• CHaPiTRe ( XIV )

    DyLaN-HeNRy... 11 Mars 2016

    ...Trois piqûres de rappel. Tout d’abord un compte-rendu santé, je suis au maximum!
    Contrairement à l’idée que l’on pourrait se faire en me lisant, Ash et moi ne passons pas notre temps à parcourir la vallée des délices. Mon accueillant petit palais reçoit sainement le fidèle pénitent. Entre trêves et fantaisies il s’écoule parfois quelques … un certain temps. Je tenais vraiment à donner cette précision car mon cher Sam a la primeur de mes écrits et il m’a gentiment fait remarquer qu’en me lisant il a l’impression qu’Ash et moi sommes à deux doigts de correspondre à la description parfaite de fervents pratiquants de l’hédonisme. Petit aparté : Sam mon ami, quelque part tu n’as pas tort, mais crois-moi, Ash et moi trouvons la plupart de nos bonheurs ailleurs que dans nos randonnées sensuelles. Es-tu satisfait de ma réponse?
    D’autre part, je désire mettre les choses au point une nouvelle fois. Je n’ai pas à prouver la réalité de mes écrits puisqu’ils me servent de thérapie. Toutefois, il est vrai qu’il m’arrive de consigner certains évènements en donnant une date approximative au chapitre qui les contiennent. Cela peut paraître farfelu de prime abord, mais cela me permet une relecture plus pragmatique.
    Tu as été bercée trop près des murs Mylhenn? Non mémé, c’est juste un court-circuit temporaire.
    Ce n’est ni le lieu ni l’heure de laisser transparaître ma mélancolie, mais ma grand-mère a été mon plus grand soutien, le seul, durant mes années noires. Elle refusait l’apitoiement sur soi et elle m’obligeait parfois à mettre le nez dans mon … ma cacade pour me faire progresser. Réagir.
    Alors oui j’aurais bien besoin encore de son humour décalé pour me remonter le moral.
    Dylan-Henry, un prénom original s’il en est un. Pauvre gosse. En même temps il y a pire, Archie-Weeler, Boult ou Dyer qui sont des noms de famille devenus prénoms. Bref Dylan-Henry est plutôt chanceux.
    Or donc, l’une des collaboratrices de Bébé a accouché il y a cinq jours de cela. Félicitations et présent s’imposent, dans un moment d’égarement Ash m’a proposé de l’accompagner.
    Mon caramel sait pourtant que je ne suis pas très démonstrative ni réellement ouverte à ces réjouissances.
    J’ai de bonnes raisons pour être ainsi. Quand j’avais cinq ans, je ne me rendais pas compte que bisous et poutous étaient donnés par gentillesse ou par amour, il était tout à fait normal pour moi d’en recevoir. Ensuite est venu le temps où plus personne ne m'a étreint à part mémé Lynette. D’un coup d’un seul, j’ai réalisé que ces petites manifestations de tendresse étaient indispensables au bonheur de l’enfant j’étais et j’en étais privée. Cela m’a été très douloureux. Et lorsque dans mon existence les câlins affectueux ont repris saveur, cela l’a été encore plus. J’en ai payé la note et elle a été hors de prix. Je fais l’impasse sur les détails, mémé n’aimerait pas que je fasse ma Cosette. Toutefois, mon incapacité à mettre un enfant au monde est l’un de mes plus grands chagrins et il découle de ce passé qui m’a détruite.
    J’aurais pu refuser cette visite, mais Ash me présente officiellement comme sa compagne chaque fois qu’il le peut si bien que je me sens obligée d’assister à certaines de ses obligations. Comme je le pensais, Harriet arbore sa maternité avec fierté et cela m’horripile au plus haut point, j’en ai des palpitations. En fait, ce qui me dérange, c'est surtout le regard benêt que prend Ash en couvant des yeux un lutin tout de bleu vêtu. Du bonnet brodé à son nom aux chaussons de marque. Qu’a-t-il de si extraordinaire ce braillard?
    Je me sens misérable et l’inquiétude me tord les entrailles à l'idée qu'un jour prochain Bébé veuille à son tour se dupliquer. Qu’il en vienne à insister me terrorise car ce foyer avec oisillons intégrés il ne pourra jamais le fonder avec moi. Je suis tellement désemparée que j'en serais presque impolie. Je refuse presque sèchement de prendre le petit Dylan-Henry dans mes bras en prétextant que je ne saurais pas m’y prendre.
    Je suis privée à vie de la mise au monde d’un lilliputien de ce genre alors je ne peux pas faire semblant d'apprécier de l’avoir dans mes bras, cela m’est impossible.
    Déjà rien que le prénom ça donne envie tiens. Comment une si petite chose peut sentir aussi mauvais? Et pourquoi sa mère est-elle aussi ravie de ce don en nature qui emplit la couche de son fils? Une fois changé, il ne nous reste plus qu’à nous extasier, Ash ne s’en prive pas, sur les trois kilos cinquante-cinq à la naissance du nain à la bouille craquante. Sur les difficultés de sa mère à le mettre au monde et sur … d’ailleurs pourquoi est-ce si important de connaître le poids d’un nouveau-né?
    Un toupet de cheveux noirs sur le crâne, rend ce petit bout de vie définitivement irrésistible aux yeux de Perry Mason. J'ai soudain envie de pleurer car j’ai la preuve à cet instant que mon Bébé à moi envisage … mon pire cauchemar. En serrant le bambin dans ses bras il a déjà les bons gestes. Servir et protéger étant inscrits dans ses gènes, il le tient comme si la vie du mouflet dépendait de cette étreinte protectrice. C’est un peu vrai. Tout en le berçant, il le couve des yeux, lui parle comme à un ami de longue date, comme si ce globule pouvait comprendre ses paroles.
    Lorsque Ash est en compagnie de Terry, je remarque qu’il éprouve beaucoup de fierté et d’affection envers son neveu. Là je flippe. Je vois les mots ‘‘j’en veux un comme ça’’ gravés sur son front et je serais prête à parier qu’il n’en a même pas conscience. C’est l’instinct de vie qui guide ses pensées.
    Je crois que c'est à cet instant que nos regards se sont croisés. Le sien émerveillé, le mien, désorienté.
    Ce que je pense est horrible, mais je me surprends à haïr ce que je ne peux lui donner. Harriet exerce une profession que je n’ai point à mentionner ici, mais elle semble avoir compris que quelque chose clochait dans mon comportement envers son fils. Je suis … indifférente. Elle m’est tout sourire, mais n’en pense pas moins.
    Ce minuscule être braille aussi fort qu'un chat, la queue coincée dans une porte et il gigote dans les bras de mon homme dont le regard exprime la quintessence de l’attendrissement. Comment faire pour apprécier ce moment privilégié qu’il entretient avec cette petite créature alors qu’un clone de nous deux lui sera inaccessible à jamais? Le pire c’est lorsque cette chère Harriet récupère son fils.
    - Ashlimd je suis certaine que tu feras un excellent papa! Lui dit-elle avec un grand sourire et un clin d’œil que j’ai trouvé tout à fait déplacé.
    Bébé ne capte pas immédiatement le pourquoi de ma soudaine morosité. En effet, depuis que nous sommes de retour à la maison, ma conversation se limite à des propos dissyllabiques ressemblants plus à des grognements qu’à des paroles. Le temps de réflexion est assez long avant que ne se fasse la lumière dans l’esprit de mon cher et tendre.
    - I’m a pillock! So sorry my Chouquette! S’exclame-t-il soudain.
    Ah, tout de même. Il commence à se rendre compte combien il a été stupide de m’entraîner chez sa consœur. Il parvient à me rassurer, augmenter la population du clan ne fait pas partie de son immédiat. Je n’ose lui avouer que le regard qu’il avait en tenant Dylan-Henry contre lui m'a fait très mal. Harriet a bien raison, Ash un enfant dans les bras est un homme … flamboyant. Il m’assure encore et encore qu’un petit lutin à la peau cuivrée n’est pas sa priorité, mais malgré moi je pense que c’est faux. Ash est indien, originaire de l’Uttar Pradesh, donc programmé raisonnablement, comme ses semblables, à la paternité.
    Combien même il souhaiterait que je sois la mère de ses enfants, comment le pourrais-je? Je ne suis pas aussi altruiste que Philip et Dorothy, aimer l’enfant d’une autre je ne crois pas le pouvoir. Je me rends compte en l’écrivant que cette affirmation est monstrueuse et qu’à longue échéance elle sonne le glas de ma relation avec Ashlimd. Je ne veux pas y penser, pas encore.
    Famille, descendance, lignée, unie par le sang? Pas uniquement…

    So BoRiNG... 12 Mars 2016

    ...Aujourd’hui est une journée interminable s'il en est. Il me semble que les heures comptent double!
    J’erre sans but dans la maison, le moral dans les chaussettes. Ma Canaille est en session spéciale et je noie mon ennui dans un long bain chaud. Long à m’en friper la peau si bien que j’ai dû me badigeonner d'une épaisse couche de lait pour le corps et du coup je répands des effluves de camomille sur mon sillage.
    Direction les cuisines, j’ai besoin d’un thé bien corsé. Aux cuisines oui, il y a deux offices chez Madam’. L’une assez vaste sert lors des jours de réception et l’autre plus intime est à disposition de la famille et du personnel en repos. J’aime m’y rendre quand tout est calme dans la maison.
    Pour le coup je ne suis pas la seule. Steven et James m’ont rejoint à l’ilot pour un café noir et macarons. En me voyant installée devant mon thé, les deux hommes ont failli rebrousser chemin.
    C’est tout ce que je déteste dans le concept maîtres et valets sous le même toit. Personne n’a de réelle intimité et le personnel doit attendre que toute la famille soit à l’étage pour se relaxer. J’ai eu toutes les peines du monde à les convaincre que leur présence ne me dérangeait aucunement.
    Je ne dis pas qu’il faille copiner avec les employés, mais qu’en fin de service ils aient droit à un peu de simplicité. Cela dit Mumy n’est pas du genre à mépriser son personnel et lors des grandes soirées qu’elle organise, elle le remercie publiquement de compliments bien mérités.
    Les macarons à la framboise ainsi que ceux à la pistache ont fait notre bonheur.
    James copie conforme du Nestor de Moulinsart est en couple avec Lynn, chef de cabine pour une grande compagnie aérienne. Quant à Steven ses textos étaient réservés à Andrew, et tous deux m’ont l’air bien accros. Je fais ma commère, et alors?
    J’ai peu dormi, un cauchemar m’a obligé à me lever. Depuis l’angoisse ne me quitte pas. Ma survivance a longtemps été un cas d’école pour les psychiatres en devenir. J’emploie le terme survivance à bon escient car pour mon esprit j’ai longtemps été morte et cela m’a interdit de me sédentariser durant de longues années. Mes mauvais rêves récurrents se situent entre fuite éperdue et pétrification de terreur. La plupart du temps des murs m’emprisonnent et se referment sur moi et si je parviens à m’échapper un danger immonde me poursuit sans que je puisse le voir ni le semer. C’est ridicule de croire à cela, pourtant les seules fois ou mes délires m’ont laissé du répit, c’est dans la chambre que Patricia m’a aménagé. Elle y a intégré un magnifique Dreamcatcher, je suis convaincue qu’il me préserve de mes paniques nocturnes.
    Je ne me sens pas totalement à l’aise dans la demeure familiale de Bébé. Il y a beaucoup de passages, trop d’étiquettes de savoir-vivre à respecter et trop peu de chaleur humaine parfois.
    Le temps de ses stages et de sa formation Ash a choisi la commodité en place de l’indépendance, il a tout misé sur son côté tanguy et cela lui convient parfaitement. J’aurais la possibilité d’occuper l’appartement meublé de son oncle si je le désirais, mais je me suis adaptée à leur façon de vivre. Alors je squatte moi aussi la grande maison. De toute façon j’ai encore beaucoup de mal à gérer ma vie courante, Christian me privait de toutes initiatives, depuis je n’ose plus. Être en roue libre me convient car ainsi je n’ai rien à prouver. Les séquelles de mes opérations m’effraient et je continue à me mésestimer, sans raison.
    Il m’arrive parfois de faire popote pour mes hôtes. Ash est ravi. Cela prouve que je ne suis pas une extra-terrestre dans une cuisine et tous apprécient mes petits plats. Mon tian provençal, mon roulé à la tomate et mes aubergines farcies aux légumes caramélisés ont un franc succès. Quant à mon clafoutis aux abricots et mes chaussons aux pommes ils sont très honorables. Même Madam les apprécie. Mes tantines espéraient me voir les seconder un jour. Je les déçois car ce n’est pas mon idée.
    Dans une autre vie j’ai obtenu mon BAC avec mention et cela avec un an d’avance, c’est mon grain de fierté. Sans ma rencontre avec le diable j’aurais poursuivi des études, j’adorais m’instruire.
    Bébé me pousse régulièrement à reprendre une filière, mais comme toujours au dernier moment je renonce. Ma voix, mes connaissances chancelantes et mon intelligence court-circuitée par des maltraitances à répétition, un tout qui me décourage lamentablement.
    Avec l’aide de monsieur Bescherelle et de frère Bled je me reconstitue un savoir linguistique en français. Je multiplie les exercices de grammaire et de conjugaisons jusqu’à en avoir mal à la tête. Je me suis lancée aussi dans la traduction de petits ouvrages enfantins en version originale ce qui fait mourir de rire les neveux de Bébé. Lui me félicite pour mon assiduité et au lieu d’apprécier ses compliments je me mets à chialer comme un veau. Je suis toute en contradiction.
    Et je veux reprendre des études? Bonne Mère, la réalité c’est que je suis douée pour tirer ma cosse.
    Il était dix-sept heures trente à peine -somme toute assez tôt- lorsque Bébé est rentré et il se serait bien laisser aller à interpréter le retour du guerrier, mais l'heure était déjà au regroupement familial et pas moyen d’y couper. Madam’ est intraitable, le soir on dîne tôt et en famille.
    Durant l’apéritif, assez bref j’en conviens, Bébé a prévenu sa mère, il désire un week-end paresseux en bonne compagnie, la mienne. Curieusement Mumy n’a pas rechigner.
    De véritables ventres sur pattes ces gens-là. Cela fait belle lurette que la nourriture et moi sommes ennemies et j’ai peu d’appétit alors passer à table à dix-huit heures me … quarante-cinq minutes devant le potage aux pousses de cresson et les coquelets à la patate douce, sans oublier la superbe Jelly multicolore, j’en ai encore des hauts le cœur.
    J’espérais la récompense à la mesure de mon sacrifice. Au-delà de mes souhaits…

    GaRiGueTTeS & CaLiSSoNS... 13 Mars 2016

    ...Repos mérité. Direction le Sud de la France, je ne lui laisse pas le choix!
    Une instruction bâclée et les rouages se grippent. La consultation de Bébé est suspendue pour quelques jours. Ash se sent mal à l’aise lorsqu’il doit mettre les pieds dans un avion, mais il n’a pas voulu m’imposer un long trajet en voiture, aussi confortable soit-elle.
    Une heure dix de boîte à sardines et nous voilà au royaume du soleil. Pas vraiment ardent ses rayons. Direction la grande bleue. J’ai exigé un arrêt souvenir pour saluer Sonia, mais je n’ai pas eu besoin de beaucoup insister, Ash adore conduire la voiture de location qui lui a été prêté à l’aéroport.
    Les ornières du chemin de chèvre conduisant à l’Eden de ma Douce sont rudes et je suis heureuse de retrouver le bitume une heure plus tard.
    Palavas, enfin chez moi. Les vagues sont telles que je les imaginais un jour de mistral. Grandioses et bellissimes. Elles me bercent instantanément. Ce sont elles qui m’ont le plus manquées lors de mes années d’exil. Les vagues et ma Provence du haut. Il y a peu j’ai appris que Maë Lynette m’a fait un magnifique cadeau, je suis triste en pensant que je n’aurais plus l’occasion de la remercier.
    Depuis cette visite insensée chez Harriet, je ne me sens pas très bien. Les joues roses et les petits petons de Dylan-Henry viennent régulièrement toquer à la porte de mes pensées sombres. Bébé a tenté de me détourner de mes noires réflexions en m’entraînant au pavillon du fond du parc. Entre deux câlins Rominet nous avons discuté sérieusement de mon ressenti. Mon mal-être vient de plus loin que cette simple visite à une jeune maman. Je me sens défectueuse. Le mot est terrible et Ash en est réellement consterné. Je lui apprends brutalement que ne pas pouvoir lui donner d’enfant m’est dramatique et que mon questionnement sur l’adoption l’est plus encore. Ce qui me sidère, c’est qu’il s’excuse en pensant qu’il a été insistant sur le sujet. Non, nous n’avons jamais réellement pensé à cet aspect de notre avenir, être parents. C’est moi et moi seule qui fait une fixation sur le sujet.
    Petite, je rêvais du prince charmant et des deux blondinettes que nous aurions ensemble. Ma gracieuse et délicate Miriette, mon miroir, dont la disparition m’a anéanti, m’a quitté bien trop tôt. Nous étions des gosses et nos poupées allaient toujours par deux. Ma thérapeute émet l’idée qu’un nœud inextricable de déchirements silencieux s’est développé en moi lors de la perte de ma sœur jumelle et cela parasite mes instincts primaires. Libre à elle de se faire son opinion, moi sous la torture je serais incapable de livrer mon grand secret et c’est ce qui me tue à petit feu.
    Qui m’a consolé à l’époque à part Maë Lynette? Personne. Selon eux -comme je les hais- j’étais médiocre et inexistante pour des raisons qu'ils étaient incapables de justifier. Je ne leur pardonnerai jamais de m'avoir persuadé que tout était de ma faute. Pour leur prouver que je n'étais pas aussi nulle que cela, j'ai réussi des études qui ne m'ont servi à rien car à l'aurore de mes vingt ans, le prince s'est effectivement pointé. En guise de blondinettes, il ne m'a apporté qu’atrocités et plaies. Mes regrets sont terribles car c’est en quelque sorte ma faute si je ne peux pas avoir d’enfant. Et lorsque je me surprends à penser que si Miriette était encore en vie, elle me l’aurait peut-être offert ce bébé, ce n’est plus de la douleur mais de la torture.
    Pour m’apaiser je me laisse aller au souvenir d'un tableau de Volegov que j'affectionne tout particulièrement. Celui d'une petite fille blonde avec un chapeau dans la main. La vision de cette peinture m'emplit de tristesse et pourtant je la contemple les jours où je vais mal, cela me soulage. Une infime partie de l’affection que j’ai porté un temps à un inconnu y est restée scotchée et le restera à jamais, mais c’est surtout, pour mon esprit fatigué de lutter, le portrait craché de la petite fille que je n'aurais jamais.
    De ce fatras d’explications décousues, Bébé a saisi l'essentiel. Je suis malheureuse de toutes ces épreuves subies qui se bousculent encore dans ma tête. Il a estimé que pour me détendre, cette fois-ci j’ai besoin de plus qu'une chasse au trésor dans le fond du parc, même si c'est un très joli … parc. Le temps des petits pieds n'est pas d'actualité, c'est dit et confirmé. Je sais qu’il ne me ment pas, la construction de sa carrière est à poursuivre et tellement de choses peuvent se passer dans notre relation nouvelle.
    Grâce à Mamaiette -ma tante Étiennette- j'ai devant moi les premières gariguettes sous serre du jardin des terres, ramassées avec beaucoup d'amour et "d'assent". Elles sont délicieuses. Un thé vert et des calissons, les tantines sont aux petits soins pour moi, elles me maternent outrageusement trop heureuses d’avoir la visite de la pitchoune de la Colette. Du Pagnol à l’état pur. Elles apprivoisent peu à peu mon grand homme en le gavant d’îles flottantes noyées sous des tonnes de caramel croustillant. Son péché mignon.
    Le petit goûter fait passer l’amertume des comprimés. La ménagerie monte à l’assaut…

    HoT CHoCoLaTe aND MaNTeLPieCe… 1 4 Mars 2016

    ...J’hésite, qu’est-ce qui me ferait le plus plaisir, une balade ou un sit-in en bord de mer?
    Dans un cas comme dans l’autre, il va falloir que je m’habille comme pour une expédition au pôle Nord. Le mistral nous siffle aux oreilles, le bulletin météo nous annonçait une journée ayant un avant-goût de printemps, ils se sont bien plantés. Ça pèle. Emprisonnée jusqu’au front dans ma doudoune, le visage emmitouflé dans le keffieh de Bébé, je me risque à aller flâner le long du Lez. À peine dix minutes au grand air et je claque des dents. Transie, frigorifiée. L’un des symptômes de la maladie, m’a-t-on prévenue il y a peu. Et moi qui ai toujours pensé que ce froid que je ressentais à tout bout de champ venait des enfermements répétitifs dans le congélateur auxquels me soumettait mon ex-mari. Comment ai-je pu supporter les mois squat, les hivers camp Charlie? Sans doute, était-ce la frousse qui me réchauffait.
    Mon dos et mes talons me conseillent la prudence. Pain d’Épices est tout près de moi. Son bras soutient fermement ma taille et ses encouragements à faire quelques pas de plus me motive. La kiné me répète à longueur de temps que seul l’exercice dérouillera mes articulations. Je sais qu’elle a raison, si je me laisse aller maintenant, qu’est-ce que se sera quand je serais … Demain est un autre jour, je verrais à ce moment-là. Ce qui me glace de l’intérieur, c’est cette peur, la crainte du jour où je vais devoir utiliser un FTT identique à celui de Sam. Cela me pend au nez. Ce rhumatologue n’y connaît rien, je refuse de plier.
    Il m’a fallu une demi-heure pour rentrer. Quelle misère tout de même, je ne devrais pas l'écrire, mais parfois, je souhaiterais que cela se soit terminé autrement. Que je sois devenue un nombre de plus dans les statistiques des femmes décédées sous les coups de leur mari violent. Je serais peut-être en paix à présent.
    Lorsque Sam va lire ceci, je vais me faire incendier et il n’aura pas tort.
    Le petit séjour, au-dessus du restaurant des tantines est vraiment cosy. Fauteuils avec coussin et sofa d’angle confortables, tapis épais, le tout près d’une cheminée qui ronfle presque autant que le mistral. Un bonheur, je retrouve instantanément mon élasticité. J’en suis à me demander si ce ne sont pas mes troubles psychologiques qui me blessent corps et âme. Des douleurs qui apparaissent et qui disparaissent aussi rapidement qu’elles se sont manifestées, est-ce un sort que l’on m’a jeté?
    Comme par miracle je me sens plus que mieux dès que Mamadeine me sert un chocolat chaud. Sa conception de la boisson lui est très personnelle. D’aucuns, mauvaises langues, diraient que la cuillère flotte dans le breuvage tant celui-ci est mousseux. Personnellement je dirais que ma tantine le confectionne à doses égales de crème, de lait et de cacao.
    Le mug est bouillant, je peux à peine le tenir, mais elle m’exhorte à en boire immédiatement une gorgée.
    Écœurant, brûlant, délicieux. Une gorgée puis une autre et … Dès que tantine a le dos tourné je pose la grande tasse sur le guéridon, Son geste était généreux, mais ça ne passe pas vraiment. Avec tendresse Bébé essuie les jolies moustaches chocolatées qui ornent le haut de mes lèvres d'un revers de pouce, son regard présage le pire. Je le traduirais par ‘‘Poulette, j’aimerais bien faire de toi une mauvaise fille’’ Monsieur oublie-t-il qu’il y a une demi-heure de cela à peine j’étais aussi meurtrie et rouillée que la végétation d’automne?
    Tatie Adeine a rejoint sa petite épicerie. Depuis une semaine elle tente l’ouverture, mais mis à part les résidents le chaland ne se bouscule pas, il est encore tôt pour la saison touristique.
    À l’heure qu’il est, elle a certainement posé le cadenas, descendu la grille métallique et s’est rendue chez sa sœur afin de parler business devant un café noir. Le divan devant la cheminée est fait pour se détendre, alors pourquoi-pas? C'est un brin risqué tout de même.
    Inconscients que nous sommes d’anticiper sur le temps que mettra Mamaiette à rentrer. Moi, c’est surtout mes capacités à répondre aux requêtes de mon Fripon qui m’inquiètent. Les exquises galipettes dans le petit salon de Dorothy n’ont rien de commun avec l’étreinte que nous venons de partager. Cela a été un huis-clos tendre, rien de torride, une application sensuelle de ma poitrine sur son torse viril.
    Just a skin to skin, a heart to heart, a lips to lips.
    De ce fait le cacao s'est bigrement refroidi et je n’ai pas eu le temps de le ,,, faire disparaître. Ma tante Madeleine, le visage rouge comme une tomate d’août, me crie dessus. J'ai commis un crime de lèse-majesté en ne buvant pas le breuvage pendant qu’il était encore chaud. Elle récupère le mug en ronchonnant et se prépare à sortir dignement de la pièce.
    - Et prochaine fois s'il y a sur le canapé, rhabille-toi correctement au moins. Tu as remis ton pull à l'envers! Sa remarque est cinglante, mais son regard rieur dément son irritation. Pour une fois que nous étions restés sages, c’est bien la peine. Ash a beau rire comme un benêt qu’il est, il n’a rattaché sa chemise que de deux boutons. Seulement lui il a remis son sweat correctement. La maison en bord de plage nous attend.
    Fenêtre entrouverte, bouillotte cuivrée, calmes ondulations de la méditerranée…

    I’M HoMe aT LaST… 15 Mars 2016

    ...Mission dans le cadre de son stage. J’aurais dû me douter que c’était trop beau pour durer!
    La raison a fait que je doive demeurer dans le Sud tandis qu’Ash, mon pigeon voyageur, rentre aux Aspidies. Il m’a confié aux bons soins de Mamaiette et Mamadeine. Nous avions à peine cinq ans lorsque Miriette et moi nommions nos tantes ainsi. Une fois devenue adulte -le suis-je vraiment ?- je leur ai conservé ces surnoms. Ash va être furieux quand il saura que j’ai quitté Palavas.
    Je n’en fais qu’à ma tête, je suis montée au col, dans la maison que Maë Lynette ma grand-mère m’a légué. Cela fait un an et une semaine qu’elle nous a quitté et le double des clés étaient toujours sous la cruche ébréchée. Bien que légèrement corrodé, le petit levier métallique a tourné dans la serrure. J’ai fait un signe au chauffeur de taxi et je suis entrée … chez moi. Une cathédrale, ma cathédrale. Ça pèle autant.
    Le confort laisse à désirer, la cheminée aurait besoin d’être ramonée et quant à l’électroménager, il est des plus archaïque. Je m’en moque du moment que le courant électrique fonctionne. Il trottine allègrement.
    La poussière recouvre chaque mètre carré du rez-de-chaussée, à l’étage les araignées doivent faire la fête. Pourtant ce qui me sidère, c’est que la ligne internet fonctionne encore. Durant de nombreuses années, mémé a été conseillère municipale adjointe et elle maîtrisait le surf à merveille. Une chance.
    Il est temps que je me manifeste auprès de l’étude notariale car en attente d’un signe de ma part, ce sont eux qui règlent les factures et gèrent les lieux. Quelques paraphes et signatures et je serais vraiment chez moi. Je me sens comme si je rentrais, au terme d’un long voyage. C’est un peu ça, je vais enfin pouvoir poser définitivement mon sac au sens propre comme au figuré. C’est en ces lieux que la plupart de mes plaies cicatrisaient, que j’ai reçu tendresse et amour, que je venais pleurer sur l’adversité qui s’acharnait à me poursuivre. Mémé répondait toujours présent.
    En me laissant ce havre elle a gagné sa place auprès de la Bonne Mère.
    Vive skyppie, Bébé est venu aux nouvelles et comme je le pressentais il n’a pas apprécié ma fugue. En fait c’est moi qui ai pris les devants en l’appelant, je ne voulais pas qu’il revienne à cause de mes bêtises. Il comprend et me demande seulement d’être prudente et raisonnable. Pas trop compatible avec mon caractère ça, je promets cependant de faire attention à moi.
    Moi la quiche royale en toute occasion, je suis parvenue à allumer la cheminée. Un exploit. Oui bon avant d’obtenir de belles flammes et un peu de chaleur, je me suis faite enfumer en beauté. Il m’a fallu ouvrir toutes les fenêtres. C’était royal. Trois degrés à l’extérieur tout de même, il est certain qu’en haut du col je profite du grand air. Du coup j’ai dormi sur le pliant, emmitouflée dans une couverture parfumée à la naphtaline. Quant à dormir, je dirais plutôt que j’ai monté la garde, yeux mi-clos comme une chouette.
    Re-taxi le lendemain matin pour quelques courses à la supérette du bourg. Une horreur. Cela faisait des années que je n’y avais pas mis les pieds, mais les commères locales m’ont immédiatement reconnu. Colette ressuscitée évidemment, je ressemble à ma mère comme une goutte d’eau ressemble à une autre goutte d’eau. Les regards suspicieux et les chuchotements dans mon dos m’ont obligé à prendre plus que ce dont j’ai besoin afin de ne plus y revenir. Deux cabas emplis à ras bord que le chauffeur de taxi m’a gentiment proposé de porter dans le coffre de sa voiture puis dans la maison. Pour la peine je lui ai donné un bonus. Mes oreilles ont sifflé pour le reste de la matinée, les pipelettes ont dû s’en donner à cœur joie. C’est bien plus tard, que la nouille que je suis, a réalisé que disposant de l’internet je pouvais commander et me faire livrer mes provisions.
    Ma pauvre Mylène, la lumière ne se fait pas encore à tous les étages chez toi ma suis-je dit.
    Du thé, un pain au lait et un fruit pour le déjeuner et me voilà prête à explorer mon palais.
    Cela faisait très longtemps que je n’avais pas poussé la porte de notre chambre. Miriette et moi passions toutes les vacances chez mémé lorsque maman n’a plus été de ce monde. Puis à son tour Miriette m’a quitté et je n’ai plus voulu me rendre chez ma grand-mère. Palavas a pris le relais car je n’avais que de bons souvenirs dans la maison en bord de mer. Ceux du domaine n’aimaient pas s’y rendre ce qui m’arrangeait bien. J’aimais les journées plage en été, je faisais bisquer les autres enfants en leur montrant où j’habitais, la plupart était en camping ou à l’hôtel. Lorsque je grimpais les quelques marches qui conduisent à la terrasse, ils en bavaient d’envie. C’est la preuve que j’ai toujours été une peste née.
    Bien plus tard, lors de mon ‘‘déracinement de protection’’ je bravais parfois la maréchaussée en me rendant anonymement chez ma grand-mère, pour la nuit je m’installais dans la salle à manger, sur la banquette qui lui servait pour sa sieste. Je venais me réfugier chez elle quand ma terreur était insupportable au point que je me serais glissée dans un trou de souris. Je la croyais seule à pouvoir me protéger des salauds que Christian avait lancé à mes trousses lors de sa condamnation. Certains considèrent les mesures d’éloignement comme une miette de justice, ils les balayent, eux étaient de ceux-ci.
    Ma grand-mère m’apprenait à affronter mes peurs car elle ne serait pas toujours à mes côtés pour me soutenir disait-elle. À juste raison, mémé se voyait vieillir et trop vite.
    Trop de gens ont assisté à mon enfer, aucun d'eux n'a levé le petit doigt pour m'en sortir. J’avais fait mon choix. Pas même eux, là-haut bien à l’abri au domaine. À présent les tantines sont pratiquement les seules à aller fleurir le caveau où reposent maman et Miriette. Moi? Je ne le peux pas, ce serait trop éprouvant, j'aurais l'impression de me retrouver devant ma propre tombe. Et je dois dire aussi que la famille de celui qui hante mes pensées réside dans le village où sont enterrées mes bien-aimées. J’ai trop la frousse de les croiser. Ses parents l’ont renié, mais je doute qu’une mère puisse … je ne veux pas le savoir. La pression des journaux locaux et la honte du procès ont achevé de briser leur famille. Sam me dit que Christian lui demande parfois de mes nouvelles, sans animosité paraît-il. Toujours selon Sam, mon ex-mari serait conscient de la gravité de son comportement passé envers moi. J’en doute, je suis effrayée à l’idée que ma petite personne lui importe encore. Cela passerait pour de la provocation si je reprenais contact, mais j’aimerais lui dire en face combien j'ai la haine qu’il soit à nouveau libre et que je souhaite toujours autant sa mort. Il le sait, les jours où j’étais désespérée, n’ayant plus rien à perdre, je le lui ai hurlé à pleins poumons.
    La prison l’a usé, blessé dans son amour propre, mais il recouvre sa superbe, son regard méprisant sur le monde qui l’entoure et c’est ce qui m’inquiète. Lors de ses crises il me répétait souvent qu’il n’était pas né où il fallait, qu’on ne lui avait jamais donné ce qu’il méritait. Je n’ai jamais compris ce qu’il voulait dire.
    Toujours est-il que j'ai appris à mes dépens qu'il ne faut compter que sur soi-même et quitte à passer pour quelqu'un de méprisable, seul mes choix font loi. Ce n’est pas probant, j’admets.
    Je conserve la semi-obscurité de la chambre pour ne pas en voir plus que je ne le désire. Entre la poussière et la fumée je ne saurais dire laquelle est la plus irritante. Je tousse à longueur de temps en dépunaisant de vieilles photos accrochées aux murs salis par le temps, en manipulant des poupées arlésiennes vieillottes dont l'une est démembrée -pourquoi l’a-t-on gardé?- en feuilletant mes cahiers d'école à la couverture impeccable. J’ai découvert une pépite, le journal de mes onze ans, j’y pleurais Miriette et je rêvais déjà du prince charmant. Des pages entières sont barbouillées de son prénom écrit en lettres multicolores. Ma mémoire me fait défaut, impossible de me souvenir du visage de ce Maxime. Je redoute le moment où mon esprit va se rebeller, submergé par la multitude de souvenirs qui l’assaille. Ma thérapeute sauterait de joie si elle me voyait ainsi, plongée dans la vague mi-obscure de mon existence vulnérable. Nadège est un sacré phénomène, aussi perchée que moi, voire plus parfois. Sans doute est-ce pour cela que ses analyses me sont bienfaisantes.
    Je ressemble à un charbonnier, mais rien ne peut m’arrêter. Je découvre mes cours de fac, bien rangés dans une boite hermétique. En relisant certains passages de mes notes, je comprends qu’un avenir brillant me tendait les bras et que je l’ai monstrueusement gâché. Je n’ai eu besoin de personne pour creuser ma tombe. Mes larmes coulent malgré moi. Toutes les affaires de Miriette sont entreposées dans la vieille armoire que j’ai entrouvert et refermé aussitôt. Cela a mis fin à ma pêche aux reliques.
    Tout le contenu du chauffe-eau y est passé, et même après cette longue douche je me sens encore crasseuse. Je ne me suis même pas aperçue que la nuit tombait et comme j’ai oublié de refermer les fenêtres, je suis congelée. Enfumage maison, soupe en brique, anti inflammatoire et gros dodo.
    Il est revenu. Je me doutais que cela allait arriver à un moment ou un autre. Je suis à portée de l’enfer.
    Des cris, des pleurs, des coups, du chantage, des câlins-pardon. Soudain la vérité s’impose à mon esprit. Cricket m’octroyait sa clémence pour l’avoir obligé à me dresser comme il disait méchamment. Pour l’avoir contraint à me frapper. Ces moments que je croyais tout en tendresse n’étaient que le fait de mon imagination. Je vais taire les horreurs qui me reviennent à l’esprit, j’ai trop honte.
    Je me suis réveillée en hurlant, mon oreiller était trempé de mes larmes, je ressentais dans ma chair la douleur des sévices infligés. Le cauchemar était tellement réel que je n'ai pas pu me rendormir. J’ai gardé mes yeux de chouette jusqu'aux aurores et ensuite, le trou noir.
    Mamaiette m'a exhumé des coussins de la banquette avec un thé et une belle engueulade…

    CoNFiDeNCe-BuiLDiNG… 16 Mars 2016

    …Faire le premier pas. La querelle idiote qui nous a brouillé doit cesser, maintenant!
    Non-dits et trop-dits m’ont éloigné de Patricia, ma Nanouche. Je l’ai si terriblement déçu qu’à notre dernière rencontre elle m’a demandé de réfléchir à la façon dont nous pourrions restaurer la confiance que nous avions l’une en l’autre. Faire notre mea-culpa à torts partagés serait la solution. Je délaisse donc ma chère Provence pour une journée, je sais pourtant que je vais payer ceci en douleur, mais il est nécessaire que je monte en Rhône-Alpes afin de faire le premier pas de la réconciliation car je me sens responsable de notre éloignement. Le temps ayant passé, les raisons de cette querelle m’apparaissent bien dérisoires. Nous nous ignorons depuis si longtemps que c’est devenu une déchirure à mon cœur.
    Ma stupidité n’est en rien une excuse valable, pourtant cela reste la seule raison qui puisse me dédouaner.
    Patricia me connaissait à la perfection et elle m’exhortait à cesser une relation virtuelle qui peu à peu rognait les sentiments affectueux que j’éprouvais pour Ash. Dès le début de nos entretiens en messagerie, je savais ne jamais vouloir rencontrer mon correspondant. C’est en cela que j’ai menti et en cela seulement car pour ce qui était de mon attachement à cet homme, il était bien réel. Incompréhensible.
    De nombreuses fois ma Pat m’a prévenu, je courais à l’échec si je n’étais pas franche avec l’un et l’autre. Cela m’est terrible à écrire maintenant, mais ce gâchis aurait pu être évité si j’avais eu conscience que je ne les aimais pas d’amour ni Bébé, ni le virtuel. Ils n’étaient que les piliers illusoires qui soutenaient ma fragile existence. Lorsque l’on m’a demandé avec insistance de faire un choix, j’ai fait le mauvais et tout est allé de mal en pis.
    Pat me mettait en garde contre ce confident que je ne connaissais que par ce qu’il voulait bien me livrer sur lui-même. Ma thérapeute m’a confirmé ceci plus tard, j’étais une nouvelle fois sous emprise. Sans m’en rendre compte, mon virtuel m’influençait sur les décisions importantes que j’avais à prendre. Il m’a fallu des mois pour l’admettre. Chaque fois que Patricia me prouvait la mauvaise foi de ce monsieur, je me braquais encore plus contre elle, toujours plus, jusqu’à ce que la corde en vienne à se rompre.
    Je me suis rendue compte, un peu tard, que celui que je croyais mon ami fliquait les personnes qui visitaient mon profil. D’un commentaire d’un seul, Samuel a jugé le bonhomme. Cet individu se permettait de le conseiller sur la façon dont il devait me réconforter. Agacé par ce sans-gêne, Sam ne lui a jamais répondu.
    Patricia elle, ne s’est pas méfiée, seul mon apaisement lui importait. Dès qu’elle se connectait, Gärtner puisque c’est de lui qu’il s’agit, se rendait sur sa messagerie afin de la questionner sur mes déplacements. Questions auxquelles elle répondait sans mauvaises intentions. Puis au fil des semaines elle s’est mise à s’épancher un peu trop. Sans s’en rendre compte, elle donnait à cet étranger des détails très personnels sur ma vie. Entre autres le nom de famille de mon ex-mari ainsi que celui de mon avocat. Cela lui avait échappé malgré elle s’est-elle excusée plus tard. Cela m’a rendu dingue. Le coup de grâce a été lorsque j’ai eu confirmation que Gärtner et Patricia avaient eu une longue communication téléphonique ayant pour sujet … la pauvre Mylhenn. J’ai pété les plombs, ces parlottes dans mon dos mon rendu hystérique.
    La situation devenait incontrôlable, c’est à Patricia que j’en voulais, alors se sentant prise au piège entre lui et moi, Pat a supprimé son compte afin de couper court au harcèlement quotidien qu’elle subissait. Le pire c’est que tout comme moi Pat appréciait l’érudition de cet homme. Elle était juste trop naïve pour comprendre qu’il se servait d’elle, non trop confiante je dirais, elle en était arrivée à dénigrer Bébé.
    Ash a toujours été là pour moi. De quel droit pouvait-elle trouver néfaste l’influence qu’il avait sur moi? Il était le seul qui ait accepté mes défauts et m’ait fait réfléchir sur mon comportement à risques sans me juger. Je n’ai pas pardonné et j’ai coupé les ponts assez rudement avec elle. Quant à Gartner je crois que cela a bien aidé à ce que je m’en désintéresse peu à peu, mais je n’avais pas le courage de disparaître d’un clic comme il l’a finalement fait.
    Certes il avait de l’empathie pour moi, mais je pense qu’il avait aussi beaucoup de problèmes à résoudre vu son comportement avec les femmes. Il les aimait jeunes je pense et à partir d’un certain âge elles ne l’intéressaient plus. Je ne cherchais ni un père, ni un gendarme et Nadège a eu du mal à me faire admettre que je n’ai accepté les délires érotiques de cet inconnu que pour combler ma solitude. J’ai pleuré sur la défection de Gärtner, pourtant je suis convaincue à présent que c’est le plus beau cadeau qu’il pouvait me faire. Je ne peux plus en vouloir à Patricia, nous sommes malheureuses l’une sans l’autre.
    Le voyage d’aller a été fatiguant, et ma Nanouche aimerait me garder pour la nuit, mais cela m’est impossible. Je dois rentrer avant Bébé et je sais que cela ne va pas être simple.
    Patricia est toujours une mère pour moi et elle me répète que son foyer est le mien. J’ai eu peu de temps pour lui confier mes progrès et mes rechutes, mais cela m’a fait un bien immense. Elle a compris que la mère de Bébé n’est pas maternelle pour deux sous et que surtout il y a une partie de mon parcours que Dorothy doit ignorer. Ce que je partage avec ma Pat est au-delà de la compassion, c’est une communion d’âme. Finalement je suis rentrée à Palavas le lendemain en milieu de matinée. Je suis épuisée.
    La brulure qui flatte mes lombaires donne tout son sens à l’expression porter sa croix…

    LoVeR’S QuaRReL… 17 Mars 2016

    …Ces quelques jours sans toi ont été interminables. Qu’est-ce donc que cette humeur de chien?
    Bébé, tu m'as manqué. Ah oui, ça? Tu ne m’as pas trouvé chez les tantines. Euh … disons que j’avais la bougeotte. Explique-moi bon sang au lieu de marmonner sans que je comprenne un seul mot de ce que tu dis. Aïe aïe aïe, madame mère t’a remonté les bretelles parce que tu es incapable de gérer mon comportement à risques. Je refuse que ma maladie me soit un frein et elle désapprouve, c’est tout.
    De quoi je me mêle? Si elle veut grogner après quelqu’un, c’est contre moi qu’elle doit le faire et cette fois-ci je vais le lui dire de vive voix, crois-moi. Je n’ai rien fait de mal que je sache? Je suis juste allée rendre visite à une amie, môman ne va pas en faire tout un fromage?
    Et puis d’ailleurs pourquoi lui as-tu demandé d’appeler ma tante? Tu ne pouvais pas attendre le soir pour le faire toi-même?
    Le cerbère ne décolère pas parce que?
    Ne monte pas sur tes grands chevaux, oui, c’est ta mère chérie que je nomme ainsi. D’habitude elle ne se préoccupe pas trop de mon état de santé alors il faut qu’elle se calme un peu.
    Je te mets dans l’embarras, cela te contrarie, tu es préoccupé? Tu négliges tes obligations à cause de mes bêtises? Waouh, il va falloir qu’elle se détende là. Tu as quel âge Bébé? Es-tu vraiment obligé de supporter les remontrances de ta mère?
    Tu me demandes où j’étais? Sérieux? Alors là mon garçon, ne te risque pas sur ce terrain. Tu commences vraiment à me souler. Désolée je ne voulais pas le dire comme ça.
    Je sais que nous repartons ce soir pour les Aspidies, mais j’avais besoin de voir Patricia. Tu peux comprendre ça non?
    Et voilà je suis en pleine scène de ménage alors que j’aurais voulu me faire câliner.
    Mamaiette s’amuse de sa mauvaise humeur, moi je préfère le laisser bouder dans son coin le temps qu’il se calme. Autant le dire, nous nous faisons la tronche comme deux minots capricieux et la journée s’étire en longueur. Avec force poutous mes tantes me souhaitent un bon voyage en nous déposant à l’aéroport. Assise à côté de monsieur Grincheux, les une heure quinze du vol m’ont paru une éternité, il ne m’a adressé la parole que pour le strict nécessaire.
    Et ça ne s’est pas arrangé à notre arrivée au bercail comme dit Marcel. J’ai envoyé paître Mumy de façon magistrale. En fait c’était d’un :
    - Mêlez-vous de vos affaires, je suis assez grande pour prendre mes décisions seule et cela malgré le grain qui joue à saute-moutons dans ma tête. Bonne soirée madame!
    La pauvre en est restée estomaquée, pour une fois je pensais lui avoir cloué le bec. Mais non.
    - Oh! I am shocked and disappointed in you Mylhenn! Elle est consternée par mon attitude dit-elle à son fils avant de disparaître. Une fois la stupéfaction passée, ledit fils essaie de me convaincre de m’excuser. Je crois bien lui avoir répondu avec un rien de vulgarité, il l’a bien mérité après tout. Le chambranle de la porte de MA chambre a vibré lorsque j’ai claqué le battant. Autant dire que ma nuit a été un cauchemar. Je m’en voulais, j’en voulais à Ash et franchement je n’étais pas très fière de m’être adresser aussi cavalièrement à Madam’. Je déteste me fâcher avec Bébé et, cerise sur le gâteau, je suis consciente d’être en tort.
    J’ai attendu une volée d’émojis bisous et cœur, mais en vain.
    Levée tôt à cause de la douleur qui irradie mes épaules et mes mollets, je m’installe au petit salon. Hier soir j’ai oublié de prendre mon traitement avant de m’allonger pour la nuit, c’est malin. Un tramadol fera peut-être l’affaire mais j’en doute. Putain. Il est à peine huit heures du matin et mon esprit me demande … une vodka. Je me sens très seule soudain, il y avait très longtemps que cela ne m’était pas arrivée.
    - Mademoiselle Mylhenn? Monsieur vient de partir faire son sport et il ne rentrera pas avant deux bonnes heures, si vous désirez petit-déjeuner, la salle à manger est prête! Je n’avais pas entendu arriver Steven si bien que mon sursaut de surprise est assez comique. Je ne crois pas qu’il soit judicieux de me retrouver face à Madam’ après la scène que je lui ai faite hier soir alors je refuse l’offre de Steven et je le remercie pour son obligeance. Somnolente à cause du médicament qui fait effet, je me vautre sur le sofa et … je m’endors illico.
    À mon réveil je suis couverte d’une épaisse couverture en polaire et je me sens observée. C’est Bébé.
    Ses yeux sont emplis d’une infinie tendresse, Ash le grognon a enfin disparu. Rasé de près il est … scintillant. D’accord j’exagère, mais sa bonté et sa façon de passer l’éponge sur ma crise lui octroient le bénéfice du doute, lui restitue son innocence. Je lui souris niaisement. En veine de confidences il m’avoue qu’un dossier d’enquête le bouleverse, lui le dur des durs et cela prend le pas sur sa patience. Il m’est arrivé de tomber sur certains clichés révoltants qui enrichissent les dossiers qu’Ash traite et dans de telles circonstances je comprends qu’il perde son flegme. Je n’ai rien à excuser car je suis dans mes torts. Bébé n’a pas choisi le chemin de la facilité alors c’est à moi d’y mettre du mien.
    Il n’est pas nécessaire de revenir sur notre querelle, je dévie la conversation sur ce que nous avons observé la veille à l’aéroport. La sécurité est effectuée par des gens stressés manquant sérieusement de diplomatie. Ash, pragmatique au possible, me dit qu’il comprend, par les temps qui courent la situation exige un sans-fautes et certains passagers ne sont pas vraiment coopératifs. Pour exemple il me décrit Mèmère qui utilise chaque semaine cette liaison et qui semaine après semaine râle lorsqu’elle doit abandonner son flacon de parfum à peine entamé. Depuis le temps elle devrait bien savoir que les règles de sécurité interdisent de posséder des contenants non scellés dans les cabines. Quant à Pèpère, il attend le décollage pour passer son coup de fil. Il est encore heureux que les communications soient bloquées approuve Bébé, évidemment lui il flippe au moindre coup d’aile. Hôtesses et stewards sont habitués à gérer, ils ont des formations pour cela, mais il est évident que parfois ce n’est pas suffisant. La crise d’angoisse d’une gamine qui prenait l’avion pour la première fois nous en a donné la preuve, chaque cas est différent. Et si l’un de vos bons amis se targue d’avoir réalisé moults exploits sexuels dans les toilettes du bord, en vol, croyez-moi sur la ligne qu’Ash et moi prenons cela reste et restera de l’ordre du fantasme. Dès qu’il y a deux personnes dans l’allée centrale ou un siège inoccupé depuis plus de cinq minutes, c’est branlebas de combat à bord.
    Seules les palpations génitales discrètes sont autorisées, et encore. Oups.
    C’est la première fois que je reconnais être heureuse de rentrer à la maison. Avant je disais ‘‘chez tes parents’’ à Ash. Aucun déclic réel, mais je passe tellement de temps aux Aspidies que cela est devenu mon foyer par reconnaissance. Ma souvenance me fait défaut, si je m’installe dans la maison de mémé, je vais devoir me réadapter aux vallons, aux massifs, à la garrigue aux champs d’oliviers et à la lavande de mon enfance. La ville grouillante a été longtemps mon trou de souris, rien de telle que la foule pour passer inaperçu disais-je. Ma chère Provence est riche de sa Sainte-Victoire, de ses cigales, de sa Sainte-Baume, de ses plages, de son soleil, de ses criques, du village de La Treille, de Garlaban comme disent les natifs de là-bas, des fontaines d’Aix, des collines odorantes et de … stop, je suis une fanatique. Maman m’a donné le virus de la Provence de son enfance. Pourtant je ne m’y sens plus vraiment chez moi. Ce sont mes racines, mais en vrai depuis que Christian rôde au bourg je redoute de le croiser. Sam a beau me dire que le loup a perdu ses crocs tranchants, je n’arrive pas à me raisonner.
    Les quelques heures passées chez les tantines m’ont permis de réfléchir à la manière de maitriser mon futur handicap. Je dois être réaliste, une S.A n’est pas un petit rhume. Certes l’on n’en meurt pas, mais de ses complications, parfois. Je clame haut et fort que je ne laisserais pas cette fichue maladie me mettre à terre, pourtant je crève de trouille. Sam se nourrit du mot résilience, je n’en suis pas encore là.
    Bizarrement, c’est de faire part de mes craintes à Ash qui me rassure.
    Bébé est très heureux de me savoir rabibochée avec ma Nanouche. Il regrette de n’avoir pu m’accompagner car il trouve très agréable la campagne isolée où résident Patricia et Marcel. Les écuries sont son péché mignon, il apprécie les balades à cheval avec les enfants de Pat et depuis que je lui ai parlé d’Écho le nouveau venu, il lui tarde de se rendre en Rhône-Alpes. Moi c’est la chambre qu’ils m’ont aménagé dans les combles qui me … comble. Accueillante et douillette, cette fois-ci je n’en ai profité qu’une courte nuit, mais cela a suffi à mon bonheur.
    Bébé me répète souvent, cette fois encore, qu’il a fait le choix d’un avenir avec moi à ses côtés. Sans pessimisme il est conscient que ma reconstruction sera longue, mais il m’affirme posséder de la patience à en revendre. C’est à deux que nous rendrons l’expérience … enchanteresse. Il exagère à peine. À voir son énervement d’hier je m’interroge un peu tout de même.
    Nos conversations à bâton rompu me sont bénéfiques. Communiquer est essentiel me répète Nadège, pourtant il m’a été impossible d’ouvrir mon cœur à Bébé sur mon problème récurrent avec la vodka. Je fais l’autruche en pensant que cela passera, que c’est la douleur qui m’a envoyé cette image subliminale, mais en réalité je refuse d’admettre totalement que je suis alcoolique et que c’est une surveillance d’une vie.
    Bourrasques glaciales des Aspidies. Bébé, sa tendresse, sa force, son dévouement, mes éclaircies…

    One STaGe… 19 Mars 2016

    …Tempus fugit velut umbra. Où sont passées mes huit dernières années?
    Quoi qu’en disent les donneurs de leçons qui m’ont fait douter de ma raison, l’oubli total ne sera jamais au rendez-vous, c’est impossible. Certaines de celles qui tout comme moi ont été martyrisées y parviennent mais d’autres, cinq ans après la fin de leur calvaire, lâchent prise. Leur enfer a été atroce, leur avenir est bouleversant. Elles restent celles qui ont été maltraitées dans l’esprit des gens. Celles qui ont acceptées les coups par amour. Je le sais car je le ressens parfois dans le regard appuyé de ceux qui entendent pour la première fois mon histoire. J’ai l’impression d’avoir commis une faute irréparable, d’être coupable d’avoir été maltraitée. Parce que c’est de cela qu’il s’agit. Aux yeux de beaucoup je mérite ce qui m’est arrivé, car j’ai autorisé la première gifle sans la sanctionner. Mais bien sûr que si, c’est l’exacte vérité. Le ressentiment me ronge encore, contre Christian bien sûr, mais aussi envers ceux qui jugent. Me jugent, comme si j’avais été marquée au fer rouge. Je suis scarifiée oui, et parfois je ressens encore la douleur des contusions qui meurtrissaient ma chair. Ce sont mes pleurs qui m’en libèrent. Peu à peu j’évacue l’atroce, le cruel et l’odieux de mon esprit, toutefois je possède quelques reliques, témoins malgré elles de mes souffrances et de mes errances. Mon vieux fourre-tout est l’une d’elles. Je le conserve à portée de mains afin de m’entretenir mémoire. Je ne lui accorde que peu d’intérêt, je sais qu’il est là, tout près, cela me suffit.
    Ce lâche parmi les lâches a toujours su ce que son fils me faisait subir et il n’a rien fait pour me sortir de là.
    Le seul réconfort qu’il m’a apporté a été une couverture doublée laine et polaire dans laquelle j’enveloppais ma pauvre de moi après chaque passage dans le congélateur armoire vitré où son détraqué de fils me bouclait afin que ‘‘je me calme’’. Curieusement ce lainage est toujours en ma possession. Je l’ai trempé de mes larmes tellement souvent qu’il m’est impossible de le jeter, deuxième relique.
    Si je dois retrouver la paix, ce sera à l’ombre du Mourèze, à marcher dans les champs pourpres sans avoir à me retourner sur mes pas, en m’asseoir à la terrasse du troquet Chez Marinette, à ignorer les regards insistants de ceux qui m’ont connu ‘‘avant’’. Je trouve que justice ne m’a pas été correctement rendue, mais si je m’attarde à y songer je deviens incohérente, balayée de Charybde en Scylla. Alors en attendant le meilleur du mieux, je ne résiste jamais à l’appel de la boîte de Pandore lorsque celui-ci se fait entendre.
    Que très rarement à présent, cela m’est-il réel réconfort?
    Je tiens sur mes genoux mon pauvre sac brodé ‘‘in the army now’’, il est défraîchi au possible, pourtant je l’utilise comme un grigri, le doudou que je n’ai plus. À cet instant je suis … rampante, je fais preuve de lâcheté à mon tour en refusant d’admettre que j’ai besoin d’aide pour combattre mon addiction qui pointe à nouveau le bout de son nez. Pour se faire, je ne trouve rien de mieux que de sauter à pieds joints dans ce fourre-tout qui recèle une part de mon histoire sombre, celle que je voudrais définitivement oublier. Sois lucide Mylhenn, tu es devenue dépendante pour oublier la souffrance, mais qu’elle sera ton excuse à présent si tu replonges?
    Je refuse de me mettre les méninges en court-bouillon.
    La fermeture éclair commence à se gripper, mais le principal est que le vieux fourre-tout s’ouvre.
    Ils s’y trouvent encore quelques vêtements à l’intérieur, mes chaussettes à sequins multicolores, boule à facettes disait ma Douce, sont élimées mais elles brillent toujours après toutes ces années. L’écharpe Burberry que j’avais volé à Bébé lors d’un rendez-vous agité, le drap de bains Betty Boop et le gant qui va avec, Sonia me l’avait offert pour les bains-douches lorsque j’avais déserté les Papillons. Le pull manches chauve-souris conserve dans ses mailles les effluves entêtants du Sexy Graffiti, je m’aspergeais abondamment de ce parfum, j’adorais sa fragrance. Fruits, fleurs, vanille et musc : explosif. Je ne pensais pas avoir empli autant ce bagage. Un CD de Robbie Williams? Des échantillons Dior? Une trousse de toilette?
    Je ne suis pas matérialiste mais là c'est une véritable Vuitton que j’ai sous les yeux et pas moyen de me souvenir d’où elle provient. Mon précieux est coincé entre deux pages du calendrier brésilien que m’avait offert Paco, il n’a aucune valeur marchande parce qu’il s’agit d’un T-shirt jaune poussin. Repue d’amour, couverte d’ecchymoses et secouée de sanglots je passais ce vêtement après une douche brûlante. Je soignais la douleur par la douleur, puis je me lovais dans ce tissu pour me remettre de l’orage qui m’était tomber dessus. Les souvenirs qui s’y rattachent refont surface et avec eux la honte. Je le roule en boule rageusement et le repose religieusement dans le fatras d’objets qui ont jalonnés mon parcours fait de joies, de chutes, de victoires, d’épreuves.
    Une vie de galères, de mauvais choix, de rencontres douteuses, de coups du sort, de coups tout courts et de belles opportunités. Des accueils forcés en maison familiale, en maisons de repos, en maisons de soins, en maison d’arrêts, il ne me manquait que la maison close. Je ne devrais pas en rire, mais j’ai assez pleuré. En ce qui concerne ma détention, mes confidences sur cet épisode peu reluisant de ma vie viendront lorsque je m’en sentirais vraiment la force et j’ose écrire qu’en aucun cas il a porté le déshonneur sur moi.
    Ainsi, ce sac de voyage était toujours présent à chaque moment crucial de mon existence, mes frasques et ma psychose l’alourdissaient. Bourré jusqu’à maximum par quelques livres, entre autres un livre d’apprentissage à la lecture. J’ai dû réapprendre la lecture courante en rentant de mon périple en Amérique du Sud. Peu importe que l’on me croie ou non, mais pendant un temps j’ai été incapable d’aligner trois mots sans bégayer et puis cela a disparu aussi rapidement que c’était apparu. L’émotion provoquée par ma liberté retrouvée disait le psy de l’époque. Pour moi cela venait de ce que je n’avais plus l’habitude de m’exprimer sans en demander la permission. Le retour sur la terre de mes déboires.
    Or donc bourré jusqu’à maximum disais-je, j’y trimballais toutes sortes d’objets au gré de mes humeurs. Des DVD, le Stephen King qu’il faut avoir dans sa sacothèque selon moi, Marche ou Crève était ma devise. Quelques feutres, un calepin à carreaux, des … que des choses inutiles en fait. Ensuite il y a eu le squat et ce sont mes guenilles fripées qui ont pris place à l’intérieur. Un jean troué, des pulls étirés, un jogging informe et des baskets hors d’usage. Lorsque je sortais avec Sonia je faisais l’acquisition d’une toilette qui disparaissais dans la poubelle dès le lendemain. Pas de témoins disais-je. Il me restait juste assez d’orgueil pour ma lingerie, j’en prenais soin et elle avait la meilleure place dans mon dressing voyageur, la poche de côté. J’ai soudain l’idée de passer ma main entre les deux pans de toile. Un inestimable trésor s’y dissimule. Je les ai longuement cherchés, j’étais malade de les avoir perdues. Il s’agit de la photographie de ma chère Sonia sur laquelle j’avais collé sa médaille de protection. Ça me fait trop mal, le passé reste au passé. Je les remets dans leur cachette puis le fourre-tout rejoint son coffre.
    Effacer définitivement de ma mémoire un sac empli de possessions hétéroclites…