adulte, je ne peux pas me permette de manquer de concentration lorsque je traite un dossier! Je dois donner des réponses immédiates aux enquêteurs et il me semble t’avoir expliqué qu’une mauvaise interprétation des faits peut fausser la probité d’un verdict! Cela a le mérite d’être clair. Mes complications psy ne datent pas d’aujourd’hui, que je sache.
    - Je conçois aisément que tes ripostes soient explosives lorsque tu te sens agressée, mais il va falloir que tu apprennes à te contrôler! Oui, tu as souffert! Oui, l’on t’a cassé! Oui, tu as supporté de terribles épreuves! Oui l’on t’a entraîné dans des deals peu reluisants, mais maintenant il faut que tu passes à autre chose! Ne te retourne pas et avance la tête haute bon sang!
    Très convaincant le bonhomme. Mes applaudissements moqueurs à sa prestation, à ses envolées lyriques devrais-je plutôt écrire le fâchent pour de bon.
    - Je suis conscient que je te néglige encore souvent ma Chouquette et j’en suis vraiment désolé! Cependant je pensais que par la présence de mes parents tu te sentirais soutenue! Je vois malheureusement que je me suis trompé! L’attitude déplaisante et la conduite déplorable que tu adoptes envers ma mère n’est pas digne de toi! Ton caractère n’excuse pas tout non plus! Je sais qu’elle peut être envahissante et opiniâtre, mais cela ne te dispense pas d’être respectueuse lorsque tu t’adresses à elle et tu…!
    - Je veux rentrer chez moi! J’ai besoin de respirer! Hors de question que je rende culte à Madam’!
    Et voilà c’est dit. Je lui coupe la parole sans hausser le ton et c’est ce qui a fait toute la différence. Je blesse cruellement Bébé, je le sais, mais je n’en peux plus.
    J’ai besoin de liberté, de vivre pour moi, de respecter MES règles.
    À ma sortie du centre de rééducation je me suis expatriée en Amérique du Sud pour chasser mes démons, et bien entendu ils m’ont suivi. À mon retour l’on m’a expatrié afin de me protéger et je l’ai très mal vécu, j’étais déracinée. Je vais de fuite en fuite, je me refuse un avenir. Cette fois encore je vais faire mes bagages.
    J’éprouve de véritables sentiments pour Ash, mais je me suis aperçue que mes couillonnades, mes imbécillités le prive de toute sérénité et cela nous fait souffrir tous les deux.
    Existence, reviviscence. Les vignes, les oliviers et les lavandes de mon enfance…

    A BiT oF iNDePeNDeNCe... 07 mai 2016

    …Exode nécessaire, convalescence palingénésique. Un air d’opéra, au seuil de l’apaisement!
    Une fois nos ressentiments épuisés, la bourrasque s’est étouffée d’elle-même. Ash et moi en sommes venus à la même conclusion, ce n’est pas une séparation, mais un sauvetage. Le mien.
    Je m’installe tranquillement dans la maison de mémé. Zubin Metha, Wagner et Brahms sont mes colocataires du moment. J'apprécie énormément l'opéra, ces histoires où des êtres torturés se débattent sur des airs entraînants. La plupart du temps cela se finit mal pour les protagonistes, et je crois que c’est le fait que ces fictions soient proches de la vraie vie qui me fait les priser.
    Mes premiers pas vers l’indépendance, mon indépendance, sont une victoire sur la maladie. Un combat initial qui, si je le gagne, m’apportera la preuve que je ne suis pas aussi sotte que je le crois. Cette fois-ci j’ai renoncé à faire des courses au bourg. Je me suis fait livrer tout ce dont j’avais besoin. Je ne crois pas qu’on se soit aperçu de mon arrivée dans le quartier Alceste. Les quelques maisons qui composent le lotissement sont très éloignées les unes des autres. Deux fermes à chaque extrémité de l’allée et une grappe de pavillons en retrait du chemin. Pour l’instant je ne tiens pas à établir de relations de bon voisinage, je veux me construire un espace de quiétude dont le nom sera Petite Paix.
    Déjà un an que Maë Lynette, ma grand-mère, nous a quitté. Son départ m’a bouleversé. J’aimais énormément mémé, cela a été une grande perte pour moi. Mon chagrin est atténué par le merveilleux présent qu’elle m’a offert, sa petite propriété entourée de vignes, située non loin du col. L’endroit est idéal pour me libérer des chaines invisibles qui emprisonnent mon esprit.
    Tout y est vieillot, suranné, poussiéreux, vétuste même, mais j'adore cette vieille baraque. Elle était destinée à ses deux tiges de blé comme elle nous nommait Miriette et moi, mais le destin a fait que moi seule en hérite. Quelques mois avant d’entreprendre le grand voyage mémé avait un peu perdu de sa vivacité d'esprit. Son cœur était resté bon et beau. Elle se rendait au cimetière en matinée et dès le début de l’après-midi elle faisait remue-ménage pour retrouver Miriette, maman et son vieux Virgile, mon grand-père. Le père Mattias était obligé d’appeler les tantines à la rescousse. Les derniers jours de sa vie elle ne savait plus laquelle de ses deux pitchounes j’étais. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle me voyait encore comme la mouflette qui se tachait le menton de jus de pêche. D’ailleurs je ne sais toujours pas manger ce fruit s’en m’en mettre de partout. Mémé nous aimait de toute son âme, Miriette et moi étions la postérité, l’immortalité de sa fille disparue. Bon nombre de fois je suis venue me réfugier auprès d’elle. Maë Lynette était mon bouclier et jamais je n’ai dévoilé sa présence à qui que ce soit lorsque je me confiais sur ma page de blog. Elle m’aimait comme j’étais et là était l’essentiel. À présent ma blondeur naturelle n’est toujours pas à prouver, mais de là à parler de tige, c’est un doux euphémisme. Cependant depuis ma perte de poids je me faufile allègrement entre un grand trente-six et un petit trente-huit. Honnêtement je n’en fais pas un drame lorsque les anti-inflammatoires lestent ma silhouette d’un kilo ou deux de plus.
    Question logistique et aménagement je pilote seule et j’en retire une certaine fierté.
    Il m’a fallu moins d’une semaine pour organiser mes soins, mes séances kiné et l'entretien de la maison. J’en suis certaine à présent, c’est ici que je vais me reconstruire et pour cela je dois y croire de toutes mes forces. Dès demain je vais contacter des artisans afin d’établir des devis. Je tiens à ce que ma Petite Paix soit accueillante, confortable et adapté à mon futur handicap.
    Transférer la salle de bains au rez-de-chaussée, agencer une cuisine moderne et fonctionnelle et convertir l’ancienne remise à lavande en un salon à l’ambiance cosy, voilà ce que je désire.
    Les deux antiques poêles à bois qui servent, l’un à chauffer le rez-de-chaussée, l’autre pour cuisiner, ont certes beaucoup de cachet, mais ils sont par trop rustiques, je ne me vois pas faire chaque jour des aller-retours au hangar pour ramener une réserve de bois. En Provence, beaucoup de nouveaux venus rêvent d'une piscine, moi c'est d'une cheminée dont j'ai envie. Le col est d’une altitude raisonnable, toutefois les étés y sont chauds, voire étouffants. Les hivers sont doux j’en conviens, mais il arrive que les rochers accrochent les nuages bas et là, à cause du mistral le froid devient polaire. Quoi qu’il en soit, le froid est toujours présent en moi. Sur la plage, en plein cagna, il m’arrive de frissonner. Ça c’est une autre histoire.
    Mon Pain d’Épices me manque, mais inutile de m’apitoyer, je sais qu’un jour ou l’autre il traversera la Manche pour me rendre visite. Pour l’instant mon bonheur est simple, à la recherche du passé je farfouille dans les armoires de mémé. Depuis quelques nuits je dors entre des draps parfumés à la lavande, Miriette rôde alentours, mais je la sais bienveillante.
    Je l’ai atteint, durement gagné. Mon paradis est poussiéreux…

    ReMeMBRaNCeS... 11 mai 2016

    …Si j’évoque Miriette en termes voilés, c’est … je ne peux accepter son départ brutal!
    Vingt-deux ans après le drame qui a fauché la jeune vie de ma jumelle je ne m’en suis pas encore remise. La faute à des gens méprisables qui m'en ont fait porter le poids de la culpabilité. Je n’étais qu’une petite fille de dix ans, désespérée et pourtant cela ne les a pas empêchés de m’accabler. Ce jour-là, ils ont perdu deux enfants, mais ils ne l’ont pas compris. Mon père et ma belle-mère sont des … rampants. Leur sottise et leurs fautes les poussent à remplir mon compte en banque mois après mois, espérant ainsi obtenir mon pardon. J’ai coupé les ponts et j’entends bien ne plus avoir à faire à ces gens.
    Parfois je me sens transi et grelottante. Ma thérapeute essaye sans succès de me faire admettre qu’il s’agit d’un phénomène récurrent lié à mon passé. Christian avait trouvé une façon très fun de me punir lorsqu’il ne voulait pas se salir les mains. J'ai allumé avec difficulté les deux chauffages et j'ai failli une fois encore en cracher mes poumons. Il est temps de faire entrer le progrès dans la maison de grand-mère Lynette.
    C'est décidé, c’est un artisan chauffagiste que je vais contacter en premier.
    Où en étais-je? Ah oui, Christian avait pour habitude de m'isoler dans un grand réfrigérant. Pour que je puisse réfléchir à mes bêtises disait-il. Cela l'amusait tellement qu'il le faisait parfois, rien que pour le plaisir de me voir claquer des dents et sangloter. J'en ressortais les lèvres bleuies et les membres gourds.
    Les épreuves qui ont été miennes ont forgé mon caractère, elles n’ont brisé qu’une partie de mon organisme. Le virtuel, mon soi-disant ami, me reprochait de trop souvent me plaindre de mes douloureuses années sur ma page, il n’avait rien compris. Si j’insiste sur ce chapitre de mon existence, ce ne sont pas des lamentations pour que l’on me plaigne, mais l’épanchement d’un trop-plein mémoire déplaisant dont je veux me délester. Et selon ma thérapeute c’est positivement encourageant.
    Comme je l’écrivais plus haut, j’ai recommencé à fureter dans toute la maison avec l’espoir de découvrir des vestiges d’évènements heureux. Comme cette magnifique armoire en bois de cerisier qui se trouve dans la chambre de mémé. J’en caresse affectueusement les dessins délicats gravés sur ses battants. C’est intense. Le meuble est rempli des richesses de la vieille dame. Un véritable coffre-fort qui dégage une odeur infecte de naphtaline lorsque je l’ouvre. Préservés des insectes ravageurs par des boules antimites, ses robes, son manteau au motif pied-de-poule et ses nombreux châles en laine qu’elle avait crocheté elle-même avec patience, sont indemnes. D’une main tremblante, je les frôle avec tendresse.
    Les albums photos de mes jeunes années ont échappé aux mains destructrices de la marâtre. Ils sont là déposés sur l’étagère à chaussures. Je les entrouvre puis les referme aussitôt, c’est trop tôt, ce serait beaucoup de larmes versées inutilement.
    De l’autre côté de l’armoire se trouve une colonne d’étagères. Sur l’une d’elle je découvre une boîte à biscuits cabossée, à l’intérieur, des dizaines de feuillets de musique avec les paroles des chansons comme cela se faisait autrefois. Sous le rayonnage du dessous, un tourne-disque fatigué est posé à côté d’une pile de vinyles. Grand-mère possédait une très belle voix. Elle nous endormait parfois Miriette et moi avec une mélodie tirée d’un opéra de Bizet, la romance de Nadir. Les larmes me viennent aux yeux en y repensant.
    Je referme le couvercle du temps sinon je vais me liquéfier.
    Rangée soigneusement dans une housse j’ai dégoté une couverture épaisse, elle irrite mes narines tant, elle aussi, empeste la naphtaline. Elle est lourde comme un cheval mort et sa texture est rêche mais je vais m’en contenter, à la guerre comme à la guerre aurait dit mémé. Clopin-clopant je redescends au rez-de-chaussée et je rajoute quelques bûches dans le poêle. Si l'infirmière me trouve à jouer les filles de l'air, cela ne va pas le faire et je ne veux pas déjà la contrarier.
    Entre fumée et étuve, je découvre ce que ressent un jambon en cours de fumage…