• CHaPiTRe ( XV )

    PaiN & GRieF… 20 Mars 2016

    …Ce matin, direction le service de rhumatologie le plus proche. Je souffre le martyr!
    Ce qui ressemble à s'y méprendre à un coup de couteau qui me déchire la colonne vertébrale est en vérité la douleur insupportable qui m’a réveillée vers quatre heures du matin. Non pas que j’ai déjà été poignardée, mais … la douleur est fulgurante, voilà ce que je veux exprimer. Ensuite c’est comme une décharge électrique suivie d’une brûlure qui me vrille les lombaires, le bassin et les chevilles. Le diagnostic a été posé il y a peu, aussi dois-je immédiatement consulter à l’apparition de douleurs extrêmes. Je suis en plein dedans.
    Il y a plusieurs années de cela, je ressentais ce que je pourrais nommer un inconfort de postures, puis cela s’est transformé en de terribles élancements. Mon mode de vie étant ce qu’il était, je n’y ai pas vraiment pris garde. Dormir sur le sol, au mieux sur des palettes recouvertes de couvertures, soulever un sac lourd comme un cheval mort, crapahuter dans l’humidité et me nourrir comme un ascète au régime, voilà ce qui provoquait mes lombalgies ai-je pensé. Si j’avais su. Avec des scies on coupe des bûches disait mémé.
    L’on me reçoit immédiatement dans le service, c’est une bonne chose car j’ai envie de hurler, de mordre. Le spécialiste est aussi grincheux que moi. Qu’elle est son excuse à lui? Une nuit difficile, et moi donc.
    À ce stade de douleur la consultation requiert une scintigraphie osseuse. Aussitôt dit aussitôt faite. Y voit-on plus clair, pas sûr? Cela me conduit en hospitalisation de jour afin de mettre un protocole de soins en place. Toujours le même cérémonial, une perfusion intraveineuse de deux heures. Je ne supporte pas la vue du cathéter fiché dans mon bras, c’est là que se situe le problème, j’en deviens fada. J’ai été traumatisée par la couleur pourpre des avant-bras de ma pauvre maman. J’ai toujours ignoré ce qui la faisait le plus souffrir, ces maudites perfusions ou la maladie qui la rongeait? Heureusement le traitement me fait somnoler, la douleur disparaît peu à peu et ma phobie de l’aiguille avec.
    En fin de journée je suis de retour dans mon lit, groggy à point.
    «Apprenez à bien connaître votre maladie et vous l’apprivoiserez pour vivre sereinement avec» m’a conseillé le rhumatologue. Pour l’instant je dois assimiler le fait que je pourrais me retrouver en fauteuil roulant chaque fois que mes articulations déclareront forfait. Alors, si vous me le permettez, la lecture imposée sur la spondylarthrite ankylosante ce sera pour plus tard. Merci et au revoir docteur.
    Suite à mon ‘‘accident’’ je suis allée en rééducation, là-bas j’ai fait la connaissance de Samuel, celui qui est devenu mon meilleur ami. Sam se déplace en fauteuil roulant depuis dix ans déjà, il a de l’expérience dit-il en plaisantant parfois. C’est vers lui que je me tourne pour demander un peu d’aide. Accepter le handicap? T’es sérieux mec? Jamais, plutôt crever. Son mail m’explique qu’une perte d’autonomie s’accepte à la façon d’un deuil, les paliers en sont identiques. J’admets que la première fois où l’on m’a informé de mon état j’y suis allée de ma crise de nerfs. En mon for intérieur persistait une parcelle d’espoir, de combativité. J’allais consulter ailleurs, l’on se méprenait sur ma pathologie. Ben voyons.
    En réfléchissant calmement à ce que vient de m’écrire Sam, je commence à croire qu’il n’a pas tort.
    J’étais réellement en état de choc lorsqu’un médecin, peu encourageant je dois dire, m’a expliqué à quoi je devais m’attendre avec ce piranha qui me bouffe tout ce qui lui passe à portée de dents. Ce qui m’a été le plus insupportable, ce n’est pas la douleur que j’allais devoir gérer, mais de ne plus pouvoir parcourir mes collines, les sentiers près de chez Maë Lynette et surtout ne plus pouvoir faire le triton dans la belle bleue.
    Inconcevable pour moi. Cela a tourné en boucle dans ma tête.
    Ce soir c’est un peu pareil. J’ai craqué.
    J'ai piqué une colère monstre, mais je n’en suis pas soulagée pour autant. J’ai seulement effrayé les employés de Mumy par mes cris et les bris de vaisselle qui les ont accompagnés. Heureusement il me restait assez de bon sens pour m’excuser. L’asile d’aliéné me guette, c’est ce que me renvoyait leur regard.
    Comment expliquer que je me sens coupable d’avoir négligé ma santé. Cela ne me rend pas raisonnable pour autant car j’ai négocié avec l’infirmière pour mes soins en refusant les injections. Les comprimés feront l’affaire. Vous devriez consulter un psy mademoiselle. Oui je sais, car en pleine détresse, la seule réaction judicieuse que je puisse avoir, c’est d’aller trottiner sur le tapis de marche de la salle de sport. Il est plus de vingt-trois heures. Je n’ai rien à me prouver où à prouver aux autres, seulement leur démontrer combien je suis une imbécile. Ash est plus dans la modération pour me qualifier, selon lui je suis déconcertante.
    - Tu viens de passer quinze heures aux urgences rhumatologie et après cela tu n’as pas encore compris que c’est ta conduite excessive qui provoquent les poussées de S.A! Mais oui, il est en colère. Bébé ne me materne pas le visage grave et inquiet, priant avec ferveur pour mon retour en santé. À cet instant il est fâché, très contrarié de me voir agir aussi stupidement. Il me réprimande d’une litanie bien sentie.
    Ce n’est pas parce que mes douleurs sont soulagées que je dois faire n’importe quoi me dit-il.
    Je dois suivre les conseils que l’on me donne si je ne veux pas être rattrapée par l’invalidité qui me guette poursuit-il. Ma souplesse, mon dynamisme et mon autonomie se maintiendront tant que j’agirais avec prudence m’assure-t-il. Ce n’est pas sa colère qui me chagrine, mais la déception que je lis dans ses yeux.
    Si je vais m’étendre c’est uniquement pour le rassurer. Abattement temporaire n’est point capitulation…

    MoRDue DéVoRée, LeSSiVée… 21 mars 2016

    ...Couvée, dorlotée, pouponnée, choyée. Que l’on me laisse respirer bon sang!
    Tous autant qu’ils sont, ils vont finir par m’étouffer. C’est entendu mon corps est mis à rude épreuve par le traitement que l’on m’a perfusé, affirmatif je dois rester allongée, amen pour le bouillon d’épinards, mais là trop c’est trop. Après examen des résultats de mes analyses il s’avère que je manque de calcium. Branlebas de combat, toute la maisonnée assure le service afin de me gaver comme une oie de Noël.
    Toutes les deux heures Steven m’oblige à avaler un grand verre d’eau minérale sous prétexte que je risque une déshydratation sévère. Quand ce n’est pas de l’eau, l’on me sert des infusions de thym et menthe –ô infecte saveur- ou du lait de brebis. Le pire c’est que je n’ai pas la force de protester. La récidive prochaine de la douleur me préoccupe car je sais qu’il y aura rechute. Cette saloperie de maladie me dévore par poussées et celles-ci ont tendance à apparaître à quelques heures les unes des autres.
    Le réveil de la ménagerie ne devrait pas tarder.
    Mademoiselle Françoise m’a confectionné un plateau repas de son cru. Des haricots verts accompagnés d’une petite dorade au four, du fromage frais, un bol de fruits secs et des quartiers d’orange. Parfait pour faire une over dose de calcium.
    Depuis toute petite j’ai pris l’habitude de me nourrir de façon singulière. Lorsque j'ai perdu ma sœur, je me suis infligée de longs jeûnes pour me punir de ce dont on m’accusait. Seule ma grand-mère s’est aperçue de ma perte de poids. Ma relation à la nourriture a empiré lorsque j’ai épousé Christian. Il avait une méthode bien particulière pour me faire garder la ligne, il me privait de repas lorsque je n’étais pas ‘‘sage’’. Depuis j’évolue entre semi-anorexie et fringales incontrôlées. Il peut m’arriver de ne me nourrir que de fruits et de pains au lait et boire des litres de thé. L’odeur du repas sain que l’on m’a servi m’écœure, mais comme il m’a été préparé avec générosité je me dois d’y faire honneur en prenant au moins quelques bouchées. Cela n’est pas l’idée du siècle si j’en crois l’octroi d’un don plus que généreux en faveur de Sainte-Cuvette dix minutes plus tard. En début d’après-midi ce cher Philip m’a tenu présence juste un peu de conversation potins, et si j’ai accepté ses bavardages c’est uniquement pour ne pas mourir seule. Je me sens vannée, en ruines. La ménagerie est bien endormie, mais mon corps rend les armes. Le traitement de cheval que l’on m’a injecté est soi-disant réputé pour ses effets bénéfiques, c’est vrai la douleur m’oublie, toutefois l’on s’est bien gardé de me parler des effets secondaires. J’ai une migraine du diable, mon estomac joue à saute-moutons avec mes intestins et je me sens aussi glacée que si je dormais à même la banquise. Le pire arrive.
    Est-ce bien raisonnable? Il m’affirme que quelques exercices d’assouplissement protégeront mes articulations. Des exercices de renforcement également? Qu’y a-t-il de si urgent ? Je suis cassée bondieu, il faut le dire comment? Ce kinésithérapeute a certainement dû se faire la belle d’un asile d’aliénés.
    - Des muscles en bonne santé protégeront vos articulations contre d’éventuelles blessures et amélioreront votre posture de confort ainsi que votre respiration! Me dit-il en me collant un ballon médicinal dans les mains. Je ne sais pas ou Tweeg l’a dégoté celui-là mais il s’exprime dans un français impeccable et avec la tendresse d’un sergent recruteur.
    Exécution mademoiselle, les pieds à largeur des épaules, les bras bien allongés. Fléchissez le corps vers l'avant, maintenez votre dos droit et les genoux légèrement pliés. Allons-y, élévation des bras, bien parallèles au sol. Redressez-vous, on recommence.
    - Le bienfait de ces exercices se fait sentir en les pratiquant régulièrement. Demain même heure? Quinze minutes de séance et je me sens comme si j’avais pratiqué un sport de l’extrême et surtout en passe de cracher mes poumons. Ce barjot m’a parlé d’endurance en me saluant, il veut ma mort?
    Enfin un peu de tranquillité. Une longue douche et me voilà en train de me confier à mon mug de thé vert, il pleure avec moi. Oh, pas de larmes, je serre les dents très fort, si fort qu’encore un peu et elles en deviendraient rétractiles. Inutile d’alerter le staff, je prends la position du fœtus dans mon lit en maudissant le kiné psychopathe qui a réveillé le samouraï. En vérité, il n’y est pour rien, c’est tout simplement la rechute à laquelle je m’attendais. Peu à peu je lâche prise et … oui, du thé vert et alors? J’admets que l’on m’a déconseillé d’en boire de trop tant que la posologie des médicaments qui me sont nécessaires n’est pas totalement établie mais en ce qui me concerne il agit comme un anti-inflammatoire naturel. Et cela m’est prouvé une fois encore, je me sens un peu mieux à mon réveil. Cela dit la crise était moindre, de l’ordre d’un petit six sur dix selon mon barème.
    Un énorme bouquet trône sur la console près de mon lit. Ash serait rentré vers dix-sept heures me dit-on.
    Lui au moins, a fini par comprendre. Lorsque je suis en crise, je ne veux plus voir apparaître de gens avec un regard déchirant de compassion. Cela me glace le sang et m’énerve par-dessus tout.
    C’est de l’air espiègle de Bébé dont j’ai besoin, uniquement de ses sourires, de son enthousiasme, de sa bonne humeur et de ses facéties. Et surtout, Ash sait que je suis imbuvable dans ces moments-là, me contrarier équivaut à jouer du bâton dans un nid de frelons.
    - Je ne suis pas en sucre, merde! Je veux pouvoir pleurer quand j'ai mal sans que tous se précipitent à mon chevet! Je veux pouvoir m’écrouler sans que l'on me gronde comme une gamine! Je ne veux pas entendre parler d’un fauteuil roulant, tu entends! Je peux marcher, je tiens encore sur mes deux jambes, je veux courir me jeter dans tes bras, je veux te serrer contre moi, debout sur mes deux pieds!
    Cette tirade a certainement dû le faire douter de ma bonne santé mentale, mais depuis il ne me couve plus du regard comme si j’allais subitement disparaître.
    Le spectre du handicap, mon handicap, est parfois présent entre nous, mais ni l’un ni l’autre ne sommes encore prêt à en parler. Bébé est un excellent comédien, ses sourires servent à dissimuler ses émotions, mais il oublie trop souvent que je suis la reine du faire semblant. Christian m’a appris à feindre le bonheur à la force de ses poings. Le mieux que je puisse faire pour l’instant c’est prendre la poignée de comprimés que l’on m’a prescrit, avec un verre de lait chaud alors que je déteste ça. Je fais mine de me sentir mieux, de ne plus être possédée par la ‘‘bête’’ affamée qui me ronge de l’intérieur. Là, je pilote seule, le rat est repu. Blottie contre Bébé je dors à poings fermés, cette fois encore il a attendu que je sois dans les bras de Morphée pour fermer les yeux à son tour.
    Mon pygmalion, mon stimulant, ma raison. J’ai trente-deux ans aujourd’hui…

    Ô PaReSSe QuaND Tu Me TieNS… 23 Mars 2016

    …Au seuil de la mort il y a deux jours, aujourd’hui je tourne en rond comme un ours en cage!
    Comme je ne tiens pas à croiser le dragon, je reste dans ma chambre. Il pleut à seau par instant puis les éclaircies apparaissent. Le temps de s’extasier sur le soleil revenu que déjà les nuages s’amoncèlent. Je ne suis pas une grenouille, je crains l’humidité. En fait je n’ai goût à rien. Si, à jouer à la sale gosse en perturbant l’emploi du temps chargé du personnel de Madam’. C’est mesquin de ma part car je sais que chaque mercredi c’est grand ménage à l’étage. Mais voilà, les doigts de pieds en éventail en attendant que sèche mon vernis à ongle prune, je rêvasse sur le lit. Il est dix heures trente et j’entends Philippine rouspéter derrière la porte. Je vais m’habiller, mais peu de chose m’y incite vraiment.
    Me rendre à la ‘‘petite ville’’ ne me dit rien. Il n’y a pas de boutiques attractives et surtout, j’aime quand Bébé est auprès de moi pour m’acheter des vêtements. D’ailleurs mon dressing est plein à craquer, j’ai de tout et plus encore. Certaines tenues sont toujours dans leur housse d’achat, c’est gâcher. Le parc? Le temps ne s’y prête guère, quinze degrés sous la pluie, je ne vais pas faire d’imprudences alors … je m'ennuie comme un rat au fond d'une cave obscure.
    J’ai envie de paresser en pyjama, mais il est interdit de se balader dans les couloirs en tenue … décontractée. Si je croisais Lord machin-chose ou madame De machin-truc près du fumoir, de la salle de billard ou du salon de réception, cela se transformerait en une affaire d’état. Il suffit que l’œil de Moscou, Peter, m’aperçoive et aussitôt madame mère ferait des remontrances à Ash et cela je ne le veux pas.
    Depuis notre dernier clash je communique très peu avec Mum’, cela évite les querelles. Mon tempérament méditerranéen prend le dessus et d’une simple remarque j’en fais un affront inexcusable. Madam’ sait être très agréable lorsqu’elle le désire, mais elle est souvent d’humeur changeante. Qui accepterait l'ex-future compagne de son fils à demeure et oisive qui plus est? La mère de bébé a bon fond j’admets, mais nous ne deviendrons jamais proches. S’il arrive aux domestiques de me surnommer ‘‘li'le ghost’’ parfois, ce n’est pas pour rien. Je hante les couloirs en me faisant la plus discrète possible. Sam dirait que je surveille mes arrières. Comme il me manque ce cornichon.
    Bon, je vais être raisonnable, je lève le camp. Ce matin, ô audacieux que nous sommes, ma Canaille nous a fait monter le petit-déjeuner en chambre et cela s’est terminé en bataille de biscottes. Entre autres. Mon lit ravagé ressemble à un champ de … miettes. Après une toilette rapide je me précipite dans le dressing pour en ressortir vêtue d’un ensemble correct aux yeux de ces messieurs-dames. Puis, le regard condescendant et soulagé du personnel m’accompagne dans mes premiers pas hors de la chambre. Je rôde, je déambule, je me traîne pour finalement atterrir au petit salon, désert à cette heure-ci.
    L’étagère des incontournables classiques d’une bonne bibliothèque pour garnements orne l’un des murs dudit petit salon, elle attire mon regard. Il n’y a rien à redire, Mumy entretient dès leur plus jeune âge, la culture générale de ses petits-enfants. La case de l’oncle Tom, Alice au pays des merveilles, Tom Sawyer, Le petit Lord Fauntleroy, Moby Dick, Le livre de la jungle, David Copperfield, Charlie et la … distraitement je feuillette Les quatre filles du docteur March, et cela n’engage que moi, mais que ce soit en traduction ou en version originale, ce bouquin restera toujours pour moi un bouquin ennuyeux.
    Depuis un moment déjà, une idée chemine dans ma petite tête de blonde. J’aime écrire, cela m’apaise, cela me guérit. De plus en plus je me vois commencer un cursus littéraire. En serais-je capable? La difficulté se trouve être ma voix. Oserais-je m’exprimer à voix haute devant une assemblée? Nadège a bien essayé de me conduire vers un groupe de paroles afin que je puisse rencontrer d’autres personnes ayant autant d’embarras que moi. Donald Duck et Rambo étaient présents à la première séance et il m’a été impossible de piper mots. Je m’exerce seule mais je n’en retire aucun bénéfice, de toute façon je n’ai aucun contrôle sur ces dérapages vocaux. Ça aussi ça aide bien à se construire une vie sociale.
    Je ne me suis pas aventurée au buffet du déjeuner, mon estomac commence à se manifester bruyamment. Ce n’est pas de la faim, juste un besoin. Je sais que Dorothy et Philip sont en visite au foyer, donc j’en profite pour me rendre à la petite cuisine. Je crois que mademoiselle Françoise m’a cerné car depuis quelques temps elle laisse des fruits frais et du thé glacé dans le réfrigérant. Une salade de concombres au fromage blanc? Mais oui, mais oui c’est bien à mon intention. Philip? Quelques dizaines de pages et je crois pouvoir annoncer que je l’écris enfin correctement.
    Quinze heures trente et déjà là? Je n’en crois pas mes yeux, lorsque Ash déboule au solarium. Je suis allée m’y réfugier, personne n’y vient vraiment. Il n’est pas entretenu correctement et Mumy ne voit pas l’intérêt de le rénover. J’adore cet endroit les jours de pluie. Les larmes célestes font vibrer les vitres teintées du dôme et je m’y sens comme étrangère au reste du monde. Comment en sommes-nous arrivés à conduire notre discussion sur les principes fondamentaux de l’éducation en Inde? Sérieux? Nous parlons enfants, spiritualité, yoga et méditation? Notre conversation est réfléchie, voire philosophique même.
    L’heures la plus intense de ma journée. Ash est multitude à lui seul. Tantôt badin, tantôt sérieux. Tantôt cavalier, tantôt respectueux. Attentif ou étourdi, mais jamais indifférent.
    C’est son caractère gracieux qui nous a conduit à profaner cette nef accueillante. Des galipettes sur l’une des méridiennes surannées en rotin, du peu vécu en ces lieux ancestraux. Rien d’animal et pas vraiment la grande gambade mais très appréciées par les participants. Je vais tenter de soudoyer Philip pour que le solarium se transforme en un lieu confortable. Offrir ce plus à leurs hôtes devrait propulser les parents de Bébé au summum de la qualité d’accueil.
    Mes vertèbres ont supporté l’exercice sans mal. Avant-hier au bout de ma vie, aujourd’hui…

    NauGHTy eVeNiNG... 24 Mars 2016

    ...Il fallait m’y attendre, dès que je sors la grosse artillerie il n’y résiste pas!
    Sans le vouloir j’ai émoustillé les sentiments de monsieur en passant une tenue affriolante. Nous sommes invités à une soirée djeun’s et je faisais des essayages de vêtements sexy lorsqu’il est entré dans ma chambre. Pull Shein avec découpe et cuir, Robe pull à boutons, Pull court en tricot torsadé et jeans, Combi près du corp et … non, non et non, rien ne me plaît.
    Pull en tricot côtelé à col montant et épaules dénudées, voilà qui est pas mal. Jupe courte à plis et cuissardes plates à lacets, en suédine. Nuances de gris. Tu m’étonnes qu’il ait fait le coq, je l’ai mis dans de bonnes dispositions. Il aurait voulu que je descende habillée ainsi à la salle à manger. Jamais je n’aurais trouvé les mots pour décrire la tête de sa mère en me voyant attifée comme une sex worker. Et se rendre compte que son fils était en pleine crise de lubricité, elle aurait sûrement apprécié tiens.
    Jean droit, taille haute à damiers et chemise blanc immaculé over size. Madam’ a légèrement tiquée, le jean est prohibé, ce n’est pas une tenue convenable pour Dorothy. Celui-ci fait habillé, et j’adopte mon air petite fille bien élevée alors nous avons la permission de nous installer à table. Quelquefois j’aimerais pouvoir m’asseoir loin de lui tellement Ash est … le vice danse dans son regard.
    J'ai tenté de rajuster le tir en m'asseyant de la façon la plus convenable possible, évitant de le frôler de mes coudes. Malheureusement j’ai déchainé la libido de l’homme avec mes essayages.
    Sa serviette glisse de ses genoux tellement de fois que Mumy lui propose de la lui attacher autour du cou. À chaque cueillette, Bébé caresse ma cheville ou passe une main habile le long de ma jambe. Malgré l’épaisseur du tissu de mon pantalon son manège finit par décocher une flèche torride à ma libido.
    Je rougis comme une adolescente à son premier bal, je m’agite comme feuille au vent et je fais les gros yeux à Ash, mais il se moque de moi en pouffant et il ose me reluquer façon "ce n’est qu’une question de temps ma grande’’ sans se préoccuper du regard des convives qui nous entourent.
    Sodishan a la mine des mauvais jours et rien que pour ça je suis en joie. Il répond à peine aux hôtes de Mumy et il est … sa compagne du moment est admise à la table de famille uniquement parce que ses parents sont en affaires avec le DG de Sod. Warren est du genre, bref d’un certain genre. Je vais dire que Sodishan est tendu, fortement préoccupé par la présence de la demoiselle face à Madam’. Ladite Warren se tient bien, là-dessus rien à redire, courbettes, respect, déférence, elle maîtrise à la perfection. Sa tenue est habillée quoiqu’un peu … robe près du corps et décolleté plongeant. C’est sûr qu’à côté d’elle je parais sobre. Ce qui dérange le brave garçon, c’est que la belle s’y croit déjà. La pauvrette n’a aucune chance car Gabe est passé avant Sod et c’est rédhibitoire. Écrit comme ça c’est un rien méprisant pour Warren, mais elle chasse dans la cour des grands et ils ne sont pas tendre pour ces croqueuses de ... une notoriété se démolit aussi rapidement qu’elle s’assoit et celle de Warren est déjà foutue malheureusement.
    Ash s’amuse du regard ‘‘chaleureux’’ qu’elle pose sur son frère à tout instant. Le regard biatch qui lui donne mauvaise réputation. Moi ce qui m’amuse c’est que pendant que Bébé joue au voyeur, il oublie de faire monter ma température. Je vais peut-être pouvoir me consacrer à la mousse d’avocats-crabe sur toast que l’on m’a servi, sans tressauter fâcheusement sous l’effet des invites répétées de ma Canaille.
    Le regard biatch, comment l’écrire plus vulgairement? Petite chienne en chaleur seraient les qualificatifs exacts, mais ce serait insultant. Beaucoup de messieurs connaissent ce regard, celui que la petite chérie en quête de bonne fortune déploie à leur intention, il est empli de concupiscence vénéneuse, elle a les yeux brillants et la bouche humide. Provocante, aguichante, une coupe de vin de champagne ou deux et … une heure plus tard ils troussent la délurée hardiment contre le mur du vestibule de la suite d’un hôtel cinq étoiles ou dans les toilettes d’un club de golf puis bonsoir madame. D’ailleurs les regards ennamourés de Warren ne semble plus intéresser ce brave Sodishan. La première rencontre au sommet a dû lui suffire à se faire une idée du potentiel de la demoiselle. J’admets me sentir peau de vache là, mais de ce qu’en dit Ash, son frère est du genre à débusquer, déguster … dégager. Ce soir il évite le regard de la belle et s’intéresse au plus haut point à la recette des cocktails fracassants que madame Lansbury a siroté lors de sa dernière croisière. Lansbury? Rien à voir avec Dame Angela.
    Dîner festif et distrayant mais que je noterai d’un modeste onze sur vingt.
    Ash et moi déclinons poliment l’after auprès de Madam’ et nous nous apprêtons à remonter à l’étage lorsque Philip attire Ash à l’écart pour une conversation privée. Bébé est pour le moins contrarié, lui qui voulait me prouver rapidement son affection doit ronger son frein en écoutant les doléances de son père.
    Trente minutes après moi, une éternité, Ash surgit dans la chambre en vociférant. Il jette sa veste sur la banquette et d’un même élan il ôte chaussures et chaussettes. Le regard égrillard qu’il me lance confirme le ‘‘ce n’est qu’une question de temps ma grande’’ du début de soirée. Impossible de me soustraire à son étreinte, aïe, il s’est saisi de ma petite personne tel le mulot dans les serres d’un tiercelet et … j’adore ces instants où sa fougue prend le dessus, c’est sauvage, cuisant et intense. Ensuite je me répands en milliers d’éclats et mes pensées décousues parviennent à grand peine à réintégrer mon cerveau.
    "Quick sex, bordel que c'est bon". Je l’admets, c’est un peu crûment dit…

    BeTTeR THaN FLoWeRS... 25 Mars 2016

    …Quinze heure trente. Est-ce le rugissement bestial de son V8 que j’entends?
    Entre le debriefing de fin de semaine, le passage au centre de tirs pour décompresser et la halte pub entre collègues, Bébé n’est jamais rentré avant vingt heures le vendredi.
    Il roule lentement en passant devant le porche et se dirige vers les garages. C’est officiel, le week-end commence. Ma joie est de courte durée, son porte-documents m’a l’air bien épais.
    Week-end studieux donc, c’est bien la peine de rentrer aussi tôt. Il monte se changer et comme je suis un brin déçue, je me contente d’un bisou distrait sans le suivre, histoire de pourrir un peu plus l’ambiance. Bébé a l’habitude de mes sauts d’humeur, il ne se formalise pas. Je le trouve même un peu trop … je ne sais pas il n’est pas comme d’habitude.
    Afternoon tea en famille à seize heures quarante-cinq, annoncé. Aujourd’hui c’est bombance, rien à voir avec le thé lait sucre citron de tous les jours accompagné du carrot cake étouffe chrétien. James me sert un Earl Grey noir aux notes de bergamote, j’aime le thé à m’en damner. Pains de mie beurrés surmontés de tranches fines de concombre, Pains complet œufs mayonnaise, Scones framboise et crème de Cornouailles, Mademoiselle Françoise s’est surpassée. Les biscuits fourrés à la confiture d’abricots, recouverts d’une épaisse couche de pâte d’amandes trônent sur le présentoir à côté des cupcakes. Porcelaine immaculée oblige. Véritablement royal, pourtant nous n’attendons pas d’hôtes d’exception que je sache? Certainement que le dîner sera servi tard dans la soirée. L’ambiance est détendue et c’est reposant. Oups, je parle trop vite.
    Le Maître des anneaux est de retour, son nouveau joujou ferait pâlir Christian d’envie. Le Christian, domicilié à Seattle, état de Washington, pas celui qui m’a … bref, je sens que le week-end s’annonce festif. Hailie et les enfants sont là aussi. Hylam est d’un caractère avenant et il se lie facilement pour peu qu’on engage la conversation sur son sujet favori, une gamme allemande de voitures de luxe au logo ‘‘précieux’’. On l’aura compris, il kiffe la marque Audi. Hylam ne tient pas en place et c’est un peu le clown farceur de la famille. Côté boulot c’est une autre paire de manches. Hylam ne supporte pas que ses consignes soient négligées, ni que l’on conteste ses décisions. Il faut dire que les responsabilités qui lui incombent l’obligent à être plus qu’attentif et autoritaire. Généralement c’est Ash qui fait les frais de ses facéties en famille et il arrive que cela se transforme en frottée fraternelle. Parfois, rarement, lorsqu’Hylam se laisse aller sur le cognac de fin de soirée il raconte quelques galéjades grasses et cela fait enrager sa mère. J’adore le ‘‘Je ne t’ai pas élevé ainsi Hylam, tu deviens vulgaire, je te prie d’oublier ce langage sale en ma présence’’ bien cinglant qu’elle lui lance en pinçant le nez. Elle le vouvoie quand il a vraiment abusé et c’est encore plus amusant.
    Les frères sont très soudés entre eux, mais ils ont chacun leur propre caractère.
    Autant ma Canaille peut se montrer charmant et boute en train quand il se lâche, autant il peut paraitre pondéré, voire guindé. Il m’arrive de me demander s’il a été gosse? Mumy m’a montré des photographies de lui à neuf ans, il avait déjà l’air réfléchi. Quant à Sodishan, c’est le Bad Boy de la fratrie. Il faut bien que jeunesse se passe dit Philip à chacune des frasques du cadet, a-t-il conscience que son petit dernier sonne trente-sept ans au clocher, il serait temps qu’il devienne adulte non?
    J'ai offert une belle chemise à Bébé et vlan Madam’ la trouve trop originale. Manque de bol, Ash l’adore. Dorothy démarre les hostilités dès l’instant où il apparait. Shit, il a trente-sept ans, elle ne peut pas lui lâcher la crinière bon sang? Elle soule môman. En même temps, j'aurais aimé avoir une telle mère, envahissante, exigeante, stricte, aimante et généreuse. Bref, une chemise unie griffée Hechter, un blaser over size, un jean Lagerfeld, des derbies, il y a pire comme guenilles non? C’est l’association des nuances cognac et camel qui la dérange, trop … coloré? De qui se moque-t-elle bon sang. Ses origines poussent Ash à se démarquer dans ce monde de dingue, ses tenues sont souvent … je dirais que ça pique un peu, surtout les cravates. Que Mumy s’estime heureuse qu’il n’en ait pas choisi une couleur saumon ce soir. Je préfère ignorer les remarques de Dorothy et je m’installe sur le bow-window avec ma tasse et mon assiette garnie d’un unique crumpet que James a recouvert d’une couche épaisse de clotted cream. Je fais mon araignée dans sa toile comme dit souvent Patricia. J’observe, j’écoute.
    Bébé papote avec son père. Hailie et Mumy s’entretiennent fleurs et décorations pour la prochaine réception, Hylam et Terry sont en plein calcul d’équations. Il ne déconnecte donc jamais ce gamin? Camilla joue avec sa poupée, finalement c’est mieux que je n’osais l’espérer.
    Ces messieurs annoncent qu’ils partent faire un tour au pub du village pour s'aérer les méninges et se dégourdir les papilles. C’est là-bas aussi que Philip entretient ses relations de bon voisinage avec les Teach, Les Leigh, Les Milford, les Chisholm, les Douglas les … un club très fermé, mieux, un cénacle de gens férus de golf, de théâtre, et de vieux whiskys. La bière du vendredi soir est également une activité en soi.
    Il est plus de dix-neuf heures, en attendant le retour des guerriers je vais faire un tour à l’office histoire de grapiller quelque chose à grignoter. Ce n’est pas la faim qui me pousse au crime, mais un mal d’estomac carabiné. J’ai à peine le temps de fureter à la recherche d’un fruit frais ou d’un biscuit apéritif que, prise la main dans le sac, je me fais éconduire en beauté par mademoiselle Françoise. Polie, souriante, mais ferme.
    Pourquoi fait-elle autant de manières? Tatin de tomates à l’oignons, gigot gigantesque et petits légumes caramélisés au miel. Un repas comme tant d’autres. Des kulfis pour le dessert ? Madam’ recevrait-elle ce soir? De plus en plus curieux, les portes de la salle à manger sont closes pourtant il me semble entendre des conversations assourdies. Après tout cela ne me regarde pas.
    Je m’apprête à remonter à l’étage afin de prendre un sachet-dose d’antiacide pour soulager mon estomac en feu lorsque Ash sort de la salle à manger. Un sourire grand comme celui du chat du Cheshire orne ses lèvres. Pourquoi ne m’a-t-on pas prévenu du retour des héros?
    Ash se comporte bizarrement, il semble d’humeur facétieuse comme s’il s’apprêtait à me jouer un tour. Il prend ma main et me demande de fermer les yeux avant d’entrer dans la salle à manger. J’avance à ses côtés, mais je suis à moitié rassurée. Après quelques pas il me lâche et me demande de rouvrir les yeux. Ils sont flippant là, tous ont un sourire benêt aux lèvres et me regardent comme s’ils attendaient une réaction de ma part. Dorothy et Philip s’écartent l’un de l’autre et … je dois être victime d’une hallucination.
    Mon Samuel qui me manque tant, est là devant moi. Il est resté handicapé à la suite d’un grave accident et je ne l’ai que peu vu ces derniers mois. Nous correspondons quelquefois sur skyppie, mais ce n’est pas pareil. La stupéfaction passée, je pleure d’émotion ce qui fait rire les nigauds qui nous entourent Sam et moi. Ils ne sont pas peu fiers d’eux. Le secret avait été bien gardé et je viens de comprendre le pourquoi du repas tardif ainsi que la petite virée au pub qui n’était qu’un prétexte pour aller chercher Sam à la gare. Le voir accepté par la famille de Bébé me … je ne peux que remercier Philip et Dorothy encore et encore.
    Sam et moi avons gagné l’étage aussitôt le repas terminé. Il était près de trois heures du matin lorsque j’ai rejoint Bébé. Celui-ci dormait profondément, cerné par toute une compagnie de dossiers étalés sur le boutis en velours. Je ne l’ai pas dérangé, j’ai déposé un baiser sur son front et je me suis éclipsée.
    En me réveillant tout à l’heure je sais que la première chose que je verrais en ouvrant les yeux, ce sera son regard empreint de tendresse posé sur moi.
    Je me suis endormie toute habillée. Mon monde s’essaie à l’avenir…

    FRieNDS FoReVeR... 30 Mars 2016

    …Mon esprit est en mode à suivre. Rien au monde n’embellit plus une âme que la véritable amitié!
    En soirée, avec Bébé et Steven nous avons déposé Sam à l'aéroport au terme de cinq jours bien remplis. Et, je dois dire qu’ils sont passés à la vitesse de l’éclair aussi.
    Échange de vues, prise de bec, suggestions, plan sur la comète, le tout à bâtons rompus. Ash en est venu à nous surnommer les vieilles commères et il n’a pas tort. Bébé se fait discret depuis que Samuel est arrivé, il a compris qui est Sam pour moi. Plus qu’un grand frère, il est le dépositaire de mon petit musée des horreurs. Il est certains détails de mon passé qui me mettent mal à l’aise et je suis peu disposée à les confier à Bébé. Non pas qu’il ne comprendra pas, mais parce que je me refuse à en rejouter à son quotidien professionnel. Il est confronté à la misère sociale dans la plupart des dossiers qu’il traite. Et surtout, il a suffisamment contemplé les clichés de ma bouille tuméfiée lors de mon second procès sans que certaines de mes épreuves lui soient révélées maintenant et viennent lui donner une image de moi qui ne me correspond plus. Quand je me sentirais moins avilie et répugnante, il saura. Il est des voiles qu’il vaut mieux ne pas soulever et … pourtant éteinte, sa flamme de vie éclaire toujours mon obscurité. Plus tard.
    Samuel aime le sucré-salé et durant notre mini excursion de deux jours à Londres il s’est fait plaisir. Entre saveurs turques et méditerranéennes il a trouvé de quoi ravir ses papilles. Il a tenté l’atypique et le généreux, à savoir la purée au raifort et saucisses à la sauce gravy. Plus de sauce que de pommes de terre, mais une tuerie selon ses dires. Il s’est essayé à l’original aussi, des chips de betterave rouge saupoudrées de sucre à la cannelle et des chips au goût fondue fromage fumé avec des oignons rouges marinés. Délicieux à s’en lécher les doigts me dit-il en s’apercevant à quel point je suis écœurée par ces mélanges.
    Plus dingue que lui y’a pas. Il a flashé sur une paire de chaussures à deux cent dix £ dans une boutique à l’étalage prétentieux. En se rendant compte que le commerçant le prenait pour un excentrique, il s’est senti obligé de se justifier, ce qui a fait pouffer Steven, notre guide à Londres.
    - At least I won’t dirty them on rainy days! Le clin d’œil qui soulignait la saillie de Samuel a définitivement fait passer celui-ci pour un fada. Nous avons passé la nuit à l’appartement de l’oncle de Bébé, Donald.
    La ronde des souvenirs et les confidences se sont prolongées jusqu’à tard dans la soirée. Tout y est passé, de l’engouement de Pat pour les bouquins de King à la musique de Bruce Springsteen, des actualités du comté à la bibliothèque de Philip. Celle-ci lui a fait grande impression. En effet le père de Bébé lui a permis de feuilleter ses éditions originales. De par ses nombreux voyages, Sam maîtrise l’anglais écrit et parler à la perfection. «C'est pitié que de t'entendre jacter ma fifi favouille, tu pourrais faire un effort» Et bim, attrape ça Mylhenn. Le moins que je puisse dire c’est qu’il ne m’a jamais épargné depuis que nous nous connaissons et je ne peux que confirmer qu’il a raison, je ne m’investis pas outre mesure dans mes exercices d’élocution.
    Papily et Dorothy sont peu rancuniers, le bouleversement que Sam sème dans la maisonnée les amuse presque dirait-on, ils l’ont invité à dîner dans un étoilé de Londres. Mais oui, il se trouve aussi de grands chefs aux Aspidies. Sam m’a dit avoir passé un bon moment en compagnie de Madam’ et son mari. Normal, la nature les a dotés de quelques dons: La culture, l’éloquence de bons conteurs, la courtoisie et la générosité d’âme. Bon j’admets, Mumy est un rien soupe au lait parfois.
    Ah Sam, mon cher Sam. Cours séjour heureusement. Trois jours parmi nous et déjà la valetaille grondait. Je connais son côté pouacre pour l’avoir pratiqué lors d’une randonnée de plusieurs jours entre éclopés lorsque nous étions au centre de rééducation. L’intérieur de son sac de couchage était … répugnant. En entrant dans son abri, nous évitions de regarder par terre car l’on se demandait parfois si ce qui jonchait son tapis de sol venait de notre planète. Lors de son séjour parmi nous, en entrant dans sa chambre je constate qu’il est toujours aussi bordélique. Franchement? Un trognon de pomme sur ses chaussettes? Le contenu de sa trousse de toilette étalé sur la banquette? Des fleurs sèchent sur la moquette tandis que … je préfère ne pas savoir ce que contient le vase à présent.
    Depuis que Sam se déplace en fauteuil roulant, il ne se censure que sur peu de chose. Il fait même de la musculation, il paraît que cela stimule son estime de soi. Faire de l’exercice dynamise son humeur dit-il.
    Bref, Roulettes se sent bien dans ses baskets. Je soupçonne Bébé de l'avoir fait venir aux Aspidies en partie pour booster mon moral.
    - Si tu tombes, tu te relèves en silence, tu n’es pas en sucre nom de Dieu! Me grondait-il. J’avais à peine six ans, je venais de perdre ma mère et le sergent recruteur ne savait que me hurler dessus pour me consoler. À présent lorsque mes pas sont chancelants, Ash, bienveillant, me prend la main pour me soutenir. Je sonne trente-deux ans, comme quoi il ne faut jamais désespérer. Sam a été et est mon exemple. Les thérapeutes étaient incapables de me faire réagir à mon arrivée au centre, Samuel lui, a trouvé les bons mots. En apprenant ma douloureuse histoire il a compris que je ne devais pas être choyé, mais qu’au contraire, quelques brutalités de paroles me pousseraient à l’affrontement, à revenir parmi le monde des humains. Il ne s’en est pas privé et j’ai refait surface. Je suis persuadée qu’au lieu de devenir prof, il aurait dû faire des études de psychiatrie. En fait je crois qu’il possède un formidable don d’empathie.
    Sam et sa joie de vivre, Sam et son air bourru, Sam mon arc-boutant.
    - Ta joie de vivre doit être contagieuse Fifi, exprime-la bruyamment!
    - Réfléchis un peu, tu connais certainement plus de jours heureux que de coups durs à présent, non?
    - Ce serait tellement triste pour toi si chacun de tes futurs lendemains privilégiés n’étaient que buts inatteignables parce que tu les imagines faits de nouvelles épreuves et difficultés!
    - Médites sur ça, le plus difficile vivre est-il plus attrayant que le disparaître?
    - Tu comprendras vite que mourir est à la portée de tous, mais que si parfois vivre semble insupportable, c’est tant mieux, c’est grâce à cela que l’on sait qu’on est vivant! Du Casin dans le texte.
    Avec sa technique de réflexions il parvient à court-circuiter mon inextricable. Je ne me vois pas encore pratiquer un handisport, mais grâce à Samuel l’idée d’un FTT thérapeutique accède peu à peu à mon cerveau.
    Dans deux heures Sam va retrouver ses Alpilles, ses collines de pins, d'oliviers et de cyprès.
    À l’office mademoiselle Françoise et James pousse des soupirs de soulagements. Tout va être enfin clean, plus de couillonnades à la Casin.
    - Quand on agrémente les restes pour en faire un plat, c'est sur Marmiton.com que l’on trouve la recette chez moi! Chez vous cela m’a tout l’air d’être un sport national!
    Aïe, l’entente cordiale est fortement compromise.
    - Mais où avez-vous vu que le pudding se dégustait avec de la glace à la vanille? Contre-attaque de mademoiselle Françoise.
    - Ce n’est pas pire que votre viande bouillie! Amusée j’assiste à leur joute culinaire évitant de m’en mêler.
    - I’m shocked! Consternée, scandalisée, outrée? Je ne sais qu’elle traduction utiliser. Nauseated, euh … écœurée je crois, serait appropriée. Pensez-donc, des steaks saignants qui baignent dans une sauce au poivre, c’est inconcevable. Trop d’avant-garde pour … Sam les a tourmentés gentiment avec satisfaction chaque fois qu’il le pouvait. Son ultime méfait, un carpaccio de viande chevaline aux chips de pommes vertes. Je suis certaine que s’il revient un jour aux Aspidies, le personnel va mettre les deux cuisines sous clef.
    Lorsque l’on surprend des conversations en cours, c’est parfois très fâcheux. Une méprise a failli gâcher la fin du séjour de Sam parmi nous. Mon meilleur ami est le champion du pied dans le plat, mais jamais il ne serait permis d’habiller Mumy ainsi. Sam comparait Dorothy à une pintade lorsque Ash nous a rejoint. Et bien sûr Bébé a très mal pris le fait que nous tournions sa mère en ridicule. Sauf que ce n’était pas de sa mère dont nous parlions, mais de Dorothy Leigh, une voisine de ses parents. Le voisinage entier se gausse des bibis de Lady Leigh. Parsemés de belles plumes noires et blanches et d’autres plus criardes, ses couvre-chefs sont assortis à sa voix criarde. Explications fournies, Ash s’est senti bête d’avoir douté de notre savoir-vivre. J’admets qu’il y a de quoi le mettre en doute, mais puisque l’on ne se moquait pas de môman, le conflit qui oppose les pampres et les fougères n’a pas eu de raison d’être. Ash apprécie énormément Samuel et inverse, cela aurait été ballot qu’ils s’embrouillent.
    Je rêvasse lavande et mistral. J’ai le mal du pays, je cherche un prétexte…

    THoSe SPeCiaL MoMeNTS… 03 Avril 2016

    …Je suis à l’affût depuis dix-neuf heures sonnées. Ash se fait désirer ce soir et ça m’agace!
    Je dois dire qu’un rien me rend ronchon, Omar le cafard pointe le bout de ses antennes et je n’arrive pas à déterminer ce qui me contrarie. Je crois que le temps me dure de rejoindre mon véritable univers. Depuis que je suis allée me rendre compte de l’état de la maison que m’a légué Maë Lynette, j’ai hâte de demander des devis pour faire rénover les lieux, ça me prend aux tripes.
    Enfin le voilà, il est tout de même plus de vingt et une heures trente.
    - Ça va Bébé, tu rentres bien tard? Le cher homme me répond en grommelant des paroles indistinctes. Il m’embrasse distraitement sur la joue en se débarrassant de son manteau qu’il pose machinalement sur le garde-corps en fer forgée de l’entrée réservée à la famille. L’imposant hall de cérémonie ne sert que lors des réceptions de Madam’ afin que ses hôtes s’extasient sur le décorum. C’est plus … protocolaire.
    Je comprends immédiatement ce qu’il en est, monsieur peine à décrocher ce soir, sa journée a dû être vraiment éprouvante. Je ne me sens pas d’en faire les frais, alors je tente la diversion.
    - As-tu dîner? Dois-je te préparer un en-cas? Une petite dînette pour picorer à deux si tu veux?
    À nouveau, des marmottements confus s’échappent de ses lèvres et il sort son agenda électronique de sa poche. Trop c’est trop, y’en a marre. Je suis consciente que sa fonction le préoccupe même en dehors des heures de bureau, mais là il soule. Peu m’importe ce qu’il note ou ce qu’il espère découvrir, je commence à prendre la mouche. Monsieur me répond que ma mauvaise humeur ne lui est d’aucune utilité.
    Naïvement je lui propose mon aide.
    - Que tu es sotte parfois Chouquette! Tu ne peux rien faire pour résoudre cette complication! C’est du droit, tu n’y connais rien voyons! Ça m’a pris la tête durant tout le trajet du retour, alors s’il te plaît n’en rajoute pas! J’ignore ce qu’Henry a fait du bordereau de dépôt d’un document et j’en ai absolument besoin pour prouver notre bonne foi, et impossible de joindre Henry, il n’est jamais là quand j’ai besoin de lui, he’s a lazy slacker, fuck! Henry est le référant de Bébé, donc celui qui normalement distille des paroles d’évangiles. Il est donc évident que je ne suis qu’une bécasse. J’ai pris la peine de l’attendre et il m’envoie sur les roses? Je suis vexée à mort de la façon dont Ash me parle.
    - Très bien, puisque je ne suis qu’une indécrottable idiote, je monte dans ma chambre! Passe une bonne soirée avec ton Henry, si tu arrives à le joindre!
    Je disparais d’un bon pas en serrant les dents tellement mes talons sont douloureux. Heureusement la porte du grand séjour est proche. Je la claque avec élégance pour la rouvrir quelques secondes plus tard.
    - La sotte que je suis ne veut pas te voir tant que tu ne seras pas plus sociable! Et débrouille-toi avec Mildred pour ton repas, c’est lui la sentinelle ce soir! Bonne nuit vieux ronchon!
    J’ai eu le temps de remarquer son sourire amusé avant de m’éclipser à nouveau. J’ai été tentée un bref instant d’aller sauter dans les bras de Bébé, mais je suis trop remontée. Et j’ignore pourquoi. J’admets, ma Canaille n’est pas l’homme parfait. Il lui arrive d’être gonflant, obtus, voire carrément chiant.
    Cela ne dure jamais bien longtemps, mais je préfère m’éloigner de lui dans ces moments-là. Il n’a pas dit que j’étais stupide au sens propre du terme, juste que je ne pouvais rien pour lui. Mon cerveau a bloqué sur le début de sa phrase et je me suis comportée comme une … mes neurones se hérissent par défense, je me protège en attaquant. Christian m’a rabaissé, diminué, méprisé et humilié tant de fois qu’à présent je rue dans les brancards, je suis lucide, je sais ce que je vaux et il n’est plus question que je me laisse dénigrer.
    En fait si j’avais pris le temps de l’écouter j’aurais compris que Bébé se rebellait contre les inepties du système judiciaire, contre les révisons de peines faisant fi des réquisitoires, et surtout contre l’impasse qui est faite du travail de fourmi effectué en amont. Je crois comprendre que tout n’est pas non plus idéal au pays de Jack l’éventreur. Bébé est plus qu’ennuyé par un procès qui s’éternise et là il a rompu un câble en constatant combien certains de ses confrères frisent la négligence.
    C’est une bonne chose que Mumy ait exigée que je dispose de ma propre chambre. Lorsqu’un orage se pointe, cela nous permet à Bébé et à moi de prendre une certaine distance de sécurité et d’éviter ainsi des disputes futiles et inutiles. Son exaspération est retombée lorsqu’il me rejoint. Malgré mon interdiction ma Canaille frappe à la porte de ma chambre et il l’ouvre sans attendre ma réponse. Sa main agite un mouchoir blanc en signe de reddition.
    Ici nous sommes en terrain neutre. J’accepte volontiers ses excuses tout en lui présentant les miennes.
    Ash, assis en tailleur sur le lit et moi, allongée comme pour une soirée orgiaque romaine nous partageons le pique-nique de l’armistice. Mildred a fait des miracles en nous servant un velouté de châtaignes, pomme et céleri accompagné de biscottes façon pain perdu et des roulés de jambon au fromage frais. Bien sûr il n’a fait que récupérer cela en cuisine, mais c’est tout de même très appréciable. Il a même pensé à mon harpagophytum dont j’ai négligé la prise une fois de plus. Mes épaules et mes hanches sont en feu, une sensation d’étourdissement me vrille l’horizon, mais cela mis à part, tout va bien.
    Pleins de miettes sur mon couvre-lit plus tard, Bébé me souhaite une bonne nuit. Nous avons décidé d’un commun accord de faire chambre à part. Un couloir nous sépare et … je dors très mal.
    L’anti inflammatoire n’a aucun effet sur mes douleurs. Vais-je un jour apprendre à contrôler ma détresse face à cette fichue maladie? Pourquoi gagne-t-elle à chaque fois? J’ai beau appliquer à la lettre les exercices de l’auto-programme pour me soulager, étirements, respiration, c’est inefficace.
    Le keffieh de Bébé éponge mes larmes et je réussi finalement à m’endormir vers cinq heures du matin.
    En premier c'est le parfum de son gel douche qui me réveille. Puis son visage enfoui dans mes cheveux, son ventre soudé à mes fesses et ses bras protecteurs qui m’enlacent avec force.
    Réveil pretty sweet. Bébé est d'humeur … de meilleure humeur. Il est en mode repos du guerrier. C’est rare quand il paresse sous la couette, mais aujourd’hui nous avons droit aux larmoiements des nuées. De petits caprices humides qui contrarient nos envies de perambulation.
    Pour une fois, aucun dossier à l’horizon. D’un commun accord nous déclarons cette matinée propice au confortable, au douillet, au nonchalant. Une pause somptueuse dédié au farniente, en tout bien tout honneur. Nous nous sommes fait servir une nouvelle fois dans ma chambre. Madam’ est absente autant en profiter. Tartines grillées, marmelade, œufs brouillés, kiwis et bananes en tranches, jus de mangue et thé. Petit-déjeuner royal et comme à son habitude, Ash dévore. Je bois un thé, quelques morceaux de fruits pour dire de, et je plonge dans un grand bain chaud parfumé au chèvrefeuille. Je me prélasse dans la mousse odorante avec bonheur lorsque Bébé me rejoint dans la salle de bains. Il s’assoit sur la banquette et nous papotons tranquillement. J'aime par-dessus tout ces instants volés à la poursuite du temps, où isolés dans notre tour d'ivoire nous partageons confidences et attentes.
    Cerise sur le gâteau, j’ai droit à un long massage aux huiles apaisantes, mes articulations frétillent de bien-être ce qui me conduit droit dans les bras de Morphée.
    Le samouraï et sa ménagerie se sont endormis. Non, ils sont aux aguets…