• EN PaRTaNCe... 28 Juillet 2012

    ...Dans l’obscurité, mon sac près de moi, je retarde le départ. J’attends un miracle qui ne vient pas!
    Je me remémore les bons moments passés en ces lieux. En quelques heures ma vie a basculé une fois de plus et je dois à présent compter avec la disparition de deux de mes meilleures amies. L’une est morte dans l’horreur et j’ai coupé les ponts avec l’autre. En ce qui concerne Patricia je suis incapable d’en expliquer aujourd’hui avec cohérence les raisons. Cet éloignement me bouffe, j’ai pété un câble une nouvelle fois. Un malentendu ridicule que je ne sais pas gérer. Je n’aurais même pas dû m’en mêler et je me sens trahie depuis. Gerry aurait mieux fait de se taire. Ce n’est pas définitif, il arrive parfois que je m’emballe, que je fasse ma tête de mule et cela prend des proportions exagérées, phénoménales alors que cela n’est que pipi d’oiseau. Ce qui me fait très mal c’est qu’une fois encore je m’éloigne de Bébé pour de mauvaises raisons. Je ne veux pas l’importuner avec mes embrouilles, mes conneries. Je pars en silence et ce n’est pas mieux. C’est une excuse pour prendre le large, j’ai besoin d’air, de ciel bleu et de cigales. Si je ne veux pas m’attacher de trop à Ash je dois m’endurcir, je crois bien que le mal est fait malheureusement, j’ai besoin de lui pour combattre mes dépendances. À mon retour, si retour il y a, cela ira mieux, je le sais. La randonnée que j’entreprends sera brève, illégale, nécessaire à mon équilibre mental fragile. Sam dit que j’ai été bercée trop près des murs, sauf que … pour l’instant je préfère passer sous silence la façon dont la marâtre me consolait. Il y aura forcément retour puisqu’à présent je dois séjourner là où l’on m’a déportée, déracinée, confinée.
    J’attrape la lanière en cuir de mon sac fourre-tout et je me lève d’un bond. Avec rage je jette la clef de l’appartement sur la table et je quitte les lieux énergiquement, sans me retourner. Je sursaute lorsque la porte claque. Terminé je ne peux plus faire marche arrière. Je me dirige machinalement vers l’ascenseur puis finalement c’est l’escalier de service que j’emprunte. Comme à mon habitude je compte les marches. C’est la dernière fois que je le fais, je ne reviendrais pas. Trois étages en dessous, dans le hall d’entrée, assise sur le marbre froid j’hésite encore à franchir la porte vitrée. De grosses larmes brûlantes roulent sur mes joues, je ne les sèche pas. J’évacue mon chagrin une bonne fois pour toute et après je passerais à autre chose.
    Dans la rue, dès que la nuit m’enveloppe je me sens mieux, ici je suis dans mon élément. Comme chaque soir à cette heure-ci, Ahmed est derrière son comptoir, je le salue en entrant dans le petit bazar-épicerie.
    - Hé pimbêche, je croyais que tu ne devais pas sortir le soir? S’exclame-t-il d’un ton plus ou moins désapprobateur. Son regard dément le reproche, ses yeux brillent de malice.
    - T’inquiète Ahm, c’est la dernière fois que je bafoue la loi! Je sais qu’il fait référence à Ash alors je lui réponds en m’esclaffant mais mon rire sonne faux.
    Je lui tends quatre enveloppes en lui faisant promettre de les remettre à leurs destinataires. Si je me laisse aller à dire de vive voix ce que je pense à chacun des membres de ma famille adoptive, jamais je ne trouverais le courage de les quitter.
    - Alors c’est aujourd’hui hein Bella? Inch Allah ma fille! Les mots se veulent réconfortants, pourtant des larmes brillent dans les yeux d’Ahmed. Il me prend dans ses bras et me serre très fort. Il a deviné que le petit papillon s’envole pour sa énième errance, pas en voyant mon sac rebondi mais à ma mine défaite.
    Je me dirige d’un pas ferme vers le squat ou se tiennent ceux à qui il va m’être le plus difficile de dire adieu. Eux seuls m’ont donné amour et affection sans contrepartie. Nullement effrayée, je m’engage dans le terrain vague, louvoyant entre les planches et les tas de gravats qui jonchent le sol. La cave est éclairée par des lanternes dont j’aperçois par intermittence la lueur tremblotante. La bâche est restée béante, ils sont vraiment imprudents. C’est Lamine que je veux saluer en premier, j’ai envie de lui faire la leçon, c’est à lui de protéger ceux que je laisse. Il est astucieux et il saura les tirer des mauvaises passes dans lesquelles ils se mettent. Mon arabe, rien de péjoratif je le répète, s’est institué d’office mon garde du corps lorsque je m’approche d’un peu trop près du côté obscur des quartiers craignos, alors je lui fais confiance. J’aurais dû m’en douter, à cette heure-ci il n’est pas seul. Je reviendrais à sa chambrette un peu plus tard. Ce n’est pas le moment de le déranger. Je souris malgré moi en percevant les gémissements appréciateurs de l’heureuse élue du jour euh … du soir.
    Je ne peux m’empêcher de râler un peu en entrant dans l’abri précaire qui protège ma famille des facéties de la météo. Ce n’est que lorsque je tire les pans de la banne l’un sur l’autre qu’ils réalisent qu’elle était restée ouverte. Et ce n’est qu’une fois que je l’ai refermé que moi je réalise que nous sommes en plein été et que les odeurs sont insupportables. Cela me prend à la gorge. Fragrance de marginaux. Un mélange de sueur, de fritures, d’herbes défendues et d’indéfinissable, c’est irrespirable. Depuis combien de temps n’ont-ils pas utilisé le tuyau d’arrosage bon sang? Peu importe, je suis chez moi ici.
    En apercevant le sac qui pend à mon épaule, ils comprennent aussitôt ce qui se passe. Leur petit papillon va s’envoler. Je sais que même s’ils en ont envie, aucun d’eux ne tentera de m’en dissuader. Je suis une naufragée comme eux, apparue sans crier gare dans leur horizon, mais ils sont conscients que je suis aussi tourmentée que les oliviers les jours de mistral. Que seule ma liberté de mouvements m’apporte un réel apaisement pour l’instant. Les jours ou je virais bredine je passais des heures à leur décrire MA vieille forteresse, les pieds de lavande qui s’étendent à perte de vue et la méditerranée aux vagues capricieuses, mes premiers bonheurs de petite fille. L’insouciance de l’enfance. Si je veux résister à mes démons, je dois m’y rendre sans attendre. Le réconfort que me procure Ma cour des miracles m’apporte la dose de courage qu’il me faut pour les quitter.
    Finalement je passe la nuit avec eux, ma détermination chancelle quand arrive le moment fatidique. Le départ c’est maintenant. Je me lève lentement, je les dévisage longuement l’un après l’autre puis je me décide enfin à les saluer. J’accepte caresses, embrassades, pleurs et aveux de l’immense affection que les loulous me portent. Je sanglote mais je parviens à résister à cette envie qui me prend soudain de rester parmi eux. Je m’arrache à leurs étreintes et je m’enfuie comme une voleuse.
    J’ai à peine le temps de traverser le terrain vague qu’une voix s’élève dans mon dos.
    - Bella, ils t’ont tous tripotés et moi je n’ai même pas droit à un au revoir?
    Casanova est de retour à temps pour les adieux.
    - Sérieux tu allais partir comme ça, sans me venir me voir? Il insiste carrément ce chien devant son éternel.
    - Quand je suis arrivée je n’ai pas voulu te déranger tu me semblais très occupé! Il m’est difficile de l’admettre, j’ai toujours refusé les avances de Lamine, mais je ressens un petit faible pour ce voyou aux mœurs légères, au grand cœur, alors je ne confierai Ash à personne d’autre qu’à lui. Je me jette dans ses bras, le suppliant presque de garder les yeux rivés sur Gandhi. Je sais qu’il observera discrètement afin de me faire parvenir de ses nouvelles. C’est mal je profite honteusement de Lamine, je profite du fait qu’il éprouve une certaine attirance pour moi, mais c’est comme ça. Ashlimd n’a nul besoin de secours, seulement il va recevoir un sacré coup de massue en comprenant que je me suis carapatée. Et en pure égoïste que je suis, je tiens à savoir ce qu’il en est.
    Lamine tente d’égayer nos adieux en commentant sa séance de sexe débridée. Comme à son habitude il a noté scrupuleusement son hôte d’une soirée. Si je décode correctement, la demoiselle n’a pas été à la hauteur des espérances du macho.
    - Crois-moi Bella, celle-ci valait à peine ses trois moutons! Sa part de misogynie me donne envie de le gifler. Je sais maintenant pourquoi je ne visiterai jamais le palais de Lamine.
    - Elle est mignonne, affectueuse et disciplinée, mais bref je ne m’étendrais pas sur le sujet! Un clin d’œil salace accompagne son commentaire plutôt blessant pour la jeune femme qu’il jargaudait quelques heures plus tôt. Jargauder est un terme rigolo et très explicite, mais la façon dont se comporte Lamine avec les femmes m’agace vraiment. Le tombeur a les larmes aux yeux lorsqu’il me serre contre lui pour un ultime adieu. Ses mains s’attardent un peu trop sur mes fesses, mais j’essaie de ne pas y prêter attention, Lamine est et restera Lamine, un chien en toutes circonstances.
    C’est le cœur en miettes et le visage rougi par les larmes que je sors du squat. Je m’en éjecte plus exactement. Il me semble que mon fourre-tout a été ouvert mais ne m’inquiète pas. Je ne vais pas leur faire l’affront de vérifier, je suis certaine que rien ne m’a été dérobé. Combien de fois me suis-je rendue à la pharmacie pour Mina? Je ne compte plus les consultations que j’ai réglées ni le nombre de caddies emplis lors des jours de disette. Si la fermeture n’est pas fermée correctement c’est que quelque chose y a été rajoutée et non pas ôtée. Même chiche un présent ne se refuse pas, venant de leur part c’est un remerciement sincère. Je fais un adieu silencieux à ce monde qui m’a rendu presque heureuse et je m’enfonce dans l’obscurité de la ruelle des dealers. Je sais qu’ils n’y seront plus, hier la bleusaille a fait le ménage. Le jour ne va pas tarder à se lever.
    Je marche silencieusement, on ne sait jamais, entre les massifs, les clôtures et les entrées de cours. Essoufflé d’avoir couru Lamine me rejoint. Jamais je n’arriverais à partir si l’on me coupe mon élan.
    - Bella, j’ai un pote qui part pour le Sud dans une demi-heure! Je te conduis à… ! J’acquiesce d’un signe de tête avant qu’il ne finisse sa phrase.
    - Alors bouge tes fesses, il est garé près de la place du marché! D’un geste énergique il s’empare de mon sac et sans un mot il me fait faire le marathon du siècle. Vingt minutes plus tard, je m’apprête à monter dans la cabine d’un énorme poids lourd. C’est à ce moment-là que Lamine prend l’initiative du baiser de la dernière chance. J’hésite entre le gifler ou lui accorder la seule caresse qu’il obtiendra de moi. Je réponds à son envolée buccale, le laissant accrocher sa langue à la mienne, comme si nos vies en dépendaient.
    - Et dire que je n’ai jamais pu m’essayer à tes talents! Il semble vraiment le regretter le bougre. Mais que rétorquer à ça? D’une main qu’il fait aussi douce que possible, il cajole tendrement mes joues l’une et l’autre.
    - Protège-toi Bella! Allah veillera à ce qu’un jour le souvenir de ta Douce ne te soit plus douloureux! Ce disant, il glisse plusieurs billets dans la poche de mon jean. Il sait pourtant que je n’ai pas à mendier pour survivre, mais c’est sa façon à lui de me prouver qu’il sait être généreux. Il est hors de question pour moi de refuser le pécule qu’il m’offre. De le remercier également, cela le vexerait. Dans sa communauté ils ont des codes de rue un peu particuliers. De toute façon, les pas de Lamine sont jonchés de billets ce qui le conduit souvent devant le juge et parfois derrière les barreaux.
    Je suis terrassée par les émotions et la fatigue. Quelques kilomètres d’une route malmenée par le passage des camions qui se rendent aux entrepôts des halles jouxtant le marché, et je m’endors. Je suis un rien barbouillée en me réveillant. Faouzi est concentré, il écoute les consignes des cibistes qui lui signales les radars et les points motards. Je suis soudain curieuse de voir ce que mes loulous ont déposé dans mon sac. Forty a glissé dans une boite de sucre en poudre usagée -je ne veux pas savoir où elle l’a récupéré- une quinzaine de biscuits au miel qu’elle confectionne elle-même dans le four de l’antique cuisinière du squat. J’adore leur croquant. Il y a aussi trois paires de chaussettes hautes, de deux tailles supérieures à ma pointure mais c’est l’intention qui compte, ils savent que j’ai toujours froid aux pieds, même en été.
    Faouzi respecte mon chagrin, il reste silencieux le temps que se tarissent mes larmes. J’ai trouvé une enveloppe publicitaire cachetée, dissimulée entre mes vêtements froissés. En l’ouvrant je découvre à l’intérieur une petite somme d’argent afin d’acheter de jolies fleurs pour m’a Sonia ont-ils écrits. Je dois les disséminer sous la verdure éternelle des oliviers sauvages où j’ai répandu une partie des cendres de ma meilleure amie, mon âme sœur. J’en suis toute retournée, ils galèrent pour se maintenir à flots et ils me font don du peu d’argent qu’ils possèdent.
    Ça y est j’y suis. Je remercie sincèrement Faouzi lorsqu’il me dépose au bord de la départementale, à quelques kilomètres de la gare routière. Je descends du bus au terminus. Au loin j’aperçois le clocher du petit village qui va abriter l’illégalité de mon retour momentané au pays.
    - Adésias Sonia, T’amour p’tite mère! Ces mots je les avais prononcés là où j’ai essaimé ma Douce en compagnie du Maharajah. Je ne veux pas penser à Ash, pas maintenant. De savoir que je vais pouvoir aller me raconter à ma tendre chérie sous les oliviers me donne le courage de gravir à petits pas le col. Je m’impose ce difficile exercice car je ne veux pas que l’on puisse me reconnaître en ville. Cela m’étonnerait qu’il y ait quelqu’un d’assez futé pour deviner mon identité, mais je préfère éviter les ennuis.
    Mon regard ne quitte plus la petite maison de mémé. Chacun de mes pas m’en rapproche un peu plus…

    SouS L'oLiVieR... 30 Août 2012

    ...J’ai besoin de me confier ma chère Sonia. Un fouillis de paroles que je vais te forcer à entendre!
    Un pêle-mêle long et décousu. Je me suis réfugiée dans ma chère Provence pendant un temps. Je croyais que la fuite me serait bénéfique, mais comme à mon habitude, je me suis ramassée en beauté. Mémé m’a reçu comme à son habitude, avec tendresse et dévouement, sa bonne humeur s’éteint de me voir aussi malheureuse. Ses bons petits plats et ses bisous sont censés me réconforter mais ce n’est pas probant.
    Ma Pat a fait la paix avec elle-même. Elle est percluse de douleurs et fait avec sa part de soucis. Entre sa maman et le Marcel qui est loin d’être facile certains jours, la vie n'est pas aisée ni tendre avec elle et j’en rajoute par-dessus. Elle a eu beaucoup de peine, tu étais mon amie la plus chère. Elle a longuement pleuré ton départ avec moi, les rares fois où tu l’avais rencontré, tu lui avais fait bonne impression.
    Comme tu devais t’en douter, je suis de retour sur Lyon, mes angoisses étaient pires au pays du soleil et des cigales. La proximité du loup doit y être pour quelque chose.
    Ma Douce, je suis devenue plus raisonnable grâce à ma Nanouche, enfin je crois, et j’accepte plus facilement d’être guidée. Disons que mes caprices sont moins nombreux. Si tu savais comme j'entortille ce pauvre Gandhi, mais j'ai comme l'impression qu'au final c'est lui qui encaisse avec honneur et de plus en plus souvent, à chaque fois me semble-t-il. Soit, je vieillis, soit il m'a cerné sans que je m'en rende compte et il travaille dans l’ombre à ma guérison . Je sais tu m'as prévenu dès le jour où je t'ai parlé de lui. C'est un finaud disais-tu. Quand on est capable de résister aux verres qui traversent la pièce ou aux hurlements de bête blessée toute une nuit, l'on doit avoir un sacré tempérament. Tu imagines bien que je vais tenter de faire un bout de chemin en sa compagnie. J’ai essayé de le quitter et je suis revenue, passe-moi l’expression, la queue entre les jambes. Il ne m’en a même pas voulu alors je le garde celui-là. La terreur est toujours ma fidèle compagne, pour m’en éloigner il m'enveloppe de son énergie et de son affection, à la façon d'un poisson dans sa papillote et cela marche, tous mes malheurs s'estompent. Je suis une peste, j'agis comme la pire des gamines, je me comporte en tyran, il m'arrive de l'insulter, de le trouver surnaturel, fantasque et sorcier, cependant pour toute réponse à mes provocations il ne sait que m'enlacer et me réconforter.
    La plupart du temps il se trouve dans ses tribunaux. Je crois que c'est maladif chez lui. Ses fichus bouquins tiennent tout un pan du mur de la pièce qui lui sert de bureau et il en achète de nouveaux toutes les semaines. C’est une encyclopédie à lui seul cet homme-là. Je crois qu’il est en train de me faire oublier toutes mes certitudes. Il est … il n'y en a as deux comme lui. Cette semaine il a pris des congés. J'entends ton rire qui résonne à ma mémoire alors ne te marre pas s'il te plaît, je vais me mettre à pleurer.
    Tu sais comment cela se passe avec lui. Le Maharajah ne sait pas déléguer, son boulot est une plaie. Évidemment qu'il y a toujours les coups de fil sans fin à son remplaçant, les dossiers où je l'entends grogner, tu sais le "rache merde quel con" à chaque ouverture de mail. Il s'énerve devant son clavier et finalement il fait le travail lui-même. Je m'ennuie à en mourir dans ces moments-là.
    Quand j'en ai trop marre, je l'aguiche de mes fantaisies et généralement cela se termine par des câlins très … câlins. Pour nos rares sorties il nous dégote de beaux hôtels sympas, des balades intéressantes et il m'emmène voir Pat aussi, mais c'est rare. Pat l’apprécie mais de loin. Il n’est pas de son monde tout simplement. Je ne suis pas malheureuse je sais qu'il veille sur moi à sa façon. Les pokers avec Stan sont toujours d'actualité. Je crois qu'après Christian, Stan est l'homme que je déteste le plus. Il se croit tout permis sous prétexte que son père est … inutile de m'attirer les foudres de ces gens pour avoir divulguer leur notoriété. Stan est un connard, point barre. Je l’ai croisé lors de notre dernière soirée sur le yacht d’un ami de l’ami de son ami, bref d’une connaissance et franchement ces gens je les trouve nazes. Il a rejoint les réjouissances avec une nana, j'te dis que çà. Ma tenue de blondasse entretenue faisait oie blanche à côté de la sienne. Carrément cagole la fille et encore je reste polie. Talons aiguille, bas résille, jupe au ras des fesses et un caraco quasi transparent. Ah c’est certain elle avait du succès, mais franchement je n’envie pas ce genre de notoriété.
    Viens t'asseoir près de moi sous l'olivier, je vais te raconter. Le Tandoori s'y connait question bonnes adresses de soirées festives et nous en avons honoré quelques-unes de notre présence. Je n’oublierai pas de sitôt la dernière en date. J'ai eu la stupidité de parler de mes facéties à la personne avec qui je passe mon temps sur le web et je crois bien l'avoir vexé. Dommage qu’il ait pris la mouche, qu’il se soit mis en colère en vrai. J’ai vingt-huit ans alors autant en profiter maintenant non? Évidemment du haut de ses cinquante-trois ans il peut de permettre de me faire la morale, mais j’ai le droit de faire ma fofolle, il n’est pas mon père. Je sais c’est mesquin comme réflexion d’autant que je l’aime bien, mais au stade où nous en sommes je ne lui dois rien. Je ne sais même pas si cela pourrait déboucher sur une relation. Toujours est-il que j’ai raconté la partie piquante de la fête à mon compagnon de messagerie et qu’il l’a très mal pris. L’air marin j’adore et cela me rend … amoureuse. Et Ashlimd est aussi malicieux que moi. Or donc je me suis dispensée de passer une petite culotte pour me rendre sur la méditerranée, c’était un peu risqué je l’admets, la brise est parfois mâtine. Tu devrais essayer avec ton copain, crois-moi cela embrase grave. Que je suis bête, il se dit que les anges n'ont pas de sexe et de la façon dont j’accapare ton temps à chacune de tes tentatives à t’élancer vers le paradis tu n’as pas eu le temps de copiner. Bref, j’ai chauffé Ash une partie de la soirée avec mes propositions graveleuses et à mon grand plaisir il a fini par me culbuter comme une catin contre le bastingage. Oh la vache, le Maharajah n'y est pas allé de mains mortes. J'avais les jambes qui tremblaient. Nous nous étions éloignés de la réception mais je pense que l’on a été vu par certains hôtes. Tant pis j'ai apprécié. Cela dit, Ash est un peu coutumier du genre et j'adore quand il a ce regard animal, je ne peux pas y résister. Le must ça a été au local de … je m’égare ma Douce, désolée.
    Stèph était là aussi. Habillé en Lagerfeld de la tête aux pieds pour une soirée croisière, certes la classe mais trop ostentatoire, tapageur en cette circonstance. Il est toujours aussi benêt, non cet homme est carrément une buse, un lourdaud. L’abruti m’a demandé pourquoi je me traînais encore ces lunettes affreuses, à chaque fois j’y ai droit.
    - Quel besoin as-tu de toujours t’enlaidir avec ces verres immondes? Si au moins ils étaient vintage!
    Plus con que lui, tu meurs, hein ma Douce? D’ailleurs personne ne comprend que ces lunettes sont mon bouclier et que je ne peux plus m’en passer car elles m’ont trop longtemps servi à dissimuler mes yeux tuméfiés, à masquer ma tristesse, à me rendre invisible. Oui carrément. Je me sens protégée derrière ces verres teintés. Ash a souvent tenté de me les faire poser, mais il a enfin compris que ce n’était pas encore gagné alors quand ça l’agace il me nomme sa petite chouette.
    Je tiens à Ash alors je le respecte et en même temps je suis sincère dans mes propos avec mon correspondant en messagerie, mais pourtant j’ai l’impression de les tromper l’un et l’autre. Pire de les trahir. Bébé -ne te marre pas s’il te plaît, j’aime le surnommer ainsi- se doute de la teneur de mes écrits car parfois je glousse comme une midinette à la lecture des textes qui me parviennent. Ash fait semblant de me croire sage mais il sent qu’il y a anguille sous roche car à présent je ne veux plus tout lui faire lire, je ne le peux plus. Avec celui que je surnomme parfois mon ange, nos propos sont devenus de l’ordre de l’intime, du très intime. Ash me connaît assez pour savoir que je suis une gourgandine en écrits, c’est lui qui a la primeur de mes créations dans lesquelles je me libère des humiliations et des insultes passées. Mes compositions sont osées et me donne une attitude canaille mais je m’en moque. J’ai besoin que l’on m’aime et cette façon d’attirer l’attention sur moi est bien peu judicieuse, surtout sur la toile me dit-il souvent. Il comprend l’effet catharsis alors il tolère la vulgarité de mes créations. Cela ne passerait pas aussi bien s’il savait que je les écris pour l’autre qui en est friand. Avec cette messagerie perverse je joue avec le feu, je fais n’importe quoi, tu as raison Sonia.
    Si Ash tombe par hasard sur elle, je vais avoir droit à une sacrée engueulade car les répliques de mon correspondant ne sont pas vulgaires, enfin si mais carrément répugnantes. Je ne suis pas persuadée que Bébé me laisserait poursuivre ce petit jeu. Je suis consciente que c’est malsain et la psy me parle elle aussi de catharsis. Qu’ont-ils tous avec ce mot? Bien sûr que je lui en ai parlé, j’éprouve de la honte à me comporter ainsi. Je crois pouvoir faire la part des choses, l'on m'y aide ne t'inquiètes pas ma Douce que je chérirai à jamais au plus profond de mon cœur. Non je ne t’embobine pas ma chérie. C’est seulement que je crois dur comme fer que seuls ces mots apaisent mon angoisse pour l’instant. Patricia me dit que j’ai de la boue dans la cervelle et qu’il serait temps d’y donner un bon coup de karcher. Elle a certainement raison.
    Quand j’ai appris ta gigantesque erreur je me suis transformée en cataclysme tellement je te détestais. J’ai failli détruire tout ce qui m’entourait, la chambre du Maharajah en l’occurrence. Pourquoi ma Douce as-tu fait cela? Oui, pourquoi nous as-tu fait cela? Une piqûre de Valium m’a bien calmé, certainement à cause de ses propriétés anxiolytiques, sédatives, hypnotiques, anti convulsivantes, myorelaxantes et amnésiantes. Oui, rien que ça et il fallait bien tout. Je bouillonne d’agressivité lorsque ma colère explose et je ravage tout ce qui est à ma portée. Comme tu le sais c’est l’un des présents que m’a offert Christian. Le problème c’est que je ne dirige mes foudres contre des innocents. Je viens de m'offrir une nouvelle crise de nerfs il y a peu. C’est parti d’une broutille et évidemment maître zen a voulu y poser son grain de sel. Je crois qu’il était passablement vénère aussi à cause de mon comportement de gamine. Il n’a pas tout saisi quand la tasse de thé brûlant que j’avais en main a atterri à ses pieds. Ensuite son regard disait clairement qu’il avait une envie folle de me fesser et pas en mode bondage et discipline, domination et soumission, BDSM quoi.
    La présence d’une femme de chambre n’a rien arrangé puisque le projectile lui est passé à quelques centimètres du visage. Je ne te dis même pas la pâleur de ses joues. Et le fait qu’elle me voie ainsi a décuplé ma rage, bref je me suis excusée plus tard en lui offrant un bon pourboire. Bichette elle n’était pas rassurée quand je l’ai abordé. J’ai la rogne car je place Ash dans des situations pas possible. C’est plus fort que moi, il faut que cela parte, de moins en moins souvent rassure-toi. Combien de fois m'as-tu demandé ce que l'on avait fait à cet homme pour le rendre ainsi, pour qu’il garde son sang-froid en toutes circonstances? Je n'ai pas la réponse, mais crois-moi, sans lui je me retrouvais une nouvelle fois en psychiatrie. Ma psy, toujours elle, me dit que je recherche le seuil de tolérance de mon compagnon, que je l’invite, inconsciemment, à me frapper. Et en y repensant c’est fort possible.
    Je t’ai prévenu ma bouille, là tout de suite c’est confessions sous les oléacées aux drupes comestibles. Merci à ce brave Guillaume, grâce à lui il me reste en mémoire quelques termes d’oléiculture avec lesquels je peux encore frimer devant toi. Mon dieu ma belle, je m'attends toujours à ce que tu sois là à chacun de mes retours en Rhône-Alpes. Je crois que si je me promène aussi souvent de régions en régions, d'hôtels en hôtels avec Ash, c’est pour ne pas affronter la douleur de ton absence. Cela a fait deux mois il y a une semaine que tu m’as quitté, c’est abominable. Je me suis terrée aux traboules avec le souvenir de tes rires, de ta grande gueule, de tes coups de gueule. Mon immense chagrin me rend dingue. La psy du centre a parlé de paranoïa et elle n’a pas tort. Je m’interdis tout apaisement car je voudrais pouvoir me poser pour te parler, pouvoir rejoindre ma cour des miracles dès que j'en ressens le besoin, pouvoir sortir au grand jour sans regarder sans arrêt derrière moi, pouvoir me faire cajoler par ma grand-mère, mais cela m’est impossible. J’ai un tel besoin de liberté que je ne tiens pas en place et la nuit c’est encore pire. Je connais chaque ruelle sombre où disparaître, chaque arrêt de bus à atteindre rapidement pour échapper à mon monstre, mille façons d’entortiller le premier passant venu afin qu’il me vienne en aide. C’est d’une stupidité sans bornes je le sais mais je pense cruautés, je vis délires et obsessions et en pleine confusion mentale je tente de fuir la folie qui peu à peu me ronge le cerveau. Je suis terrorisée par la bête que l’on va bientôt relâcher, mais ce n’est pas elle que je dois redouter mais la peur panique qu’elle m’inspire. Ash me propose souvent de rencontrer le juge qui a accordé mon exfiltration afin qu’il me fasse transférer en région parisienne. Le Tandoori y voit son intérêt le bougre, ainsi il pourrait avoir l’œil sur moi.
    Je refuse de quitter mes loulous, c’est assez clair? Je crois qu’il a enfin compris.
    Le Tandoori souhaiterait également que je fasse du bénévolat dans un foyer qui accueillent des femmes dans la même situation que moi. Il en a de bonnes lui. Je ne gère déjà pas ma propre expérience alors je ne me vois pas accueillir et réconforter en empathie ces malheureuses qui me rappelleront de trop mes épreuves et la misère psychiatrique dans laquelle je me trouve encore après toutes ces années. Il est temps que je te laisse reposer en paix, mes jérémiades doivent te souler.
    Adésias ma bouille. Je m’éclipse sur la pointe des pieds, mais je reviens bientôt…

    DéLiReS D'uNe NuiT... 21 Septembre 2012

    ...Je viens de me promettre à moi-même de ne plus pleurer en me rappelant de toi. Soirée Plan B!
    Ma Douce, hier les loulous ont organisé une fête en ton honneur. Je suis dans tous mes états, dans peu cela fera trois mois que tu m’as quitté, mais cette fois-ci je veux marquer cette date par de la joie.
    Je confirme, la fête bamboche ça marche ma douce, ça vide la tête. Oh bonne mère qu’elle marrade et que ça fait du bien. Je suis mal dans ma peau et bien sûr est arrivé le moment où j’ai planté tout le monde, mais je m’en fou, ils me pardonneront quand ils sauront combien je me suis amusée en pensant à toi depuis ton départ. Ce doit bien être la première fois. J’avais besoin d’évacuer chagrin et amertume autrement qu’en passant mon temps à larmoyer et à me lamenter sur ton absence. Le chagrin que ta disparition m’occasionne et l’amertume d’esprit que provoque la perspective d’un séjour en maison de soins qui m’est imposé par des fantoches qui suivent à la lettre les directives d’un savant fou. Mon nouveau thérapeute pense que je me fais du mal en oubliant de me nourrir, que je me tue à petit feu en revivant encore et encore mes drames. La date n’est pas encore actée, mais je dois passer une bonne semaine sous couverture chimique régulière afin de stabiliser les émotions vives qui pourraient me conduire à un acte irréfléchi et … risqué. Imbécile, triple imbécile. J’échange ma vie avec la sienne et il comprendra vite ce qui cloche. Je suis en plein malaise, mais ils sont incapables de saisir pourquoi et ce n’est pas moi qui le leur dirai. Qu’ils rament et attaquent la falaise.
    Mais non bécasse, je sais que l’automne se profile, mais je ne suis pas comme toi, mes angoisses sont plus profondes que cela, c’est lorsque les murs se referment sur moi que je commence à débloquer. Et dire que c’est moi qui les désiré ces remparts à l’époque. Je ne suis pas comme toi. Avoir peur de la chute des feuilles, non mais franchement Sonia? Remarque, Dona? Dalla? Daria? je ne sais plus son prénom exact, la grande brindille était son surnom, et bien elle flippait devant un oiseau parce qu’il n’a pas de bras. Vraiment un cas celle-là. Comme nous toutes, des allumées du ciboulot à rester cramponnées à un être violent et dangereux durant des années avant de prendre nos jambes à notre cou sur … une civière. Stop c’est un dossier chaud bouillant, je vais plomber l’ambiance si je l’ouvre.
    J’en reviens à la tournée des grands ducs, du grand soir, en ton honneur.
    Aujourd’hui tu aurais eu trente-deux ans. Mais putain où avais-tu mis ce fichu beeper? Ils ne l’ont jamais retrouvé et ils ne se sont pas plus posés de questions que ça. J’en deviens folle. Ma Sonia j’en crève même.
    Si Ash avait été mis au courant que nous allions faire la fête je suis sûre qu’il aurait aimé enlever sa cravate et boire au moins un whisky en ton honneur. Là je vais me faire massacrer quand il apprendra les conneries monumentales que nous avons commises cette nuit. Oh que si, il le saura. C’est une façon de parler, Ash ne lèvera jamais la main sur moi, c’était le dingue qui me promettait la danse de ma vie, qui me colorait l’épiderme en bleu et violet chaque fois que je j’allais me distraire en musardant avec le peu d’amies qu’il me tolérait. Je saute un instant du coq à l’âne pour t’apprendre que Criquet va encore danser longtemps là où tu sais. Enfin pas sûr il y a révision pour une première demande de mise en liberté en octobre, avec autorisation d’assignation à résidence à la clef dans dix-huit mois. Il ne lui reste plus que trois ans de sa peine à effectuer. J’y crois pas, mais Penjÿ m’a appris que ce salaud devra seulement présenter un projet de vie et l’adresse d’une résidence permanente pour cinq ans. Je ne veux pas y penser, pas maintenant.
    Nous avons célébré ton non-anniversaire et je te jure ma Douce que je l’ai fêté dignement. J’ai retrouvé un brin d’insouciance durant les quelques heures où nous nous sommes bien lâchés. Je suis d’accord avec toi, c’était de l’inconscience collective.
    Nous avons écumé le quai de Saône, tu sais là où on allait se protéger les loulous et moi quand le vent devenait trop violent, toi seule sais de quelles bourrasques je veux parler, celles genre gyrophares et tonfas. Nous n’étions pas les seuls à faire du grabuge et lorsque cela devenait trop animé nous nous carapations avant le grand nettoyage. Ce soir, sans agressivité nous avons mis le bordel sur deux ou trois terrasses histoires de réchauffer l’ambiance. Rien de méchant, juste de quoi stimuler les locataires du commissariat de quartier. Vers vingt-trois heures, après avoir ingurgité bon nombre de vodkas, là aussi, je vais en entendre parler, et effectué une préparation rigoureuse et minutée, tu aurais apprécié de voir douze cloches habillées en vagabonds chics avec à leur tête une frappa dingue affublée de ta jupe en skaï rose fluo. Comment s’est-elle retrouvée dans mon fourre-tout je n’en sais rien, mais cela a été le déclic, je me devais de la porter ce soir. Inutile de te préciser qu’elle est toujours aussi courte et que ce ne sont pas tes cinq centimètres de plus que moi qui me l’ont rendu plus longue. Ma douce, tu m’as répété bon nombre de fois que pour passer inaperçu il fallait s’exposer, tu avais raison. Personne n'a osé m'aborder. Dans le petit bar où nous allions le vendredi soir, ils n’ont pas voulu me laisser entrer car ils ne m'ont pas reconnu. Ils ont surtout eu peur de la pagaille que j’aurais pu mettre avec les loulous. Nous étions déjà bien allumés.
    Je t’explique de manière détaillée.
    Mis à part la jupe j’étais correctement vêtue, n’en doute pas.
    J’ai retrouvé la perruque brune, coupe au carré que je mettais quand je suis arrivée aux Papillons. Brune j’exagère, à présent elle est cradingue et elle pue. Tant qu’à passer pour une mangeuse de fange, autant le faire correctement, je me suis barbouillée un côté du visage avec un peu de charbon et maquillé l’autre côté à outrance. Mes collants étaient troués et pour compléter le tableau j’ai chaussé mes vielles converses toilées. L’équipée sauvage avait enfin trouvé son leader et je ne me suis retenue en rien.
    J’ai mal à la tête c’est horrible. Rien que d’ouvrir les paupières ça m’arrache des gémissements.
    Sans doute est-ce à cause de la bière-vodka ou l’inverse je ne sais plus. Les dernières lampées de lave que je buvais directement à la bouteille y sont certainement aussi pour quelque chose. Je ne me rappelle plus où nous avons fini la soirée. Torchée ta Bella. Je ne sais plus qui conduisait, il devait bien y en avoir au moins un qui n’avait pas trop bu parce que nous n’avons pas eu d’accident.
    Nous avons louvoyé de Perrache au petit Saint-Jean en passant par la Part Dieu et la Croix Rousse et il y a eu un arrêt Place Bellecour me semble-t-il mais c’est sous réserve. Après coup je crois me souvenir que nous avions envisager les bicyclettes mais au-delà du troisième litron -chacun- c’était plus que risqué. Nous n’aurions fait que pédaler dans la semoule. L’estafette D’Ahmed nous a conduit dans la montée de la grande côte et elle a rendu l’âme à mi-chemin faute d’essence.
    Six heures, rideau pour moi. En fin de matinée je me suis réveillée au squat, je ne sais pas qui m’a amené, emmitouflée dans un plaid puant la transpiration et un je ne sais quoi d’autre, avec une gueule de bois digne des grands jours. Je suis fière de moi, car je n’ai pas versé une seule larme en me remémorant nos méfaits à haute voix ma Douce. C’est, attifée comme une va-nu-pieds que je suis rentrée à l’appartement.
    Le hic c’est que la concierge côté parking me refusait l’accès aux étages. Je lui ai expliqué que j’avais été à une soirée déguisée mais cette vieille peau ne voulait rien savoir.
    - Je crois mademoiselle que votre soirée a été beaucoup trop arrosée pour que vous vous rendiez compte à quel point votre tenue est inappropriée en ces lieux! Il me semble qu’aujourd’hui ces messieurs reçoivent certains de leurs clients alors je vous prie d’aller prendre une bonne douche et de passer des vêtements moins … voyants! Et elle plissait le nez la garce, elle me narguait du regard.
    Cette chameau avait raison en plus. Je puais le loup et l’un des deux nobles serviteurs de madame justice était en consultation privée, j’avais complètement oublié quel jour nous étions. Je t’avoue que je me suis sentie bien seule ma Douce, où est-ce que j’allais pouvoir me rendre présentable pour accéder au saint des saints? Une chance qu’Ash soit dans un tribunal de la banlieue parisienne pour trois jours sinon aïe … en principe il m’est interdit de me servir du numéro professionnel des garçons, mais là il y avait urgence. Comme les prévenus, j’ai eu droit à mon coup de fil, mais de justesse. Cerbère a été tentée de refermer la vitre du guichet sans me répondre, mais de son amabilité dépend l’étrenne qu’elle recevra au moment des fêtes et Ash est très généreux alors elle m’a tendu son portable avec un rictus qui se voulait sourire, aux lèvres. Bon sang, Penjÿ m’a bien pris la tête, évidemment que je l’ai perturbé dans son travail et lorsqu’il a découvert ma tenue en m’ouvrant je ne te dis même pas sa surprise. Il m’a carrément éjecté vers le vestibule qui conduit à l’appartement et a claqué la porte derrière moi. Ça a fini de me dégriser crois-moi.
    J’ai ouvert les grandes écluses pendant plus d’une demi-heure. Je me sentais trop merdeuse, pas crasseuse juste minable. Je joue avec le diable, je le sais, j’en suis consciente. Je bois trop, je cherche à atteindre le brouillard éternel ai-je dis un jour à une psy. C’est confirmé, depuis elle me tient pour une piquée.
    J’ai jeté tous les vêtements à la poubelle car je me suis fait honte rétrospectivement. Tout devait disparaître, même moi pour un peu. Ma douce, ce sera ton dernier anniversaire que Bella fêtera. J’ai pris mon pied mais je ne renouvellerai pas. Je me sens épuisée et ma mémoire commence à me jouer des tours. J’ai du mal aussi à me concentrer lorsque je lis et depuis quelques temps j’ai l’impression que certaines de mes articulations servent de nid à une colonie de fourmis. C’est là que tu es censée me réconforter non?
    À son retour le Maharajah m’a remonté les bretelles en beauté, m’a passé une sacrée brasse oui. Il m’a privé de sorties et obligé à consulter un médecin afin que celui-ci me brief sur les dangers de l’alcool. Prise de sang et une ordonnance pour un médicament pour un sevrage alcoolique, rien que ça. Je suis vexée vis-à-vis de Bébé, mais je l’ai cherché. J’admets qu’à la lecture de mes analyses j’ai pris peur pour mon estomac, je ne suis pas loin de l’atteinte hépatique grave. Quant aux pathologies liées à la consommation d'alcool j’en check une belle collection. L’on me parle de dysfonctionnement cognitif, de dépression, de trouble de l’alimentation, et de déminéralisation squelettique généralisée. Il se pourrait bien que ce soit moi qui ai gagné le pompon au jeu de la bêtise. Je ne t’embête pas plus ma tendre chérie, je reviendrai près de toi lorsque je me sentirais moins accablée.
    Délia, oui c’est ça. C’est le prénom de la nana qui a peur des oiseaux qui n’ont pas de bras…

    CoNVeRSaTioN iNTiMe… 24 Septembre 2012

    …Ce soir je suis en vrac. Mes terreurs flottent dans le liquide brûlant de ma bouteille!
    Je ne veux pas recevoir de leçons de ta part Sonia, tu te tais dans ma tête et tu écoutes mes divagations. Je pensais bêtement qu'après la souffrance viendrait l'espérance. C’est faux, ils nous ont berné.
    Toutes ces années perdues à cause d’eux, toutes ces années où l'on nous a donné des soi-disant recettes magiques pour réapprendre à faire confiance à l’autre. Elles étaient bidon et vénéneuses.
    Plus jamais je n'aurais confiance, j’abandonne la thérapie, elle ne sert qu’à me ronger la cervelle. Je déclare forfait tu n’es plus à mes côtés pour m’encourager. Ce soir je ne parviens pas à m’arrêter, je suis ivre à en crever. Je fais peur aux loulous alors c’est dire. Je ne parviens plus à placer un mot sensé. Je suis à ramassée à la petite cuillère. Enfin sur off. Dis-moi, est-ce la paix qui m’attend après le grand départ?
    Tessa m’a recueilli le temps que je prenne une décision, la bonne si possible, à part ça ils ne me mettent pas la pression. Oui je vais y aller dans leur prison, mais quand je l’aurais décidé moi, c’est non négociable. Plus je réfléchis plus j’ai envie de le faire ce grand saut. Encore que pour cela il faudrait que je puisse parvenir à me lever, mais là je suis une loque. Mes articulations sont rouillées, c’est nouveau ça.
    Dis-moi Sonia, quand il frappait de grands coups de pieds à la porte de la salle de bains, ils étaient là? Quand il te promettait en hurlant la raclée de ta vie, ils étaient là?
    Quand il te maltraitait à coup de serviette mouillée, ils étaient là?
    Quand il te châtiait pour le plaisir de te voir pleurer, ils étaient là?
    Quand il gravait l’empreinte de sa chaussure sur le bas de ton dos, quand il t’empoignait par les cheveux pour te traîner à sa suite, quand il te criblait la poitrine de coups de poings, quand il t’a cassé le bras pour te prouver à quel point il était fort, quand il t’infligeait ses caresses répugnantes, quand il t’attachait au radiateur pour n’avoir pas à subir tes pleurs qui le dérangeaient, ils étaient près de toi les donneurs de leçon? Ton parcours a été pratiquement le même que le mien, mais toi tu étais presque tirée d’affaire. Je t’en ai voulu, oui pourquoi réussissais-tu à dépasser cette fange alors que moi j’étais incapable de m’extraire de la mienne? Moi la pleureuse je suis encore en vie, si l’on peut désigner par vivre, la misère que je traîne comme un fardeau sur mes épaules. Et toi ma courageuse chérie qui luttait de toutes ses forces pour un avenir serein, tu es morte. Ça n’est pas juste.
    L’on nous materne comme des gamines en désespoir, l’on nous inflige un long discours sur les dangers qui nous guettent si nous retournons avec notre bourreau, l’on nous abreuve de conseils irréalisables et ensuite l’on nous conduit à ce qu’ils nomment un foyer. Se voulant chaleureux, l’endroit nous stresse plus qu’il ne nous apaise car il n’a rien de réjouissant et ne fait que nous renvoyer à nos propres blessures. Toi tu étais empathique ma Sonia, mais moi j’avais des envies de meurtres lorsque mes yeux se posaient sur une femme à moitié scalpée ou sur une autre devenue hémiplégique parce qu’un fou l’avait balancé dans les escaliers par pur plaisir. Je ne suis pas sans-cœur, c’est juste que je suis incapable de ressentir quoi que ce soit. La plupart de ces femmes a souffert plus que moi et il m’est impossible l’admettre. Je suis une belle égoïste, c’est moi que l’on doit plaindre. Et le pire, c’est qu’aucune de ces pauvres victimes ne cherchent à être prise en pitié, elles veulent seulement sortir dignement du cauchemar. Je suis la seule à pleurer sur mon sort et la compassion m’est inconnue. Je suis lamentable. C’est la dernière gorgée de vodka que je viens d’ingurgiter qui me fait parler ainsi, je sais que tu as honte de moi. Tant pis je ne suis plus en mesure d’éprouver le moindre sentiment ni regret. Je dis juste qu’ils font leur bonne action et à nous de nous démerder ensuite.
    Oui Sonia tu as raison, je relève de la psychiatrie pure. Je ne m’en sors pas, pourtant quand je m’observe dans un miroir je vois une vieille femme au visage ridée et congestionné, cela devrait m’effrayer, même pas. L’alcool est le seul remède qui m’accorde un moment de répit. C’est en quelque sorte un anxiolytique bio et homéopathique puisque la vodka est issue de la transformation de quantités de produits agricoles. Je t'aime ma Sonia, et cela jusqu'à la fin de ma vie.
    Je fais une pause car j’ai peur que tu me haïsses si je continue à jaboter ainsi. Le sommeil me fuit.
    Ton Dany a finalement recueilli ton dernier souffle, comme il te l’avait assuré, et cela, malgré toutes les promesses que l’on t’a faites. Tu dois comprendre à présent pourquoi moi, je ne lutte pas, parce que dans peu, ce sera mon tour.
    Sais-tu ma belle qu’entre deux nasses, le poisson retourne toujours au fleuve? Paco était un philosophe qui s’ignorait. Il me poussait aux fesses, mais il n'était pas assez fort pour m’empêcher de sombrer. Lui, c’était la téquila sa meilleure amie et c’est pour cela que je l’ai quitté.
    Mais si, tu te souviens de Paco. Je t’en ai rebattu les oreilles du tit brésilien, nerveux comme un étalon. Il pleurait chaque fois qu’il parvenait à jouir. Bonne Mère comme il m’a diverti mon Paco. Il était déjà au crépuscule de sa vie et j'ai apprécié un temps sa compagnie, mais il avait ses propres démons à combattre et j'avais bien assez à faire avec les miens. Et vois-tu, moi qui étais incapable de m’en sortir au quotidien, je m’en suis tirée comme un chef lors de mes pérégrinations. J’étais autonome alors que là, je coule.
    J'ai essayé d’expliquer que c’est fichu pour moi, mais le Maharajah ne veut rien savoir. Il se moque de mes galères passées, il exige -rien que ça- que je rentre dans cette maison de soins. Le comble, c’est qu’il n’y a pas de sinon, en retour de son exigence. Je dois y aller, point barre.
    Sonia, est-ce que l'amitié entre homme et femme existe? C’est trop ambigu pour moi, je crois que je suis en train de faire une bêtise. Je deviens très familière en messagerie et cela me plaît de moins en moins. Pourtant, je suis attirée du côté obscur. J’ai peur de mes actes, je suis une sorte d'alien qui investit le corps et l'esprit de ceux qui veulent l'aider, ensuite, je disparais! Je sais que tu as fait pire, mais tu avais de bonnes raisons. Je te donne l'absolution avec plaisir, certains ne méritaient pas que tu portes les yeux sur eux. En fait, je viens de comprendre que c’était toi la débauchée ma Douce et nous sommes toujours en contentieux si je ne dis pas de sottises. Julien, ça te dit quelque chose? Tu m'as vraiment blessé à l’époque. Maintenant, ce connard est un peu du genre de la bête à ce qu'on m'a dit récemment. Merci ma chérie, une fois de plus tu m'as évité les ennuis. Contentieux effacé. Ma Sonia, je t'aime, je t'aime, je t'aime.
    J’ai un de ces maux de tête, je m’assommerai contre un mur pour le faire cesser.
    Effacé, balayé et oublié comme il se disait dans la chanson préférée de mémé. C’est exactement ça, pour moi, tout a pris fin le jour où tu es parti. Personne ne comprend vraiment ce que j’ai perdu le jour où tu es morte. Ash éventuellement. La bonté des loulous, l’affection et l’absence de jugement qu’ils me portent leur donnent assez de résistance pour accepter mes dérobades, mes mises à mort ratées.
    Le Maharajah s'accroche et je vais avoir bien du mal à le décourager. Pourquoi le ferais-je d’ailleurs?
    Ce que je m’apprête à lui dire prochainement va briser sa motivation. Je m’en veux, mais je dois prendre une décision. Je me refuse à le tromper, Ash ne mérite pas ma mauvaise foi. Je ressens comme l’impression que l’on me pousse plus ou moins à le quitter et je n’aime pas ça. J’ai besoin de mes deux piliers.
    Petits anges, vous veillez sur moi. Sonia, tu tiens Miriette par la main et vous êtes magnifiques toutes deux. Est-ce cela que l’on nomme le delirium? Mes larmes sont taries, je suis incapable d'en verser une en pensant à vous deux. Je suis tellement mal qu’il me semble que je suis en plein radotage. Il n’est pas encore sorti de sa cage, alors pourquoi est-ce que je me mets dans des états pareils?
    Patricia n’est pas ma mère et je le lui ai dit avec mon tact habituel. Nous sommes en froid.
    Elle voudrait que je consulte les bonnes personnes, que je ne me laisse pas influencer par des gens dissimulés derrière un écran. Elle doute de leur franchise. Tu le pensais aussi, évidemment et j’ai compris, dans un de mes rares éclair de lucidité, d'où elle tenait chacune de mes conneries.
    Ma chérie, je t’ai essaimé, fleur parmi les fleurs sauvages. Je n’ai gardé qu’une toute petite pincée de tes cendres. Bébé désire m’emmener au Costa-Rica alors je suis tentée de te faire voyager avec moi ma Douce. En attendant, il risque gros en me conduisant secrètement dans ma chère Provence. Grand-mère Lynette l’adore. Moi je ne sais plus que penser, est-ce de l’attachement ou de la reconnaissance?
    Je te remercie ma Sonia pour avoir sagement écouté mes divagations d’alcoolique. Je vais prendre un bain, me gargariser d’un flacon entier de bain de bouche, dans l’état où je me trouve, il se pourrait que j’avale la mixture sans m’en rendre compte. Je devrais me reposer, mais les nausées me tordent l’estomac.
    Adessias ma Douce. Je serre Pouf dans mes bras et mes yeux se ferment…