• CHaPiTRe ( XXI )

    DéCiSioNS PRiSeS... 3 novembre 2016

    ...L’on prend mes mollets pour de la pâte à pain. Les postures d’assouplissement me rendent folle!
    Je me sens comme l’un de ces vieux navires que l’on laisse mourir, la coque livrée aux intempéries. Inutile, Oxydée, un déchet qui se désagrège peu à peu. Tandis que Bébé pratique la course à outrance, moi je fais la tortue sur un tapis de sol ou j’endure de véritables supplices sur une table de massage. Ces fichus coups de poignard que je ressens dans la colonne vertébrale ne me laissent aucun répit.
    Seule mon imprudence me permet de ne pas rendre les armes. Je veux vivre normalement.
    Le paradoxe est que pour que ma souffrance soit atténuée, je dois faire de l'exercice. Deux kinés se relaient à mon chevet, mais malheureusement cette fois-ci, massages et gymnastique douce ne suffisent pas à me soulager. Anne, mon infirmière, est à nouveau mise à contribution, Anne et ses fléchettes, j’aurais envie de la mordre. Le spectre de la perfusion se rapproche et … une légère amélioration.
    J’ai passé de longues années à tenter de me persuader que mon timbre de voix n'est pas un châtiment qui m’a été infligée pour mes mauvaises actions du passé. Aujourd’hui je parviens presque à … faire avec. Seulement Ash me trouve négligente, selon lui j’aurais dû faire contrôler régulièrement mes cordes vocales et surtout m’en remettre aux bons soins d’un orthophoniste. Étant en dysphonie lésionnelle, ma phonation se situe entre sons nasillards et notes aigües. Le pire c’est que je ne contrôle rien. Je déraille du sonore à tel point qu'il arrive que l’on me conseille d’arrêter définitivement de fumer. J’ai à peine un paquet de cigarettes à mon palmarès depuis mon adolescence alors cela me met en rogne à chaque fois. Christian aurait essayé de me tuer bien plus tôt s’il m’avait trouvé avec une clope à la main et quant à l’expérience camp Charlie, je n'ai jamais considéré les pétards comme des cigarettes. Bref, lorsque je m’exprime en public, ma voix tantôt virile, tantôt criarde attire les regards sur moi, je ne supporte pas. J’en suis complexée, vexée. Et je suis en détresse dès que l'on me sert du monsieur lorsque je réponds au téléphone. Heureusement qu’à présent il existe d’autres moyens de communication. Ash s’est accommodé de mon timbre de voix dès notre première rencontre et pour dédramatiser quand je pique une colère, il me dit qu’en parfaite fille du Sud je sais signer d’instinct, je n’ai qu’à m’exprimer avec mes mains et l’on me comprendra.
    Grâce à une connaissance le spécialiste m’a reçu en urgence. Aussitôt Ash nous a organisé un séjour en hôtel avec spa et la visite d’un grand musée. C’était génial. Résultat de la consultation? Rien de vraiment nouveau. Je déteste ces sauts d’espoir qui se crashent dans une flaque d’abattement. À moi les trilles de moineau avec un orthophoniste tout en apprenant à gérer mes émotions. Et bingo, on en revient toujours au stress de l’anniversaire. Rien à voir avec la bougie musicale posée sur un gâteau et les applaudissements d’amis partageant la fête. Ce n’est même pas une dépression, juste mon cerveau qui reste bloqué sur le jour où la mort a pointé sa faux sur moi. Mon esprit divague et mon corps approuve cette détresse en me forçant à revivre au moment où je m’y attends le moins cette … Bonne Mère, il y a encore du boulot. Jamais je ne me débarrasserai de Rambo ni de Donald et après tout c’est très bien comme cela, je m’y suis presque attachée.
    Il n'a pas encore gelé, mais j’ai eu droit à un nouveau cageot de sarments. Ces sarments proviennent des tailles d’un carré de vigne de Marceau situé sur le côteau, en contrebas du quartier Alceste. Mes origines pourraient laisser à penser que je suis une spécialiste en vignobles, mais j’ai tout rejeté à l’adolescence. Ma famille gère un domaine des plus honorable aux dires des connaisseurs. Vingt-cinq ans sous les drapeaux pour finir pochtron, si ce n'est pas du suicide social çà. Ma haine envers ces gens me fait dire des bêtises, ma rancœur me fait le dénigrer, mais je suis bien forcée d’admettre que monsieur J. est très compétent en la matière. De ce que je me souviens, la vigne serait une liane qui doit être taillée régulièrement sinon elle se transforme en vigne vierge et Guillaume gardait jalousement ses secrets de taillages. Il a tenté plusieurs fois de m’initier, c’est ce que maman aurait voulu me disait-il, mais lorsque la marâtre a commencé à me piétiner, ma petite cervelle de vraie blonde n’a plus jamais cherché à approfondir la question, je me suis totalement détournée de cet art. Dans un lointain avenir, il se peut que Nadège finisse par me faire prendre conscience que j’en éprouve quelques regrets.
    Un mistral glacé fait des siennes. Il siffle en rasant tout ce qui freine sa course et je me réjouis à l’idée de rester paisiblement au coin du feu. Scotchée au canapé, je tente de me concentrer sur le livre que je tiens dans ma main, mais cela m’est de plus en plus difficile. Ash a une définition bien particulière du mot détente. La vérification de ses mails ne lui a pas pris plus de dix minutes et à présent, il se focalise sur une tâche plus … ludique. Et je reconnais que cela ne m’est pas désagréable. Je ne suis plus aussi sûre de moi, peut-être devrais-je l’accompagner aux Aspidies de mon plein gré? La vérité m’est révélée : seule la présence de Bébé m’empêche de sombrer dans ma noirceur.
    Dehors le vent fulmine. Les mains de ma Canaille rampent en mode furtif sous mon pull...

    WeeK-eND à MeNToN... 9 novembre 2016

    ...Le week-end dernier j’ai accompagné Ash à une réception de … présentation!
    En vérité c’était plutôt une exhibition afin de savoir qui possède la plus grande. Les pécores et les jeunes requins qui affûtent leurs dents en vue de dévorer le monde m’ont flanqué la frousse. Oui, ainsi écrit la plus grande peut paraître obscène, sauf que je parle de notoriété.
    Le conseiller instructeur de ma Canaille souhaitait que Bébé passe deux jours en immersion parmi le gratin officiel de sa profession. Ils sont légion et pas forcément … supportables. Ce n’est pas moi qui le dis mais Henry. Son expérience lui a démontré que pour exercer sereinement de hautes fonctions, il faut apprendre à gérer la promiscuité professionnelle, c’est même l’un des b.a.-ba des métiers en rapport avec les lois criminelles. L’on en revient encore à la plus grande, popularité, réputation, renommée. Pour quelques-uns, une tendance à souffrir aussi de la grosse-têtite aigüe, cela dès les premiers instants où ces jeunots sont happés par l’engrenage. Pour les plus anciens, la pratique et l’expérience n’améliorent en rien leur attitude.
    Je vais une nouvelle fois m’excuser d’être réfractaire à l’ensemble des règles de grammaire concernant la concordance des temps. Aussi dans ce chapitre vais-je uniquement me concentrer sur la rédaction compréhensible et ce sera déjà pas mal. Sam va grogner dans sa barbe en lisant ceci, mais tant pis j’ose, que ceux qui veulent en savoir plus me suivent.
    Vendredi en début d’après-midi, excitée telle une puce sur un briard, je guettais avec impatience l’arrivée de Bébé. Ma voiture était disponible et il me la ramenait. J’allais enfin reprendre le volant que j’avais délaissé depuis des années. Un petit trajet qui allait nous conduire à Palavas afin de récupérer le véhicule de ma Canaille. Juste le temps pour Ash de se mettre à l'aise puis il a déposé nos sacs de voyage, prêts depuis la veille au soir, dans le coffre. Installée au volant, j’allais décoller lorsque nous nous sommes aperçus que nous avions failli oublier les tenues pour la soirée habillée. Ash a attrapé en catastrophe les housses contenant ma robe et son costume de pingouin dans la penderie du couloir et les a jetés vite fait bien fait sur le siège arrière. Ça valait vraiment la peine de les avoir fait rafraichir au pressing.
    Le supérieur de Bébé possède une résidence secondaire sur les hauteurs de Menton ce qui veut dire que nous en avions bien pour quatre heures de trajet. Peut-être un peu moins si Ash appuyait allègrement sur l’accélérateur une fois que nous serions sur l’autoroute. Or donc je m’étais engagée sur la voie rapide avec confiance, tout comme faire de la bicyclette, la conduite ça ne s’oublie pas. Le volant réglable et les sièges ergonomiques me procuraient une sensation de toute … sécurité. Pas de prise de tête grâce à la boîte automatique, un véritable plaisir d’être au volant. Il y a quelques mois de cela, Ash a vainement tenté de m’initier à la conduite de son bijou étoile, mais cela a failli finir en catastrophe et j’ai été à deux doigts de le perdre … d’une syncope. Sans vouloir entrer dans les détails, je dirais simplement que piloter une navette spatiale n’est pas de mes compétences. Explication en trois mots et demi : les palettes au volant. Le tableau de bord high-tech de son étoile filante est déstabilisant et … je renonce à me justifier.
    Ma petite Swift bleue d’autrefois n’était qu’une caisse à savon comparée à l’engin que je possède aujourd’hui. La prise en mains m’a semblé réussie et Ash, l’adepte de la conduite sportive, n’a pas trop râlé en constatant qu’avec moi le compteur de vitesse ne risquait pas la crise cardiaque imminente. Ceci dit je reconnais que sans les exercices de code qu’il m’a imposé ces derniers temps, j’aurais eu quelques difficultés à identifier certains panneaux. Une fois l’échange fait, cela a été une autre paire de … Bébé le pro de l'asphalte nous a propulsé en un temps record au domicile de nos hôtes, mais il faisait grand-nuit lorsque nous y sommes parvenus car aux Flots les tantines nous guettaient. Thé des bonnes familles et potins de village.
    Au réveil je me suis extasiée à la vue du paysage. Menton et ses environs de la fenêtre de notre chambre, c’est à couper le souffle, nous nous trouvons entre ciel et mer. La villa est construite sur quatre étages, avec une grande piscine frontale posée le bord d’un terre-plein arboré. Un solarium aux baies vitrées gigantesques y est accolé. Les garages et la terrasse de stationnement servent de toiture et de portail d’accès. Un escalier d’extérieur et un ascenseur intérieur permettent d'accéder aux différents paliers. Architecture impressionnante certes, mais un peu trop tape à l’œil à mon goût.
    Après le pantagruélique petit-déjeuner, servi par un personnel à la discrétion et à la tenue irréprochables, Madame nous fait visiter son palais. Sept chambres, trois salles de bains, un immense salon luxueux digne de ceux des yachts qui hantent le port de Monaco, une cuisine tout équipée et une salle de sport hallucinante. La silhouette de la propriétaire des lieux en fait dignement la publicité. Désabusée, j'apprends que la villa ne leur sert de résidence qu’occasionnellement. Le reste du temps ce lieu enchanteur est désert comme c’est le cas pour la plupart des splendides résidences voisines. Quel gâchis.
    Un déjeuner avait été prévu à treize heures sur Monaco avec nos hôtes et plusieurs de leurs invités. Heureusement Ash m’avait prévenu et ma garde-robe se prête à ce déploiement d’équipages et fanfreluches. Dès mon entrée dans le restaurant je me suis aperçue que celui-ci exhalait les fragrances chics du fric, ce que je déteste par-dessus tout. Bébé y semble à l'aise, mais je ne peux lui en vouloir, ses parents gravitent dans ce genre de milieu. Du moment que vous avez des vêtements griffés sur le dos, le reste est quantité négligeable n’est-il pas? L’ensemble Burberry que Bébé m'a offert l'an dernier fait parfaitement illusion une fois agrémenté de colifichets de pacotille. Dois-je préciser que le coiffeur personnel de notre hôtesse m’a conseillé avec tact d’adopter une coupe à la garçonne. Cela me rendrait une personnalité a-t-il dit. Du coup, j’ai laissé ma magnifique tignasse faire de moi ce qu’elle désirait et mon reflet dans le miroir m’a prouvé que ma personnalité n’a rien à envier à … ces gens sont sophistiqués, spécieux serait un terme plus exact.
    Audrey, vingt-trois ans, la fille de nos hôtes a fait attendre tout le monde pour finalement ne pas nous rejoindre. Du laisser aller dans l'éducation, des paires de claques qui se sont perdues dirait ma Pat. Ah c’est certain, de son temps on ne plaisantait pas avec le respect et personne n’en est mort.
    Monaco et son rocher. Pourquoi nomme-t-on la principauté ainsi? Comme beaucoup de gens je me le demande. Le béton recouvre tout, ce ne sont que constructions en cours, des immeubles d'appartements luxueux, des bureaux grand standing et des hôtels de prestige. Quant à la tour Odéon qui abritera dit-on l'appartement le plus cher du monde, c’est un édifice bâti si haut en plein centre que l'on ne voit plus que ce bleu hideux à des kilomètres à la ronde avant d'arriver au cœur de la principauté. Disgracieux.
    Ash est d'accord avec moi, ici tout est démesuré sur un espace réduit.
    J’ai adoré suivre des yeux les mémères en tailleur Chanel. Elles se baladent avec leur toutou de poche toiletté, greffé à leur avant-bras. Ces dames déambulent le nez pincé comme si le reste du monde sentait l’excrément frais. Cela prête à sourire sur le moment, mais ensuite l’on se dit que … Ash et moi avons délaissé nos hôtes sitôt le repas terminé pour une promenade en amoureux, direction La Turbie et son trophée d’Auguste. Époustouflant, d’en bas l’on dirait que ce village flotte dans le ciel. Certes c’était brumeux de chez novembre, mais cela valait le déplacement. Retour précipité au repaire de l’aigle, il était prévu qu’Ash doive s’entretenir professionnellement avec son maître de formation avant le raout.
    Pendant ce temps, je me suis apprêtée pour la réception. Peu motivée, je dois dire, mon seul intérêt pour cette sauterie est le respect que je dois à Bébé et lorsque celui-ci regagne notre chambre je suis coiffée, maquillée et j’exhibe une parure de bijoux tout à fait acceptable pour ce genre de manifestation. Bref, je suis harnachée comme une jument de concours. Il ne me reste plus qu'à passer la robe. Il est bien temps car Bébé m’ayant surpris avec seulement un petit bout de tissu rose sur les fesses, son regard commence à se faire égrillard. Je me suis empressée de me glisser dans le fourreau noir de ma tenue de soirée. Le tissu épouse harmonieusement mes formes et apparemment cela aussi fait grand effet à Ash.
    - Tu es la tentation faite corps! Me dit-il. Il ne me l'avait encore jamais sortie celle-là.
    - Désolé, Bébé, une fois le zip remonté l’on ne touche plus à rien! Ash à vraiment l’air déçu.
    - Petite allumeuse! Au risque de me décoiffer, il lance un coussin dans ma direction puis disparaît dans la salle de bains. Lorsqu’il réapparaît, une serviette de toilette à la main, Mon Fripon est encore dégoulinant de la tignasse aux pieds, nu comme au jour de sa naissance. Soudain j'ai très chaud. En me narguant du regard, il finit de se sécher lentement. Le coup du strip-tease à l’envers c’est moi qui l’ai inventé, mais lui également le maitrise à la perfection. Il passe une chemise, la laissant intentionnellement ouverte sur son torse. Il met un temps infini à trouver son boxer, qui soit dit en passant se trouve à portée de main. Ses fesses sublimes me … lorsqu’il se décide enfin à s’habiller correctement, je suis à deux doigts de lui sauter dessus, de plonger mes doigts dans sa tignasse humide, d’ajuster mon corps au sien et de dévorer ses lèvres des miennes.
    C’est main dans la main que nous rejoignons les invités de nos hôtes. Bébé tente de me rassurer, mais j’essaie tout de même de me faire la plus discrète possible C’est sans compter avec Henry qui s’est adapté au tempérament méditerranéen, avec lui impossible d’échapper aux présentations en mode haut-parleur. J'évite de m'écouter répondre aux personnes qui me saluent, j’orne mes lèvres d’un beau sourire et advienne que pourra. Les gens sont bien élevés, aucune question ne m’est posée. Encore mieux, ils m’ignorent.
    Boissons alcoolisées, nœuds papillon, musique d’ambiance, négociations imminentes, bijoux diamantés sortis hors du coffre pour l’occasion, jeunes et moins jeunes loups aux dents longues, apartés médisantes, femmes cougars à l’affût, vin de champagne, traiteur de renom, buffet gastronomique et astronomique que les invités délaissent pour le moment.
    Bonne Mère comme je m’ennuie déjà. Un verre à la main, éparpillés en groupes de cinq ou six personnes, tous ces gens déambulent entre le salon, le solarium et près de la piscine. Les discussions tournent surtout autour de l'actualité et bien évidemment leur sacro-sainte justice revient sur toutes les lèvres. Ce que j'entends par bribes m’indiffère. Les dernières nouveautés sur Monaco sont les banalités auxquelles s'intéressent ces dames et définitivement pas ma tasse de thé. Pour ne pas mettre Bébé dans l’embarras je le suis comme son ombre afin de ne pas commettre d’impairs. J’écoute sans grande conviction. La justice, il vaut mieux ne pas m'entraîner sur ce terrain. La politique, je m’en moque. La police, avec ça non plus il ne faut pas me chercher. Quant au prix d’un sac Gucci, au gain faramineux qu’a encaissé Madame De M. vendredi passé au casino ou leur croisière prévue en Décembre, je m’en … arrive le moment où leur suffisance me démoralise totalement. Ma présence n'étant plus vraiment indispensable à Ash ou plutôt, estimant avoir fait mon devoir depuis suffisamment longtemps, je décide donc de me mettre un peu à l'écart de ces agapes mi-professionnelles, mi-festives pour méditer sur l’ostentation de confiance en soi, l’inconsistance et la futilité qui animent tout ce beau monde. Je me suis posée en fond de terrasse, tout près des palmiers en pot. D’ailleurs, de là où je suis j'aperçois mon irrésistible Pain d’Épices. Sa pose est décontractée et cela me fait sourire malgré moi. Il en faudrait bien plus à Ash pour être impressionné par cette assemblée-ci. Les réceptions qu’organise Madam’ sa mère sont autrement plus spectaculaire, ne serait-ce que par la présence de certains des hôtes prestigieux qui y sont invités. Or donc Bébé est en grande discussion avec deux jeunes messieurs chaperonnés par des femelles gloussantes d’un âge … incertain, termes peu délicats pour décrire ces dames mais forts réalistes. Toutes quatre sont vêtues de robes de cocktail glamour ce qui les rend ridicules si l’on en croit la date de péremption qu’affiche leur visage malgré les séances botox qu’elles doivent lui infliger régulièrement. Je suis critique, odieuse même, toutefois ce n’est pas la jalousie qui me mord, ni l’envie qui m’anime, c’est juste que je ne suis pas de celles qui applaudissent lorsque les membres du cercle se réunissent. La plupart des égéries frivoles et évaporées qui gravitent autour de ces messieurs ne respire que pour puiser dans le portefeuille du conjoint ou de l’amant. Ce qui me fait dire que les deux hommes avec lesquels s’entretient Ash doivent être très généreux pour susciter autant d'intérêt. Heureusement, la parité n’est pas respectée dans cette belle assemblée, cela m’aurait ennuyée de devoir jouer de persiflage envers les consœurs de Bébé. Cette soirée est apparemment dédiée à la virilité, au masculin reproducteur, à la misogynie. Je dois être la seule à avoir compris que le club dentelles n’est présent que pour embellir la place.
    Bébé n’est pas de la même mouture que ces gens, certes il possède ses aspects sombres, mais l’arrogance et la présomption n’en font pas partie. Il sait qu’il n’a rien à attendre de ce bestiaire, qu’il n’a aucun besoin de se vendre dans ces réunions, mais que malheureusement il doit en passer par là pour se faire une notoriété, pour renvoyer l’ascenseur à son directeur de stage en lui fournissant un répertoire up-to-date.
    La hauteur de talon de mes escarpins est pourtant raisonnable, mais la douleur qui exacerbe mes chevilles et mes lombaires commencent à me faire grimacer. Ce n’est pas bon signe et pourquoi me plaindre, séance après séance ma kinésithérapeute me déconseille ce genre de chaussures. Finalement je vais m’installer sur un transat et, histoire de faire comprendre à mes pieds que je les aime, j’ôte leurs tortionnaires vernis. Je décide de fermer les yeux quelques minutes et évidemment je m’assoupie. Je sursaute en les rouvrant et je me rends compte que le buffet est pris d’assaut. Il n’y a plus personne alentours sauf Ash qui me cherche du regard espérant m’apercevoir parmi les convives affamés. En se retournant il me découvre assise sur le transat et semble soulagé. Un affreux rictus de douleur orne mes lèvres lorsque je rechausse mes escarpins. Ash vient à ma rencontre, je me lève pour le rejoindre.
    - Venez vous joindre à nous monsieur! Nous avons cru remarquer que vous étiez seul!
    Manque de bol évident, Ash vient de se faire alpaguer par Audrey la fille de la maison. Elle est entourée de sa petite cour qui caquète et froufroute à tout vat. D’un sourire poli Ash décline l’invitation et avance d’un pas. Les demoiselles un instant désappointées se reprennent rapidement et reviennent à la charge.
    – Nous sommes trop nombreuses, cela vous effraie peut-être? Allez venez, l’on ne vous dévorera pas!
    Plus que l’insistance d’Audrey, c’est la façon inconvenante dont elle s’empare de son bras pour l’entrainer à sa suite qui fait réagir Ash. Sans brutalité, celui-ci retire la main d’Audrey de son bras puis lui faisant face il la fixe du regard. Ses yeux expriment mépris et indulgence en même temps. Dans bon nombre de ses plaidoiries, c’est ce regard dont il a le secret qui fait toute la différence.
    - Il en faut plus pour m’alarmer mademoiselle! Contrairement à ce que vous imaginez, je ne suis pas seul et j’étais à la recherche de ma compagne! Il laisse aux pimbêches le temps d’intégrer l’information dans leur cervelle de moineau puis il les achève en les dévisageant l’une après l’autre.
    - Je venais juste de l’apercevoir lorsque vous m’avez intercepté! M’autorisez-vous à la rejoindre à présent?
    Et sans attendre de réponse, Bébé se dirige vers moi. J’étais comme suspendue dans le temps.
    - Encore un toutou qui entretient l'une des rombières que ton père convie à ses soirées! Gracieuse et délicate n’est-il pas? La grossière amie d’Audrey ne s’est pas rendue compte qu’elle avait parlé à haute voix.
    Ni Ash ni moi ne relevons la pique, mais j’ai eu grand-peine à me retenir de tirer la langue à Audrey en passant près d’elle. Oui cela aurait été puéril, je l’admets. L’air condescendant qu’a pris Bébé, son bras étreignant ma taille lorsque nous les avons dépassés, leur a été plus cruel qu’une réflexion bien sentie.
    Ceci dit, l’amie d’Audrey a confirmé sans le vouloir ce que m’a laissé entendre Bébé il y a peu, à savoir qu’Henry a recours ce qu’Ash nomme pudiquement des ladies of evening afin de chaperonner les messieurs esseulés qui participent à ses soirées. Belle mentalité.
    Ma soirée n’a pas été perdue, j’ai fait la connaissance d’une thérapeute en institut privé qui reçoit dans le cadre de sa profession des personnes aussi démolies que je le suis. Tous comme ceux de Nadège, ses propos m’ont été très réconfortants. La culpabilité à ne pas me remettre rapidement de ce que j’ai subi durant trois longues années que l’on me fait ressentir parfois, n’a pas lieu d’être. J’ai du mal à passer à autre chose oui, mais certaines femmes ne s'en relèvent jamais, beaucoup retournent avec leur bourreau et il arrive que quelques-unes mettent fin à leur jour. Selon cette personne, il y aurait des solutions, mais un manque d'ambitions, de moyens et de bonne volonté bloque toutes les améliorations que l’on pourrait apporter au système. Et le pire serait les condamnations rarement appliquées jusqu'à leur terme et souvent minimes en proportion des préjudices irréparables occasionnés. Rien de vraiment nouveau à l’ouest.
    Nous avons regagné tardivement notre chambre pour nous écrouler comme un château de cartes par grand vent. Après avoir jeté mes chaussures dans la poubelle, avoir ôté mon fourreau, le minuscule bout de dentelles rose qui me sert de chemise de nuit laisse Bébé de glace. À peine sa tête touche l’oreiller qu’il se retrouve dans les bras de Morphée, et à peine la mienne calée contre son épaule que le monde cesse d’exister pour moi. Pour ce qui est du réveil c’est autre chose. J'adore ces instants sauvages où l’on ne pense qu'à nos envies, sans besoin de passer un temps infini en préliminaires. Le démon du sexe nous habite, je me laisse culbuter avec rudesse par mon fauve sensuel et lubrique. Efficace. Une bonne douche, un dernier coup d’œil à la vue, un bref petit-déjeuner et nous avons pris la route en fin de matinée après avoir remercié nos hôtes. Oups mes escarpins j’ai failli les oublier. Ash s’est promis d’en rester là, il ne renouvellera pas l’expérience car il n’y a rien à attendre suite à ce genre de soirée.
    Retour à la Petite Paix en mode flânerie, l’étoile filante émet des râles de désespoir…

    LoNG eST Le CHeMiN… 12 Novembre 2016

    ...Avec lui j’ai appris à distinguer la différence entre un coup de cœur et l’amour véritable!
    Tendresse, empathie et présence. Aucun émoi ne me submerge quant aux tendres sentiments que dit me porter Bébé. Son dévouement est total. Les battements de son cœur me sont dédiés jour après jour me déclare-t-il plusieurs fois l’an. Au lieu de me réconforter cet aveu me trouble profondément et c’est pour cela que je me défends de lui avouer l’affection que je lui porte. Je refuse de m’impliquer dans notre relation. Le considérer comme mon prince vaillant me suffit amplement. L’épisode Gärtner, un voyage en utopie au cours duquel je me suis perdue durant trois années m’empêche de me faire confiance. Trois est mon chiffre porte malheur. Trois années de lutte désespérée à combattre la stupidité de la marâtre, trois années passées en meurtrissures et humiliations diverses, trois années à parcourir les rues au hasard, trois années de cocon douillet que j’ai réduit à néant pour en passer trois autres en chimères avilissantes. Je suis effrayée à l’idée de refaire les mêmes bêtises car il m’arrive encore d’agir et de réfléchir ensuite. Mon cœur vient tout juste d’arrêter de saigner, alors je me refuse à faire du mal à Bébé une fois encore. Il est le meilleur de ce qui a pu m’arriver jusqu’à présent. J’admets l’idéaliser dans beaucoup de mes chapitres, mais je le sais homme aussi. Il me rudoie verbalement les jours où je pars en vrille, il me gave avec ses lois de la spiritualité, en fait ce qui m’énerve surtout c’est qu’il a probablement raison. Son sempiternel ’’la vie est trop courte pour n’être autre chose qu’heureuse, ne t’attardes plus sur ce qui a été ou ce qui aurait pu être, ton positif est ici et maintenant’’ me rend folle. Mon visage séraphique dissimule parfois la noirceur de mes pensées et ces jours-là Ash lâche prise. Il compose avec ma douloureuse palingénésie et lorsque la pression se fait trop forte il me laisse m’abandonner à ma paranoïa, quitte à revenir à la charge une fois que la crise est passée. Question existentielle s’il en est une, pour moi évidemment, n'est-ce pas uniquement l'alchimie de nos corps qui nous poussent l'un vers l'autre? D’après Ash, non.
    En ce qui me concerne, j’appréhende de découvrir un jour qu’être la compagne de Bébé n’est pour moi qu’une question d’habitude. Depuis qu’il m’a pris sous son aile je joue au yoyo des sentiments. Rien à voir avec une grande passion, c’est l’attention qu’il me porte qui me fait devenir meilleure, qui me fait de plus en plus l’apprécier. Je ne sais pas si je dois lui en être seulement reconnaissante ou m’abandonner aux affres de l’hyménée. Petit aparté avec moi-même, tu te voiles la face Mylhenn.
    C’est ce que m’aurait dit Maë Lynette qui me connaissait mieux que je ne me connais moi-même.
    Pourquoi me précipiter tête première, cela m’est arrivé une fois et cela ne m’a pas vraiment réussi. Je suis consciente de ressentir plus qu’une inclination envers Ash, ce n’est pas insignifiant si ma main recherche la sienne lorsque nous jouons aux touristes. Ça n’est pas broutille si je crains ses absences prolongées et ce n’est pas par frivolité que nous partageons le même lit. Il est vrai que dans sa généreuse miséricorde la Bonne Mère m’a accordé un esprit de corps joyeux si j’ose l’exprimer ainsi, mais cela ne fait pas tout. Alors je tente encore et encore de me persuader que Cupidon a joué de ses flèches magiques dans notre direction pour que cinq ans après notre rencontre Bébé et moi soyons toujours ensemble. Je dois aussi admettre que l’amour que je porte à Bébé est un hurlement du genre aide-moi à résister, aide-moi à en baver, aide-moi à endurer, souffre pour moi. J’en arrive à croire qu’Ash est l’unique, le seul qui m’est destiné, le seul en mesure de me remodeler à mon image. En sa compagnie je n’ai besoin que de lectures et d’écriture en mode équilibre apaisé. La jalousie ne m’a jamais vraiment mordu car je ne suis pas inquiète des fréquentations d’Ash. Je serais peut-être un peu moins catégorique sur le sujet au fil du temps.
    Les réunions détente du Maharajah ne sont pas de l’ordre de l’extravagant. Il s’entretient dans un club de sports, mixte. Il se rend au centre de tir lors de son parcours professionnel à Londres et une à deux fois par mois il s’abandonne aux jeux. Poker et jeux vidéo en compagnie de ses collègues proches. À vrai dire je m’en soucie peu car je sais qu’il me respecte.
    Les câlins passionnés, son affection ardente et sa tendresse voluptueuse me sont réservés. Tout est négociable entre nous. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il se priverait totalement de soirées d’exception rien que pour le plaisir de m’ôter ma petite culotte, mais cela lui est arrivé une fois ou deux. Il n’a jamais été déçu … moi non plus. L'on dit que le sexe est le ciment d'une relation et son baromètre aussi. Si je m'en réfère à cela, nous sommes un couple. J'aime le sexe tendre et affectueux, toutefois lorsque mon corps le veut bien, les chevauchées fantastiques sont un must que nous nous accordons. Je ne pense pas être une personne épouvantablement obscène si j’admets apprécier les folies coquines. Toutefois nous sommes conscients l’un et l’autre qu’un lit n’est pas le fondamental de la sexualité d’un couple. Ash maîtrise le concept du grand méchant loup à la perfection et j’adore. C’est révélé au grand jour, je suis une dévergondée, j’assume.
    Le jour où nous avons mis les choses à plat, il a reconnu avoir eu une liaison ou deux lors de notre séparation. Et que, s’il n’avait pas trouvé chaussure à son pied, c’était uniquement parce que ses conquêtes étaient par trop académiques sous la couette. C’est moi qui ai rapidement clos le débat car je me sens encore fautive d’avoir gâché à l’époque notre relation pour un conte de fées sulfureux.
    Il existe différentes façons d'aimer, Ash et moi les expérimentons jour après jour. Je ne parle pas de sexe, mais simplement de tendresse, de douceur et d’affection. Alors oui, l'amour est à ma portée.
    Ma raison se restaure peu à peu, mais mes synapses ont encore des ratés de transmission, ça me rend incapable de renvoyer à Bébé ce don d’amour qu’il me procure depuis que notre couple s’est reconstitué.
    Selon Ash je n’ai pas à me sentir coupable de ne pas répondre à ses sentiments avec autant d’intensité que ceux qu’il me porte. Il m’a expliqué que dans la culture Indienne, l’amour ne nait pas à partir d’un penchant et d’un désir unis à la possession et au plaisir. Tous les êtres ont le droit d’avoir et de donner de manières différentes. L’amour est amour, il n’attend pas, ne souffre pas, il ne donne ni ne reçoit, il accepte seulement sans se défendre, le couple est considéré comme un grand arbre qui vit des millions d’années, l’amour étant sa racine éternelle. Respect de l’autre et dévotion en sont les maîtres guides.
    Ash m’apaise de sa présence autant spirituelle que physique. Dévouement ne veut pas dire servilité…

    CHeVauCHeR DeS DRaGoNS… 14 novembre 2016

    …Écrire me libère des colères qui me bouffent. J’appréhende mes futures résurgences!
    Par le passé seuls mes hurlements réussissaient à m’apaiser, à présent je n'entre plus que très rarement dans un jeu de décibels où celui qui crie le plus fort clôt le conflit.
    Christian m’avait parfaitement dressée, à son contact j’ai couvé mon agressivité comme une poule ses œufs, jalousement. J’attendais de la voir éclore, mais jamais je n’ai pu l’exprimer face à lui. Un gant de toilette oublié dans la cabine de douche ou une petite cuillère laissée dans de le bac de l'évier en attendant la vaisselle du soir me valaient … ce que je méritais me disait mon cher Cricket. Mes émotions ont été reconditionnées par le harcèlement continuel que je subissais dans mon propre foyer. Lorsque j’ai recouvré ma liberté, je me suis transformée en une guerrière qui ravageait tout sur son passage. J’usais de violence verbale pour me faire entendre et malgré mon gabarit poids plume je cherchais la bagarre sous n’importe quel prétexte. Je tentais désespérément de noyer ma détresse en me vengeant sur quiconque osait me contredire, faisant l’impasse sur le fait que les personnes que j’agressais n’étaient pas celles qui m’avaient cruellement blessé. Si j’ai échappé au pire c’est grâce à Ash, sans lui ma personnalité se serait lentement désagrégée pour n’être plus que le fantôme de moi-même.
    Ces mois que je croyais perdus à me chercher dans une relation virtuelle nauséabonde m’ont finalement offert un présent auquel je ne m’attendais pas, ils m’ont permis de m’initier à la narration. Je ne peux le nier, à l’époque la vulgarité de mes textes était ce qui me caractérisait le plus, mais je dois reconnaitre que c’est en partie grâce à eux si j’ai évolué. Je me faisais pitié en les relisant et j’en avais d’autant plus honte que l’on m’encourageait à leur écriture en me faisant croire qu’ils remportaient un certain succès. J’ai accepté les flatteries un temps puis j’ai réalisé que je me discréditais avec ces publications malsaines. Quand mon rédigé est devenu correct, je veux dire sans obscénités redondantes, j’ai perdu une bonne partie de mes lecteurs. J’en ai été très heureuse. Ash disais-je donc, est l’homme le plus patient que je connaisse. Surtout avec moi. Les jours où j’atteins Scylla pour rebondir auprès de Charybde, d’un regard il me fait comprendre que si je lui cherche querelle, ses réponses resteront silencieuses. Il joue assez bien le rôle du nigaud taciturne. N’ayant donc aucune raison de lâcher ma colère et mes excès de fureur contre lui, je redescends assez rapidement. Et je me sens si bête ensuite que je suis obligée de faire des efforts afin de ne plus céder à mes impulsions. Rien ne vaut les bras et le sourire de mon chéri pour me réconcilier avec … l’humanité.
    J’ignore ce que l’avenir nous réserve, Ash et moi n'élaborons pas de projets pharaoniques. Nous ne nous imposons rien, pour l’instant l’épanouissement de notre relation nous suffit. Je reconnais que je suis attachée à notre mode de vie bien plus que je ne l’exprime. J'accepte aussi les parts d'ombre de Bébé. On ne naît ni ne grandit pas dans un pays dans lequel la vie de ses habitants est régie par des castes hiérarchisées sans en garder des séquelles. Le gosse des rues qu’il était a pris une belle revanche sur ses origines et il en remercie fréquemment ses parents adoptifs. Ses frères manifestent la même reconnaissance envers Dorothy et Philip. Ceci dit, la fratrie repousse parfois des douleurs de résurgences et pourtant très jeune lorsqu’il a quitté son pays natal, Sodishan lui, a dû recevoir des soins pour surmonter des troubles de la mélancolie. Chacun chevauche et dompte son mauvais ange comme il le peut.
    Ash et moi sommes sereins. Nous ne nous sentons pas concernés par le triptyque union, bien immobilier et descendance. L'un de ses collègues a fait une dépression à l'approche de son mariage, il faut le faire tout de même. Si je suis sûre d’une chose, c’est bien que Bébé ne se prendra jamais la tête pour une cérémonie qui n’est en fait qu’une façon officielle de se conformer aux codes sociaux. J’ai déjà donné dans le mariage et cela a été la pire expérience de ma vie, j'ai été vraiment amoureuse et j’ai failli en mourir. J’en suis encore tellement traumatisée que je refuse catégoriquement … de l’envisager. Je dis ça, mais parfois l'idée du sacrement effleure Ash, elle se fait diablement insistante à mon goût surtout après un câlin … très câlin. Ash n’appréhendera pas de me passer la bague au doigt c’est le moins que je puisse dire, cependant, lorsque la tentation se fait trop forte je lui rappelle que son parcours professionnel doit arriver à son terme avant de commettre une telle folie. À l’heure d’aujourd’hui il m’arrive encore de me persuader de porter malheur à ceux qui m’approchent. Je suis consciente que le jour viendra où Bébé désirera plus que tout au monde le fichu pack mariage, foyer, bébé. Je ne veux pas y penser. Surtout parce que je crois que je ne serais pas une bonne mère. Maman et surtout monsieur J. n’étaient pas des exemples à suivre selon ma grand-mère. J’idolâtrais maman alors je n’ai jamais posé de question à Maë Lynette lorsque j’ai été en âge de comprendre. Patricia assume parfois le rôle de maman en intérim, mais elle a bien assez à faire avec un Marcel alcoolique qui fait ses dévotions à toutes les chapelles et rentre ensuite dans un état minable. Je n’ose pas trop en dire, mais je la sens parfois au bord du geste déraisonnable et je reconnais que je suis inquiète lorsque je la vois le regard perdu. Elle me rappelle quelqu’un … moi quand l’envie me prenait d’utiliser l’arme de service de Christian pour me libérer.
    Ce qui me fait dire que je ne serais pas une bonne mère est encore plus cruel que ce que je laisse entendre.
    Je m’explose la cervelle à m’en rendre délirante lorsque je songe à cette infirmité que m’a offert mon ex-mari en cadeau d’adieu. Pour moi le fait de ne pas pouvoir donner la vie est le pire des handicaps. Ma voix de crécelles ou la spondylarthrite qui me dévore ne m’inspirent que consternation, voire éventuellement de l’aversion, ne pas être en mesure de donner à Ash un enfant issu de notre chair et sang m’est un véritable crève-cœur. Pour lui enfant adopté tout est si simple, il m’a promis que nous gèrerons ceci le moment venu. En fait ma plus grande crainte est de ne pas pouvoir aimer l’enfant d’une autre, voilà c’est dit. Pour l’instant, grâce à ce compagnon qui m’est tombé du ciel au bon moment, j’expérimente la confiance en l’avenir. Évoquer le vieillir ensemble serait trop prématuré.
    Lui et moi sommes souvent éloignés l'un de l'autre, mais nous nous accordons des parts de bonheur réussies. J’ai besoin de cette indépendance pour reconstruire tout ce qui est cassé en moi. Et ce n’est pas gagné, je doute encore d’être celle qu’il lui faut pour le soutenir lors des subits de sa fonction. En voyant les jeunes femmes qui guignaient sur sa personne le week-end dernier, je me suis posée la question, se pourrait-il qu’un jour il ait honte de moi? Pour l’instant mon cœur me dit que non, mon esprit … délibère.
    Ash est mon meilleur ami, mon compagnon, mon amant, le Bébé à sa Chouquette. Love is in the air…

    Le CHaNT Du BouRDoN… 17 Novembre 2016

    …Ça y est le blues m’a rattrapé. Je brûle mon énergie en un combat perdu d’avance!
    Je suis à nouveau alitée. Ma tension s’emballe et le tison qui embrase chacune de mes articulations me rend exécrable. Un incendie, des coups de poignard, des morsures, je ne sais plus à quels saints me vouer. Le médecin est à deux doigts de me faire hospitaliser et cela n’arrange en rien mes affaires car Ash va en profiter pour m’expédier aux Aspidies si cela ne se calme pas. De mi-novembre à mi-décembre les vacations de Bébé étant de trois semaines, il refusera tout net que je reste seule si je suis en crise. Je dispose des services d’une infirmière à domicile, d’une auxiliaire de vie compétente et de deux kinésithérapeutes, mais monsieur ne veut pas le savoir. Direction le château de sa mère et aucune discussion ne sera possible.
    Je m’ennuie. J’aime zapper, mais les programmes sont d’une telle nullité que cela me donne le bourdon. Les actualités peu réjouissantes, les films aux innombrables rediffusions et les documentaires animaliers me sortent par les yeux. Dorothy dirait que je me distrais à la culture du peuple. Cela n'engage qu'elle, Madam’ est parfois très méprisante et … vaste sujet hors propos. Entre une énième diffusion de Friends et un replay sur l’élection présidentielle controversée qui a sonné le monde entier, je reprends certains de mes écrits. En fait je cherche la meilleure façon de composer ce chapitre sans barber ceux qui le liront.
    Depuis qu’il m’est plus facile d’étudier et de composer, je me suis rendue compte que d’écrire de petits paragraphes chaque jour m’aide à me remettre en selle. Mes progrès ne sont pas pharaoniques et avec le mal de tête qui m’assomme pour l’instant ce sera vraiment le maximum que je puisse faire.
    Nadège me le répète souvent, je dois affronter et non pas me taire la vérité, mais comment trouver les bons mots pour me raconter, il y a quelques années l’on m’a tellement décrié lorsque je me suis livrée sur mon blog que maintenant j’ai du mal à me confier, cependant en considérant mes rédigés comme une thérapie, mes efforts devraient être récompensés. Je me lance, ce sont mes maux qui parlent pour moi.
    J’évolue, je progresse, je chute, je rechute, je me dépasse, je stagne et … je n’accepte toujours pas ce qui m’a presque détruite. Les cicatrices qui déchirent ma peau me rappelleront tout au long de ma vie ce par quoi je suis passée alors pourquoi vouloir en scarifier aussi ma mémoire. Comme beaucoup de femmes qui ont été massacrées par leur compagnon, j’ai vraiment aimé mon bourreau.
    Je sais que ce n’est pas une excuse, je ne m’en trouve pas d’ailleurs. Mon instinct de survie n’était pas assez puissant pour lutter contre l’emprise dans laquelle me maintenait Christian. Ma seule volonté était de vouloir le changer lui et je faisais l’impasse sur les ecchymoses, les cicatrices et le harcèlement morale quotidien qu’il me faisait subir. Il y a peu, grâce à Nadège j’ai enfin pris conscience que personne ne peut se donner le droit de me juger sur la détresse récurrente qui me broie. Personne n’a la totalité des cartes en main pour le faire car pour l’instant je n’ai exprimé que le moins douloureux. Avoir côtoyé l’horreur peut se gérer, je le sais j’essaie de toutes mes forces. Tout est question de temps maintenant.
    Il m'a fallu un courage indicible pour qu’à nouveau je puisse écouter l'adagio d'Albinoni. J’en frissonne encore. En séance, la première fois où les mots sont parvenus à franchir mes lèvres, l’atroce rappel de mon passé a troublé ma thérapeute pourtant aguerrie. Cricket avait une idée bien définie d’une punition. Un champion de la mise en scène cet homme. Lorsqu’il estimait -souvent- que j’avais mérité une correction, il camouflait mes cris aux voisins en augmentant le volume de la hifi. Aucun d’eux ne s’est jamais plaint du bruit, tous fermaient les yeux refusant de voir mes meurtrissures le lendemain. Dès les premiers accords, Christian me distribuait coups de pied et coups de poings avec largesse. Il m’insultait ignominieusement et s’évertuait à me convaincre que je n’étais qu’une bonne à rien. Une merde disait-il crûment. Je me suis repliée sur moi-même, mon esprit se rétrécissant jusqu’à disparaître, mauvaise à tout, stérile et vierge de toute culture. Criquet me maintenait dans une bulle sulfureuse dans laquelle j’étais contaminée à la violence.
    Parfois il se disait fatigué de toujours devoir me rappeler où était ma place, le réfrigérant prenait la relève. Je n’y reviendrais pas. Son père l’a surpris lors de l’une de ses expériences à me transformer en glaçon, c’est la seule et unique fois ou j’ai vu le bonhomme. Au jour d’aujourd’hui personne ne sait ce qu’il est devenu.
    Sans un mot il m’avait enveloppé dans une polaire, le regard qu’il avait lancé à son fils était celui d’un dément. Ce n’est pas pour autant qu’il m’a accompagné aux urgences ou à la gendarmerie. Un lâche de plus. Je crois tout simplement qu’il avait un sacré contentieux avec mon ex-mari.
    Si je me permets d’évoquer certaines des maltraitances que j'ai subies, ce n’est en rien pour me faire plaindre, je démontre juste que le corps humain a une capacité incroyable à résister. Le dressage terminé je prenais une douche, effaçant ainsi le sang et les larmes. Je passais un T-shirt large et je me couchais en chien de fusil des fois que l'envie lui reprenne de s'acharner à nouveau.
    Christian cherchait à me convaincre que j’étais la salope qui méritait d’être battue, pour cela il m’offrait des tenues vulgaires et de la lingerie que je nommerais pudiquement professionnelle. Il ne me manifestait aucun respect en fait et je ne lui montrais aucune réticence à passer ces horribles dentelles car dans ces moments-là il était doux, attentionné, câlin, celui que j’aimais de tout mon cœur. J’étais sa merveille me disait-il. En y réfléchissant je crois me souvenir que les préliminaires me coûtaient ma livre de chair, mais je ne me sentais pas vraiment agressée. Si ma survie dépendait d'une fellation, d'un missionnaire ou d'une levrette, je n’avais pas le droit de refuser, ni le temps de la réflexion. Ce n’est que récemment que j’ai pris conscience que ce n’était ni plus ni moins que du viol conjugal que je subissais. Tant bien que mal j’essaie de tirer un trait sur ma déchéance passée, mais les traumatismes sont bien là, ancrés au tréfond de mon être.
    Christian m'exposait aux regards de ses collègues, puis il me battait comme plâtre parce que je les avais soi-disant aguichés. Ses poings allaient à la rencontre de mes omoplates pour un repas qu’il me disait immangeable. Ses pieds chaussés de brodequins heurtaient inopinément mes chevilles pour une teinturerie oubliée. Sa ceinture me flagellait régulièrement chaque fois qu’il me surprenait à lire. Dans ces moments-là il me semblait que les membres de mon cher époux étaient indépendants du reste de son corps. Il me soulevait de terre par les cheveux, il frappait mes reins du genou et pour le fun il m’obligeait à lui demander pardon. De quoi Bonne Mère me suis-je souvent demandée? Bon nombre de fois l’on m’a dénigré parce que je n’avais pas fui cet enfer, ce n’était tout simplement pas envisageable. J’admets avoir tenté l’aventure, une unique fois, je ne narrerai pas comment cela s’est terminé, je n’en ai retenu qu’une constatation douloureuse, que vaut une injonction d'éloignement contre une arme chargée? Si tu pars une nouvelle fois, j’explose ta belle petite gueule m’a-t-il dit, c’était très dissuasif. Il en était capable, je suis persuadée qu’il l’aurait fait. Je le savais assez malin pour ne pas en être inquiétée, alors j’ai rampé pour survivre.
    Au fil du temps Christian était devenu extrêmement prudent.
    Surtout depuis le soir où j'avais fait tomber sa chemise en la repassant. Il s'était aussitôt emparé du fer et … c’est lui qui a expliqué à l'urgentiste comment le fer à repasser avait atterri sur mon omoplate. Comment il se faisait qu’une telle brûlure ornait ma chair. Des lambeaux de chemisier souillaient la plaie, l’interne qui m’a pris en charge n’a rien soupçonné. Christian était très bon comédien.
    - Ma puce est tellement maladroite, la douleur l’a tétanisé et, oh c’est horrible, j’aurais dû réagir plus rapidement! Ce salaud avait les larmes aux yeux en s’enfonçant dans sa vérité. Le pire c’est qu’on l’a cru.
    Tremblante, des larmes de douleur coulaient sur mes joues, pâle à faire peur, un tissu éponge mouillé sur la plaie, je suis arrivée complètement défaite au sas des U. Personne ne s'est posé la question de savoir pourquoi ce n'était pas les pompiers qui m'avaient prise en charge. Il aurait fallu me mettre immédiatement sous perfusion afin d’éviter l’infection, mais non personne n’a capté. Il faut dire que j’ai été très convaincante en expliquant que je m'étais penchée pour ramasser une serviette, que ma tête avait heurté la table à repasser en me relevant, déstabilisant ainsi le fer qui s'est abattu sur mon omoplate. La douleur m’a paralysé et ensuite … conclusion, accident domestique. L'infirmière présente semblait avoir des doutes car elle m’observait fixement. J’étais au bord de l'évanouissement, les yeux noyés et totalement chocolat à cause de l’anti douleur que l’on venait de m’injecter. Christian avait l’air tellement inquiet pour moi qu’elle n'a pas insisté, pas posé de questions. Qu’aurais-je dit? Que c’était mon mari, se délectant de mes hurlements, qui avait maintenu quelques secondes, une éternité, le fer brûlant sur mon épaule.
    Perfusion d'antibiotiques et d’antidouleur, vingt-quatre heures de surveillance en ambulatoire et suivi à domicile pendant six jours. L’infirmière à domicile me disait que j’avais de la chance d’avoir un mari aussi attentionné à mon chevet. Ben voyons, ce qu’elle ne savait pas, c’est qu’il ne me donnait mes antidouleurs qu’avec … parcimonie. J’ai vraiment souffert. Depuis, une hideuse cicatrice me limite dans le choix de mes robes. Encore douloureuse certains jours.
    Ash m’aide à dépasser tout ça et progrès, je ne mets plus de gilet fin les jours d’été.
    Cette mésaventure avait appris à mon mari à faire plus attention à ne pas laisser de marques visibles sur ma peau. Juste ce qu’il fallait pour éviter toute suspicions, Christian me faisait passer pour une maladroite née. Jusqu'à ce jour où il m’a laissé pratiquement morte sur le carrelage, jamais il n'a été inquiété. Son métier l'autorisait à posséder une arme avec laquelle il menaçait régulièrement de m'éliminer si j’osais le … contredire. Je m’en veux encore tellement de m’être laissée humiliée et fracassée sans réagir.
    Quant à sa condamnation, il n’en a effectué qu’une partie avant d’être libéré. De ça aussi j’ai failli en crever.
    J’ai conscience de ne pas être la seule à chevaucher les dragons, mais tout de même je trouve qu’il y en a encore énormément dans ma tête. Oserais-je écrire que Pouf m’a été offert pendant mon séjour en soins intensifs parce que je ne pouvais plus dormir seule après ce que je nommerais pudiquement l’accident. Je pleurais continuellement en réclamant celui qui avait presque réussi à m’éliminer. Cette peluche m’a accompagné neuf années durant, sa présence m’était devenue primordiale. Lorsque Maë Lynette nous a quitté, je la lui ai confiée pour qu'elle se sente moins seule là où elle se trouve.
    Les jours comme aujourd’hui où je vire à l’infini, où je tombe de Charybde en Scylla comme dit Bébé, Ash me permet de feuilleter la page d’introduction des dossiers qu’il traite, les plus chauds. Ce n’est pas très professionnel j’en conviens, mais cela me remet immédiatement les idées en place. En comparaison, ma traversée du pandémonium n’a pas été aussi effroyable que je me le rappelle. Aux Aspidies, les tribunaux sont confrontés à autant de misère humaine qu'ici et les maris violents sont tout autant légion. J’ai été sidérée d’apprendre que la violence domestique fait le triple de victime qu’en France. En effet, un phénomène morbide n’est pas inclus dans les statistiques de notre pays, là-bas il a été dévoilé au grand public et c’est ce qui fait toute la différence. Ils nomment ceci les suicides forcés. Selon le Guardian, un journal sérieux, quatre cents femmes se donnent la mort chaque année suite aux violences physiques et morales que leurs conjoints leur ont fait ou leur font subir. J’ai encore en tête les noms de ceux qui m’ont fait misère parce que j’ai du mal à me ‘‘réparer’’. S’ils lisent ceci ils peuvent, je reste soft, se sentir couillons.
    En milieu de journée, toujours incapable de faire trois pas, je paresse sur mon canapé pendant que mon auxiliaire de vie me prépare mes repas du lendemain, de la voir ainsi s’activer à ma place, me donne encore plus le bourdon. Je pense aussi que ce sont les anti-inflammatoires que j’avale comme des bonbons qui me rendent à fleur de peau. La moindre contrariété et me voilà à me répandre en flaque. J’ai mal à l’âme.
    Je reconnais que Bébé me manque. Sans lui dans ces moments-là je me meurs…

    MoN PaLaDiN... 21 Novembre 2016

    …Le plan local d’urbanisme a invalidé le projet de viabilisation d’un terrain. C’est une bonne nouvelle!
    Marceau s'est arrêté à la maison pour me faire part du nouvel arrêté municipal concernant le champ où j'avais parsemé une partie des cendres de ma Douce. Après enquête publique, exit la zone constructible.
    Quel soulagement. L’endroit a été déclaré zone potentiellement inondable, il sera réquisitionné pour un collecteur d'eau saine et laissé en l'état avec ce qu'ils nomment une mare écologique. Après de petits travaux d'assainissement, grenouilles, hérissons, oiseaux et autres petites bestioles pourront y vivre sans être dérangés. Pieds de lavande et oliviers sauvages alentours seront conservés. Les employés du service technique de la municipalité s'engagent à débroussailler la parcelle deux fois l'an. Le dénouement est heureux, ainsi les infimes particules de ma chère Sonia, nichées dans les herbes folles, veilleront sur le sanctuaire que je lui ai choisi. Marceau est un homme heureux. En vérité le scoop est que Marceau est le papa d'un petit Viserys depuis hier soir. Je suis contente pour les heureux parents, pourtant ce prénom accolé à un nom de famille occitan va valoir quelques moqueries au bambin dans quelques années.
    Dès le retour d’Ash j’enverrai celui-ci acheter des présents pour le bébé et la maman. Je reprends un peu appétit, purée de courgettes et jambon blanc, rien de transcendant. Il faut dire que ces derniers jours j’étais plutôt en mode rouille et diète. Un léger mieux semble vouloir s’installer mais pas de quoi courir un marathon. Stéphane, l’un de mes kinés, m’a passé au mixer avec des étirements et un massage qui tenait plus du sadisme que de l’ayurveda, à la suite de quoi je me suis transportée jusqu’au canapé pour n’en plus bouger. Si à un détail près, je suis passée par la chambre pour piocher dans la commode de Bébé un superbe pull en cachemire et son keffieh ethnique. Coordonnés avec mon pyjama en flanelle, c’est du plus bel effet. Ash revient dans deux ou trois jours et comme à chaque fois qu’il me manque trop, j’emprunte ses vêtements pour m’apaiser avec son odeur. Il n’apprécierait pas particulièrement, mais c’est pour combler son absence et les fragrances du Neroli Portofino dont sont imprégnés ses vêtements m’apaisent vraiment.
    Affalée sur les coussins, je visionne ma série préférée. Mes yeux sont larmoyants et irrités à cause des mouchoirs en papier à l’eucalyptus que j’utilise pour les sécher. J’ai le nez qui suinte comme les jours de grand rhume car mes larmes coulent toutes seules et je soupire à fendre l'âme. Ce sont les péripéties de Jolanne de Valcourt dites Rani qui me font cet effet-là. Durant les huit épisodes de la série, Rani tente d'échapper à son destin chahuté. Amour, secret de famille, trahison, arrestation, Inde, fuite et … amour, les ingrédients d’un vide-tête réussi. Je me répands avec béatitude. M’en fous, Ash est loin.
    – Qui est l’adorable petit lapin albinos qui squatte le canapé? Mais c’est ma Chouquette!
    Je sursaute violemment en entendant la voix de Bébé. J’ai dû m’endormir et je suis en train de rêver.
    Mais non, c’est bien ma Canaille qui me surprend en pleine effusion et enveloppée dans des pelures auxquelles il tient. Pourquoi n’ai-je pas entendu le vrombissement de l’étoile lorsqu’il a franchi le portail? D’habitude ça fait un boucan d’enfer.
    - Je te prends la main dans le sac hein? J’ai laissé la voiture en dehors je dois ressortir! J’ai ma réponse et monsieur est fier de lui. Je fais l’impasse sur mes misères et je me jette toute amour dans ses bras. L’instant cajolerie passé il se rend compte que j’ai encore maigri. Ce n'est pas de ma faute si ces fichus médicaments me donnent la nausée. Lorsqu’il me fait la morale je me tais, cela vaut mieux.
    Je détourne habilement la conversation sur Viserys. Ash éprouve lui aussi le besoin de gâter mère et enfant. Il est vrai qu’à part de sincères félicitations, les jeunes mamans sont souvent oubliées lors de la naissance. Sans doute estime-t-on que le nouveau-né est un cadeau en lui-même. Mon stratagème a marche à la perfection. Il oublie, un temps bref je le crains, mon tour de taille rétréci. Alanguie, scotchée à lui, je l'écoute religieusement me raconter sa session. J'aime me fondre contre Bébé, mes bras enserrant son torse avec force. Ma tête posée sur son épaule, sa voix envoûtante me berce. Lorsqu’il est d’humeur joyeuse il lui arrive d’entreprendre une exploration coquine, ses mains s’égarant sous mes vêtements. Là, entre mes hormones qui font profil bas et monsieur qui doit faire un saut urgent en ville, je me contente de petites caresses étoilées et d’un unique baiser aussi ardent soit-il. Ash ne réapparait qu’à l’heure de faire pitance commune. Un brin de médisance, ce n’est pas sa voiture qui connait le chemin par cœur mais son estomac.
    Une soupe de légumes faite maison, c’est tentant. Après en avoir ingurgité un demi-bol accompagné d’une mini tartine grillée Bébé m’oblige au dessert : quelques morceaux de figues et de pommes au miel de lavande. Qu’il contrôle ce que j’ingurgite me rend vénère et je déclare les hostilités en allant changer les draps de notre lit alors qu’il n’a pas fini son repas. Florence devait le faire le surlendemain, jour officiel de son arrivée normalement. Ash aime me surprendre dans mon libre arbitre, il n’a pas encore compris que cela me perturbe. Christian faisait cela sans arrêt et ça n’était jamais bon pour moi. Fichues réminiscences.
    Je n’aime pas que nous dormions dans des draps parfumés à ma transpiration médicamenteuse. C’est une question d’hygiène aussi, simple à comprendre non?
    J’ai commencé à élever la voix lorsque Ash m’a fait remarquer qu’il se moquait de la qualité du couchage car il était fatigué par ses trajets et que si pour une fois tout n'était pas parfait ce ne serait pas la fin du monde. J’essaie de reprendre le dessus, de tenir mon foyer et décider sans aide de ce dont j’ai envie … la fin du monde? J’étais hors de moi et je me suis défoulée sur les draps jusqu’à en déchirer un et me blesser par la même occasion. Son vol avait été éprouvant plus les heures de route Lyon-Sud, autoroute encombrée par les amateurs de long week-end. Je conçois qu’il soit épuisé, il n’avait qu’à me le dire tout de suite. Je sais, je suis de très mauvaise fois. Grand-mémé du Sud aurait dit que j’étais la digne fille du père Testard. Quant à Patricia elle aurait commenté élégamment par un : de temps en temps ça ne fait pas de mal de dormir à l’hôtel du cul tourné. Le concept de la galéjade n’a pas de secret pour ma chère Pat.
    Or donc, Ash dort sur le matelas enveloppé dans la couette et moi je boude complètement frigorifiée sur le canapé car à cause de mes âneries j’ai complètement oublié de recharger la cheminée.
    Deux heures du matin et pas moyen de fermer l’œil, autant y aller d’une autre boulette. Un énième anti-inflammatoire devrait calmer la calamité ambulante que je suis. Mes chevilles sont en feu et mes épaules hurlent leurs élancements. Deux codéinés et … patatras. Je rate le rebord du lavabo en y déposant mon verre et celui-ci explose bruyamment au sol. Réveillé en sursaut Bébé est de très bonne humeur.
    - Ne bouge pas bondieu! Comme d’habitude tu dois être pieds nus non? Tout le département a dû l’entendre et je ne peux m’empêcher de sourire, il a toujours raison. Je ne voulais pas réveiller l’ours en récupérant mes chaussons dans la chambre. Ash surgit dans la salle de bains comme un diable de sa boîte, il me soulève rudement et me porte vers le canapé ou il me laisse choir tout aussi rudement.
    - Franchement, Mylhenn tu es épuisante! Sa voix n’a rien de bienveillante et quand il me nomme par mon prénom, c'est qu'il est très en colère, voire en pétard. Il ramasse les plus gros des morceaux de verre avant de sortir l’aspirateur. Ash bougonne dans la langue de Shakespeare tout en maniant le suceur avec dextérité … non avec rudesse lui aussi.
    - Je ne t'ai pas fait mal? Chouquette? Monsieur revient à de meilleurs sentiments. Stratégie boudin de ma part, je préfère ne rien répondre plutôt que de prononcer des horreurs que je regretterai au petit matin.
    Un haussement d'épaule, un petit sourire narquois, mince, Ash abandonne déjà la partie?
    – Je t’ai préparé un Long Jing! Chouquette, je peux approcher sans le risque de me faire arracher les yeux?
    Comment résister à un voyage dans la province du zhejiang? Leurs thés sont les meilleurs au monde parait-il. Je me contente d’un thé vert que l’on ne trouve qu’en de rares boutiques, Ash est mon dealer, il me le ramène de Paris. Il est toutes attentions pour mon insupportable petite personne, mais c’est plus fort que moi, je ne peux m’empêcher d’être désagréable avec lui.
    C’est mon système de défense lorsque j’essaie de lui dissimuler mes ennuis. Et là j’ai de quoi broger.
    Je suis à nouveau dans le tourbillon, et comme à chaque fois j’oublie que mon défendeur envoie des pièces jointes à Bébé. Celui-ci savait que je serais affectée et furieuse de ce rebondissement.
    Voilà le pourquoi de son retour précipité, j’explique : Selon le recommandé que j’ai reçu hier, je me dois de donner mon avis quant aux décisions prises suite à la mesure d’aménagement de peine du cancrelat sournois qu’est mon ex-mari. À chaque fois je me sens trahie et cela tient de la longue peine pour moi. Christian est rusé et sans scrupules, ça je le savais déjà, mais les rencontres qu’il a faites en détention ont affiné son savoir-faire. À cause de ces entretiens, nécessaires selon son avocat, je me sens encore sous emprise. Je connais bien Christian, c’est une pourriture prête à s’aplatir pour obtenir une liberté totale qu’il ne mérite pas. Je suis furieuse et exaspérée d'être encore et toujours associée à ses démarches. Comment être sereine dans ma reconstruction si l'on vient tous les trente-six du mois me rappeler que j'ai commis l'erreur d'épouser un fou à dix-neuf ans? Pour la faire courte, je dois attester que Christian respecte à la lettre les plus strictes de ses obligations, à savoir se justifier d’une activité professionnelle, d’être impliqué dans un projet utile de réinsertion et surtout de suivre une thérapie. Comment pourrais-je le savoir puisque je me tiens éloignée de ce fou depuis des années. Ce qui me rend hystérique, c’est qu’aucun incident n’est venu ternir sa réputation restaurée. Bientôt ce criminel sera considéré comme ayant acquitté entièrement sa peine et libre de toutes contraintes. Des semaines avant sa mise en liberté j’ai vécu l’enfer dans ma tête, acceptant les propositions les plus folles dites de la bouche de son avocat tout en sachant qu’elles venaient de ce monstre, j’ai pleuré de cauchemar en cauchemar en souhaitant qu’il me tue pour de bon cette fois, que cela s’arrête enfin. L’effervescence de ma haine et de ma colère ne m’aide pas à conserver un semblant de lucidité. Je ne peux que me rallier aux dires de son avocat, malgré quelques incursions au village, Christian ne s’est jamais approché du quartier Alceste. Personne ne l’y a vu en tous cas, mais cela ne veut pas dire que … je suis folle de rage de devoir une fois encore cautionner un affranchissement que je redoute. Le fait d’avoir refusé la compensation à laquelle j’avais droit a fait de moi une personne peu crédible dans son besoin de reconnaissance de la justice. Une somme d’argent aussi conséquente soit-elle ne pourra jamais me rendre ce que Christian m’a volé, trois années d’insouciance au seuil d’un bel avenir. Je ne veux pas de ce prix du sang tout comme je me refuse à m’impliquer dans la mascarade qu’est leur requête. En tant qu’homme de loi Ash me déconseille fermement d’ignorer cette convocation. En tant que compagnon il comprend et accepte mes réticences. La bête sauvage réussie à les berner une nouvelle fois et en paraphant les feuillets, moi je me sens trahie, encore. Aparté terminé.
    Nous avons signé l’armistice à trois heures du matin en refaisant le lit et j’ai enfin pu m’endormir. Même dans les couples les plus soudés il y a des hauts et des bas. Plus de hauts me semble-t-il. Il m’a fallu beaucoup de temps pour admettre que discussions animées ne sont pas synonymes de coups.
    Onze heures trente petit-déjeuner, oui je sais c’est honteux. Paresse et oisiveté au coin du feu pour le reste de la journée. Le soleil est présent, mais le vent s'est levé et pour moi neuf degré c’est le pôle nord, il est hors de question que je mette le nez dehors. Nous improvisons une journée culture.
    D’aucuns préfèrent les jeux de sociétés, les fims romantiques, les séries à sensations, mais Bébé et moi ce sont les livres que nous dévorons. Ash sait comment me gâter, il pioche çà et là dans sa librairie préférée des ouvrages éclectiques et la plupart du temps il tombe juste pour sa Chouquette.
    Mon rituel est immuable quand j’ai en mains un livre neuf et Bébé s’en amuse à chaque fois. J’aime en faire défiler longuement du pouce les pages en humant le parfum d’encre d’imprimerie. Je le referme et je recommence plusieurs fois, comme si je désirais garder l’ouvrage vierge de toute lecture le plus longtemps possible. Une lubie dont je n’ai pas à avoir honte.
    Un murmure de Haendel en fond sonore, installés confortablement sur le divan, nous nous adonnons sans réserve à la culture. Instants magiques où enlacés comme le lierre à son arbre, nous sommes pourtant à des années-lumière l'un de l'autre. Bébé est plongé dans un pavé relatant la création des mantras des temps anciens à nos jours dans le Bouddhisme, l'Hindouisme, le Jaïnisme, le Sikhisme … qui peut lire ceci à part lui, je me le demande. Malgré l’intérêt que je porte aux premières lignes du thriller de six-cents cinquante-six pages que je lis, ma concentration devient des plus aléatoire. J’ai du mal à respirer et l’environnement me parait soudain bien flou.
    L’on m’a placé sous oxygène pendant quelques heures. Cette fois-ci Ash est bien décidé à me rapatrier aux Aspidies. Pourquoi Bébé pense-t-il que je ne suis pas raisonnable? La litanie réprobatrice qu’il me sert aide bien à me convaincre du bien-fondé de la chose. Oui, je dois reconnaitre que là effectivement je me suis fait peur et je ne sais pas trop comment cela se serait terminé si j’avais été seule. Et l’oubli du renouvellement de mon ordonnance n’a pas joué en ma faveur non plus.
    Pour une fois je n’ai rien à ajouter. Qu’il mène notre barque…

    ViSiTe aPPRéCiée... 25 Novembre 2016

    ...Ces jours-ci j’ai l’écriture paresseuse. Tes doigts ont besoin de repos ma Chouquette!
    Voilà ce que me dit Bébé et il n’a pas tort. J’ai fait une réaction à l’énième médicament que le rhumatologue tente de faire accepter à mon corps. Résultat, un gonflement spectaculaire des extrémités de mes membres et le pire c’était la douleur qui s’apparentait à des piqûres d’aiguilles chauffées à blanc. Enfin j’imagine. Fort heureusement pour moi Christian n’a jamais eu l’idée de m’infliger un tel supplice. Mes doigts et mes petits petons étaient tellement enflés que l’on aurait dit des knackis. Repos et … repos m’a-ton dit.
    Le regard lumineux que ma Canaille pose sur moi devrait être le meilleur des médicaments, cependant il ne soulage que … mon âme.
    J’ai lu quelque part dans l’énorme livre sur la mythologie hindoue que possède Ash, qu’il est recommandé à un hôte de traiter son invité comme un dieu le premier jour, comme un invité de marque le deuxième jour et comme un membre de la famille à qui l'on peut demander de participer aux travaux du foyer les jours suivants. C'est sur la base de ce concept que j'ai reçu mon cher Sam. Partage, tradition, et convivialité ne suffisent pas toujours à être au top. Surtout avec ce sacripant. Sam est arrivé à l'improviste accompagné d'Édith, sa petite amie de cœur. Ils sont venus nous faire un petit coucou au retour d’un séjour à Aix.
    Trop heureux de cette visite, Ash et Sam s'entendent comme larrons en foire depuis son séjour chez mes beaux-parents, Ash n'a rien trouvé de mieux que de l'inviter à passer quelques jours à la Petite Paix.
    J’aime énormément Sam, alors ma petite maison est la sienne tant qu’il le désirera. Les pièces sont assez spacieuses pour que son bus à roulettes puisse se faufiler entre les meubles.
    Mon ami n'a plus la possibilité de mettre un pied devant l'autre, le bas de son corps étant paralysé suite à un accident. Sam est tellement courageux, il va de l’avant sans se retourner. Tout n’a pas été l’éclate, je ne vais pas mentir. Actuellement, il donne des cours à des jeunes en situation particulière. Ceux-ci essaient de passer un concours pour obtenir un diplôme qui aidera à leur réinsertion. Cette activité n’est qu’un contrat à durée courte, plus tard Sam envisage la même fonction, mais en service de rééducation longue. J’admire sa détermination. Bon nombre de fois il a tenté de m’initier à la grammaire et à la conjugaison niveau CM1, mais je ne sais pas pourquoi, à mes yeux il n’est pas crédible en tant que professeur. Sans doute est-ce parce qu’il est mon fondamental, celui qui m’a aidé à voir la réalité en face, à sortir la tête de l’eau. Je ne veux pas autre rôle pour lui que celui de meilleur ami.
    Comme je l’ai déjà expliqué, nous nous sommes connus Samuel et moi en maison de soins après ce que je nommerais pieusement mes malheurs et nous nous sommes côtoyés quelques mois. Lorsqu'un corps est réconcilié avec une partie de lui-même il faut apprendre à vivre avec. Moi il me fallait tout réapprendre. Ce que la plupart ignore de ces lieux de vie, c'est qu'il faut un suivre un protocole sérieux pour être apte à la sortie. Il n'y a pas que des kinésithérapeutes, cohabitent également des médecins, des ostéopathes, des infirmières, des psychologues, des nutritionnistes et … les patients avec leur désespoir contagieux et parfois suicidaires comme je l’étais. Pour certains c’est un passage obligé à Zombiland avant d’accepter l’infirmité. Je me refusais à la seconde chance. Brisée, aphone, totalement terrorisée, j'en passe et des meilleures, comment pouvais-je concevoir qu’un jour ma vie redeviendrait belle. Mes premières semaines au centre ont été très éprouvantes. Pour moi et pour les autres. J’ai dû accepter le parrainage de Sam et cela m’était comme une punition de plus. Blues et mélancolie assurés.
    À présent j’ai honte de mon comportement passé, j’insultais, je menaçais, j’attaquais. Ce n’était pas moi, je me noyais mentalement, je dépérissais dans cette demi-vie qui dorénavant allait être mienne.
    Progresser en étant escortée d’un bonhomme sur roulette m’était insupportable.
    J’étais odieuse avec Sam, je l'invectivais d'une voix venue d'outre-tombe et dans le meilleur des cas je l’ignorais. Sa joie de vivre retrouvée et ses plaisanteries idiotes m’exaspéraient et ma souffrance teintée de paranoïa prenait souvent les commandes. Folle que j’étais, je l’ai poussé dans la piscine avec son fauteuil roulant. Je n’en suis pas fière, il aurait pu mourir. Heureusement le personnel était très réactif.
    Depuis, nous sommes amis à la vie, à la mort. Et pourtant, le délire.
    Chose que nous ignorions l’un et l’autre, une connaissance commune nous unissait. Christian.
    Mon ex-mari faisait partie du cercle des intimes de Sam car à l’époque sa maman était la confidente de ma belle-mère. Cela s’est gâté pour elles lorsque la brutalité de Christian a été avérée, mais … il faut savoir mettre de l’eau dans son vin comme disait Maë Lynette, aussi ai-je laissé le bénéfice du doute à Samuel qui tout comme moi espérait corriger les terribles errements de son copain. Sam et moi ne nous étions jamais croisés pour la bonne raison que Christian me tenait à l’écart de certaines de ses « réjouissances ».
    Au centre, lorsque Sam comprit qui j’étais, il mangea sa honte ainsi dit-on par ici. Le passé reste au passé.
    Nos hôtes s’incrustent à ma plus grande joie. Toutefois, en vertu d’un principe hindou, je me vois contrainte de demander à Édith et Sam de mettre la main à la pâte. Les messieurs à l’épluchage, les dames à la confection de la pâte pour la pissaladière.
    Édith est la compagne de Samuel depuis juin dernier. Elle a l'air de tenir le choc avec ce zigoto car il n'est pas des plus faciles. Cependant certains signes me confortent dans l'idée que le célibataire endurci pourrait bien avoir trouvé bonne chaussure à son pied. Édith exerce la profession de technicienne de laboratoire en milieu hospitalier. C’est une personne posée par rapport aux jeunes excitées que fréquentait Sam par le passé. Et elle est très mignonne, ce qui ne gâche rien. Elle et moi cela a été le coup de foudre immédiat.
    Après le déjeuner Édith et moi allons faire une balade sur Lodève.
    L’air soulagé qu’adoptent nos trublions à notre départ nous donne l’impression qu'ils préparent un coup en douce. Après-midi on ne peut plus calme. Après avoir récupéré la commande de Bébé au comptoir des vins nous avons pris une petite collation à la Fontaine, un salon de thé cosy dont les pâtisseries sont une tuerie.
    Quelques pas lèche-vitrine et nous sommes de retour vers seize heures trente.
    Ce sont ces messieurs qui régalent pour le dîner. Là nous en sommes sûres, il y a anguilles sous roches. Et soudain la lumière se fait au grenier. À notre retour le bolide de Bébé n'était plus garé à la même place qu’à notre départ. Qu'ont-ils encore été inventer ces deux-là?
    Ce soir ce n’est pas le top, et au moment du dessert mes forces m’abandonnent. Je n’ai abusé en rien, mais il est des moments où cela m’est très difficile de gérer mon endurance et mes émotions. La tarte aux fruits que nous avons ramener de Lodève met le feu aux poudres. À peine ai-je déposé le présentoir à gâteaux sur la table que Sam le spécialiste des coups bas me trahit lâchement.
    - Dis voir Fifi favouille! À défaut de cuisiner, tu aurais pu nous préparer un gâteau à l'économe comme tu sais si bien les faire? Je le fusille du regard, mais le mal est fait.
    Maintenant Ash et Édith veulent savoir de quoi il retourne.
    Chaque dimanche au centre de rééducation, les patients en état de le faire confectionnaient des gâteaux pour le goûter des familles. J’avais droit à quelques prérogatives car je devais tout réapprendre et je me dois de dire que ces ateliers étaient censés me rendre une certaine confiance en moi. L’approche pacifique de l’autre. Me mettre un outil entre les mains relevait du défi. Or donc, le jour de visites, je décide de faire une pâtisserie pour le goûter. Ces jours-là, Samuel recevait sa mère, moi je n’attendais personne alors autant passer le temps à … sous l’œil attentif de l’éducateur je m’applique à confectionner une superbe et délicieuse gourmandise en revisitant le principe du gâteau yaourt et de la tarte tatin. Question timing et nettoyage du plan de travail tout était parfait. J'étais on ne peut plus fière de moi en sortant le gâteau du four et en déposant mon magnifique chef d’œuvre sur le chariot de distribution.
    Sauf que, grand moment de solitude pour moi lorsque l’on découvrit une fève en le découpant. Je suis incapable d’expliquer à quel moment la bourde s’est produite, mais l’on a retrouvé l'économe en inox à l’intérieur de mon gâteau. Dix minutes de franche rigolade à mes dépens, c’est long. Et le pire ça a été lorsque la demi portion en fauteuil roulant a encouragé la salle à m’applaudir chaudement. Depuis, celui qui se dit mon ami ne rate jamais une occasion de me rappeler ma boulette.
    Bébé et Édith sont explosés de rire. Pas moi.
    Certains des confrères de mon fripon ont des loisirs de luxe pour décompresser. Bébé, lui aime un poker avec les collègues de temps en temps ou une séance au centre de tir, mais ce qu’il préfère ce sont les jeux vidéo. Il en possède une vingtaine aux Aspidies. Le secret des regards complices des deux zozos est dévoilé.
    En début de soirée, fiers d’eux, ils nous montrent leur achat, une console dernier cri et des jeux où les décibels sont aussi importants que le maniement des manettes. Cela me ravi de voir Ash aussi détendu, les yeux brillants de contentement parce qu'il remporte quelques drapeaux de plus que Samuel.
    Sam et Édith sont repartis en milieu de matinée.
    En aparté, Samuel m'a confié être sûr que la voie royale m’était ouverte à présent, selon ses dires mes synapses ne s’emmêlent plus autant les pinceaux. Venant de sa part c’est un encouragement qui me va droit au cœur. Quant à ma maladie, je dois l’accepter et apprendre à vivre avec, il est certain que j’y parviendrai rapidement. Là j’ai encore quelques doutes.
    Bébé tricote des pinceaux entre rocailles et oliviers. Le vent secoue les volets, je n’entends pas…

    CaSTiLLe eT BiSBiLLe... 28 Novembre 2016

    ...Une mini tornade emporte tout sur son passage. Bébé est d’humeur studieuse, moi aussi!
    Nous tentons d’ignorer les rafales tempêtueuses mais c’est impossible vu le vacarme que font les volets pourtant clos. Je ne parviens pas à me concentrer pour réussir le défi que je me suis lancé. Réécrire l’un des textes que m’a cédé Patricia. Je tente quelques exercices grammaticaux mais je n’arrive à rien. Je me mets à rêvasser en attendant qu’Ash s’perçoive enfin de ma présence. Il prépare une thèse en criminologie sur un sujet ardu : Psychologie du défenseur. Soutenance à l’appui fin juin deux mille dix-sept. D’ailleurs son intitulé a le temps de changer. Des dizaines de feuillets disséminés en plusieurs petits tas à même le sol du salon et mon Pain d'Épices louvoie entre chapitres à conserver, à retravailler et sacrifiés
    Pendant ce temps, vingt kilomètres alentours, les arbres desséchés, les meules à ciel ouvert et les toits des bergeries abandonnées prennent leur envol sous l’effet du déchainement des éléments. Ici le vent siffle dans le conduit de la cheminée que je n’ai pas osé allumer de peur que des braises s'en échappent. Même s'il fait humide, un départ de feu dans un champ en jachère peut faire d'énormes dégâts. La chaudière n'est pas à son plein régime, mais elle diffuse une chaleur raisonnable aux convecteurs céramiques du salon. Ce n’est pas la canicule, mais c’est largement suffisant pour nous maintenir dans un cocon douillet.
    Blottie dans le canapé, engoncée dans un cocon de couvertures je me divertis en observant les allées et venues du grand homme qui prend des notes en marmottant des mots sans suite. De temps en temps, ses yeux se portent sur moi, mais je le sais sur une autre planète, il est inutile que je l’encourage à m’approcher. Si Sterling et Walter assurent la tenue des dossiers en cours lors de ses congés, moi je reste sa muse son inspiration silencieuse. Mon livre a été englouti par son monceau de documents de recherches et je n’ose pas déplacer le fragile amoncellement.
    En parlant littérature, il va bientôt falloir que je fasse l'achat d'une bibliothèque car une fois parcourus, mes bouquins s'entassent dans une caisse hermétique que j’ai rangé dans le cagibi sous l'escalier. Cet actuel terrain de jeux pour les souris est très humide car le mur en pisé, de ce côté-ci du bâtiment, a été conservé. S’y entasse également ma collection de livre de poche retrouvée chez Patricia et sans que je me rappelle pourquoi ici, les bandes dessinées cochonnes de Lamine. J’ai oublié de les lui rendre lorsque mes loulous m’ont rendu visite. Mon plus grand trésor était mes livres de section littéraire, mais ceux-ci ont disparu dans le brasier de mon martyr. Il m’arrive d’en pleurer encore. Mon intérêt pour l’officine n’a duré que le temps d’un feu de paille, cinq à six mois en vérité, alors que pour les étudiants sérieux neuf ans d’enseignements sont nécessaires. L’on m’avait offert cette opportunité lors d’un séjour en … je n’ai pas envie de disserter sur le sujet aujourd’hui. Plus tard sûrement.
    La pluie s’est légèrement calmée mais l’humidité est perceptible et j’en suis certaine, elle va réveiller le rat qui bientôt réclamera sa livre de chair. Bébé est toujours dans son monde et je viens de me souvenir que j’ai rendez-vous chez l'esthéticienne. J’ai besoin d’un soin énergique car les anti-inflammatoires profanent le grain de peau de mon visage, de plus le pas-de-porte du joyeux temple tient plus du paillasson que du timbre-poste. Je me comprends.
    Une fois fraîcheur retrouvée je m’empresse de rejoindre la galerie marchande, là au moins je serais à l’abri du déluge qui repart de plus belle. Une adorable petite boutique de puériculture m’attire l’œil et l’ambiance qui règne à l’intérieur me fait y musarder plus que je ne l’aurais voulu. Je me laisse tenter par un pantin d'éveil girafe et un surpyjama en polaire pour Viserys le fils nouveau-né d'Hélène et Marceau. Hélène a droit elle aussi à son cadeau, un coffret instant câlin contenant des produits de soins pour jeune maman.
    Mon retour à la Petite Paix est un rien orageux. À peine ai-je posé un pied hors de la voiture que Bébé me tombe dessus. Il râle et rouspète car ma longue absence l’a inquiété, d’autant que je suis sortie alors que le ciel déverse des trombes d’eau sur nos têtes. Certes je suis partie sans prévenir mais ce n’est pas la fin du monde non plus. Oui je suis d’accord, précipitamment car j’étais en retard. Oui je suis inconsciente de conduire dans mon état. Je ne suis pas tout à fait bancal que je sache. Ah, la pluie? Il n’y a pas de quoi flipper, certains orages sont autrement plus rudes que celui-ci et combien même la pluie serait verglaçante, il me semble que ma voiture dispose de pneus quatre saisons.
    J’admets avoir pris mon temps, mais j’a déjà donné dans le genre gestapo alors mes répliques deviennent virulentes. Heureusement je comprends à temps qu’Ash est vraiment anxieux parce qu’il y avait longtemps que je n’avais pas pris le volant par temps de pluie et que par ici, au sommet du col, la route est escarpée. Je suis rentrée en un seul morceau et je sais que Bébé ne restera pas fâché longtemps, le ravalement impeccable du terrain de jeux va lui rendre le sourire. Je dois reconnaître que je lui en fait baver et cela lui donne un avant-goût de ce qui l'attend s'il persiste et signe. L'altération de ma santé et ce que cela implique, n'a pas vraiment l'air de le déranger. Par contre, ce qui l'embête, c'est que je ne lève pas le pied. Je me refuse à me morfondre en attendant la crise suivante. Lorsque je sens le vrai mieux j'en profite. Ash devrait comprendre mieux que quiconque que je me dois de lutter pour conserver une certaine autonomie.
    En parlant volonté, il y a peu j’ai visionné un sujet qui traitait de la reconstruction des femmes ayant subies des violences conjugales. Selon la journaliste qui traitait de ce douloureux sujet, je sais enfin que mon parcours n’est pas singulier. Certaines femmes n'arrivent jamais à s'en sortir. Quant à la justice, c'est toujours du pareil au même depuis dix ans, les condamnations sont rares et jamais totalement effectuées. De plus il y a trop de récidives. J'ai été épouvantée en entendant le témoignage d'une victime à qui l'un des policiers avait répondu ceci "Vous avez attendu quatre ans, vous pouvez bien patienter encore une heure" lors de son arrivée au commissariat pour un dépôt de plainte. Je me bats comme je peux avec mes démons, je suis une survivante et mon désir d'autonomie est prononcé mais aussi redouté. Ma thérapeute explique ceci par le fait que j’ai autrefois valorisé ma soumission. Nadège dit aussi que mon semi-isolement flatte mon instinct de liberté, que je ne suis pas un cas unique dans ma reconstruction.
    Or donc, selon Bébé j’aurais dû me rendre au bourg pour les courses au lieu d’aller baguenauder au diable vauvert. Franchement, il est sérieux là? Entre j’ai une course à faire et je vais aux courses, il y a une différence non? Je le crois pourtant très intelligent, mais il met un temps infini à se rendre compte qu’il vocifère pour des nèfles. Grâce à mon silence je reprends le contrôle. Lunch correct pour monsieur et fin de soirée blottie dans ma polaire. Un livre en main mon esprit vagabonde autre part, il traite sans élégance de salopards ceux qui ont condamnés une femme maltraitée et détruite dont le seul tort est d’avoir tiré dans le dos de la pourriture qui la martyrisait. Ils n’ont pas compris que c’était elle ou lui.
    Sainte justice dort sur sa conscience. Apprécier ce que l’on m’offre…

    LuXe eT FaNTaiSie... 01 Décembre 2016

    ...J’apprécie ce qu’Ash m’offre. Je ne crois pas vouloir en demander plus!
    Bébé devait assister son référant lors d’un séminaire d’instructions aussi m’a-t-il demandé de l’accompagner pour un cours séjour à profiter d’un cocooning princier à l’hôtel dans lequel il descend la plupart du temps quand il se rend en région parisienne.
    Je n’affectionne en rien Henry dont la façon de vivre ne m’inspire qu’antipathie, il a de l’argent et il fait en sorte que cela se sache. Certaines de ses soirées sont … courues. C’est à l’occasion de l’une d’elles, lors de notre séparation, que Bébé y a rencontré une jeune femme désinhibée pour ne pas dire entreprenante voire rentre-dedans. Il ne lui a fallu que quelques heures avant de convier Ash au galop d’essai. Pourquoi aurait-il refuser? Sauf qu’après deux nouvelles chevauchées dans la semaine qui a suivie, elle s’est mise à l’appeler trois à quatre fois par jour, lui servant des mon chéri par-ci et des mon chéri par-là. Ash en a rapidement été agacé. Elle devenait flagorneuse dans ses propos et cela a flanqué la frousse à mon grand homme.
    Du peu qu’il m’en a confié, avec force railleries je dois préciser, sa pratique de la walkyrie laissait à désirer, elle ne valait pas la mienne. Comme quoi l’amour ne tient qu’à un étrier, je me comprends. Cette jeune femme n’était tout simplement pas moi et selon les dires de Bébé c’est ce qui a été rédhibitoire. Je n’ai aucune crainte quant à la fidélité de Bébé, mais les fréquentations de son mentor sont quelquefois … je dirais persuasives pour rester dans la correction.
    J’ai donc suivi Ash afin de profiter d’un cocooning princier en quatre étoiles, rien d’autre.
    Room service, salon de thé, p’tit dèj à la française, espace bien-être, transfert à l'aéroport pour un départ retenu, décors somptueux et … un service de conciergerie pour le moins efficace lorsqu’ils ont à faire à une tête de linotte comme ma Canaille.
    C’est un établissement où l'on peut choisir la texture des draps à la réservation ainsi que la disposition du salon et de la chambre dans la suite convoitée. Selon les envies du client, ils sont prêts à une séance de déménagement rien que pour ses beaux yeux … sa carte Gold aussi.
    Tout se monnaie : Draps en fibres de bambou, literie fraîche et moelleuse, ding-ding.
    Prestations bonus, choix de la marque des produits de bains, ding-ding.
    Petit-déjeuner en chambre ou réservations aux meilleurs restaurants ding-ding.
    Accès au hammam et salon de massages, ding-ding. Le confort a un prix.
    Étant un hôte régulier du lieu, Bébé a négocié deux nuits dans ce cadre idyllique avant de repartir pour Londres. Que faire de mieux sinon le remercier? Nuisette friponne, Kâmasûtra revisité façon troisième âge, lame et calice déchaînés. Je suis une dévergondée pourquoi le nierais-je? En général j’aime prendre les initiatives et le voir s’appliquer à l’ouvrage. Seulement là, le samouraï veillait et il m’a rendu visite si bien que la complainte du matelas n’a pas été du hard rock. Cela dit, dans l’ensemble je crois m’en être bien sortie car Ash avait encore la tête toute retournée lors de notre départ.
    Au moment de s'enregistrer à l'aéroport Bébé s'est aperçu qu’il n’avait pas sa sacoche en bagage à mains. Autant dire la Sainte Relique puisqu’elle contient sa bécane professionnelle. Grand moment de solitude pour l’étourdi et peur bleue pour les membres de son staff qu’il a aussitôt prévenu afin que ceux-ci puissent bloquer l’accès aux hot issues de l’ordinateur.
    L’hôtel est joint et on lui certifie que les femmes de chambre n’ont rien déposé au desk. Là le grand homme commence à flipper grave. La sacoche est munie d’une fermeture avec code sécurisé, toutefois lorsque la malveillance s’en mêle, des dossiers confidentiels ne le restent pas longtemps. Sterling et Embry, deux de ses subalternes, se voyaient prêts à prévenir les grands pontes. Quant aux autres membres du service, ils étaient verts … de rage a-t-on dit à Ash. Voyons boss, ça n’est pas du sérieux. Flegmatiques n’est-il pas?
    Persuadé qu’il était d’y trouver son Saint-Graal, Ash a défait entièrement mon bagage sur les sièges d’attente. Je l’aurais volontiers … mordu.
    Finalement le dénouement s’avère moins tragique qu’Ash ne le pressentait. Le concierge principal de l’hôtel avait consigné dans le coffre-fort l’objet oublié sur la console départ du desk. Le hic est qu’il avait négligé d’en informer ses adjoints. Résultat, il a fallu missionner un courrier spécial pour remettre en main propre son joujou à Bébé. Soulagement instantané et … longue attente pour le vol suivant.
    Ash est loin d’être
    Bébé n'est pas aussi infaillible que je l'en crois, c'est ce qui me le rend si précieux…