• UNe HiSToiRe D'aMouR 14 Novembre 2004

    …Le bourdonnement du micro-onde résonne encore dans la pièce…
    Les petits pains aux graines de sésame qu'elle a confectionné de ses mains dorent lentement. Ils devaient accompagner leur déjeuner. Mylhenn perçoit le léger ronronnement provenant de la cuisine et ses yeux se portent sur les débris du plat en verre fracassé sur le carrelage. Le visage tuméfié, son caraco déchiré, elle est venue se blottir près de lui sur le canapé. Elle n'a pas d'autre choix si elle veut qu'il se calme.
    Il a posé sa bière sur la table basse. Un sourire glacé zèbre ses lèvres.
    - Pourquoi tu m'obliges à faire ça bondieu? dit-il en caressant tendrement sa joue gonflée. Il la gratifie d'un beau sourire. Elle sait qu'elle doit le lui rendre sinon ce sera bien pire.
    - C'est à croire que tu aimes quand je te corrige ma merveille! Il glisse une main possessive sous la nuque de sa femme, l'attire à lui, et l'embrasse avec voracité. Comme à chaque fois qu'il lui donne une leçon, Mylhenn sait ce qu'elle doit faire pour calmer son agressivité. Soumise, elle capture son regard en remontant lentement sa jupe. Dans ses yeux il y a encore de la colère, mais son attention s'est enfin portée sur les cuisses de sa femme qui tremble de peur. Elle écarte sensuellement ses jambes, lui dévoilant peu à peu les dentelles de sa petite culotte. Mylhenn frissonne de la tête aux pieds lorsqu'il tend sa main pour effleurer l'intérieur de ses cuisses. Elle ferme les yeux tout en retenant ses larmes. Heureusement pour elle, il ne se fâchera pas cette fois-ci, son rendez-vous chez l'esthéticienne ne date que de la veille.
    - Je ne baise pas avec un hérisson! lui avait-il dit avec élégance un jour où la jeune femme ne s'était pas épiler comme il le désirait. Pour souligner sa déception, il l'avait battu comme plâtre. Il aime quand sa merveille a la peau lisse et douce comme une peau de bébé. Il lui arrive en rentrant, énervé par son travail, d'attirer sans ménagement son épouse sur le lit conjugal. Il lui arrache sa petite culotte et se délecte à la vue de son sexe glabre. Il exige d'elle qu'elle se caresse puis il l'invite à une partie de traversin au terme de laquelle elle doit le remercier pour sa tendresse. Là il est question de se faire pardonner son oubli. Ne pas mettre de parmesan dans la farce aux légumes des cannellonis vaut bien la correction de la semaine.
    - Enlève ta jupe! grogne-t-il en frappant brutalement son genou de sa rangers.
    Résignée et obéissante Mylhenn se lève. Elle dégrafe rapidement sa jupe et la laisse descendre le long de ses jambes. Christian la brute disparaît pour laisser place à l'amant qui la comble de ses faveurs. Elle retire sa petite culotte et langoureusement elle lui offre le petit bout de tissu gris. En parfait gentleman Christian le récupère et l’œil grivois le hume en détaillant Mylhenn des pieds à la tête.
    - Tu es une bonne fille ma merveille! Il jette la petite culotte sur la table basse, elle ne l'intéresse plus. Mylhenn dégrafe l’attache de son caraco en dentelles et le fait glisser sur ses épaules, elle le pose sur l’accoudoir en attendant de pouvoir le jeter à la poubelle. Oubliant pudeur et dignité elle retire son soutien-gorge. Il la détaille le regard concupiscent, elle sait qu’il aimerait la prendre là, sans délicatesse, avec fureur et douleur. La punition elle l’a déjà reçu alors il se contient. Il lui tend la main.
    - Tu es très bandante ma belle, approches! C'est sans appel, mais au moins il ne pense plus à se servir de ses poings. Elle roule des hanches en le rejoignant. Délestée de ses chaussures elle s'offre à ses caresses. S'il est une chose dont elle est sûre c'est que son mari lui donne autant de plaisir que de coups. C’est ainsi qu’elle survit, en acceptant d’être sa maîtresse consentante et enjouée. Son esprit se dissocie de son corps endolori et elle s’abandonne à la convoitise de son tortionnaire.
    Il l’attire à lui, passe ses mains sur sa poitrine et embrasse tendrement son ventre.
    La bouche légèrement entrouverte, le regard vide, Mylhenn imite le balancement d'un reptile. Elle remue ses hanches en ondulant doucement du bassin. Elle n'a pas à feindre son plaisir lorsque les mains de Christian descendent le long de sa taille pour aller se poser sur ses fesses. Il les flatte longuement puis ses doigts s'égarent entre ses cuisses. Elle sait ce dont il a envie. Elle se penche légèrement et palpe le sexe enflé de son mari à travers l'étoffe de son pantalon.
    Celui-ci sursaute puis frissonne, encourageant Mylhenn à poursuivre son exploration. Tandis qu'il ôte sa chemise, elle s'empresse de le libérer de sa ceinture, celle-là même avec laquelle il la corrige de temps en temps. Elle s’accroupit puis dégrafe les pressions de son pantalon d'uniforme et se penche sur le membre raidi qui dépasse du caleçon. Tandis que ses lèvres se livrent à un délicat massage de la superbe érection qu'il lui réserve, Christian joue avec ses cheveux et câline sa nuque. Ses doigts se font protecteurs. Il ne la force pas, il la laisse aller à son rythme.
    Il oublie peu à peu la force de ses poings, il lâche prise, la bête redevient homme. À l’approche de la tempête il la repousse doucement et lui demande de s’allonger sur le canapé. Elle obéit prestement car elle sait que si elle n’est pas assez rapide à combler ses exigences il sera brutal. À son tour, posément, il ôte son pantalon et son caleçon. Sa silhouette nue est parfaite. Ses muscles font sa fierté, une menace pour elle.
    Presque tendrement il s’installe entre ses cuisses faisant reposer les mollets de sa femme sur ses épaules. Il glisse avec douceur ses mains sous les fesses de sa jeune épouse et se penche en avant. Sa langue fouille délicatement la chair tendre aux plis délicats de son intimité. Mylhenn réagit violemment. Elle se tord et gémit, réclamant toujours plus. Les lèvres de son mari se font câlines en aspirant le petit bouton durci par l'excitation. Il dévore son sexe, mordille ses lèvres gonflées et s’abreuve de la cyprine tiède qui nourrit son désir. Sa langue danse un ballet fou qui conduit sa merveille au firmament. Gémissante elle s’abandonne sans retenue au plaisir. Lorsqu’il la sent proche de la jouissance il stoppe net son exquise torture. Il libère ses mollets. Toujours à genoux entre ses cuisses il se redresse. Il l’observe longuement de ses beaux yeux noirs. Son sexe est au garde à vous, mais il prend le temps de détailler chacune des griffures et des ecchymoses qu'il a imprimées sur la peau de sa femme. C’est à se demander si ce n’est pas ce qui le fait le plus bander.
    - Si seulement tu n'étais pas aussi énervante, regarde ce que tu m'as obligé à faire! Du bout des doigts il frôle l’une après l’autre les traces bleutées qu’ont laissé ses coups. Mylhenn est figée, elle ne doit rien laisser paraître de la terreur qui l’habite. Son désir s’est transformé en dégoût.
    Toujours en la fixant, il l’attire durement à lui par la pliure des genoux puis il s'enfonce cruellement en elle sans hésiter. Aussitôt elle place ses jambes sur ses reins, le laissant adapter la force de ses va et vient au balancement machinal de ses hanches. Une protestation, une seule et il lui fera payer. Son impatience le rend brutal, mais elle serre les dents. Lorsque le rodéo est bien engagé, il pose ses mains autour du cou de sa compagne. Il lui fait comprendre qu'il est le maître. Il lui suffit de serrer plus fort et plus longtemps et s’en sera fini d’elle. Combien de fois a-t-elle souhaité que le pire la délivre de son emprise?
    Cette fois encore il la chevauche en comprimant sa gorge et lorsque l’orgasme approche, il relâche lentement la pression de ses doigts. Elle s’abandonne à l’ardeur des spasmes de plaisir qui agitent son corps, à la violence de ses coups de reins. Ces rudes assauts effacent pour un temps les meurtrissures. Ce bonheur parodié suffit à la satisfaire. Ses gémissements puis ses hurlements la font se sentir toujours vivante. Un petit miracle car dans ces moments-là, son homme est protecteur et attentif. Elle appuie ses pieds sur ses fesses pour qu’il se perde encore plus profondément en elle et lorsque sa semence l'inonde, poissant son sexe et ses cuisses, elle laisse échapper une longue plainte, bandant son corps comme un arc. Elle aussi a joui. La peur associée à la vigueur de ses pénétrations lui a redonné un semblant de sensualité. À présent Christian la dévisage intensément.
    - Tu es vraiment bonne ma Merveille! Des mots qui se veulent agréables, mais bientôt la bête sera de retour. Il l’embrasse tendrement et se fait rassurant.
    - Je t’aime, ne t’inquiète pas, tout ira bien! Viendra le jour où tu n’auras plus besoin des leçons que je te donne! Reste là, contre moi, j’adore sentir l’odeur de ta peau après l’amour! Il l’entoure de ses bras et la fait rouler sur lui. Repue de caresses, de sexe et de coups, celle-ci a prêté une oreille attentive aux promesses de son homme. Elle aimerait tant pouvoir lui dire, lui faire comprendre qu’elle n’a jamais eu besoin des leçons qu’il s’obstine à lui donner.
    La plupart du temps après leurs chevauchées il aime retenir Mylhenn contre lui, son sexe reposé ajusté tendrement à celui de sa femme. Cette fois-ci encore, la tête de Mylhenn repose sur le torse de Christian qui, les yeux fermés, enroule nonchalamment des mèches de ses cheveux dorés autour de ses doigts. De l’autre main, il pelote machinalement un sein dont la pointe encore dressée vient griffer délicatement sa paume.
    Ces mains qui la câlinent, ce sont les mêmes qui une demi-heure plus tôt lui assénaient coups de poings et gifles parce que selon lui le repas était immangeable. Cet instant de plénitude après l’orage lui permet de supporter les baisers de Judas qu'il dépose avec affection sur son front. Évitant de songer à plus tard, aux délires qui le pousseront à la frapper plus brutalement encore, elle enlace Christian avec force, ses bras autour de sa taille, afin de le retenir plus longuement dans cet état de grâce.
    Elle ravale ses larmes et attend qu’il soit endormi. La respiration de son homme se fait enfin régulière, il est temps pour elle de se détacher de son étreinte. Elle se rhabille silencieusement, évitant de porter les yeux sur les ecchymoses qui bleuissent déjà sa peau. En allant chercher un t-shirt elle jette le caraco qu’il a ruiné dans la poubelle. Elle n’a plus la force de fuir, elle a déjà essayé sans succès.
    Son arme chargée est posée sur le meuble de l'entrée. Mylhenn s'imagine parfois qu'un jour elle aura le courage de s'en servir. Et après? Elle soupire tristement en se dirigeant vers la cuisine. Elle ramasse prudemment les éclats de verre du plat à gratin puis munie de feuilles sopalin elle nettoie grossièrement les salissures qui maculent le sol. Plus qu’un coup de serpillère et il n’y paraîtra plus.
    Il s’agit maintenant pour elle de lui préparer une nouvelle fois son déjeuner avant qu’il ne se réveille. Sinon...

    À uNe HeuRe PRèS ( I ) 29 Novembre 2009

    ...La lumière irrite ses yeux larmoyants. Est-ce la lune ou le soleil qui la couvre d'œillades?
    Elle n'a pas la force de se lever. Ses membres sont engourdis et il lui semble qu'un pivert prend un malin plaisir à marteler ses tempes et ses tympans. Le banc sur lequel elle est allongée n'a rien de confortable, elle s’en moque elle est trop mal en point pour s'en extraire. Les heures passent entre perte de conscience et somnolence. Elle ne sait plus faire la différence entre la lumière du jour et celle d’un lampadaire. Elle sourit bêtement aux rares personnes qui longent l’allée et toutes accélèrent le pas en la découvrant. Elle ne se rend pas compte que la nuit est déjà bien avancée. Sournoisement le froid la saisit, elle n’est plus en état de garder les yeux ouverts et un océan de vagues cotonneuses l’engloutit. À peine couvert son corps engourdi ne réagit plus aux frimas de fin novembre. Ne sachant plus qui elle est, ni comment elle est arrivée là, elle laisse l’air glacial triompher. De temps en temps de faibles plaintes s'échappent d’entre ses lèvres. Un appel au secours, personne n’est là pour l’entendre. Par chance, cette nuit le thermomètre ne descend pas en-dessous de moins deux. La veille au soir il faisait déjà moins sept à vingt heures.
    Le brouillard se décompose en volutes humides et l’air ambiant est encore glacial.
    Il est à peine huit heures et de nombreux passants se dirigent vers le bar pour y prendre un bon café noir accompagné d’un croissant. Engoncée dans sa doudoune, Patricia se rend au marché couvert, elle est sûre d’être servie rapidement à cette heure-ci. Machinalement elle jette un œil aux allées du parc qui borde le parking municipal. Elles sont désertes. Patricia accélère le pas lorsque soudain son regard est attiré par une forme allongée sur l’un des bancs. La ménagère contourne les plots de sécurité, elle franchit le petit muret et s’approche de la pitoyable créature étendue à même la tôle perforée d’un banc public. Elle remarque immédiatement l’état dans lequel se trouve la malheureuse jeune femme. C’est plus qu’elle n’en peut supporter. Souffrance ou détresse, la sans-logis gémit plusieurs fois. Patricia s’approche plus près.
    - Mademoiselle? Puis-je vous aider? Les vêtements de la jeune personne sont d'une saleté repoussante. Et surtout ils ne sont pas adaptés à la froidure d’une fin d’automne. Durant quelques minutes, son corps décharné et squelettique est secoué de tremblements violents puis plus rien. Patricia s’inquiète.
    - Tout va bien mademoiselle? Une nouvelle fois, elle tente d'attirer l'attention de celle qui lui fait penser à un ange déchu. Peut-être à cause de ces cheveux négligés d’un blond si clair qu’ils lui font penser à une auréole? Patricia n'obtient toujours pas de réponse. La blancheur cadavérique de la jeune femme commence à sérieusement l'alarmer.
    - S'il vous plaît, mademoiselle, vous m’entendez? D'une main qu'elle fait le plus douce possible, elle secoue son corps inerte. Aucune réaction, cela ne présage rien de bon. Alors elle pose ses doigts sur la joue de Mylhenn. Aussitôt elle comprend que celle-ci est en état d’hypothermie. La peau est glacée, les lèvres et les extrémités des doigts bleuis et la respiration est quasi inexistante, tout cela confirme son diagnostic. Cette gosse, apparemment du même âge que ses filles, est en train d’agoniser là dans la rue.
    Pat compose fébrilement le numéro du Samu. Ils mettent un temps infini à répondre aussi est-elle un rien exaspérée lorsqu'ils décrochent. Son inquiétude la rend incohérente mais elle se ressaisit très vite, il en va de la vie de cette malheureuse jeune femme. Le régulateur se fait tirer l'oreille, il ne refuse pas de prendre cette personne en charge, mais cela lui serait utile si on lui donnait au moins un nom et une adresse. Qu'est-ce qu'il ne comprend pas dans les mots sans domicile fixe? Pat reste calme et explique dans quel état se trouve la personne qu’elle a sous les yeux et qu’il s’agit d’une totale inconnue pour elle. L’homme donne enfin son aval. Quinze minutes plus tard l'ambulance arrive. Patricia est restée près de la jeune femme et l’a couverte de son manteau du mieux qu’elle pouvait. Les rares piétons qui longeaient le parc la regardaient au loin, mais pas un seul ne s’est approché pour proposer son aide. Malgré tous ses efforts, le médecin urgentiste ne parvient pas à réveiller Mylhenn. Celle-ci est succinctement dévêtu et aussitôt placée sur un matelas à dépression puis recouverte de couvertures surmontées d’une couverture de survie. Le thermomètre tympanique indique trente-trois degrés cinq, une perfusion de soluté tempéré est nécessaire. Si cette jeune femme n’est pas prise en charge rapidement en soins intensifs elle risque l’arrêt cardiaque. Pour le trajet des pochettes à réaction exothermique sont glissées sous les couvertures et les portes de l’ambulance se referment bruyamment. Tout de go, l’urgentiste annonce à Patricia que sans son appel la jeune femme serait sans doute morte à l’heure qu’il est. Et même à présent il ne garantit rien car elle souffre également d'un dysfonctionnement cérébral sévère certainement dû à un coma éthylique profond. Selon lui, elle se trouve encore sous l’effet d’opiacés, ce qui aggrave son état. Patricia regarde l’ambulance s’éloigner, quelques flocons virevoltent déjà et il fait très froid. Elle ramasse sa parka qui traîne dans la boue de l’allée, le courage lui manque soudain pour se rendre au marché, elle préfère rentrer. Elle prendra des nouvelles de l’inconnue en fin de soirée.
    Mylhenn ne reprend connaissance que cinq jours plus tard.
    Elle ouvre les yeux et ne reconnaît rien de ce qui l’entoure. Elle se sent bizarre, comme enveloppée dans du coton. Des bips se font entendre à ses oreilles mais elle ne comprend pas d’où ils proviennent. Elle tourne légèrement la tête et aperçoit une femme vêtue de blanc penchée sur un appareil qui clignote de façon inquiétante. Elle sent une comme une gêne à la pliure de son bras, alors elle le bouge pour voir ce qu’il en est. L'infirmière capte son mouvement et remarque enfin qu’elle est réveillée.
    - Tout va bien mademoiselle, ne vous inquiétez pas, je vais chercher le chef de service! Par réflexe, elle arrange correctement le drap qui recouvre Mylhenn puis elle se précipite dans le couloir. Mylhenn constate qu’un cathéter orne son bras, elle déteste ça. Impossible pour elle de se souvenir comment elle est arrivée dans cette chambre d’hôpital. Elle voudrait se lever, mais elle se sent si faible qu’elle y renonce. Quelque chose la turlupine sans savoir quoi et soudain elle réalise qu’elle ne sait plus qui elle est.
    La fête, l’alcool, les pétards, le bus, tout est flou dans son esprit. Puis le néant à nouveau…

    UN îLoT D'aMouR ( II )... 29 Novembre 2009

    ...Avez-vous de la famille chez laquelle vous pourriez vous installer à votre sortie?
    La jeune femme est bien en peine pour répondre à cette simple question, tout s'emmêle dans sa tête. Des visages, des cris, des pleurs, des rires, de la douleur, et un prénom. Mylhenn. Elle n’est même pas certaine que ce soit le sien. Elle n’avait pas de papiers d’identité sur elle lorsque le Samu l’a transporté aux soins intensifs. Deux prénoms associés tournent en boucle dans sa pauvre mémoire. Mylhenn et Christian, qui sont-ils pour elle? Mylhenn et Sonia. Pourquoi a-t-elle l’impression que cette Sonia s’inquiète à son sujet? Et ces cicatrices anciennes sur son corps, de quel accident proviennent-elles? On la dévisage intensément chaque fois que l’on passe la porte de sa chambre, est-ce à cause de sa voix? Les médecins lui disent qu’elle a subi un grave traumatisme des cordes vocale il y a quelques années mais elle ne se souvient de rien.
    Aucun vrai souvenir ne ressurgit de sa mémoire depuis qu’elle a été admise au centre hospitalier. Cela fait trois semaines déjà. Elle a beau faire des efforts, rien ne se passe. Puis un matin une terrible migraine lui vrille les tempes et la nuque. Des heures de souffrance et tout lui revient.
    De patiente X elle devient Mylhenn J. Maintenant que l’on connaît son identité l’on veut prévenir sa famille.
    Elle refuse tout rapprochement avec ces gens dit-elle. Elle hurle, menace et finit par arracher le cathéter de la perfusion qui la nourrit. Elle refuse tout aliment depuis qu’elle a repris connaissance et reste muette comme une carpe en séance psy. Elle ne confie à personne que d’horribles cauchemars l’assaillent à nouveau, qu’elle passe ses nuits à trembler d’angoisse. Elle a vraiment abusé avec les herbes folles la dernière fois, mais depuis quelque temps c’est seulement en forçant la dose qu’elle obtient l’oubli, qu’elle fait reculer l’ombre du monstre qui la guette. Elle sait qui est Sonia et elle doit absolument la prévenir que tout va bien pour elle. Seulement tout ne va pas bien, elle est en manque. Elle en devient agressive elle pique une crise au cours de laquelle elle casse tout ce qui est à portée de mains. Les liens de contention deviennent nécessaires. Une sédation également. Assommée par les médicaments elle passe des heures à somnoler. Heureusement pour elle, sous couverture chimique les mauvais rêves restent à distance.
    Un parfum délicieux embaume la petite chambre où on l’a installé. Comme aucune des infirmières ne se parfume autant Mylhenn entrouvre les yeux lentement. Elle découvre alors le regard bienveillant de sa visiteuse sur elle. Celle-ci se tient au pied du lit.
    - Je ne voulais pas vous réveiller mademoiselle! Mylhenn cherche désespérément à se rappeler d'où elle connaît cette personne. Elle la dévisage attentivement, mais rien ne lui revient.
    - Le médecin m'a permis de vous rendre visite! Je me nomme Patricia! La voix est agréable, mais elle ne fait écho à aucun souvenir.
    - Vous sentez-vous mieux? Le mutisme de la jeune femme ne gêne pas la visiteuse qui s'approche d'elle. Un sourire engageant orne ses lèvres et son attitude est paisible. Après lui avoir montré d’un geste rassurant qu’elle ne lui voulait aucun mal, Patricia caresse doucement son bras d’une main douce. Mylhenn admire l'intuition de cette femme, il semblerait bien qu’elle soit la seule à avoir compris pourquoi elle ne se laisse toucher qu’avec contrariété. La rue, le banc, l'ambulance. Mylhenn reconnaît soudain celle qu'elle a brièvement aperçu avant de sombrer dans l'inconscience. Celle qui lui a sauvé la vie lui a-t-on répété plusieurs fois.
    - Bonjour madame! Patricia sourit, le contact est établi.
    - Pas madame voyons, Patricia! Mylhenn acquiesce d'un signe de tête et comme par enchantement la chambre d’hôpital qu’elle occupe devient un îlot d'amour. Elle se sent apaisée au contact de celle qu’elle identifie comme une bonne personne. Le cliquetis du tensiomètre qui rythme ses longues heures d'ennui s'atténue et le va-et-vient des chariots dans le couloir disparaît. Même le téléphone du poste de garde proche de sa chambre semble s'être tu. L'odeur de désinfectant a laissé place à un bouquet de chèvrefeuille qu'elle aspire à plein nez.
    Patricia parle de tout et de rien, la bombarde de petites anecdotes amusantes et la couve d’un regard aimant. Mylhenn se sent en sécurité auprès d’elle et cela fini de la convaincre de s’abandonner à cette affection.
    La jeune femme sait que son hygiène est négligée, depuis une semaine elle refuse de prendre une douche sous prétexte que la tête lui tourne. Surtout pour contrarier le personnel. Maintenant elle a honte.
    Les draps ne sont pas d'un confort exceptionnel, mais ils lui ont trop longtemps servi de cocon dans lequel elle s’est laissée vivre. Son inertie doit prendre fin. Elle se sent soudain repoussante dans cette chemise blanche qui couvre son côté face et laisse admirer son côté pile chaque fois qu'on la fait marcher un peu. Ce n'est pas pire que les loques dans lesquelles on l'a retrouvé. Cela faisait presque une semaine qu'elle se livrait au jeu dangereux de qui resterait stone le plus longtemps. Six longs jours pendant lesquels elle négligeait repas et toilette. Aux sons intensifs elle a été rapidement médiquée puis nettoyée des pieds à la tête, c’est ainsi qu’ils ont pu se rendre compte de l’état lamentable dans lequel son corps se trouvait.
    Elle ne sait toujours pas comment elle a pu se retrouver à trente kilomètres de son squat? Un flash, une angoisse soudaine, des hallucinations et il n'en fallait pas plus pour qu'elle se jette dans le premier autobus venu. Des coups de frayeur elle en a connu et elle sait qu'elle en connaîtra encore et encore. Livrée à elle-même elle sombre de jour en jour, son quotidien ressemble à une fuite éperdue où drogue et frayeur l'accompagnent. Elle espère ainsi échapper au monstre qui un jour mettra la main sur elle.
    En voyant Patricia près de son lit, elle acquiert la certitude que sa Bonne Mère vient enfin de poser les yeux sur elle. Cette belle personne qui lui tient la main sans rien en attendre en retour en est la preuve.
    Elle ne ressent aucune menace de représailles au son de sa voix et ne se sent pas jugée.
    Un soupir de soulagement lui échappe, elle accepte la douceur du moment.
    Malgré elle, de grosses larmes roulent sur ses joues lorsqu’à chaque cuillérée de purée de pêches qu’elle lui fait prendre, Patricia l’encourage à avaler. Elle doit se nourrir si elle veut sortir rapidement de l’hôpital pour retrouver les siens. Comment dire à cet ange gardien qu’elle n’a personne qui l’attend à part Sonia. Nul ne peut s’imaginer ce que cela lui coûte d’ouvrir la bouche pour y laisser entrer un peu de nourriture. Elle essaie de toute ses forces mais elle se souvient de l’époque où une glace lui valait de cruels quolibets, où un bol de céréales les pires insultes, où on la traitait de porc pour un jambon beurre. Elle doit dépasser ses peurs, mais sans ses herbes elle n’en est pas capable.
    Cette Patricia apparue miraculeusement dans sa vie a saisi en une heure à peine ce que les psys qui se succèdent dans sa chambre sont incapables de voir et pourtant c’est tellement évident, tous les stigmates sont là. Cet effroi irrépressible et permanent qui guide ses pas trouve sa genèse dans son passé de femme maltraitée. Il l’habite toute entière et cela tue son âme à petit feu. Mais cela elle n’osera jamais le confier à ces gens. La crainte, l’humiliation et la déchéance cohabitent depuis trop longtemps en elle.
    Là maintenant c’est bien plus qu'une marmelade de fruits qu’elle accepte, c’est laisser un peu d’énergie entrer dans son pauvre corps abîmé. Elle permet à cette mère réincarnée qui lui tombe du ciel de l’inonder de bonté et de douceur et ce qu'elle n'est jamais parvenue à dire dans le bureau de ce psy débile qu’on lui a commis d’office au centre, elle le livre à Patricia, sans filtre et sans crainte. Patricia pleure avec elle et elle lui fait la promesse de la protéger car elle est devenue sa petite au même titre que la chair de sa chair.
    Demain. Demain encore et toujours. Mylhenn remet à chaque fois au lendemain ce qu'elle doit faire, car cela prouve qu'elle sera encore là lorsque l'aube d’un nouveau jour se lèvera. Demain elle appellera Maë Lynette et Sonia pour les rassurer. Demain une lumière d’espoir qui éclaire son avenir.
    En attendant, elle se réchauffe au soleil de cette heureuse rencontre...

    Se MeTTre au VeRT( III )... 29 Novembre 2009

    ...Tu verras, ils sont impatients de faire ta connaissance! C'est avec ces mots que Pat l'encourage.
    - Pappey est ronchon, mais c’est l’âge qui le rend ainsi, ce n'est pas un mauvais bougre tu sais! Mylhenn sent que son ange gardien est aussi nerveuse qu’elle. Elle n’arrête pas de parler, comme pour se convaincre que tout va bien se passer. Patricia est parfaitement consciente des difficultés de sa protégée et elle se sent responsable de cette jeune femme, espérant juste qu’il n’y aura pas de complications.
    Mylhenn se demande encore comment Patricia a réussi à la convaincre de venir s'installer quelques jours à la campagne, loin de tout, loin de ses herbes folles. Elle qui déteste la bouse de vache sur les chemins mal entretenus, elle qui tord le nez chaque fois qu'elle sent une odeur de fumier, elle qui trouve triste la parade des vaches derrière leur clôture, elle qui … la liste est longue, elle s'ennuie à mourir au cœur du terroir profond. Seule sa chère Provence la réconforte. En regardant défiler le paysage, elle songe à ses garrigues, aux concerts d’été des cigales et à son charmant accent qu’elle a perdu. Sa voix tantôt nasillarde tantôt aiguë est le drame de sa vie. Patricia a été des plus convaincante avec les médecins. Elle a récupéré l’ordonnance, pris contact avec un centre de soins psy et accepté les encouragements de convenance des médecins. Quatorze heures trente tapantes ça y était, Mylhenn avait enfin le ciel au-dessus de sa tête.
    Pat lui a ouvert la portière de la petite Clio qui semble avoir déjà parcouru trois fois le tour de la terre.
    - Allez en route ma petite! Ma cambrousse n’est pas ta Provence, mais tu y seras bien!
    Quelques semaines auparavant, son signalement avait été donné à la gendarmerie de la ville où elle avait été prise en charge par le Samu. Après une longue enquête, d’autres chats à fouetter avait dit Patricia, il s’est avéré que l’autocariste qui disposait d’un cellier d’objets trouvés avait en sa possession un objet appartenant à Mylhenn. Après un arrêt au commissariat de police Mylhenn se sentait mieux. Elle venait de récupérer le peu de richesses qui lui appartenaient, un portefeuille bandoulière de marque au contenu intact, argent et papiers d’identité compris. Pat conduisait avec dextérité, en un rien de temps, la ville laissa place aux champs.
    Mylhenn, habillée de neuf des pieds à la tête aux bons soins de Pat regarde défiler les maisons, les zones artisanales et industrielles et les champs boueux. Le ciel est gris pourtant malgré une forte appréhension le soleil est dans son cœur. Elle serre très fort les sangles d'un fourre-tout que lui a confié sa protectrice en montant dans la voiture.
    - Ce n'est pas grand-chose, tu verras ma grande! Quelques affaires de toilette, un pyjama, un pull, des T-shirt à manches longues et un pantalon! Dans le sac blanc ce sont tes vêtements …sales! Elle a hésité, ne voulant pas vexer Mylhenn en qualifiant ses oripeaux de guenilles bonnes à jeter. Celle-ci acquiesce d'un léger mouvement de tête.
    - S’il te manque quelque chose tu iras faire des emplettes avec les filles! Tu as besoin d'argent, n’hésite pas à le dire ma petite? Mylhenn remercie la conductrice d'un sourire. Oui, elle ira faire des courses, les vêtements qu'a choisi sa bienfaitrice sont confortables et chauds pour la saison. D'un bon cuir les bottines fourrées lui plaisent réellement. Mais question sous-vêtements c'est du n'importe quoi, le pilou-pilou des années cinquante n’est plus à la mode. À défaut d'affection, l'argent est la seule chose qu'on lui donne sans avoir à quémander et elle se refuse à vivre aux crochets de sa chère Pat.
    Il lui manque deux objets indispensables à son bonheur et elle ne les récupèrera qu'en se rendant au squat. Elle ne doit pas y retourner, pas maintenant. Pouf et sa couverture en polaire ne ressemblent plus à rien, mais ils soulagent ses peines et absorbent les larmes brûlantes de son désespoir depuis tellement d’années qu’il lui est impossible de les jeter à la poubelle. Les gamins des pueblos se moquaient d'elle en la voyant parfois serrer et câliner un doudou d'enfant. Et aujourd'hui encore, si ses pas l’avaient porté au squat jamais elle n’aurait choisi d’accompagner Pat dans ce paysage de désolation. Les champs rendus pitoyables par les frimas de l'hiver se succèdent aux forêts squelettiques et sinistres. Les fermes éparpillées çà et là tendent à prouver que ce panorama décourageant n’est fréquenté que par des corbeaux. Et encore, ceux-ci doivent voler à l’envers pour ne pas voir la misère en dessous.
    Soudain c’est le néant, six cents mètres d’une route chaotiques, d’un véritable bourbier à certains endroits, et apparaît enfin un hameau réconfortant. Un clocher aux tuiles rutilantes surmonte la petite église romane qui jouxte l’école et la mairie. Près d’une allée qui conduit au cimetière, c’est indiqué sur un panonceau, la rue du cimetière, se trouve une bibliothèque qui apparemment sert aussi de salon de coiffure les jeudi et mardi si l’on en croit le panneau affiché sur la porte vitrée. Un petit commerce de proximité et un bar sont attenants à la place du village. Deux personnes y tiennent grande conversation, elles saluent Pat d’un signe de la main. Désert le désert, Mylhenn se sent soudain au centre d’un vide abyssal.
    - J'en ai pour cinq minutes! Mylhenn ne s’est pas rendue compte que Pat venait de s’arrêter devant la boulangerie vouée elle aussi à la diversité. Journaux, cigarettes et légumes de saison annonce une ardoise.
    - Je dois prendre le pain pour ce soir! Pat a vanté sa soupe de légumes pendant quinze kilomètres au moins et elle affirme que sa réussite dépend des croûtons à l’ail qui l’accompagnent.
    - Il te faut des vitamines pour redonner des couleurs à tes joues ma petite!
    Ça promet se dit Mylhenn en priant la Bonne Mère que les surprises s’arrêtent là.
    Dix minutes et deux kilomètres plus tard, après avoir sinué entre une rivière et de gigantesques tas de bois, la Clio stoppe face à un portail qui s’ouvre lentement pour donner accès à la cour herbeuse d’une imposante et magnifique bâtisse ancienne.
    - Voilà, nous y sommes, bienvenue chez toi! Le corps de ferme est impressionnant mais l’on y aperçoit aucune vache ni mouton. Seule une biquette blanche et noire qui pour la énième fois s'est échappée de son enclos s’approche de Patricia. Mylhenn serre les sangles de son fourre-tout à s’en blanchir les phalanges. Elle prend une grande inspiration et ouvre la portière de la voiture. Les battements de son cœur sont assourdissants à ses oreilles, heureusement elle est la seule à pouvoir les entendre. Aussitôt Lola s’approche pour la sentir, pour quémander une carotte dont elle est friande lui dit Patricia.
    Pat ne la ramène pas chez elle comme un trophée qu'elle aurait reçu pour bonne conduite, mais en tant que membre de la famille et c'est en cette qualité qu'elle lui a préparé une chambre. L’intérieur de la maison est des plus convivial, chaleureux. Le rez-de-chaussée est grandiose, d’un seul tenant à part un couloir étroit qui conduit à la salle-de-bains et à un escalier permettant d’accéder à l’étage.
    Trois marches en ciment brut et l’on se trouve dans la pièce à vivre. Une cheminée monumentale occupe la moitié du mur, dans le foyer des bûches crépitent dévorées par les flammes gloutonnes. Le salon, avec ses nombreuses assises moelleuses se trouve juste en face. Dans le fond de la pièce, la cuisine. Un immense piano à bois fait paraître la cuisinière qui y est accolée, toute minuscule. Une banque rustique en chêne soutien des étagères ajourées pour la vaisselle. Sur le plan de travail, le long du mur en briques rouges est disposé tout l’équipement nécessaire à une ménagère des temps modernes. Bouilloire, combiné cafetière, auto cuiseur, robot multifonctions et machine à pain. Mylhenn est impressionnée, elle se croirait dans la cuisine du restaurant de ses tantes.
    Sans cérémonie Jérémy, Géraldine et Juliane l’entourent affectueusement pour l’accueillir. Le son de sa voix les déconcerte à peine, Pat est certainement passée par là. Le Pappey, gauche dans son hospitalité, lui souhaite la bienvenue sur un ton bougon, mais la bonté se lit dans son regard. Pat avait prévenu, un ours.
    Cette famille aimante qu'elle désire plus que tout, elle vient de la découvrir chez des inconnus. La richesse n'est pas le point fort de ces gens accueillants mais ce qu'ils lui offrent est mille fois plus précieux que tous les diamants de la terre. Elle essuie ses larmes en cachette.
    Un doute taraude son esprit, qu’a-t-elle fait pour mériter cette attention?
    La chambre est de taille modeste, mais c’est SA chambre. Elle dispose même d’un lavabo et d’une cabine de douche. Quant au lit Patricia a fait fort, un sommier surélevé et le couchage ressemble à un nid douillet recouvert d’une couette épaisse. Elle ne s’y attarde pas, sa gorge est nouée par l’émotion. Elle dépose rapidement son sac sur la commode et redescend aussitôt après. Elle se sent humiliée en s’apercevant qu’elle est incapable de se servir d’un économe pour éplucher une pomme de terre. Pleine de bonne volonté elle voulait aider Patricia à la préparation du repas, mais elle se rend compte que certains gestes du quotidien lui sont toujours inaccessibles. Même les plus simples. Elle en hurlerait de honte. Patricia n’en fait pas cas, elle lui recommande d’aller s’installer dans le canapé et se reposer, après tout elle vient de sortir de l’hôpital. Les enfants de Pat respecte son mutisme et le brouhaha de leur conversation animée la berce, elle finit par s’endormir. Elle se réveille d’un sursaut nerveux, tout est silencieux, Patricia lit à ses côtés.
    - Un café pour finir de te réveiller ma grande? Lui demande celle-ci.
    Mylhenn ne boit que du thé. Patricia croit se souvenir qu’il y en a chez sa maman, celle-ci habite dans une petite villa située juste en face de la maison de Patricia. Le temps d’un aller-retour et je mets la bouilloire en chauffe dit-elle gaiement et elle disparaît. Dix minutes plus tard, Mylhenn dispose d’un Earl Grey brûlant.
    Pat n'avait pas tort, sa soupe est une tuerie comme ils disent dans la région, elle est digne de paraître au menu des meilleurs bouchons Lyonnais. Mylhenn n’en a avalé que la moitié d’un bol, mais elle a fait l’effort de l’accompagner d’un nuage de crème et d’un croûton beurré. Pas question de goûter à ceux frottés à l’ail. Une soupe de légumes? Chez Patricia elle aurait dû se douter que tout n’était pas aussi simple. L’abondance règne sur la table du dîner. Croûtons, gruyère râpé, crème, beurre demi-sel, dés de jambon et jambon fumé.
    Une soupe de légumes façon Patricia, épaisse et généreuse.
    Le trajet, la nouveauté des lieux, le bruit, les émotions contradictoires qui l’assaillent et se sentir enfin en sécurité, tout cela fait que Mylhenn tombe de sommeil, il est à peine vingt-deux heures. Une fois seule dans sa chambre elle s’abandonne aux sanglots purificateurs. Les cauchemars se tapissent, prêts à bondir. Elle ne peut le permettre, elle n’a pas d’herbes folles à sa disposition pour les combattre. Et si elle retournait au squat? Pour cette nuit elle se contente du somnifère qu’on lui a prescrit. Chancelante, elle s’allonge en attendant que le sommeil chimique la fauche. Comme au squat, pas de douche, pas de lavage de dents et dormir toute habillée. Si Patricia s’en aperçoit elle va râler. Un pauvre sourire éclaire le visage de Mylhenn. Ici et maintenant elle a une mère qui prend soin d’elle. Et à ce titre elle autorise Patricia à la gronder comme le ferait sa véritable maman. Mylhenn s’endort paisiblement.
    Le lendemain matin au réveil elle découvre le superbe Dreamcatcher que Patricia a accroché au faîte de la lampe sur pieds qui éclaire sa chambre. Patricia n’a pas éteint la lumière et elle l’a couverte avec la couette. Elle n’a pas rêvé, Patricia, sa Pat a déposé un baiser sur son front. Une raison de plus pour larmoyer.
    Sa protectrice lui a fait une promesse et à présent Mylhenn est certaine qu’elle la tiendra…

    TRouVeR Ma PLaCe… 6 décembre 2009

    …La bonheur à portée de mains. Je n’ai pas su, pas voulu saisir ma chance!
    Tout s’est dégradé très vite. Patricia est toujours sur mon dos, elle me materne trop et cela m’énerve, je n’en ai pas l’habitude. Respecter les horaires de repas me rend folle. Être obligée de m’assoir à table m’est insupportable, toute nourriture me révulse l’estomac. Prendre une douche chaque jour cela m’horripile de me l’entendre répéter encore et encore. Répondre agréablement ne me coûterait pas un bras, je le sais. La curiosité des amies de Pat me donne envie de gerber, de les cogner. Je deviens agressive et Gerry commence à me prendre en grippe. Sa mère s’épuise à me soutenir et ce n’est pas la reconnaissance qui m’étouffe. J’aurais pu remercier Patricia d’un mot gentil le jour où elle m’a emmené découvrir la tour de Montléans, près de Vienne. Je lui avais décris ma forteresse chérie et pour me faire plaisir elle m’a conduit au pied de sa citadelle à elle. J’ai aussitôt adopté ces vielles pierres, je les ai faites miennes à mon tour. Il est des lieux comme ça où je me sens de retour chez moi. Les ruines de la petite chapelle de mon enfance me sont interdites à jamais alors je me console avec d’autres châteaux. Mornas et Montléans sont chères à mon cœur sans que je ne m’explique pourquoi. Mais non pas un merci pour Pat. Les charlies, faire la folle aux traboules, ennuyer les vigiles du centre commerciale, tourmenter les serveurs du petit bouchon nommé Chez Gisèle, prendre le bus sans payer et narguer les contrôleurs et piquer un ou deux fruits dans les cageots alignés au cordeau de la petite épicerie d’Hassan, tout cela me manque. J’en ai besoin pour me sentir chez moi. Je vais péter un câble. Oui, le week-end dernier j’ai complètement débloqué.
    Le comité des fêtes du village avait organisé ce qu’ils nomment une matinée boudins. Dégustation et vente encouragées par de bonnes rasades de petit vin blanc de pays. Tous les cul-terreux rentrent chez eux complètement bourrés mais ils ont passé un bon moment. Je suis monstrueuse d’ingratitude, j’en veux à la terre entière. Tout cela me donne quelques bonnes raisons de m’enivrer moi aussi. Le bar de Pappey m’a permis d’assouvir mon besoin de me détruire. Lorsque Patricia est rentrée, j’étais torchée. Perchée aussi. Je dansais autour du bassin où les chevaux s’abreuvent, une bouteille de rhum blanc dans une main et une bouteille de vodka dans l’autre. J’étais partie dans l’idée de me confectionner un cocktail Bikini, mais Patricia n’avait ni citron ni glaçons et que du lait écrémé., alors je suis passée au plus simple. Les alcools.
    L’abreuvoir n’est pas profond donc le risque de me noyer était nul, c’est seulement qu’étant glissant et très étroit j’aurais pu m’assommer et l’eau de la source est à cinq degrés en décembre, alors là adieu Mylhenn. Je suppose que Miriette veillait sur moi cette fois-ci encore, je n’ai pas fait un seul faux pas. En me découvrant ivre à l’arrière de la maison, la famille en a reçu un sérieux coup dans l’estomac. Patricia est passée par toutes les couleurs de l’arc en ciel avant de me chanter Manon. Et dire qu’à quelques minutes près j’aurais pu lui montrer que je savais voler. Je ne sais pas comment je suis descendue de mon perchoir, mais la douche froide m’a suffoqué et dégrisé instantanément. Elle venait de me renverser un plein seau d’eau glacée sur la tête. Mon poing a rencontré férocement sa pommette gauche, l’autre malencontreusement son estomac, mes hurlements ont sorti les vers de terre de leur hibernation. Je dois dire que j’ai vite retrouvé mon calme devant l’étendus des dégâts, je n’avais pas conscience de cette violence qui couve en moi. Je me suis excusée mais le mal était fait. Le regard de Patricia n’exprimait aucun ressentiment, il était juste soucieux et j’ai vite compris pourquoi. Géraldine est arrivée comme une furie derrière moi, son frère et sa sœur lui hurlaient de se contenir, elle m’a bousculé rudement et lorsque je me suis retournée elle m’a giflé à la volée. Patricia n’a pas eu le temps de stopper son geste, ni le mien. Tout ce que j’avais subi six ans en arrière est remonté en moi d’un seul coup et j’ai été bien près d’assassiner la fille de Patricia. J’avais été à bonne école. Décuplée par une farouche détermination ma force et mes prises étaient implacables, mes coups précis. Gerry est passée à deux halètements de la mort. Sans Marcel et Jérémy je serais devenue une criminelle. Une fois l’adrénaline redescendue je n’ai plus été qu’une loque. Le médecin de garde s’est occupé de géraldine en premier, il a déposé des patchs anti hématomes autour de son cou. Il était bien décidé à me faire interner en découvrant les marques de strangulation qu’avaient laissé mes doigts sur Gerry. En aparté, Patricia lui a chuchoté quelque chose à l’oreille alors il s’est contenté de m’injecter un puissant calmant. Je n’étais plus que brisures, consternée et terrassée par mon agressivité révélée. J’étais glacée des pieds à la tête. Je me suis laissée emmener, déshabiller et doucher comme une enfant puis l’on m’a apporté un chocolat chaud et j’ai dormi vingt-deux heures d’affilé.
    Autant dire que la semaine qui a suivi je me suis faite toute petite, minuscule même. Les enfants de Patricia me battaient froid et Marcel m’ignorait. Du coup je me suis terrée dans ma chambre et c’est là que j’ai décidé que ma collaboration avec Pat arrivait à son terme. Elle reste d’un calme olympien lorsque je lui fais part de mon désir de rejoindre mes amis du squat.
    - Ma chère petite il te reste cinq séances psy avant de prendre ton envol! Nous étions pourtant bien d’accord, non? Son ton est resté égal à lui-même mais ce que je lis dans ses yeux est colère pure. Elle se retient à grand peine d’exprimer son mécontentement. Mon visage est impassible, je suis déterminée à partir.
    - Comme tu veux, Jérémy va t’emmener à la gare, moi je n’ai pas le temps! Tout était dit.
    Sa promesse d’être là pour moi n’est pas du vent. Ma Pat sait me déchiffrer et elle veille sur moi. C’est pour cela que de loin en loin je lui rends visite, des séjours plus où moins longs au cours desquels je réapprends le savoir-vivre. Je réapprends à vivre tout simplement. Géraldine m’a pardonné. Elle ne comprend pas que je sois restée si longtemps avec le monstre qui faisait un enfer de mon foyer. Peu de gens le comprennent.
    Je suis à nouveau au squat. L’Irish Cream est mon somnifère générique…