• CHaPiTRe ( XXIII )

    NaMaSTé... 05 Janvier 2017

    ...J’ai l’impression d’être assise près d’un tremblement de terre. Tranquillise-toi Bébé bon sang!
    Je pensais que les meilleurs sièges pour un long vol en douceur étaient de ceux situés au-dessus de l’aile, mais apparemment je me suis trompée. Le tigre en convulsions près de moi commence à sérieusement m’exaspérer tant il remue sans parvenir à trouver une bonne stabilité à son fessier. Je ne suis pas angoissée à l’idée de me promener dans les nuages, par contre je m’ennuie très vite. Cela fait plusieurs fois que nos longs courriers s’effectuent sur la même compagnie et je me demande encore qui choisit les films proposés? Explosions, coups de feu, prise d’otages, courses poursuites, fouet dévastateur et … fédora à large bord, l’ambiance rassure vraiment l’angoissé chronique qui occupe le siège à côté du mien. Des fois qu’il prendrait l’envie au pilote de se faire kamikaze. Évidemment, j’aurais dû m’en douter, puisque notre destination est New Delhi le deuxième choix est du Bollywood made in India. Deux heures trente de danses enjouées et de chants mélancoliques, le tout sur fond de drames et de passions, surjoués par des comédiens exaltés, Ash a décliné l’invitation, il préfère ronger son frein en se mettant la rate au court-bouillon et jouer du djembé de son talon droit sur le revêtement impeccable du sol. J’ai comme le sentiment que mes huit prochaines heures vont être interminables.
    Dans mon sac à main, ma valise miniature devrais-je écrire, j’ai récupéré un stylo sous l’œil curieux puis soulagé de l’hôtesse et un bloc correspondance afin de pouvoir noter mes premières impressions, j’en noircirai les pages à chaque fois que je le pourrais. Ce que je ressens est tellement nouveau et agréable que je vais faire un effort, tant pis si mes doigts s’engourdissent déjà au bout de quelques lignes. Avant l’embarquement nous sommes allés faire quelques pas, flâner, le nez collé aux vitrines d’un grand centre commercial qui jouxte l’aéroport. L'endroit idéal quand on possède des fortunes à dépenser en un temps record. Vu l’heure je n’ai eu droit qu’à la vision de devantures d’un nombre impressionnant de boutiques de luxe. Je me le suis promis, je reviendrai.
    J'ai beau faire la gourgandine aguicheuse avec mon stylo que je mâchouille sensuellement pour changer les idées de mon Caramel, cela ne marche pas, monsieur ne m’accorde qu’un pale sourire. Je ne suis pas d’humeur à endurer des heures de soupirs à fendre l'âme, ni des yeux larmoyants d’appréhension. Franchement je ne comprends pas qu’un homme aussi solide que lui flippe autant lorsqu’il doit prendre l’avion. Pour le Costa Rica cela en avait été risible, alors cette fois-ci, je n'hésite pas, un Lysanxia dosé pour un éléphant et … cela le détendra tout au plus, il aura tout le temps de se remettre de sa torpeur avant l’atterrissage, où pas.
    Ash est né dans l’Uttar Pradesh un état de l’Inde du Nord. Pendant longtemps je me suis laissée porter par la présence de Bébé sans réellement m’intéresser à ses origines. Malgré une co-location amis-amants, seule ma petite personne malheureuse et légèrement maniaque avait de l’importance pour moi. Les racines d'Ashlimd n'étaient pas ma priorité, puis, lorsque j'ai commencé à côtoyer ses parents, j'ai voulu comprendre. Mumy et Papily ont adopté tardivement la fratrie. Hylam devait avoir dans les sept ans, Ashlimd cinq ans et Sodishan, le plus frêle des trois aux dires de Phillip, quatre ans. Ils sont rentrés en Grande Bretagne trois ans plus tard, laissant les aînés à leur destin. Rahul, Sinduja et Manali qui ne doivent pas être loin de la cinquantaine à présent. Les filles ont été mariées très jeunes, quant aux parents de tout ce petit monde, ils ont disparu de la circulation, ce qui est très facile dans ce pays. Ash et Sodishan n’en parle jamais. Peu devrais-je écrire. Il semblerait qu’Hylam en garde plus de souvenirs mais qu’il les refoule afin de ne plus souffrir. C’est Phillip qui a convaincu Madam’ pour l’adoption. Il leur a fallu beaucoup de persévérance pour obtenir toutes les autorisations. Les garçons vivaient déjà avec eux depuis longtemps lorsqu’ils ont enfin pu porter leur nouveau nom de famille. Phillip et Dorothy ont refusé de séparer la fratrie, du coup ils se sont retrouvés avec trois petits complètement déboussolés, c’était courageux. Heureusement Mumy a bénéficié de l’aide du personnel dont son mari disposait en poste. Ils n’ont pas été à la fête les premiers temps, mais le père de Bébé est un homme très instruit et il parle une demi-douzaine de langue dont l’Hindi ce qui a bien servi à les rapprocher. Ce n’est que lorsque les enfants se sont sentis à l’aise avec leurs parents que toute la famille est rentrée en Grande-Bretagne.
    Il me semble deviner que ce qui tracasse vraiment Ash durant le vol, ce n’est pas uniquement l’altitude à laquelle nous nous trouvons. Son retour aux sources doit être ce qui l’affecte le plus. Je me sens si privilégiée de fouler le sol de cette terre exceptionnelle que j’en ai oublié Penjî. Ashlimd et Penjî étaient comme les deux doigts de la main en dépit d'une légère différence d'âge. Penjî était originaire de Kanpur, et nous allons faire une randonnée là-bas pendant notre séjour en Inde, d’où mon questionnement. Penjî était ce que l'on nomme un fils de bonne famille, venu faire des études en Europe. Les deux garçons se sont rencontrés dans une école prestigieuse, puis ils ont poursuivi de nombreux cursus ensemble. L'avenir de Penjî était aussi prometteur que l'est celui de Bébé jusqu'à ce jour maudit de Septembre où un accident de la route a emporté le meilleur ami de Bébé.
    Vive Saint-Lysanxia. Durant les deux dernières heures du vol, Bébé la tête sur mon épaule et sa main dans la mienne regarde John et Zeus tenter de résoudre les énigmes d’un fou furieux qui fait péter des bombes à chaque mauvaise réponse.
    Mis à part que mes phalanges ont été broyées à l’atterrissage, tout se passe bien à l’aéroport. Ash est lumineux et il se retient à grand peine de m’embrasser. Encore une règle de vie très … hindou, il est déplacé, très mal vu même, de montrer tout signe d’intimité devant les autres.
    Namasté, je salue la divinité qui est en toi…

    UNe auTRe PLaNèTe… 7 Janvier 2017

    ...Derrière la grâce d’un sourire se cache la dureté de la vie. Tout est hallucinant!
    Dès l’instant où l’on dépose dans ma main une plaquette conseils, je prends conscience que la vie des femmes n’est pas facile dans ce pays. Je suis une touriste, l’on tente de m’effrayer dirais-je. Ash m’assure qu’il s’agit uniquement de ma sécurité. J’en doute. Un paragraphe entier -oui bon, trois lignes- est consacré aux jambes des dames. Nous devons nous habiller sobrement afin ne pas provoquer la gent masculine. Ils en sont encore à l’aube du savoir-vivre en harmonie entre les deux sexes ici. Bref, récemment il y aurait eu des viols. Pays de machos où la tenue de l’européenne incite à l’agression?
    Je ne le pense pas, ce sont des hommes comme partout ailleurs. Certains un peu plus tapés que d’autres, Ash le reconnaît. En principe je ne devrais pas risquer grand-chose puisque je suis habillée à la mode indienne. Des habits amples et un keffieh recouvre ma blondeur. J’ai comme l’impression que certains regards m’en remercie. Ou alors est-ce l’apparence de Bébé qui les interpelle. Je dois reconnaître que comme l’on m’en avait prévenu, je suis submergée par différentes émotions. La multitude m’oppresse, le dépaysement m’hypnotise et l’énergie qui se dégage de ces gens stimule mes premiers pas sur la terre des ancêtres de Bébé. Jamais je n’avais observé cette lueur dans ses yeux, il ressemble à un gosse qui vient de découvrir la caverne aux jouets.
    Ça y est, il me suffit de poser un pied à l’extérieur de l’aéroport pour comprendre immédiatement ce que veut dire l’effet fourmilière dont me parlait Sam. Le moins que je puisse dire est que je ne me sens pas seule au monde. La dualité dépaysement et ségrégation est palpable. Les tenues des femmes sont soit princières, soit ordinaires dans leurs coloris, c’est un festival. Le sharwani de ces messieurs est de coupe simple et selon le degré de propreté du vêtement l’on sait immédiatement à qui l’on a à faire. Ouvrier ou dignitaire. Je ne parle pas de castes, à ce sujet, inutile de chercher à deviner qui est qui, la naissance détermine le statut social d’une personne et chaque caste se transmet de manière héréditaire, de père en fils. Une famille peut avoir une excellente situation financière et appartenir à une caste inférieure. À l’inverse, une famille pauvre peut appartenir aux castes supérieures. S’ils s’y retrouvent ça me convient.
    Le véhicule de l’hôtel nous attend en lieu et place, le baromètre extérieur indique vingt-deux degrés.
    Toute la population Indienne serait-elle concentrée sur New-Delhi et ses alentours? C'est un foisonnement de tableaux vivants, d'odeurs et de situations grotesques. L’on croise des véhicules bringuebalants qui supportent des charges désopilantes. Hilare, je regarde un plateau sur roues qui transporte une douzaine de chèvres, tracté par ce qui me semble être le plus ressemblant au motoculteur de Marcel. Le pire est que cet équipage parvient à nous doubler dans la cohue ambiante. La chine est un malheureux exemple pour la pollution aux particules fines, mais New-Delhi n'a rien à lui envier, le brouillard y est continuel ces temps-ci nous explique le voiturier. C’est flippant tout de même, mais le lieu ne manque pas d’un certain charme et je n'y suis pas insensible. Pour ce qui est de Bébé je donnerais vingt sous pour lire dans ses pensées. Il est silencieux et son regard fixe, le choc des civilisations est pour le moins violent pour lui.
    Nous nous sommes installés à l’hôtel pour une durée indéterminée, et j’ai comme l’impression que le personnel n’apprécie pas particulièrement cette incertitude. L’on nous propose plusieurs fois d’emplir ‘correctement’ le questionnaire d’entrée dans l’heure qui suit notre arrivée.
    La chambre est immense alors leurs suites doivent être démesurées. En constatant les dimensions hors normes du lit, mon Fripon envisage déjà un joyeux retour d’excursion.
    Au desk l’on nous tend différents flyers, des itinéraires à touristes pour la plupart, mais Bébé a potassé sur notre expédition durant des mois alors il a une idée bien précise de notre itinéraire. Dépaysement et calme garanti m’assure-t-il. Je lui laisse le bénéfice du doute. En plus du service impeccable, nous obtenons un véhicule de prêt ce qui va nous permettre de nous déplacer à l'envie. Bébé maitrise la conduite à gauche, moi je ne m’y risquerais pas ici. Quelques minutes dans la circulation et je comprends qu’en fait c'est le klaxon qui leur sert de code de la route. Je résumerais cette première expérience par : des instants de grâce offerts par une population affable et curieuse. Nous nous sommes perdus deux fois.
    Le premier repas pris à l’hôtel a été … bof, aucun mot ne me vient à l’esprit.
    Les spécialités en buffet sont à essayer au moins une fois. La salade aux dix ingrédients m’a tenté. L’ananas batifolait avec des pois chiches, des lentilles, de l'avocat, du poulet, de la mangue, des crevettes, du chou chinois tranché en lamelles et deux autres éléments dont je n’ai pas reconnu le goût. Beaucoup d’ananas, mais surprenant et délicieux. Un véritable lassi au parfum banane, une belle découverte. Sans vouloir dénigrer les talents de mademoiselle Françoise, je n’en ai jamais bu d’aussi fantastique que celui-ci. Demain j’essaie celui aux pétales de roses, c’est une tuerie selon les dires de ma voisine de table. Je présume que c’est parce que la vache est sacrée chez eux que le mouton et le poulet sont littéralement noyés à toutes les sauces dans leurs préparations. Sauces pimentées bien sûr.
    Mon grand fou a voulu se faire plaisir avec un tandoori à la viande de mouton macérée dans du yaourt épicé, plat typique s’il en est un. Thermo -nucléaire le piment. Je veux bien le croire, aux cinq premières bouchées, lui qui adore les épices, Bébé en avait les larmes aux yeux. Lorsque nous sommes chez ses parents et que mademoiselle Françoise s’est oubliée sur les aromates piquants, Ash avale un morceau de fromage et son palais retrouve sérénité. Ici les produits laitiers sont denrées rares alors pendant une dizaine de minutes Bébé s’et retrouvé en état d’agueusie. Selon lui nous devrions nous installer en Inde car ici au moins je me nourris correctement. Pensez donc, j’ai juste dit que j’appréciais leurs plats végétariens et que je désirais expérimenter leurs saveurs. Par contre, là où j’ai légèrement tiqué, c’est pour la conservation des aliments. Tous les présentoirs restent ouverts le temps du service. Pire, lorsqu’un des convives a fait tomber les pinces à service, l’employé les a aussitôt ramassées et … remises dans le bac de service sans que personne ne s’en offusque. Si, moi. D’où certaines vaccinations obligatoires je suppose?
    Dans l'ensemble j’apprécie ce plongeon dans une autre réalité, pourtant la petite européenne que je suis aurait quelques réclamations à faire sur … Bébé irradie, il se sent chez lui, et pour cause. Alors je ne me vois pas lui gâcher son bonheur en me comportant comme une enfant gâtée. Ceci d’autant qu’il vient de me dire que ma présence à ses côtés est le petit plus qui lui fait ravissement de ce retour aux sources. Fière.
    Il m’épate vraiment pour quelqu’un qui redécouvre le berceau de ses premières années. Philip et Dorothy ont entretenu en mémoire les traditions et coutumes de la fratrie. Quelques bribes de dialecte subsistent, mais Hylam et Sodishan n’ont pas désiré en garder réels souvenirs. Pour Ash, se sentir à l’aise ici est légitime puisque Penjî rendait régulièrement visite à sa famille en Inde et qu’une fois ou deux il a emmené Ash. C’est pour cela qu’aujourd’hui Bébé se sent presque chez lui dans la fourmilière, il me dit recouvrer des sensations, des présences et il peut même se joindre aux conversations les plus simples.
    Celui qui vient en Inde apprend à avoir de la patience s’il n’en n’a pas et la perd s’il en a…

    AVeC CuRioSiTé... 09 Janvier 2017

    ……Le temps s’arrête dès les premiers tours de roues qui nous éloignent de Dankaur!
    Entre la majesté de l’architecture et la magie de rencontres extraordinaires, l’on y perd instantanément nos codes et nos repères. Tout au long du parcours de la journée des merveilles s’offrent à nos yeux. Une zone archéologique avoisine avec le minaret le plus haut d’Inde, Qutb Minar, la tour de la victoire. Je suis fascinée par tous les tons rougeoyants de ce monument constitué de grès rouge, d’une hauteur de soixante-douze mètres et décorée avec des cannelures et des encorbellements de stalactites.
    Bébé nous faufile avec dextérité dans la jungle de la circulation. Ici la conduite est librement adaptée à la dimension du véhicule. La seule chose indispensable au dit véhicule est de posséder d’excellents freins sur lequel il faut constamment garder le pied. Les passages pour piétons sont inexistants et aucun ne regarde avant de se lancer sur la chaussée. L’on vous dépasse de droite et de gauche sans vergogne. Et surtout, la légende des vaches sacrées n’en est pas une. Ce sont vraiment les reines. Il arrive même qu’elles meurent de vieillesse dans les rues et qu’ils oublient parfois de les faire évacuer, c’est vraiment gore. Ces gens me plaisent vraiment, au moins ils savent où sont leurs priorités. Sagesse, tout est relatif, et placidité.
    Pour en revenir à la conduite, Bébé m'épate. On dirait qu'il a fait cela toute sa vie. Non seulement, il doit éviter les chariots à bœufs, les vélos surchargés de colis où de passagers, jusqu’à quatre parfois et les rickshaws fous qui déboulent sans avertir. Le pire ce sont les voitures et les camions qui roulent à côté de la route dès qu'une difficulté se présente, d’ailleurs ils adorent ce que nous nommons les queues de poisson. Dans une petite ville nous avons dû nous déporter dans un champ car l'unique voie était encombrée par une cérémonie. Ils y avaient même placé des lanternes et des coupelles d’encens au centre de la chaussée. Une fois que l’on maîtrise le klaxon celui-ci sert aussi à se saluer, s’insulter, prévenir du danger et faire de la place pour s’enfuir. Jamais je n’ai connu Bébé aussi zen au volant et lorsque je lui en fait la remarque, il m’a tout simplement répondu « Ça n’est pas pire ni plus compliqué que de rouler dans Londres aux heures de pointe » Si comme les autochtone Ash perfectionne sa conduite intuitive, gare au retour aux Aspidies.
    L'Uttar Pradesh est un état immense aux hauts lieux nombreux. Il nous a fallu faire un choix en fonction de l'expiration de nos visas et de mes capacités motrices. Je fais des efforts pour me sentir bien afin de ne pas gâcher notre séjour, cependant je crois que nous n'aurions pas assez de deux vies pour tout explorer. Ce pays est magnifique et je n'ai jamais vu Bébé aussi rasséréné que ces dernières heures. Malgré toutes ces années passées loin de sa terre natale, tout est resté inscrit en lui et lui revient naturellement. Cela me bouleverse. Nous nous fondons peu à peu dans le décor, et celui que nous avons sous les yeux est loin d’être du pur Bollywood. Les odeurs et la toile de fond sont des plus … exotiques.
    Après une bonne nuit de sommeil, façon de parler car une cérémonie aux chants traditionnels se déroulait juste en face de l’hôtel. Et surprise, nous avons dû cohabiter avec un gentil gecko qui s’amusait à faire son jogging sur le mur près de notre lit. Surprenant mais normal nous a-t-on dit, ces petites bêtes chassent les moustiques. Insecticide bio, tout est question de tradition. Culinairement parlant il valait mieux avoir le palais bien accroché, le petit-déjeuner salé et végétarien qu’Ash s’est fait servir faisait la part belle aux épices et au piment dès huit heures trente le matin. Un repas qui ressemble à s’y méprendre à ceux du déjeuner ou du dîner. Chaque région ayant sa spécialité, ça promet. Pour moi cela a été lassi et thé épais, de l’ordre du consistant dirais-je. Or donc après ce premier repas de la journée, nous nous sommes dirigés vers un immense marché grouillant et coloré que l’on nous avait conseillé de parcourir. Il y règne une diversité d’art et d’artisanat incroyable. L’on y découvre des trésors tels que des objets en bois de rose ou de santal, des tenues traditionnelles, des draperies et d’impressionnantes sculptures en ferronnerie. De petits restaurants alentours fleurent bon les épices et la viande de chèvre dès dix heures du matin. Nous avons fait l’expérience du rickshaw pour nous y rendre. Cela n’a rien de comparable avec nos chères rosalies du Sud de la France. Négocier le tarif a été un moment d'anthologie grâce à Bébé qui a gardé et réappris de nouveaux acquis de langage. Cela lui a permis de remettre en place, dans la langue de Gandhi, le petit gars qui voulait nous rouler. Les gentils indiens aiment les touristes, mais avec une tolérance zéro, c’est-à-dire à la tête du client. J’exprimerais ceci en écrivant aimablement que tous ne sont pas dans la zénitude.
    Le rickshaw disais-je, est un engin traditionnel qui tient du pousse-pousse, du vélomoteur et de la chaise à porteur réunis. Idéal pour parcourir certaines rues pittoresques de la grande ville, mais vraiment trop tape-cul pour l’utiliser régulièrement. C’est à vos risques et périls de laisser dépasser une partie du corps du frêle habitacle. Certaines fois l’on se retrouve roues à roues, serrés comme des sardines contre les autres. L'on peut participer à la conversation des voisins sans problème pour peu que l'on sache parler allemand ou chinois. Hors de question que je remette un pied là-dedans. Évidemment Bébé a adoré.
    Depuis notre arrivée je fais une cure de riz, de mangue et de lassi. Cette boisson existe en tellement de version qu’il est impossible de ne pas en apprécier au moins une. Moi je préfère les versions sucrées. Le lassi sert de breuvage de bienvenue et de remède miracle pour survivre aux mets épicés. Et tout est très épicé, même les desserts. Butter chicken, Cheese naan et un dessert à la carotte nommé Halwa, mon Fripon rayonne. Sa vaillance les nuits d’étape a-t-elle un rapport avec sa consommation excessive d’épices?
    Mes talons me rendent la marche rude. Je serre les dents, je veux aller dans ce lieu mythique…

    De L’iNSoLiTe à l’éTRaNGe… 12 Janvier 2017

    …Splendeurs et indigence se côtoient. Mes regards se noient de découvertes inattendues!
    Je ne sais pas comment exprimer les puissantes émotions qui me submergent. Tout est dans la démesure ici. Je me risque à écrire que leur pauvreté est une richesse. Certaines contrées sont si modestes que l’humilité s’est faite femme et qu’elle en est certainement la reine, mais l’on y est toujours accueilli avec le sourire. La plupart du temps, car la présence de touristes est une manne appréciée.
    Je comprends à présent pourquoi Bébé a axé notre séjour en un point unique. Sur un périmètre de deux cents kilomètres à la ronde, il y a déjà amplement de quoi étancher notre soif de dépaysement et de culture.
    J’apprécie qu’Ash ait veillé à ce que je ne me fatigue pas de trop dans des excursions interminables. Toutefois, certains sites se méritent et valent leurs sommes de douleurs. Par endroits, les routes sont si cabossées que l’on se croirait sur des montagnes russes, c’est éreintant.
    Les véhicules tout confort, ils ne connaissent pas ici. Ma Canaille se fait plaisir avec un tank issue d’une collaboration japono-sino-indo-franco-italienne. Cela tient d’un croisement entre un SUV et un 4x4 dont ils auraient oublié de poser les amortisseurs. Cela dit, on se faufile dans des endroits improbables avec ce véhicule. Je savais Ash organisé et prévoyant, mais là il a dû peaufiner notre parcours des semaines durant ou alors un GPS lui a été implanté à la naissance. Il m’amène presque à chaque fois à destination. Presque oui, deux fois nous nous sommes retrouvés dans un coin perdu de l’Uttar Pradesh, c’est assez flippant d’ailleurs. L’horizon est grandissime et les deux milles habitants qui composent la population des villages où nous nous sommes perdus est … bref c’est trop calme. Je ne sais pas si c’est notre véhicule ou le fait que Bébé aborde les gens avec confiance qui nous a valu un attroupement. J’étais couverte de la tête aux pieds, mais j’ai attiré beaucoup de regards et franchement certains n’étaient pas bienveillants. Après explications tout le monde s’est détendu et l’on nous a proposé du chai, la boisson de convivialité chez eux.
    Ces petits écarts de parcours nous forcent à nous restaurer le long de la route. Je ne sais pas si l'on peut qualifier de restaurant les petits cabanons où nous prenons nos repas dans la journée. J’en arrive parfois à regretter le buffet aérodrome à animalcules et les cuillères souillées de l’hôtel.
    Je me sens rassurée aux côtés de Ma Canaille. Son apparence le rend légitime en ces lieux et cela nous facilite la vie. Nous sommes accueillis correctement vais-je dire. Non pas que ces gens n’aiment pas les touristes, mais ils s’en méfient. Franchement ce dont je me méfie vraiment, c’est la façon dont est préparé ce que nous ingurgitons. Ayant vue sur les casseroles dans la salle de restauration, cela n’était pas très engageant. À la guerre comme à la guerre aurait dit Mamaiette. Après tout ce sont les culs des marmites qui sont noir charbon. Des navets et des boulettes de moutons au safran pour Bébé, des pommes de terre aux lentilles pour moi. Advienne que pourra. L’on n’est pas embarrassé par les couverts, ils sont remplacés par des crêpes chapati que l’on casse à petits bouts puis roulés en cornets. Original, efficace, peu de vaisselle. Le truc qui me rebute un peu c’est que nous devions partager le plat avec deux autres convives.
    Deux mille habitants et l’eau est encore un luxe dans le village. Nous devons nous rabattre sur le lassi préparé dans de vieux contenants à soda. Certes il y a des points d’eau, mais mieux vaut ne pas s’y risquer car nous aurions aussitôt besoin de secours assistance santé. Des petites bouteilles d’eau minérale sont en vente, mais l’on nous a conseillé d’y faire très attention. La languette de plastique et le bouchon ont parfois été ouverts. Il arrive que nos amis Indiens ne soient pas très honnêtes et qu'ils réutilisent les contenants avec de l'eau du cru. Ash qui ne vit plus que pour la conversation a recueilli le fin mot de l’histoire. Ce genre de manipulation est réservé aux éternels insatisfaits de passage, des gens particulièrement désagréables. Je dirais que les indiens usent de solidarité entre eux, pendant que le déplaisant court à la recherche d’un buisson pour se vider, il n’accable plus personne avec ses protestations.
    Je me refuse à manquer de respect envers ces gens en qualifiant leurs établissements de gargotes, mais il est certain que l'hygiène laisse grandement à désirer et que le niveau d'exigences doit être réviser à la baisse si l’on ne veut pas se faire d’ennemis. Leur vaisselle, lavée avec de l’eau plus ou moins trouble, n’est jamais essuyée et celle-ci trône dans des paniers qui prennent la poussière à longueur de temps. Lingettes désinfectantes et mouchoirs en papier exigés devraient être inscrits en grosses lettres sur les tables … quand ils en disposent. Oui, en Inde on mange par terre, dans les maisons il y a rarement une table, ils prennent leurs repas à même le sol, assis en tailleur sur une simple natte prévue à cet effet. Les indiens aiment la sobriété m’a-t-on dit. Je me refuse également à faire ma grincheuse, tout n’est pas si misérable et affligeant que veulent nous le faire croire les nombreux forums qui diffusent une mauvaise image de ce pays sur le net. Lorsque débarque l’européen qui n’a consulté que ces sites, il est empli d’aprioris, c’est bien dommage. J’ai vécu quelques années en mode misère et je ne trouve pas que ce soit pire ici. Modestement ma contribution au sites sérieux sera de dire qu’il faut user et abuser du déchaussement car c’est une grande forme de respect que nous leur accordons ainsi. « Bonjour les mycoses » a grogné un belge qui refusait de se déchausser à l’entrée d’une petite boutique. On l’a tout simplement mis dehors. J’en viens à penser que ce n’est pas pire que dans nos piscines municipales.
    Personne n'avait encore osé apostropher Bébé sur ses origines, autant ces gens peuvent être discrets, autant ils peuvent se faire curieux. Une petite vieille sans âge, intriguée pas mon apparence européenne, a carrément demandé à Ash comment il avait réussi à obtenir l'autorisation de nos familles pour m'épouser?
    J'avoue que sur le moment, je n'ai pas compris cet intérêt soudain pour notre couple. Ash m'a expliqué qu'en Inde, il est très difficile d'épouser sa ou son bien-aimé vu qu'en général ce sont les parents qui organisent les unions. Ash n’a pas révélé le fait que nous vivons dans le péché, cela aurait scandalisé la pauvre femme. Il a seulement répondu qu'il était enfant du monde, européen de souche indienne. Il lui a même confié son nom de famille indien. Elle a acquiescé d’un signe de tête, en revanche elle a eu l’air très contrarié lorsqu’il m’a pris par la main et m’a embrassé le poignet. Bébé a oublié que ses congénères sont extrêmement pudiques et qu’il y a peu d'effusions de sentiments et de complicité dans le couple indien, cela me fait dire que le poids des règles a encore de beaux jours dans les campagnes.
    Alors que nous nous apprêtions à partir, la vieille femme s'est approchée de moi et elle m'a sondé d’un regard si profond et si long que cela m'en devenait désagréable. J’avais l’impression qu’elle me passait aux rayons X. Puis, frôlant mon visage de sa main, elle m'a gratifié d'un grand sourire que je me suis empressée de lui rendre, on ne sait jamais. La longue tirade qui s'en est ensuivie m'a été totalement incompréhensible et Ash a été incapable de me traduire une longue partie du dialecte qui la composait. De ce qu’il a compris, la vieille femme me conseillait d'enluminer la raie de mes cheveux et mon front d'un bindi, une empreinte positive et joyeuse qui contribuerait selon elle à me rendre ma joie de vivre perdue. Cette femme disait percevoir en moi de grandes souffrances et une perte de ma force vitale. Comment une petite vieille, vivant à des milliers de kilomètres de mon humble existence, peut-elle avoir connaissance de mes douleurs physiques et morales? Cette prescience est à la limite du flippant. Le bindi dont elle a fait mention est un ornement en forme de goutte qui symbolise le troisième œil incarnant la conscience, la bonne fortune et le karma. Une protection naturelle en quelque sorte, et moi qui m’imaginais que ce n'était qu’un accessoire de mode dédié aux femmes indiennes. Pour le fun, je précise que tel un philtre d’amour, le bindi est supposé ensorceler son amoureux et de ceci je n’ai nul besoin pour attirer sur moi les généreuses attentions de Bébé, les épices atomiques avec lesquelles ils cuisinent ici, sont toutes aussi efficaces. Je me comprends.
    Au fil de nos randonnées Ashlimd se réapproprie la prononciation de certains mots et parvient sans difficulté à gommer les sonorités de son accent so british, mais il m’assure que chaque contrés que nous traversons possède son propre dialecte avec diverses variantes d’élocution. Mais c'est comme la bicyclette me dit-il, ça ne s’oublie pas. Je ne crois pas exagérer en affirmant qu’il a une mémoire au-dessus de la moyenne, surtout lorsque l’on sait qu’il était âgé d’à peine six ans lorsqu’il a quitté la terre de ses ancêtres.
    Ces derniers jours Ash pense énormément à ses frères, il aurait tellement aimé qu’eux aussi tentent l’expérience, mais Hylam est toujours tourmenté aux souvenirs qu’il lui reste de ses jeunes années, le visage de ses aînés s’estompe peu à peu de sa mémoire et cela l’afflige plus qu’il ne veut bien l’avouer. Quant à Sodishan, il était trop jeune pour que des réminiscences de sa prime enfance lui soit restituées correctement, alors pour lui l’Inde est un pays comme un autre. Mumy et Papily aiment leurs fils de tout leur cœur, ils leurs ont procuré un foyer, la facilité d’accéder à de bonnes études et surtout de demeurer une fratrie. Pourtant, même si les garçons ne veulent pas l’admettre, c’est le sang indien qui coulent dans leurs veines qui les guide. Ash en est de plus en plus conscient, et là il s’éclate au-delà du possible. Il m'a laissé entendre que le but de ce voyage était aussi de m'emmener en un lieu qui possède, selon les traditions hindoues, certaines vertus thérapeutiques pour celles et ceux qui savent mesurer la chance de fouler son sol. Je confirme, tout est m’est thérapie ici. Mes douleurs sont bien présentes, mes talons et mes lombaires me font cruellement souffrir, mais quelque chose me pousse à ignorer cette souffrance et je fais en sorte que Bébé ne se doute pas que je sers les dents à chacun de mes pas en fin de journée. C’est dans ces moments que je me dis qu’il est temps pour moi de m’intéresser à la médecine ayurvédique comme me l’a conseillé la gouvernante de notre hôtel. Ces soins sont basés sur la croyance que la santé et le bien-être dépendent d’un équilibre délicat entre la conscience, le corps et l’esprit. Leur but principal est d'assurer une bonne santé, et non de combattre les maladies, en prenant bien sûr en compte les troubles spécifiques. Toujours selon cette personne, les institutions académiques indiennes liées aux médecines traditionnelles ont contribué à donner une visibilité internationale à l’ayurveda et de prestigieux vaidyas essaimeraient leur pratique de par le monde. À approfondir sérieusement lors de mon retour en France.
    Nous avons atteint notre première destination en milieu d’après-midi, la vision du fort est époustouflante et me récompense des douleurs qui maltraitent ma colonne. Le grès rosé de l’édifice devient rouge et vice versa suivant la force de frappe des rayons du soleil. Une nouvelle merveille. Nous sommes allés nous installer à l’hôtel, la visite sera pour demain. Nul besoin de se prélasser dans le luxe, un confort douillet est amplement suffisant. J’étais fatiguée à en tomber et je me suis endormie comme une masse. Je me sais protéger par mon traitement basique qui semble suffire pour l'instant. Avant notre départ Bébé a pris un rendez-vous avec le rhumatologue à Londres alors je ne stresse pas outre mesure, mais je suis consciente qu’il y aura forcément une crise causée par nos déplacements nombreux, par le climat étouffant de cette région et par une nourriture aux arômes puissants.
    Je suis admirative de ces femmes qui avec des légumes et du riz vous composent d’excellents repas. Je m’attends à tous moments à voir Ash cracher le feu. J’ai voulu m’essayer à l’un de leurs plats végétariens, eux aussi sont certifiés brûle gueule. Il paraît que certaines ethnies ne mangent jamais de viande, car elle serait maudite, aussi les épices, exhausteurs de goût naturels, sont rajoutés dans chaque préparation afin d’assaisonner les consommés de légumes. Celle à base de pois chiches, de lentilles, d’aubergines, d'ail et de piment en poudre est … déconcertante. J'adore le thé, mais lorsqu’il est bouilli en même temps que l’eau puis filtré, c’est costaud, mais le pire vient ensuite, du lait et des épices y sont rajoutés. Celui que j’ai testé était à base de cannelle, de clous de girofle, de cardamome verte, de poivre, de badiane et de gingembre en poudre. Ils nomment chaï cette décoction. Tenter d’en adoucir la saveur avec du sucre et du lait est inutile et il n’est pas question de refuser quand on vous offre cette boisson. Cela dit, après l’avoir consommé je ne sentais presque plus mes talons estropiés. Une nourriture normale et de l’eau en bouteille à profusion, voilà ce dont je rêve. Ce n’est que le dernier jour de notre périple que je serais exaucée. Pain local et cuisson sans épices de légumes en tandoor, genre ratatouilles de nos grands-mères, je vais apprécier. Tout comme le poulet frit et les feuilles de pain, je suis certaine que mon estomac m'en sera éternellement reconnaissant.
    Je me suis lassée très vite de cette nourriture que je pensais mieux me convenir. J’en ai pris conscience hier soir et du coup la fin de mon séjour va être compliqué.
    Viandes midi et soir pour le carnivore qui m’accompagne. Ash est totalement accro aux épices et c’est pour cela qu’il préfère des découpes de bestioles, agneau ou poulet cela lui est égal, qui ont été préalablement enduites de yaourt et mariné avec du garam masala, du gingembre, de l'ail, du cumin et du piment de cayenne. Ce grand malade me dit que ce ne sont que des anesthésiants naturels. C’est moi ou il a toujours adoré se nourrir avec ses doigts? Bébé n’est heureux que lorsque ses aliments évitent la noyade en pataugeant dans une sauce safran. Il plonge ses doigts avec délectation dans son assiette, sans en éprouver la moindre gêne. Quelques jours encore et il ne saura plus à quoi servent les couverts.
    Le sommeil me fuit à cause de la sieste que je me suis accordée en fin d’après-midi alors, en compagnie d’autres insomniaques, je flâne sur la terrasse couverte. C’est curieux, mes regards se portent sur des milliers de merveilles, mais la seule chose qui me vient à conter, c’est cette multitude de saveurs qui jalonnent nos repas. Me nourrir m’est corvée, ici aussi. J’étais persuadée d’avoir éteint le mode européen de mon fonctionnement, mais je me rends compte que mes tocs insensés sont encore bien présents.
    Pourtant, je m'habituerai facilement à ce style de vie. Étoiles scintillantes, Mylhenn alanguie…

    La CiTé auX MeRVeiLLeS... 15 Janvier 2017

    ...Nous avons enfin atteint notre point de chute. Des joyaux d’architecture à perte de vue!
    Les visites sont éprouvantes tant physiquement qu'émotionnellement. Aucun qualificatif ne pourrait décrire ce que nous avons sous les yeux. Imposant, mythique, grandiose, flamboyant, éblouissant. Je comprends à présent le classement au patrimoine de l’humanité de la plupart de ces monuments. Tous les édifices de la région sont fascinants et il faudrait des mois pour en appréhender totalement l’histoire. Nous n’en avons malheureusement pas le temps, mais Philip possède de magnifiques livres les concernant alors je vais me faire une joie de les consulter dès notre retour aux Aspidies.
    Leurs empereurs avaient le sens du décorum, c’est le moins que je puisse écrire.
    Celui que nous avons visité c
    Ces dernières heures nous avons visité le phénix des forts fait de grès rouge. Il abrite le tombeau de celui qui en a inspiré l’élaboration. Le fort rouge d’Agra puisqu’il s’agit de lui contient deux mosquées et un chemin de ronde sculpté dans de la roche blanche naturelle. Les murs d'enceinte ont une vingtaine de mètres de haut sur deux kilomètres de long. Un unique accès est ouvert au public, la porte Amar Singh. D’ailleurs une partie de ce gigantesque monument est encore occupée par l’armée nous a-t-on dit. Époustouflant. Surtout l’une des mosquées, érigée à l’intérieur des remparts. D’une beauté légendaire disent-ils, et c’est vrai. Elle dispose de trois fantastiques dômes faits de marbre blanc, l’esthétique est parfaite, une splendeur. De nombreux palais parsèment les lieux, la salle d’audience pour les étrangers de marque est remarquable. Certains de ces palais sont réalisés avec extravagance mais dignes d’accueillir leurs souverains. Les jardins complètent la magie des lieux. Le clou de la visite est la magnifique tour octogonale, le joyau du fort rouge. Son dôme est également en marbre blanc, l’ensemble est sublimé par une exquise fontaine. Flamboyant, lumineux, j’ai des étoiles pleins les yeux et la fierté que Bébé ressent pour ses ancêtres sourd par tous les pores de son corps. J’exagère à peine.
    Autant dire que les quelques heures passées à arpenter les allées du monument m’ont épuisée, mais je me refuse à céder à la maladie. Un lieu encore plus extraordinaire nous attend alors je sers les dents et la Bonne Mère me protège. Je sais que je le paierai plus tard, pour l’instant l’émerveillement est le plus fort.
    Impressionnant, extraordinaire, majestueux. Six heures du matin : Aujourd’hui est empreint de magie m’affirme Ash, je trouve que son exubérance est bien matinale. Pourtant au terme d’un trajet ahurissant en rickshaw nous sommes arrivés sur les lieux de l’excursion. Des rotations de dizaine de rickshaws devrais-je dire car le parking destiné à recevoir les visiteurs est très éloigné de ce monument mythique, toute voiture y a été prohibée alentours depuis deux décennies.
    Situé à Agra, au bord de la rivière Yamuna dans l'État de l'Uttar Pradesh, un mausolée de marbre blanc a été érigé, le taj Mahal. Selon Ash, le lieu possèderait de prodigieuses vertus, entre autres celle d’apaiser et de préserver l’existence de ceux qui foulent et ont foulés son sol. Voilà pourquoi Bébé tenait tant à me ménager ces derniers jours, c’était pour que je découvre sereinement le magnifique ouvrage.
    D’entrée l’on nous met en garde, le palais est très abimé et il convient de le respecter. Le pire ennemi du Taj Mahal est la pollution environnementale avec ses pluies acides qui font régulièrement virer le marbre blanc au brun et attaquent les incrustations précieuses nous dit-on. Depuis plusieurs années, le gouvernement indien a mis en place une zone retrait autour du monument afin de réduire le trafic routier et les émissions industrielles en déportant, trop tardivement selon certains, les usines polluantes. Tous les trois ans une opération décrassage à l’argile est programmée, mais le coût en est faramineux ce qui explique qu’une contribution, plus ou moins exagérée, soit demandée aux touristes. L’un des problèmes récurrents et pas des moindres, est qu’à proximité il existe encore de nombreux crématoriums toujours en activité. Récurrents et insoluble. La crémation fait partie intégrante de la religion.
    De tous temps le monument a été protégé. Pendant la seconde guerre mondiale, craignant que le Taj Mahal ne soit repéré pour subir ensuite des attaques aériennes, le monument a été habillé d’échafaudages en bambous. Plus récemment, la sécurité avait été renforcée à la suite des attentats du onze septembre. Des mesures préventives, suite à la menace d'une guerre avec le Pakistan voisin, étaient envisagées pour recouvrir le monument avec une toile kaki afin d'éviter la réverbération du soleil qui le rend visible à quarante kilomètres à la ronde. En écoutant l’accompagnant traducteur, je me suis sentie toute petite et en pensée, j’ai demandé protection pour le Taj Mahal à leurs Dieux ancestraux.
    Mais il est bien certain que le plus grand danger qui menace l’ouvrage est la pollution.
    Cela surprend, mais le Taj Mahal abrite de charmants petits lutins poilus. Curieux, des petits singes guettent, en bande organisée, leurs futurs larcins du haut de l’enceinte. Aucun touriste n’est à l’abri des bestioles, ni des autochtones. Il se pratique ouvertement une ségrégation tarifaire à l'entrée. Ce serait pour la bonne cause nous a-t-on dit, pour financer des travaux de réfection sur le long terme. Oui, Ash et moi avons pratiqué. Bébé a failli payer demi-tarif, ce voyou a naturellement le look indigène. Trop honnête, il a décliné l’offre du coup à son tour il a été considéré comme un visiteur lambda. Je peux dire ouvertement qu’ils ne chouchoutent pas trop le touriste même si c’est lui qui les fait vivre en partie. Bref, après une fouille au corps très succincte et munis d'une bouteille d'eau chacun car il fait une chaleur humide, nous pouvons enfin accéder au Saint des Saints.
    L’architecturale incroyable de l’édifice est bordée de jardins aux fontaines aussi belles et richement enjolivées les unes que les autres. Selon que l'astre ensoleillé soit à son levant ou à son ponant, le palais change de couleur à chaque heure de la journée nous explique-t-on. Le rose de l'aube apparaît sur le marbre blanc, ensuite aux environs de midi vient une blancheur éclatante, je confirme, et enfin un doré-orangé au coucher du soleil. Nous en sommes au blanc bleuté, c’est fabuleux. Il semblerait qu'une visite de nuit soit possible, mais il faut réserver des mois à l’avance. Dans le mausolée, pieds nus évidemment, nous parcourons une chambre octogonale dans laquelle sont exposés les cénotaphes, ce sont des monuments funéraires qui ne contiennent pas de corps, du Shah Jahan et de sa dulcinée Mumtaz Mahal. Dans la religion musulmane, les corps doivent être disposés à même la terre. Les vrais tombeaux sont disposés en dessous des cénotaphes, dans une crypte souterraine. Nous avons passé près de trois heures intenses à sillonner le site main dans la main. Oui c’est très mal vu, mais à chaque fois que l’on nous regardait froidement, le regard de Bébé devenait aussi avenant que celui d’un fidèle thug.
    De nombreuses pierres précieuses, agates, turquoises et diamants, sont incrustées dans le monument fait de marbre blanc. Il n’existe aucun mot pour décrire cette splendeur, je me sens privilégiée. Ce n’est qu’après être sortie du Taj Mahal et de ses jardins que la fatigue m’est tombée dessus. C’est certain, la ‘‘protection’’ des lieux m’avait été retirée. Trente-cinq minutes d’attente et le rickshaw nous a conduit au parking. À peine installée je me suis écroulée, j’ai dormi tout le trajet du retour à l’hôtel. Une très belle histoire d'amour est à l'origine de la construction de la perle de l'Inde. À seize ans, Sha Jahan rencontre Arjumand Banu Begam, nommée plus tard Mumtaz Mahal, l'élue du palais. Sha Jahan devient empereur, et Mumtaz devient son épouse, son conseiller et son amie. Ils auront de nombreux enfants, mais sept seulement survivront. Mumtaz meurt en couche et en une nuit les cheveux de l'empereur blanchirent. Fou de tristesse, celui-ci décida de construire un monument en l'honneur de son épouse décédée pour lui prouver son amour et où pourrait reposer en paix sa dépouille. La légende veut que l'empereur fît tuer la femme de l'architecte pour que celui-ci puisse comprendre la douleur de la perte de sa bien-aimée et façonner ainsi un monument digne de cet immense amour. Une autre légende raconte que seize ans plus tard, à la fin de la construction de l'édifice, les mains des bâtisseurs furent coupées pour qu'ils ne puissent pas réaliser un monument semblable. Quelques années plus tard, le fils de Shah Jahan, destitua son père de son pouvoir et l'envoya finir sa vie, emprisonné au fort rouge non loin du Taj Mahal où il fut inhumé aux côtés de sa bien-aimée quelques années plus tard. C’est à quelques kilomètres à vol d’oiseau du Taj Mahal, bien au frais dans notre chambre ventilée, que je prends vraiment conscience de l’extraordinaire sentiment qui unissait un prince à sa princesse.
    Massage aux huiles de camphre et clous de girofle, j’ai été transformée en souche.
    Un détail me revient à propos du Taj Mahal. À l'entrée du merveilleux monument, sont faites aux visiteurs, en diverses langues, de nombreuses recommandations. L’une d’elles, en anglais, m’a bien fait rire. No camera, Turn your phone off. Ils veulent garder le monopole des cartes postales je suppose? L'APN de Bébé, un monstre au top de la vidéo, est resté sagement dans sa housse de protection pluie. De ce fait la triche était facile, Ash a ôté l’obturateur, programmé l’appareil et ainsi il a pu filmer intégralement la salle du tombeau et la fresque du couloir. Nous n’étions pas les seuls à tricher. Doit-on prévenir nos amis Indiens que nous sommes entrés dans l'ère numérique et que les gens ont leur portable greffé à leur paume? Et ces petites bêtes sont de plus en plus facile à dissimuler. Par contre si la sécurité vous y prend, l’amende est … épicée.
    À quelques heures du départ il convient de nous rappeler que nos sacs de voyage ne sont pas extensibles et nous n’avons pas encore réfléchi aux présents pour la famille. Mumy a déjà en sa possession plusieurs saris et Papily possède à lui seul un musée de l'art Indien dans son salon d'été. À part cela, pas de pression. Nous devons nous rendre une dernière fois au Chandni Chowk dans le Vieux Delhi.
    Re-rickshaw en perspective, courage Mylhenn. Nous partons pour l’aéroport dès demain…

    L’eSSaiM, BiS RePeTiTa… 17 Janvier 2017

    ...Bientôt le départ. Pourquoi n’ai-je pas compris cela plus tôt?
    Tout au long de notre séjour je me suis extasiée sur la facilité avec laquelle Ash s’exprimait dans sa langue natale pourtant délaissée depuis son enfance. Et soudain cela m’est revenu.
    Lorsque Penjÿ séjournait à l’appartement de Bébé, il arrivait que tous deux s’expriment en hindi, surtout lorsque le meilleur ami de Bébé ne voulait pas que je comprenne ce dont il était question. Il est évident qu’en mémoire de Penjÿ, Ash a poursuivi sa pratique des dialectes indiens.
    Tricheur va, je n’en suis pas moins admirative.
    Nous sommes rentrés tranquillement à New Delhi par les petites routes. Pas trop désertes non plus, car nos amis de l’Inde profonde sont parfois d’humeur joueuse à ce qu’il nous a été dit. Je ne me sens pas menacée, l’atmosphère ambiant des villages séculaires est paisible la plupart du temps. Ash se fond dans la masse grâce à la couleur de ses origines et il suscite beaucoup d’intérêt. Un Indien qui voyage main dans la main avec une européenne blanche comme un cul d’endive, cela intrigue. Les questions pertinentes d’Ash sur leur culture et la facilité avec laquelle il comprend leurs tergiversations de comportement rassurent nos hôtes d’un soir. C’est ainsi que Bébé a obtenu l’insigne honneur d’être convié à l’entrainement d’un art ancestral, le kushti. Comme les autres femmes du village, je suis écartée du gymnase qui, en réalité, tient plus de la cave que de la salle de sport. La barrière du langage et des traditions profondément ancrées dans ces zones reculées, m’ont mis sur pause en compagnie des femmes du village. Toutefois l’on m’a servi un thé bouilli et rebouilli qu’il m’était impossible de refuser tant il m’était offert avec gentillesse.
    Pour pratiquer cette lutte traditionnelle qu’est le kushti, associée au culte d’Hanuman le Dieu-singe, les protagonistes s’enduisent le corps de terre. Vêtu seulement d'un pagne bien ajusté, les lutteurs entrent dans une fosse, nommée akhara, ou de la terre d’argile a été mélangée à du sel, du citron, et du ghee, un beurre clarifié. Des hommes de tous âges, fils de famille aisée, paysans, commerçants, sans implication de caste, se retrouvent dans l’arène. La règle pour gagner est simple, les deux épaules doivent toucher le sol. Il n’y a aucune agressivité latente, chacun étant respectueux de l’autre, étranglements et coups de poings sont prohibés. En courtoisie et pour avoir une meilleure prise, les lutteurs répandent la terre apprêtée sur le corps de leur adversaire. Selon les traditions, la force physique n'est pas une fin en soi mais un moyen pour parvenir au contrôle des muscles et de l'âme. De ce que Bébé a pu remarquer, l’entraîneur est un véritable gourou que l’on respecte et écoute sans discuter. Ash est ressorti du gymnase convaincu des bienfaits de ce sport tellement ce à quoi il a assisté était intense.
    Après le calme relatif des villages traversés, Delhi peut réellement se comparer à une fourmilière.
    Les cyclo-pousses sont incontournables pour un circuit long, ils pullulent et se déplacent avec vélocité. Des malades quoi. Dans la mesure où ce moyen de locomotion est équipé suivant l'aisance de son propriétaire, c’est limite de l’inconscience collective. Cela va de la brouette-tricycle améliorée en passant par la niche-pédalo. Les plus nantis possèdent un rickshaw à moteur, mais nous n’y sommes pas plus en sécurité, que l’on me croit. Il est certain que nos taxis européens sont nettement plus confortables et engageants. J’ai eu du mal à franchir le marchepied de l’engin dans lequel Bébé nous a fait grimper vu que lors de ma première expérience j’ai ressenti un avertissement de danger imminent durant tout le parcours. Je me fais une raison, ce moyen de transport nous est indispensable pour nous déplacer dans la multitude grouillante du Old Delhi. Je n’aime pas le terme grouillant, mais c'est bien celui-ci qu'il faut employer.
    Nous nous devions de consacrer une journée aux achats frivoles, aux inévitables excédents de bagages. Pour cela nous avons fait un long trajet pour être à nouveau écrasés par la multitude. Certaines rues étant, en principe, inaccessibles aux engins motorisés nous avons laissé la voiture dans un parking à peu près surveillé. Toutefois la circulation jouxtant le marché Chandni Chowk où nous nous rendons étant dangereuse pour les piétons, nous avons dû emprunter une sorte de rosalie à deux conducteurs afin de nous en approcher. Ce moyen de transport n’est pas aussi festif que ceux de nos stations balnéaires puisque nous avons dû accepter de le partager avec trois touristes déjà bien alcoolisés. Une fois en passant c’est amusant, mais je n’irais pas jusqu’à dire que ma journée en a été illuminée. Ash par contre s'est fait un ami pour la vie en la personne de Raghu, l’un des pilotes, le propriétaire du ‘‘bus-rickshaw’’. Six places tout de même. Raghu forme aussi des apprentis transporteurs avec cet engin. Il en est si fier qu’il l’a décoré façon chiva colombienne, son nom écrit en lettres dorées sur une plaque en alu fixée à l’avant du rickshaw. Les sièges sont une merveille de propreté et de rembourrage. Raghu possède également trois rickshaws motorisés et se targue de compter trois employés pour faire tourner son affaire prospère, une véritable entreprise. Du coup, Ash réserve ses services pour le reste de la journée, ce qui veut dire pour Raghu, gagner une semaine de salaire en quelques heures, il est ravi. Nous l’attendons quelques minutes et le voilà qui revient avec un pousse-pousse décoré à l’indienne. Il faut juste ne pas avoir peur du ridicule. Pompons et grelots rythment notre parcours. Une bouteille d’eau non décapsulée nous a été offerte comme signe de bienvenue à Bébé et à moi, le grand luxe. Nous avons déjeuné en compagnie de Raghu pour le remercier de son dévouement. Le terme déjeuner est un bien grand mot pour désigner un en-cas pris dans l’une des nombreuses gargotes du marché. Bébé est son dieu vivant à présent. En veine de conseils, au cas où, Raghu nous recommande de payer ses collègues en fin de course car certains peu sensibles à l'éthique du métier, se carapatent en vous laissant en plan. Le meilleur et le pire de l'Inde. Les Indiens sont de bonnes personnes, mais comme partout ailleurs, certains dérapent et l’on risque de voyager léger si l’on ne surveille pas nos avoirs. Inutile de tenter les miséreux de nos richesses, sachons rester humbles et marchandons, ils adorent et cela leur permet de rester dignes.
    Chandni Chowk, bienvenue dans le chaos organisé.
    L’absence de trottoirs, les ruelles bondées et les vendeurs ambulants posés un peu partout font qu’il est plutôt désagréable de s’y balader à pied. Cela a certainement beaucoup de charme pour une personne qui peut se mouvoir avec facilité, moi si l’on me bouscule de trop, je chavire. La promiscuité y est inévitable avec des gens de tout acabit. Certains très désagréables. Allez, je balance. J'ai en tête un couple de Belges qui ont passé leur temps à tout critiquer, ils étaient dans le même hôtel que nous, j'ai bien cru que Bébé allait se laisser aller à les remettre en place. Le flegme britannique l’a sauvé d’un pugilat. Je pense aussi que ces gens tentaient de la provoquer. En passant par de typiques petites ruelles, nous sommes arrivés au cœur du marché à l’heure de ponte. Nous avons été entourés de rickshaws, de charrettes à bras recouvertes de marchandises et de char à bœufs qui provoquaient un gigantesque encombrements le long des allées.
    Le quartier des commerces résonnait de klaxons assourdissants, de cris, de conversations, de musique et d'injures, un brouhaha frénétique presque palpable. Sous nos yeux ébahis s'ouvrent des dizaines de petits commerces colorés. Les fragrances se libèrent et explosent dans toutes les allées, c'est dément. Les odeurs fortes aussi. C’est une ruche regroupant les différents visages de l’Inde que nous avons sous les yeux.
    Les saris aux couleurs vives côtoient les vêtements ternes des plus modestes, des étalages infinis, des boutiques spécialisées -deux tôles pour le toit et un voile pour le fond- où s'entassent l'hétéroclite et le nécessaire. Grâce au tape-cul de notre guide improvisé nous nous sommes rendus au marché aux épices. Raghu nous explique que le Khari Baoli est devenu une attraction touristique. Certaines échoppes sont plus modestes que d’autres, mais toutes une variété infinie de produits. Cela va du riz en passant par différents thés et herbes en tous genres. Les amandes et les noix côtoient des bocaux d’urine de vache. Ce pissat servirait à soigner certains bobos en ayurvéda nous a-t-on dit. Des mosaïques d'odeurs et de couleurs sont gravées à jamais dans mon esprit et … mes narines. Une pléthore de petits magasins s'ouvrent les uns après les autres au fil des heures qui passent. Ils accueillent de nombreux corps de métier comme des coiffeurs, des marchands de fleurs, des vendeurs de fruits et légumes, des cuisiniers de rues débutants et le plus ahurissant, un nettoyeur d'oreilles. J’ai adoré voir ça.
    Au détour d'une rue, nous avons été bloqués par un chameau. Le troupeau de chèvres qui le suivait était en partance pour un kebab réputé de la ville nous a fait savoir Raghu. Franchement la qualité du bétail n’était pas au rendez-vous, elles étaient squelettiques. Un singe nous a fort élégamment montré son derrière du haut d’une pile de cageots avant de disparaître dans une officine où se vendaient des petites fioles dont le contenu ayurvédique vanté restait à prouver. Nous avons été confrontés au trésor de l’Inde, les vaches sacrées, non ce n’est pas une légende urbaine. Toujours selon Raghu, nous n’avons pas intérêt à les bousculer si nous ne voulons pas nous faire lyncher. Attendre et attendre encore, des tonnes de patience avant que le bovidé n’aille exposer sa maigreur autres parts. Nous nous laissons porter par le bruit, la foule, les odeurs et l'ambiance. Ces gens sont souriants malgré leur grande misère, ils survivent à peine alors qu’ils possèdent une quantité infinie de trésors à leur portée. Du bois précieux, des métaux rares, des bijoux d'exception et une culture littéraire remarquable qui leur permettrait de se distinguer. Si seulement ils se donnaient la peine de mettre correctement en valeur ces possessions et ce savoir, heureusement la nouvelle génération y travaille. Frayeur assurée, le rickshaw de Raghu n’a rien de rassurant, rien de protecteur contre la conduite déjantée de ses collègues. Nous sommes à hauteur de querelles entre camelots, c’est … divertissant. Quant aux singes chapardeurs ils attaquent sans crier gare et s’emparent de tout ce qui se trouve à portée de pattes et de dents. D’insupportables petits lutins.
    Ces incontournables du Old Delhi me procurent un dépaysement bienfaisant. Un certain apaisement.
    Pour la petite histoire, Chandni Chowk, le lieu du clair de lune, a été fondé par l’empereur moghol Shah Jahan. Celui-là même qui a fait ériger le Taj Mahal pour sa bien-aimée. L'endroit peut paraître effrayant avec ses ruelles étroites jonchées de déchets, sa chaussée défoncée par des nids de poules grands comme des cratères, son absence de trottoir, et ses fils électriques qui comme de gigantesques toiles d’araignée pendent à tous les coins de maisons. Mais, est venu le moment où faisant abstraction du décor, je me suis laissée emportée dans cet univers effrayant et attirant à la fois. Mon compte en banque n’a pas souffert de mes achats et je pense que ceux-ci feront plaisir à leurs destinataires.
    Sans vraiment croire que le moment de plier bagages est arrivé, je boucle nos sacs et miracle, tout tient façon Tetris. La mélancolie me gagne lorsque nous prenons la direction de l’aéroport, dans une douzaine d’heures nous atterrirons à Roissy. Ash ne pipe pas mots et je respecte son silence, il est partagé entre ses deux mondes et je crois que cela doit être extrêmement douloureux pour lui.
    Une demi-heure de vol et Ash s’est endormi. Merci Bonne Mère, il me restait du Lysanxia…

    Le SPLeeN Du ReTouR... 19 Janvier 2017

    …Il très agréable de se savoir attendu. Nous sommes de retour dans le comté de Hertfordshire!
    Quelques heures à peine dans le Herts et déjà je me plains. Je dois dire que ça pince sérieusement, l’on est passé de vingt-quatre degrés humide à six, c’est violent. L’ambiance intemporelle qui règne au royaume de Madam’ me fait prendre conscience que mon séjour au pays du Maharajah restera inoubliable à ma mémoire et que ces souvenirs me serviront de refuge lorsque Dorothy me rendra chèvre.
    Bébé a réussi son coup, je suis tombée amoureuse des paysages magnifiques de l'Uttar Pradesh où même les endroits les plus arides ont du charme. J’ai traversé de rares villes aux champs verdoyants et d’innombrables terres sèches et caillouteuses à perte de vue. De modestes monuments sont érigés avec respect au centre des places des villages perdus. Des temples, tels des champignons, poussent en une nuit à chaque croisement des chemins de chèvres qui servent de routes aux autochtones. Ils sont magnifiques de simplicité. Envie de tout, besoin de rien, les échoppes pourraient se comparer à nos foires à la débrouille. Les sacs de riz côtoient les chaussures ethniques et les épices voisinent avec le traditionnel thaï tous feux.
    J’ai appris à regarder vivre ces gens dans la simplicité, dans l’indigence, sans les plaindre. Ce sont leurs manques qui les rendent généreux. Ils sont accueillants avec ceux qui observent sans critiquer leurs us et coutumes, parfois un peu trop familiers. Grâce à ces excursions j’ai compris l’idiosyncrasie qui guide Ash.
    Un tempérament de feu et de glace. Ma thérapeute nomme ceci une maladie de valeur.
    Toujours est-il que ma Canaille est ressourcé pour la décennie à venir et les effets stimulants des épices sont encore bien présents en lui, notre première soirée aux Aspidies a été … échevelée.
    Aux dires de Melle Françoise, la radio bzz-bzz du fort, la première chose que Mumy ait demandé à Ash est si j’avais apprécié mon séjour en Inde.
    Madam’ ne va pas commencer à me chatouiller, je risque d'être grognon. Évidemment que j’ai savouré chaque minute passée là-bas et j’aurais pu répondre moi-même si elle s’était donné la peine de me poser la question cette chère Dorothy. Ash pratique sa mère depuis l’âge de cinq ans aussi ne s'attarde-t-il jamais à ses piques à mon sujet, ce serait sans fin s’il y donnait suite. Surtout s’il me raportait ses propos. Cela dit, il remet immédiatement les choses en place dès que môman se fait trop intrusive. Philip lui, a eu la générosité de me confier que cette incursion au pays de ses racines a apporté à son fils un réel apaisement et renouvelé sa force vive. Conscient des tracas que m’apportent la maladie, le père de Bébé m’a remercié d’avoir accompagné Ash lors de ce retour aux sources. Des paroles que je n’oublierai pas.
    Je ne vais pas le cacher, je suis extrêmement fatiguée.
    Mon cerveau tente d’inscrire dans l’entrepôt mémoire dédié à ce voyage, l’enchevêtrement des sensations ressenties à chaque découverte. L’excitation incontrôlable qui m’a submergée à notre arrivée à l’aéroport, les premiers pas dans l’hôtel palais des milles et une nuit qu’avait réservé Ash, les excursions à deux, la nourriture épicée qui a transformée mon Bébé en fauve et le total dépaysement qui fait que j’ai du mal à me sentir vraiment de retour. Des émotions qui m’ont été jusque-là inconnues et que j’ai du mal à décrypter.
    Inoubliables, les gens adorables qui nous ont accueillis au sein de leur foyer comme si nous étions des amis de longue date. Inoubliable la visite du Taj Mahal, elle m’a insufflé une force incroyable, celle de me battre avec rage contre cette saleté qui grignote un peu plus chaque jour mon autonomie. Saisissantes les larmes que Bébé tentait de me dissimuler lorsque le GPS de notre véhicule de location a indiqué le nom de la bourgade dans laquelle il a passé trois ans de sa vie avec ses parents adoptifs. C’est son âme de petit garçon qui l’a fait craquer ce jour-là et ce sont bel et bien ses racines indiennes qui gardent le pas chez lui.
    Je me défends de plus en plus maladroitement d’aimer Ash, mais qu’aurait été ma vie à présent si je ne lui avais pas fait confiance? J’ai longtemps espéré qu’il serait de taille à faire l’impasse sur mes années noires, puis je me suis aperçue que c’était moi qui me refusais le lâcher prise.
    Ash a pris des centaines de photos pour ses frères, mais il semblerait qu’Hylam et Sodishan aient tiré un trait sur leur passé, car ils ne se sont pas empressés à les regarder. Cela se comprend pour Sodishan qui était bien jeune quand Philip et Dorothy l’ont adopté. Hylam lui, avait déjà eu le temps de prendre conscience de la misère dans laquelle toute sa famille survivait. Pourtant il a éprouvé un réel chagrin à en être déraciné, à voir son monde s’écrouler. Je pense que cela l’a obligé à rejeter son passé. Bébé n’a pas dit son dernier mot pour le remettre sur le chemin de leur histoire.
    Black pudding, Baked Beans et galettes de pommes de terre. Retour à la réalité…

    MaHaRaJaH & MaHaRaNi… 21 Janvier 2017

    ...Dernière semaine de congés pour Bébé. Moi, il est temps que je me remette au travail!
    Mis à part la tenue de cette narration intime, mes travaux de rédaction sont passés à la trappe depuis plusieurs semaines. Retravailler mes textes n’est pas évident, d’autant que je ne possède pas la bonne méthode. Je me juge moi-même et tout ce que je produis ne me satisfait pas. Un professionnel m’a conseillé de beaucoup lire. Sans plagier, certaines tournures de phrases sont communes à toutes écritures. Je me dois de les apprendre. Il est grand temps que je poursuive la révision du triptyque : orthographe, grammaire, conjugaison. Je crois que j’ai peur de me lancer vraiment. Nadège me pousse à reprendre mon rédigé catharsis, Litchy, si je l’ai laissé de côté aussi longtemps c’est parce que je suis effrayée à l’idée de ne pas pouvoir y inscrire le mot fin me dit-elle.
    Je suis encore trop tourmentée pour exprimer la totalité de mes souffrances, voilà c’est écrit.
    Ce matin Bébé paraisse à mes côtés au petit salon, Il s’interdit de penser à ses dossiers, mais je vois qu’il meure d’envie d’aller consulter ses mails. Bonjour la concentration, ses soupirs à fendre l’âme et son air malheureux me pousse à le chasser des lieux. Quel gamin, avec force sourires il me fait la danse de la pluie en se dirigeant vers le grand escalier. Juste avant qu’il ne disparaisse de ma vue, j’ai droit à plusieurs baisers soufflés au creux de sa paume. Autant dire qu’après ça mes neurones ont du mal à se discipliner. Et pourquoi le feraient-ils d’ailleurs puisque Steven vient me prévenir que Madam’ désire que je la rejoigne, elle nous a pris un rendez-vous chez le coiffeur. You look like a scarecrow my daughter m’a-t-elle dit gentiment hier soir. Certes je ressemble à un épouvantail, mais moi la couleur de mes cheveux est naturelle.
    Trois degrés en extérieur, il est hors de question que je remette le nez dehors. Une balade dans le parc? Non merci, je vais restée vissée à la cheminée du petit salon. Je ne sais pas si cela vient de ma nouvelle coupe de cheveux ou si c’est l’effet des épices sur le long terme, mais Ash roucoule comme un adolescent après ce qu’ils nomment un déjeuner. Quatre feuilles de salade et trois tranches de concombre , j’exagère encore.
    Pelotage divertissant, je n’en dirais pas plus.
    Si un jour il m’arrivait de m’ennuyer dans l’immense bâtisse qu’est la demeure familiale de Bébé, je devrais occuper mon temps à compter le nombre de salons que comporte la résidence. Dans l’aile réservée aux invités ils sont somptueux. Il est vrai que Philipp et Mumy ne reçoivent la plupart du temps que des hôtes de marque. Ceci dit, certains se comportent comme de véritable charretiers.

    Steven se préoccupe de ma santé, j’ai droit à un thé au jasmin accompagné de macarons à la pistache. Ils viennent d’être confectionnés me dit-il avec un grand sourire. Il connait tous mes péchés mignons cet homme-là. Depuis mon tout premier séjour aux Aspidies, d’autorité Steven s’est instauré mon Butler. Il est d’un altruisme sidérant.
    C’est une semaine calme au château de môman, aussi avec la complicité du personnel de maison, Ash et moi avons organisé discrètement une petite fête sur le thème de notre voyage en Inde. Tous les employés se sont mis aux fourneaux pour préparer un repas typique et plaisir. Ce n'est en rien compliqué pour eux car les parents de Bébé ont conservé certaines des traditions de là-bas. De temps en temps les repas goûtus et piquants de l’Uttar Pradesh réapparaissent sur la table du dîner. Ce soir je ne tiens pas à compliquer la vie de qui que ce soit donc ce sera un plat végétarien et qui dit plats indiens végétariens ne dit pas forcément manger léger puisque celui que j’ai choisi est à base de pommes de terre, de farine de pois chiche et bien sûr assaisonnés aux épices. Il y a aussi une viande cuisinée avec des tomates et de l'oignon accompagnée d’une sauce … aux épices. Les nans au fromage serviront à déguster la sauce. Quant au dessert, ce sera des Kulfis à la pistache dont Dorothy raffole. C’est spécial mais délicieux.
    Bébé et moi allons faire le show dans nos jolies tenues. Ash, revêtu de son sherwani est divin. En attendant que je sois prête, il parade dans sa tunique en satin doré et son pantalon large couleur chocolat. Ce sont les babouches qui font le petit plus me dit-il. Monsieur a joué du tam-tam sur mes fesses avant de les chausser.
    En ce qui me concerne, au marché j'avais longuement hésité sur le choix d'un sari, puis finalement ma préférence est allée à un ensemble en mousseline bleue, brodé avec des fils argent fins. Rien de faramineux non plus, juste une tunique longue ouverte sur les côtés à partir de la taille, assortie à une étole chatoyante et un pantalon ample resserré aux chevilles. Des tongs perlées et un bijou de tête que m’a offert Ash à Agra complète ma tenue. Le regard de Bébé en dit long, mais il devra être patient. Je lui réserve l'artillerie lourde pour l’après fête. Pour une bouchée de pain, j'ai acheté le kit complet de la mauvaise fille. Il consiste en un bijou de nombril, un tour de cheville imitation or et perles d'émeraude, un string coquin et un paréo en soie que Bébé devrait vraiment apprécier puisque le tissu est quasi transparent. Ash est très démonstratif ces derniers jours, je sais qu’il n’a pas besoin d’encouragements, mais il faut entretenir la flamme dit-on.
    C’est dans une tenue plus sage que, main dans la main, nous rejoignons nos hôtes à la salle à manger. Comme rien ne reste vraiment secret dans cette maison, Madam' et Papily ont eu vent de nos apprêts, si bien que nous avons la surprise de les trouver tous deux revêtus d’une tenue traditionnelle. Le sari de Dorothy est une merveille. Soie et fils d'or. Elle en possède une kyrielle, mais celui-ci est digne de paraître à une réception dans un palais. Elle me complimente vivement sur le choix de mon ensemble. Il est de très bon goût me dit-elle. À voir l'œil brillant d’Ash qui m'observe par en dessous tandis qu'elle me fait ce compliment, je me dis que mon Fripon a dû demander à sa mère d’arrondir les angles, à savoir pas de guerre ouverte durant les prochains mois. Sincèrement, je pense que Dorothy était de bonne foi.
    Nous avons passé une soirée exquise.
    J’ai remercié le personnel de Mumy pour sa contribution à la soirée en leur offrant une bouteille de vin de champagne et par ce geste je crois avoir remonté d’un échelon dans l’estime que me porte Dorothy. J’apprends très vite, elle est exigeante, mais elle sait être reconnaissante.
    Plus tard dans le cocon de ma chambre, sans vouloir trop en révéler, je me permets de dire qu’Ash et moi avons clos agréablement les réjouissances.
    Une visite de routine chez un rhumatologue, une, celui-ci n’a rien décelé d’anormal. Je dois simplement prendre une gélule de complément pendant quinze jours et tout devrait bien se passer. Je suis surprise de ne pas ressentir la crise à laquelle je m’attendais, mais je ne vais pas m'en plaindre.
    En milieu de nuit Bébé dort comme un loir alors je ne vais pas le déranger. Il y a longtemps que je n’avais pas fait de cauchemar aussi violent. J’ai maitrisé mes cris mais la tension était si forte que j’ai eu besoin de bouger. Le temps que mes larmes cessent de couler je suis allée marcher au hasard des couloirs. Mes pensées se sont dirigées vers celles et ceux que l'on nomme familièrement clochards. En quoi ai-je besoin de ces réminiscences? Pour m’acheminer vers la lumière du bout du tunnel, pour me punir de mes instants de joie, pour que mes douleurs morales s’apaisent, telles seraient les pistes à suivre que me proposerait ma thérapeute. Je me passerais volontiers de ces coups de lame au cœur.
    Ça y est nous y sommes, c’est la rentrée de Bébé et il se prépare au marathon…

    J'ai PaRLé TRoP ViTe.. 26 Janvier 2017

    ...Nous y sommes, Bébé bosse comme un forçat. Qui altère sa concentration?
    Vers vingt-trois heures Ash s’est inquiété et m’a fait un signe sur skippie. Il a eu du mal à me faire admettre que je n’allais pas bien. Je pense que c’est Steven qui a sollicité son aide en me découvrant en pleurs au détour d’un couloir. Je ne voulais pas ennuyer Bébé en m’épanchant de trop sur les attaques du samouraï qui vient de se réveiller brutalement. Ça y est la crise de S.A s’annonce et me mène la vie dure. Malgré les paroles rassurantes du rhumatologue, je savais que tôt ou tard la cela se produirait, que le samouraï se réveillerait. Ce n’était pas normal, je me sentais trop bien à notre retour de voyage.
    Cette fois-ci j’aurais hurlé dès les premières morsures du rat. Mes nerfs étaient en feu. Depuis, les nausées sont de plus en plus intenses et une migraine infernale m’arrache les tempes et la nuque. Le médicament de confort que m’a prescrit le rhumatologue est totalement inefficace. Une poignée d’anti-inflammatoires plus tard une légère accalmie se fait sentir et j’en profite pour prendre une douche. En fin de nuit, l’enfer se déchaine à nouveau. Dans ces conditions, impossible pour moi de rejoindre Ash à Londres comme il l’aurait souhaité. La brume humide et tenace ainsi que la température glaciale me servent d’alibi, il est hors de question qu’il sache que mes douleurs empirent d’heure en heure. Malheureusement pour moi je ne dois pas être très bonne comédienne puisqu’il a délégué sa mère à mon chevet.
    Celle-ci s’est invitée dans ma chambre, tenant à appeler le médecin de famille, illico. J’ai eu toutes les peines du monde à l’en dissuader car la maisonnée était déjà bien assez affolée. Ce que je craignais s’est tout de même produit, Mumy a également demandé expressément à son fiston de rentrer afin de me faire entendre raison. Heureusement il n’a pas pu se libérer pour cause de session imprévue, toutefois il ne m’a pas laissé le choix. En milieu d’après-midi le médecin de famille se fait annoncer pour une consultation à domicile. Le docteur Tweeg est un perfectionniste, il est resté quarante-cinq minutes à étudier mes ordonnances, à m'ausculter, à me questionner en mode inquisition pour enfin mettre en place un protocole de soins. Quant à Dorothy je l’aurais avalé toute crue, il a fallu qu’elle y ajoute son grain de sel, prétextant que je ne maîtrise pas assez bien la langue de Shakespeare pour répondre correctement aux questions précises du praticien. D’accord il parle français comme une vache espagnol, mais nous nous serions compris quand même. Je suis surtout furieuse parce que la mère de Bébé a eu ainsi l’occasion d’examiner longuement mon anatomie. Ash doit se concentrer sur son travail car c'est une période charnière pour son avancement, pourquoi est-elle allée l’importuner? J’aurais dû rentrer directement à la Petite Paix pour y souffrir, à ma manière. Dès que j’irais mieux, je ne sais pas lequel de Bébé ou de sa mère je vais occire en premier?
    Un brin de pessimisme me submerge car me voilà revenue quelques mois en arrière. Avant d’être mise sous perfusion, j’ai droit à un prélèvement sanguin qui déterminera la dose du médicament qui va me soulager et cerise sur le gâteau je suis déshydratée aussi l’on me fait boire quantité astronomique de thé, si bien que je passe mon temps aux toilettes.
    Ash est inquiet, ce que je voulais éviter à tout prix. Qu’il soit près de moi n’atténuera pas plus rapidement mes souffrances. J’admets que malgré les attentions de Madam’ et de son personnel, je me sens parfois esseulée. Ceci dit, lorsqu’une crise se manifeste je deviens une véritable peste alors tous ont du mérite.
    Lorsque l’étoile filante de Bébé a passé la grille, j’ai eu l’impression qu’il arrivait un peu vite. Et ce n’est pas qu’une impression, à présent les traces de ses pneus doivent être inscrites dans les gènes du revêtement de sol devant les garages. C’est avec empressement qu’il déboule dans ma chambre à peine deux minutes plus tard. J’ai droit à un sourire adorable, à un bisou des plus délicieux mais son regard est plus que soucieux. . Ash est un peu essoufflé aussi, il a dû cavaler dans les couloirs comme si ma vie en dépendait.
    - Les domestiques ne sont pas tenus de ranger tes affaires, sais-tu cela Ashlimd?
    Elle a de la suite dans les idées Mum', elle a suivi Ash jusqu'à dans MA chambre.
    - Par égards pour James, tu pourrais tout de même prendre soin de tes costumes! Ta veste trainait au sol avec tout ton fatras! Sans attendre de réponse, Madam’ dépose ladite veste, les dossiers de Bébé, sa mallette de tir et son attaché-case sur mon pied de lit. Aïe, le regard du fiston se fait … il remercie maman pour sa prévenance envers moi puis du regard il lui fait comprendre de rebrousser rapidement chemin.
    Madam’ s'éclipse en grommelant contre les mauvaises manières de son fils. La porte se rouvre quelques secondes plus tard.
    – Qu’est-ce qui vous ferait plaisir pour le dîner ma fille? Dorothy le crampon.
    Le piroxicam me broie l’estomac malgré les deux gélules de confort, croit-elle vraiment que je pense au repas? Je décline la proposition aussi poliment que le permet mon envie de la mordre. Ash n’y va pas par quatre chemins lui, il demande rudement à sa mère de nous laisser un peu d’intimité.
    Je tente de faire croire à Bébé que la douleur n’est pas si forte que cela alors que par moments c’est intolérable. Je ne suis plus une enfant pourtant mes larmes coulent sans me demander mon avis. Ce n’est pas vraiment à cause du supplice que m’inflige la maladie, mais parce que j’éprouve une sainte horreur du cathéter qui perce mon bras, mon cerveau hurle sa répulsion. Chimio après chimiothérapie maman s’épuisait, elle avait toujours froid et sa peau était si pâle qu’elle en était presque transparente. Les points de piqûres étaient sans cesse renouvelés car ses veines claquaient, une horreur. Les dernières semaines de sa vie, elle ne pouvait plus prononcer une seule phrase cohérente. Miriette et moi avions peu à peu oublier la maladie, tous les tourments qu’endurait notre mère venaient de cette maudite aiguille.
    J’en ai été traumatisée et depuis les perfusions me sont devenues pires ennemies.
    Ash ne m’a pas quitté de la soirée, juste le temps de prendre une douche et il est réapparu en compagnie de Mildred qui voulait savoir si un thé me ferait plaisir. Pourquoi pas, je tente.
    L’infirmière de garde est restée près de moi afin de vérifier l’écoulement de ma perfusion et contrôler ma tension. Mes élancements se sont atténués, mais le rat et sa ménagerie veillent au grain car mes hanches et mes talons sont encore en feu. Je me suis endormie une petite demi-heure. À mon réveil, ma poche d’anti-inflammatoires renouvelée, j’avale quelques toasts et un peu de thé, le tout défie les lois de la gravitation de mon œsophage à mon estomac jusqu’à ce que je rende le tout.
    J’ai obligé Ash a allé dîner en famille et à son retour il me trouve complètement stone, comme si j’avais fumé un cocktail de feuilles étoilées. Malgré les nausées, je flotte dans une bulle de béatitude. Je rends grâce à l’infirmière, elle connaît son métier. Un bouillon de légumes, sont-ils inconscients? Rien qu’à l’idée de le boire je le restitue en pensée dans son bol.
    Par contre, je ne sais pas si ce sont ces fichus anti-inflammatoires morphinés qui titillent ma libido, ou le pyjama combi-short sexy qu’a passé Ash pour la nuit, mais malgré mon squelette en puzzle, je me sens d’humeur joueuse.
    Je suis fâchée contre mon Pain d’Épices. Pas d’imprudences Mylhenn a-t-il dit…

    MaRGoToN... 28 Janvier 2017

    ...Une fois encore je vais passer pour une femme légère. Une véritable gourgandine!
    C’est indécent. Les effets secondaires du nouveau médicament que l’on m’injecte sont surprenants.
    En plus de me sentir constamment en apesanteur, ces molécules diaboliques booste ma libido et mon corps est avide de sensations lubriques. Je suis vexée, voire humiliée car plusieurs fois monsieur a refusé de prendre en considération mes envies de nymphomane, il repousse systématiquement mes avances et sa réponse est toujours la même.
    - Ma petite souris je me vois contraint de refuser ta généreuse invitation! Tu es cent-pour-cent shooté alors je vais être raisonnable pour nous deux! Cela dit … !
    J'adore lorsque mon chéri ne termine pas ses phrases. Il me suffisait de multiplier les sollicitations pour obtenir un peu d’attention de la part de ce faux-cul.
    Envolé le self-control, c’est son côté voyou qui a repris le dessus.
    Ses mains baladeuses se faufilent adroitement sous le tissu de mon vêtement de nuit, sa bouche s’invite au festin et … il me laisse sur ma faim. Je grogne de frustration puis un fou-rire irrépressible et stupide me ballotte de la tête aux pieds. Je rifougne et deviens incohérente dans mes propos.
    Non seulement je manque d’attrait avec mon pyjama informe, mais là je me pose carrément en débile mentale. Habituellement je me pare d’une belle lingerie pour faire honneur à mon prince, mais là aussi c’est la bérézina puisque j’ai passé l’un de ces pyjamas où l’on peut tenir à trois dedans, il est inutile de dire que je ne dois pas paraitre à mon avantage. Ceci dit cela n’empêche pas Ash de faire le sous-marin et pour en rajouter à ma honte, je me mets à débitter toutes les élucubrations qui me passent par la tête. Je ne contrôle plus rien, c’est vraiment flippant.
    Rifougner? C'est du patois de la région de Pat pour dire rire nerveusement. Cochonnerie de médicament. Je me sens étrangère à moi-même, une sensation qu’il faut avoir éprouvé pour se rendre compte de l’effet. Ma respiration s’est accélérée, je débite des mots sans suite, sans cul ni tête dirait ma chère Pat. Je suis mortifiée de m’entendre chuchoter des horreurs que je n’oserais pas écrire ici, à l’oreille de Bébé. J’oscille entre fantasme et réalité Malgré les fourmis qui dévorent mes talons et les dents aiguisées du rat qui grignotent mes cartilages, j’aurais pu revisiter une dizaine de pages du Kâmasûtra sans problème.
    Dans mon esprit plus que dérangé, il me faut un coupable à tout ça et il est tout trouvé, j’insulte copieusement Bébé qui fort heureusement comprend que je fais une réaction violente à l’anti-inflammatoire qui devait en principe alléger le châtiment que m’inflige la maladie.
    C’est soudain l’enfer, mon organisme rejette violemment ce qu’il croit être du poison en perfusion. J’ai le bassin en feu, sans doute aussi un peu à cause des routes défoncées de l'Uttar Pradesh. Il me semble que l’on étire un par un les nerfs à l'arrière de mes cuisses, je hurlerai si je le pouvais car j’ai de plus en plus de mal à respirer et je pense que si j’avais des côtes cassées ce ne serait pas pire.
    Franchement, je ne souhaite cela qu'à Christian tellement c'est abominable.
    Encore un peu, l’angoisse aidant, j’atterrissais aux urgences.
    Une infirmière de garde à peine aimable et brutale dans ses gestes est venue m’ôter la perfusion. La légendaire zénitude d'Ash a failli se viander lorsque l'abrutie m'a conseillé de consulter rapidement un rhumatologue. Comment croit-elle que … je me suis endormie au petit matin.
    Bébé avait les yeux cernés ce matin lorsqu’il est parti pour Londres. Têtu comme pas, l’infirmière envolée, Ash a refusé de me laisser seule pour aller prendre un peu de repos dans sa chambre. Nous avons chacun la nôtre par souci des convenances selon Sainte Dorothy, à défaut de ma vertu, mon honneur est sauf.
    Mon pauvre chéri a dû perdre les trois quarts de sa concentration à cause de la nuit blanche que je lui ai faite passer. Son staff est là pour le soutenir mais cela ne fait pas tout.
    J’ai repris apparence humaine en début d’après-midi. J'aime rester des heures sous la douche, une habitude du temps où j'avais besoin de relaxer mon corps endolori après une séance corsée de dressage infligée par mon ex-mari. Là je n'ai été autorisée à me détendre qu’une poignée de minutes.
    Miss Margaret m’a assisté dans mon douloureux habillage et cela m’afflige de voir que mon autonomie ne tient qu’à un fil. J’ai droit à une auscultation en règle, ma tension a chuté, et l’infirmière prétend que les battements de mon cœur résonnent tels des ailes de papillon. Autant dire que ce n’est pas brillant.
    Et comme à chaque fois qu’une crise me terrasse, je suis transie à tel point que mes extrémités s'engourdissent comme s’il gelait à pierre fendre. Sexy en diable Mylhenn. Je suis attifée d’un pyjama en flanelle, d’une paire de chaussettes en laine épaisse, de chaussons d’intérieur fourrés et je me suis emmitouflée jusqu’aux yeux dans le keffieh de Bébé. Ce n’est qu’en me recouvrant d’un grand plaid en laine d’Écosse que je me suis enfin réchauffée.
    Ash rentre de bonne heure, j’apprécie, mais il a sa tête des mauvais jours. Je ne crois pas que ses traitements de dossiers à mon chevet soient une bonne idée. Ça me plait moyen de l'entendre ronchonner après l’un de ses collaborateurs qui a négligé la vérification des paraphes. D’ailleurs c’est la même personne qui a omis de récupérer sur la photocopieuse, le document sensible qu’il dupliquait. Pas un mauvais bougre mais une véritable calamité se croit obligé de m’expliquer Ash. Il m’est avis que le pauvre Harry ne va pas faire long feu dans le service. Je réussis à grand peine à envoyer Bébé prendre une douche et un en-cas le temps de la visite de mademoiselle Doris et selon ses dires je devrais pouvoir faire quelques pas demain. Il est grandement temps, je m’ennuie comme un rat mort. La semaine prochaine Ash se rend en région Parisienne, il doit me ramener de quoi m’abreuver intellectuellement. La bibliothèque de Philip est très complète, mais malheureusement en anglais. Il paraitrait que la collection complète des œuvres d'Henry Miller trône sur l’une des étagères. Pour qui connaît cet auteur, c’est … tout ce que vous vous voulez savoir sur le sexe sans oser le demander, dirais-je pieusement. Mymy elle, tape dans l’auteur instructif et Ash ne détient que ses sacro-saints livres de psychologie criminelle et de droit pénal. Même ses lectures loisirs ici sont … je vais l’écrire carrément, chiantes. Qui de sensé occuperait ses soirées avec des livres comme Introduction aux Sciences Criminelles, les Avancements en Matière de Criminologie et Sciences Pénitentiaire comme livres de chevet? Alors je compte les fleurs sur la tapisserie et cela commence à me rendre nerveuse. Je me sens orpheline sans mon ordinateur portable. Ash me prête le sien lorsqu’il ne travaille pas, mais sans mon DDE ni accès à mes favoris, je me sens orpheline et inutile.
    De toute façon je n’ai pas vraiment l’esprit assez libre pour écrire. Pourtant cela me permettrait d'oublier un peu que je suis grabataire, qu’insidieuse, persistante et lancinante la douleur est toujours présente. Celles et ceux qui souffrent de S.A savent de quoi je veux parler. À chaque nouvelle crise, la brûlure et l'endolorissement montent en puissance. Je m’estime heureuse car pour moi cela évolue très lentement.
    Lors de son prochain séjour en France Ash a promis d’aller récupérer quelques-unes de mes affaires à la Petite Paix. Un détour de plusieurs centaines de kilomètres au bas mot. Il est mon réconfort.
    Charmant spectacle que celui de ma Canaille endormie près de moi. Ses documents de thèse qu’ils consultent chaque fin de journée se sont éparpillés sur le couvre-lit. Je confirme qu’il y a vraiment des malades en ce monde. Je replace les clichés horribles et les documents qu’il regardait dans leurs chemises et zou, je catapulte tout ça sur la descente de lit. Bébé a choisi une voie hors norme et je conçois aisément qu'il ait besoin de se vider la tête en loisirs peu demandeurs de neurones. Quoi que le poker et certains jeux vidéo ne soient pas toujours aussi simple que cela à appréhender. Bébé sait aussi trouver son bien-être dans son sommeil. Monsieur a changé de position, il a posé sa jambe sur les miennes, sa main a rampé au berceau de mes cuisses et sa tête repose sur mon thorax. Es tu à l’aise Bébé? Mon épaule me fait un mal de chien, mais pour rien au monde je ne le réveillerais.
    Bébé sourit aux anges. Il ressemble à un petit garçon lorsqu'il dort...