• CHaPiTRe ( XVIII )

    HaVe A ReST… 04 juillet 2016

    ...Même lors de ses congés Ash reste un pigeon voyageur. Mon doux biset s’est envolé!
    Ma Canaille a pris le vol de vingt-trois heures et cela me rend cafardeuse. En même temps ce n’est pas un voyage d’agrément puisque Ash va se confronter aux misères que le tourisme cache. Bébé va s’initier aux ficelles du fonctionnement du bénévolat international en activités humanitaires.
    Le Bangladesh, tu n’y penses pas, malheureux? C’est plus ou moins ce que lui ont dit ses collègues lorsqu’il leur a annoncé sa destination. D’autres ont eu un sourire poli et certains se demandaient carrément si ça n’était pas la dernière fois qu’ils le voyaient. Soyons honnête, le Bangladesh n’est pas un pays qui fait rêver. Dans l’imaginaire collectif le pays du Bengale est synonyme de surpopulation, de cyclones, de mousson dévastatrice, d’usines délabrées, de dissidents furieux et de maladies peu réjouissantes.
    Bébé a été rassurant avec moi, il m’a expliqué que là où il se rendait il ne risquait rien, que l’on y trouvait que des gens adorables et une nature luxuriante. De plus il m’affirme qu’il sera chaperonné à chaque instant de son séjour par les membres de l’association de solidarité qui l’accueillent dès son arrivée.
    Sans doute me prend-t-il pour une pomme à cidre?
    Or donc, quelques jours avant son départ pour sa mission, Ash m’a rejoint dans le sud avec l’une des voitures de son père comme moyen de locomotion. Les parents de Bébé sont actuellement en croisière et à leur retour le véhicule les attendra au parking de l’aéroport d’où Ash décolle ce quatre juillet. Ces gens sont de véritables migrateurs puisque dans quelques semaines Dorothy et Philip repartent pour l’Australie cette fois, pour un séjour chez des amis.
    Nous avons quitté la maison d’’hôte, il est temps de voler de nos propres ailes. Façon de parler évidemment. Ce séjour m’a permis de prendre conscience que côté relationnel je me suis bien améliorée, que je le dise carrément, je suis fière de moi.
    Les travaux de ma Petite Paix avancent bien. C’est plus long car ce ne sont que des finitions et il paraît que je suis tatillon. Qui l’eut cru? Je désire seulement que tout soit terminé lorsque Ash et moi allons nous installer. Je suis impatiente. Ce sera un déménagement-aménagement au terme duquel mon petit pied à terre deviendra opérationnel pour recevoir dignement Bébé, ses amis ainsi que les miens.
    Tatillon non, juste un brin sergent major, j’ai de qui tenir. J’ai demandé aux ouvriers de déplacer certains des meubles de mémé dans les pièces du haut. Très peu, juste ceux que mes souvenirs peuvent tolérer. Euh … tous en fait. Pour le rez-de-chaussée Ash m’a accompagné dans un dépôt vente de créations de mobilier d’artisans. Du sur mesures et du créatif, j’ai hâte de voir le résultat.
    Le temps que tout soit en état de fonctionnement je me rendrai aux terres de maraîchages. L’électro-ménager cause quelques soucis au montage et surtout au niveau des branchements électriques, certains ne seraient pas conformes. C’est ballot de s’en apercevoir que maintenant.
    Bref, pour passer le temps j’ai lu Mes Années Barbares. Cette auteure a traversé un terrible parcours avec un courage exemplaire, je suis envieuse et admirative de sa capacité à s’être remis de tout ce flétrissement. L’une de ses déclarations m’a particulièrement interpellé. « Ils ont écrasé et volé mon enfance, ma vie entière, je n’ai pas pu tout écrire car certaines violences sont inaudibles… » écrit-elle. Ces mots m’ont renvoyé à mes propres épreuves qui, soit dit entre nous, n’ont rien d’aussi cruelles et monstrueuses que les siennes. J’y reviens encore, mais je me situe parmi cet infime nombre de femmes maltraitées qui ne réussissent pas à passer le cap de la reconstruction. L’oubli total ne vient jamais, c’est la remembrance qui permet de se diriger vers la convalescence. En ce qui me concerne, au fil du temps mon corps s’apaise, mes cicatrices ne sont plus le problème majeur de ma vie, mais mon esprit bouillonne lui, il rallume la flamme des blessures de mon âme. Cela ne me sert à rien de raviver la polémique j’ai déjà trop donné dans la culpabilité du ne pas vouloir m'en sortir, du cesser de me plaindre et autres gentillesses.
    Selon ma thérapeute actuelle, je me crucifie par le souvenir de mes erreurs, je ne partage ma croix qu’avec moi-même car mon instinct ma trahi. Nadège ne me juge pas, ce qui est fait est fait, il n’y a pas y revenir.
    Ces dernières années j'ai déçu bon nombre de personnes, mais je n'en éprouve aucun regret car je suis enfin certaine d’avoir fait le bon choix. J’avance oui, je me sens à ma place, pourtant il y a toujours ce doute qui s’insinue en moi à chacun de mes progrès. Je m’installe en mon royaume, l’incertitude est ma compagne non désirée. Bébé, ma sagesse, m’offre de tendres mains dans la main et … des calissons d’Aix. Cela me suffit.
    En souvenir de Maë Lynette, Aniçë m’a fait don de sa minuscule parcelle. Repose en paix ma Sonia…

    LyoN... 10 juillet 2016

    …Mylhenn, c’est Donald avé l’assent. Samuel est une commère!
    Oui je me suis fait mordre et alors. L’on me dit parfois que pour une fille d’Auvergne je me suis remarquablement adaptée au parlé provençal. En même temps la Provence est ma terre natale.
    Ash lui, me qualifie de petite cigale enrouée. Il ignore que le chant est l’apanage exclusif du mâle et que ses cymbalisations en font l’insecte le plus bruyant de la planète. C’est un son très puissant que le mâle cigale fait en faisant vibrer son abdomen comme une caisse de résonance. Certains jours ma voix c’est à peu près ça, des vibrations qui oscillent entre bourdon joyeux et ronron mugissant. Il m’a fallu une longue pratique avant de pouvoir me moquer de moi-même, avant de m’accepter. Or donc, avant le départ de Bébé, la cigale insouciante que je suis s’en est allée pour quelques heures, faire du tourisme en région Lyonnaise.
    Bonne Mère, Lyon c'est … qu’en dire? Toujours aussi bruyant, aussi fourmilier. Oui, oui je maintiens fourmilier, ça grouille quoi.
    L’appartement de Bébé est en retrait du périphérique donc très calme et lumineux. William est en déplacement depuis quelques semaines alors cela sentait le renfermé quand nous y sommes entrés.
    Plus que cela même, carrément le dépôt d’ordures, c'est épouvantable. Nous sommes donc partis à la chasse aux odeurs pour finalement découvrir un petit sac de déchets alimentaires coincé près de la grille d’aération de la mezzanine. Les niais du dessus se sont débarrassés de leurs ordures en les jetant par-dessus leur balcon. Je les aurais volontiers insultés. Du coup, j'ai dévalisé la supérette du coin en aérosols parfumés, c’était un mal nécessaire. C’était misère que ce bel endroit reste inoccupé. Ash a essayé plusieurs fois de s’en séparer, mais après chaque visite il se sentait nul et renonçait à finaliser la vente. L’un et l’autre sommes attachés à ces lieux où nous avons été heureux. Nous y avons créé nos premiers liens. Ash y a versé toutes les larmes de son corps lorsque Penjÿ nous a quitté. Penjÿ était le meilleur ami de Bébé. Tous deux ont fait les quatre cents coups entre ces murs et surtout réviser et réviser encore leurs cours de droit. Moi, ce sont les prémices de mon retour dans le monde des vivants qui se sont annoncés ici.
    Pendant quelques heures nous avons pleinement profité de notre petite bulle de ressouvenirs.
    Balade en amoureux oblige, Ash et moi sommes tombés sur un petit bijou. Ces dernières années j'ai longuement arpenté les rues de Lyon, traboules comprises, et pourtant je ne connaissais pas le jardin Rosa Mir situé au quartier Croix Rousse. En même temps, c'est un peu normal que j’en ai ignoré l’existence, car celui-ci vient juste de rouvrir après réfection nous a-t-on dit. L'endroit est très beau, Bébé a adoré, mais pour ma part je me suis sentie oppressée. Le confinement entre des façades y est sans doute pour quelque-chose car situé dans la cour intérieure d'un immeuble, on y accède par une petite allée, trop étroite à mon goût. Des milliers de coquilles Saint-Jacques m'ont donné le frisson, surtout les petites joubarbes en forme d'artichauts. J'avais l'impression de parcourir les travées d'un cimetière, les vieilles tombes sont souvent rongées par ces plantes. Je reconnais, je naviguais entre euphorie et mélancolie à cause du départ prochain de mon Fripon. Cela me rendait triste.
    Mon chéri a reçu ses anciens collègues pour une belle soirée rhum-tapas à l’appartement. Ce n'était pas la fête du siècle, mais presque. Mémorable dirais-je. Quand je vois dans l'état dans lequel ils se sont mis, je ne regrette pas d'être restée sobre. Thé glacé au jasmin, c'est ma nouvelle marotte. Cela dit, Bébé était des plus marrant, complètement parti après trois mojitos. Je garde pour moi ce qui s’est passé dès le quatrième. Grande révélation, Bébé à l’alcool joyeux. L’ambiance musicale était un peu vieillotte selon mes critères, mais apparemment très acceptable après quelques verres. Pas moi, eux, est-il nécessaire de le préciser? Ils se sont également lâchés sur la nourriture abondante, grasse et … épicée. Les jours suivants cela a été tomates, haricots verts, melon et cocktails de légumes détoxifiants pour Ash, ce qui m’a bien fait rire.
    Oh la gueule de bois, du jamais vu.
    Bébé n’a pu se retenir d’aller parcourir les allées du tribunal qui a fait naître et grandir sa carrière. Pendant ce temps-là je me suis rendue à La Part-Dieu. Cela a été une terrible déception pour moi car j’ai pris conscience que mes motivations n’étaient plus les mêmes. Casser du vigile. D’accord, dis comme cela c’est un peu prétentieux, mais l’époque j’adorais les faire enrager. Il m’a semblé que la nouvelle garde soit plus sportive et l’œil plus vif, je ne m’y suis pas risquée car même un escargot m’aurait rattrapé. Tout excité à la vue de mes cartilages alléchant, le piranha s’est confectionné un savoureux hors d’œuvres. Ash s’est inquiété pour moi à un point tel qu’il a sérieusement envisagé de reporter son voyage au Bangladesh.
    Ça, il en était hors de question, je me refuse à être une entrave pour lui. Alors j’ai réussi à lui faire croire que la crise était passée. Putain, mon estomac a bien senti les trois anti-inflammatoires que j’ai ingurgité coup sur coup. Pour ce qui est du reste, nulle feinte envisageable quand Bébé est aux commandes, mon Pain d’Épices m’a fait me liquéfier une fois encore. Ou était-ce la nouvelle molécule de mon traitement?
    Ash a croisé Jérémy, le fils de Patricia. Celle-ci est mamy depuis le mois d'avril. Elle m’aurait envoyé un message auquel je n’ai pas répondu. J’en suis terriblement désolée, mais je ne pense pas l’avoir vu parmi mes mails. Gégé a mis au monde une petite Lilou, braillarde et en bonne santé me disait-elle. Je suis impardonnable j’ai tout enregistré comme lu avant de transférer les indésirables. Le faire-part de ma Pat était parmi eux. Je sais comment me faire pardonner.
    Leurs yeux seront plus critiques que bienveillants. Je m’en moque, elles m’aiment…

    QuieT LaNDSCaPe... 12 Juillet 2016

    ...Le vent, les cigales, une rivière, des vallons escarpés. Vacances surprise!
    Avant de partir Ash avait veillé à ce que je ne me retrouve pas seule aussi m’a-t-il organisé une courte évasion détente avec la complicité de Patricia. Celle-ci, en compagnie de Marcel, Jean-François et Mireille un couple de leurs amis proches, avait programmé une excursion de quelques jours et j'ai été conviée à les rejoindre. Je n’ai pu les accompagner que sous condition, qu’une IDE me suive comme mon ombre, Bébé avait précisé que c’était non négociable. Voiture confortable, climatisation correcte exigées. Quand je dis voiture celle dans laquelle je me suis installée tenait plutôt d’un Land Cruiser tout terrain, idéal pour les safaris. Cela dit elle était très convenable et bien adaptée au parcours, j’ai adoré. Jean-François possède un bungalow en bord de rivière dans un coin paumé entre Drome et Ardèche. Sûre que ce lieu perdu en pleine nature doit faire des envieux. Nous y sommes restés du lundi en fin de journée jusqu’au jeudi en matinée.
    J'y épuise mon quota de repos autorisé pendant que les anciens, la moyenne d’âge est de cinquante-quatre ans, jouent à la pétanque, batifolent gaiement sur les sentiers escarpés d’une colline aux mille senteurs ou se risquent à goûter l’eau de vie locale du père Cheynel un ardéchois pure souche, en fin de journée.
    Une retraite insouciante, rythmée par d’interminables promenades-barbecues-belotes-scrabbles-boules.
    Alors qu’habituellement j'ai du mal à trouver le sommeil, ici tous les prétextes me sont bons pour m’endormir, bercée par le ruissellement de l'eau entre les pierres. Mon infirmière est aux anges, jamais elle n’a eu une patiente aussi raisonnable que moi. Qui a besoin de si peu de soins dirais-je.
    Vive le camping amélioré. Le gîte est rustique et réellement plaisant. Pendant que la petite classe s'amuse comme des gosses, Margot mon IDE en profite pour réviser les cours qui la conduiront espère-t-elle à réussir l’examen pour une spécialisation en orthopédie et plus tard en rhumatologie.
    Moi, je batifole dans la rivière, thalassothérapie gratuite et … rafraîchissante. Ensuite je prends la pause lézard et je ne bouge plus de mon rocher. Lorsque la chaleur se fait trop sentir, je retourne faire la truite dans un petit bassin naturel et … sieste sous la frondaison. À défaut d’être bien remplies, mes heures de solitude sont des plus plaisantes. Je rêvasse plus que je ne lis Les Lions du Panshir qui est pourtant du Ken Follett pur jus. Captivant à souhait, mais mon esprit est ailleurs.
    Il me tarde que Bébé rentre de son voyage. J'aime ces jours d'été où il se libère du stress de l'année, il est câlin, attentionné et imaginatif. Comme un satyre la bergère, il me trousse de ses mains aventureuses et enthousiastes. Sous les démonstrations amoureuses et fougueuses de mon Fripon, je deviens une Chouquette à la peau brûlante, au souffle court et aux yeux fiévreux. Au risque de plagier Polnareff, je dirais que j'aime bien l'amour que nous faisons tranquilles, loin du château. Je me comprends, c’est l’essentiel. C’est certainement la chaleur qui me rend toute chose.
    C’est lors de ma courte perambulation que j’ai appris que les travaux de ma Petite Paix étaient terminés. L'entreprise de nettoyage qu’ont mandaté les tantines m'a signalé par mail que tout était impeccable. J'attends avec impatience le retour du Maharajah afin d’emménager dans mon palais des mille et une nuits. Mon Caramel désire jouer à l’apprenti menuisier, il s’est promis de refaire la petite barrière qui délimite la terrasse arrière du verger. Comme il n’est pas Anglais pour rien, ce sera une jolie palissade qu’il veut peindre en blanc. Serait-ce son côté Charles Ingalls qui pointe encore une fois le bout de son nez?
    Je n’ai jamais posé pieds à Vallon Pont D’Arc, pourtant l’arche me paraît familière. Le site est superbe, dommage qu’il soit dénaturé par les fondus de canoës. Et surtout par les plongeurs de l’extrême qui se lancent des rochers séculaires ou carrément de l’arche parfois, mais à leurs risques et périls. Ces sauts de la mort seraient fortement pénalisés, une légende urbaine si l’on en croit les habitués, les amendes ne sont pas suffisamment dissuasives et la surveillance peu convaincante. Dans un passé pas si lointain, je rêvais de découvrir ce lieu magique en compagnie de celui pour qui mon cœur battait. Du moins croyais-je dur comme fer à cette histoire. Les soupirs et la morosité s’estompent, il ne me reste plus que la souvenance lointaine d’un feu de paille dont la fumée irritante blesse encore parfois mes paupières.
    L’endroit est extrêmement bruyant la journée, mais d'une plénitude totale dès la nuit tombée.
    Jean-François m’a fait connaître les rudiments du camping en nous invitant au camp des gorges. Il n’y a que des ravines, des canyons et des rochers bousculés par le courant tumultueux de la rivière Ardèche, aussi l’appellation du lieu me semble très surfaite. Camping veut dire promiscuité, ce n’est que pour quelques heures Mylhenn, alors adapte-toi sans chipoter. Oui j’ai dû vraiment me motiver, mais cela m’a coûté. De notre bungalow l’on entendait toutes les conversations des voisins, les cris et autres hurlements devrais-je écrire, et de terrasse à terrasse l’on aurait pu se servir dans leur glacière.
    Bref, même s’il pointe fièrement ses quatre étoiles ce lieu de résidence de vacances n'est pas fait pour moi.
    Je suis allée m’isoler en bord de rivière pour exprimer la survivance d’un chagrin qui a du mal à lâcher prise. Bébé me manquais, mais pas que. Pat m’a rejoint et elle n’a pas à utiliser de mots, un regard suffit, pour me faire comprendre qu’elle sait ce qui me tracasse. Son air affectueux soulage ma peine et la compréhension dont elle fait preuve me fait me sentir ridicule. Elle possède une faculté d’empathie qui lui permet de percevoir ma douleur aux tripes car elle a été ma confidente et celle du virtuel. Comment oublier définitivement l’intensité de ces trois années chimériques? Je sais que j’ai pris la bonne décision, n’empêche que mon esprit et mon cœur me le reprochent encore … de moins en moins je l’admets. Durant son éloignement, par le biais du net, Bébé m’a noyé sous des bisous tous plus crapuleux les uns que les autres. Je suis gavée de promesses concupiscentes qui me font me rendre compte une nouvelle fois combien je suis aimée. Au meilleur de mon mariage avec celui que je nommais amoureusement Cricket, je n’ai jamais éprouvé une telle fusion. J’en arrive à me demander si les sentiments que je ressentais pour mon ex-mari n’étaient pas qu’une épouvantable toquade qui me faisait croire à l’amour avec un grand A. Lorsque je me relis, je réalise peu à peu combien ma relation conjoint-conjointe avec Christian était toxique. De l’ordre du dominant-dominée, il avait une totale emprise sur mon âme de la jeune femme que j’étais alors. Ma seule excuse pour m’être laissée enchaîner est peut-être celle de n’avoir eu aucune écriture correcte des mots attachement, tendresse, affection, bienveillance et sensualité autre que celle qu’il m’en a donné. L’autre excuse, et de celle-ci je suis certaine, est que je désirais fuir le plus loin possible du domaine familial, je ne m’y sentais pas chez moi. Ils m’ont spolié de mes émotions.
    Ces derniers temps Christian se rappelle un peu trop souvent à ma mémoire. Omar s’agite…

    FiNaLLy HaVe a HoMe… 16 Juillet 2016

    …D’un ton de voix didactique, Ashlimd a tué chacune de mes idées préconçues sur le Bangladesh!
    Féru de contes asiatiques, Bébé a enrichi son savoir de quelques légendes traditionnelles de là-bas, en fait elles sont très proches de celles de l'Inde. Et pour cause. Comme pour beaucoup de gens, moi la première, le Bangladesh est un pays à éviter, mais les raisons pour lesquelles il a été déclaré dangereux sont erronées me dit Ash. C’est un vivier d'espoirs et d'ambitions et l’on y rencontre des gens adorables. Tels sont les premiers mots qu’il a prononcé à son retour. Des personnes curieuses et généreuses. La générosité n’étant pas vraiment ce qu’Ash a remarqué dans la culture européenne, alors oui, il a apprécié ce premier contact avec les autochtones et possédant quelques rudiments de langage cela lui a facilité la tâche.
    Les habitants du Bangladesh recèlent en eux la capacité de fasciner ou d’exténuer, et ils ne laissent personne indifférent, Ash a adoré leurs échanges. Des plantations de thé exemptes de touristes aux forêts de mangroves, malgré un don intensif de ses compétences aux membres de l’ONG, Bébé a été totalement dépaysé. Toutefois sans se l’expliquer, il se sentait un peu chez lui. Tout n’est pas non plus qu’enchantement. Le surpeuplement n’est pas un conte à faire peur pour touristes, il est bien réel et provoque des nuisances du genre décharges à ciel ouvert. Cependant, selon Bébé, la jeunesse des villages a de grandes idées pour faire évoluer le pays, pourtant personne ne la consulte encore. Peut-être qu’un jour prochain, celle-ci trouvera parmi elle le guide qui la conduira au progrès.
    Cerise sur le gâteau, Mon Pain d’Épices a aperçu un tigre du Bengale en liberté. Un animal fascinant.
    Pour son érudition propre, Bébé s’est fait très curieux et comme je sens arriver le vent de très loin, je soupçonne ma Canaille d’être prêt à sauter le pas, à savoir sacrifier une partie de ses congés d’été dans l’humanitaire. Il a des étoiles dans les yeux en me parlant du don de soi sans en attendre récompense. De toute façon, c’est ce que lui ont transmis Philip et Dorothy et je ne peux qu’applaudir son investissement total afin de venir en aide à des communautés en besoin d’assistance. Ashlimd a une vision contrariée de la justice et il me dit qu’il n’a pas effectué dix ans d’études et de pratiques pour rester un témoin passif des aberrations du système. Selon lui, le code pénal n’est plus adapté à notre siècle et il n’est pas le seul à le penser. Jamais il n’aura à me demander autorisation pour quoi que ce soit en ce qui concerne son sacerdoce car j’ai la conviction qu’il est appelé à un avenir lumineux, certainement pas à me servir de garde-malade.
    Avant de narrer ma joie d’emménager enfin à la Petite Paix, j’aimerais revenir en quelques lignes sur mes années d’apprentissage de la rue. Jamais je ne considérerai mon passage au squat comme une déchéance, au contraire c’est ce qui m’a permis de réagir, de grandir à nouveau. Mon circuit en Amérique du Sud m’a apporté un semblant de sécurité, de reconquête de ma liberté. Au camp Charlie l’on m’a réappris jour après jour la signification des mots humain, bienveillance, compassion, indulgence, abnégation, générosité, partage et empathie. J’ai choisi ce mode de vie en toute connaissance de cause et à la différence de mes congénères, je savais pouvoir compter sur la carte bancaire que je dissimulais sous la semelle de mes baskets pourries. Je me sers rarement de cet argent car il me vient d’un pacte avec le diable. J’avais donc possibilité de quitter le sordide pour m’offrir une chambre douillette dans un hôtel, mais la solitude m’effrayait trop pour en profiter. Toute en contradiction je souhaitais m’isoler, me terrer, mais en compagnie. Je ne parviens toujours pas à l’expliquer à ma thérapeute. Il m’est arrivé une fois ou deux d’approcher un parfait inconnu pour une douche et un matelas moelleux. Ce n’est pas dans ma nature d’agir ainsi mais j’étais à bout de force et la Bonne Mère veillait. Jamais je n’oublierai ces deux hommes, un seul mot pour les qualifier : altruisme. Je n’en écrirais pas plus.
    Il est tellement facile d’être une sans visage en étant SDF et ce que je désirais plus que tout c’est être invisible, sans identité, échapper aux regards de ceux qui me terrorisaient. Je serais bien incapable d’expliquer ce qui m’a poussé à suivre Fortunée ce jour-là. J’ai franchi la porte d’un autre monde et je m’y suis sentie chez moi. Ces cassés de la vie m’ont accueilli comme si j’étais l’étoile qui illuminait soudain leur obscurité et accepté dans leur famille recomposée. Une véritable famille, affectueuse et protectrice. Bon je l’admets, un rien dérangée tout de même.
    J’ai toujours eu conscience de ce qu’endurent ces gens, ils arpentent les trottoirs avec bagages et vêtements repoussants, ils risquent le racket et l’attaque surprise à chaque coin de rue. Et pour quoi ? Une lampe de poche, un peu de monnaie, une couverture, c’est la loi de la jungle. Quant aux femmes elles doivent composer avec le viol, ce n’est donc pas pour le fun qu’elles se dissimulent derrière des poubelles dégoûtantes pour dormir sur un carton humide. Leur hygiène corporelle est déplorable, elles culpabilisent et par honte elles s’isolent à la grande joie des prédateurs qui eux se fichent complètement de leur aspect misérable. Grâce à notre meute j’ai échappé à ce combat de tous les jours, d’où ma tendance à idéaliser ce passage dans un milieu où la misère fait loi. Où l’estime de soi est diminué et la dignité complètement ravalée. Cela doit être dit, écrit noir sur blanc. Faire la connaissance de mes loulous a été une chance inouïe pour moi, la bonne aubaine fournie par le hasard. Après la désolation est venue la résurrection.
    À présent, je construis mon foyer. Une demi-douzaine de personnes se sont activées à monter les meubles et à les déplacer selon mes envies changeantes. Beaucoup trop changeantes, certains avaient des idées de meurtre. Entre autres à cause d’une lourde commode qui a finalement trouver sa place au terme de quatre ou cinq déplacements dans tout le rez-de-chaussée. L’intense bonheur que j’ai ressenti lorsque je suis allée confirmer mon adresse à la poste a été … indescriptible.
    Mon intérieur est chaleureux et confortable. Certes nous sommes en juillet, mais la canicule n’est pas au rendez-vous. Pour le farniente au bord de l’eau il va falloir me rendre à Palavas. À la Petite Paix je bénéficie d’un calme champêtre, de magnifiques paysages accidentés ou règnent les ceps et les oliviers et par-dessus tout d’une tranquillité d’esprit et de regard en contemplant la fluidité des mouvements d’une riche végétation couleur provençale. Qui dit altitude dit météo capricieuse. Je me languis déjà des vendanges et des premiers gels afin de pouvoir récolter les sarments de vigne qui me serviront pour ma première flambée. La cheminée est un véritable joyau et elle mérite un baptême dans les règles. Selon mémé ce rituel remontrait à la nuit des temps, alors je l’accomplirai en sa mémoire.
    Le repas de fin d’aménagement était pantagruélique. Les tantines avaient prévu de nourrir une armée entière des simples trouffions au général, pourtant nous n’étions qu’une petite dizaine. Je ne souhaitais la présence que de mon premier cercle. Sam, mon cher Sam se trouvait parmi les convives, et si quelqu’un est aussi heureux que moi en cette occasion, c’est bien lui. Bébé était présent, mais hors-jeu, ce sont ses encouragements, son soutien et ses compliments qui m’ont conduit à ce résultat. Alors écrire qu’il est heureux pour moi ne serait qu’un euphémisme. Ce qu’Ash ressent pour moi est ce que l’on nomme LE tendre sentiment et je n’ai plus aucun doute à ce sujet. L’épisode malencontreux des longs mois d’errance virtuelle qui m’ont conduit à la pire bêtise de ma vie, pollue encore une fraction de mon cœur.
    Bientôt ce sera définitivement oublié, Nadège et moi y travaillons sans relâche.
    Marcel et Patricia étaient présents eux aussi. Ma chère Pat est fan de mon îlot central où une bonne partie de l’électroménager est incorporé. Elle est rayonnante de mon bonheur et elle se sent privilégié d’être présente le jour de ma pendaison de crémaillère me dit-elle.
    Pat a de nombreuses raisons d’être déchirée. L’adversité, en la personne de Marcel, n’est pas tendre avec elle. Mon amie n’est pas une femme maltraitée au sens propre du terme, mais ce qu’elle vit au quotidien est vraiment très dur. Je ne m’en étais jamais rendue compte car trop focalisée sur mes propres problèmes. C’est l’œil inquisiteur de ma tante Étiennette qui a mis à jour la faille. Pour l’instant je peux seulement écrire que la jovialité apparente d’une personne sympathique peut parfois cacher une personnalité sombre et, je le rappelle avec conviction, il n’y a pas que les coups qui font mal. La charge mentale que subit ma Pat depuis des années s’est révélée d’un bloc à mes yeux, elle a engendré chez elle une telle fatigue psychique que son corps est en totale déroute. Son esprit aussi, parfois elle n’est plus que l’ombre d’elle-même et le plus triste est que ses enfants la regardent dépérir, impuissants à soulager ses tourments. Je ne me sens pas de taille à affronter le mari de Patricia, c’est un homme brut de décoffrage pour ne pas dire … je vais rester respectueuse en le qualifiant uniquement de brelot. Un attardé très grossier en fait. Pourquoi est-ce que je ne m’en aperçois que maintenant? Je vais en rester là afin de ménager ma chère Patricia, je viens de me rappeler qu’elle lit parfois mes écrits.
    Notre première nuit à la Petite Paix rénovée. Danse aux joyeuses faveurs…

    MoN CHeZ Moi... 20 Juillet 2016

    …Enfin chez moi. Blottie entre les bras de Bébé j’ai joué à la belle endormie!
    Un doux ondoiement, son impétuosité, mon énergie. Scellés l'un à l'autre en une ardente visite, Ash et moi avons baptisé ma nouvelle chambre, à notre façon. Dès aujourd’hui je me reconstruis au berceau de mon enfance. C’est terminé, j’ai suffisamment pleuré ma Provence. Mon bulbe d’existence a survécu et bientôt une tige apparaîtra hors de la terre protectrice qu’est ma modeste maison. Je l’espère, de toutes mes forces.
    J’en suis tellement sûre que j’ai convié mes hôtes à rester quelques jours chez moi.
    Chez moi, ces deux mots me sont pansement sur plaie vive. La cicatrisation est en cours.
    Le petit déjeuner a été festif. Du coup, ma réserve de biscottes, de pains au lait, de confitures, de thé et de fruits a fondu comme neige au soleil. La chaleur est revenue et Marcel le débrouillard a installé à l’extérieur une douche paysanne confectionnée avec un tuyau d'arrosage et un embout d'arrosoir. La salle de bains est réservée à ces dames nous a-t-on dit. La colonie de vacances dans toute sa splendeur. Après leur passage, des serviettes sèchent sur les étendages improvisés que sont devenus les arbres fruitiers et le jardin cocote dur le gel douche à la pomme. Pendant que la joyeuse troupe s’active alentour, Pat est allée acheter du café car commencer une journée sans est inconcevable pour elle. Et surtout parce que le Papey lui a fait toute une comédie ce matin, lui c’est son café au lait qui le réveille. Sans, il est grincheux comme pas.
    Une heure plus tard Patricia est de retour avec deux cabas emplis de courses et … une cafetière. J’aurais dû m’en douter, je n’en possède pas. Elle ne m’a presque rien coûté me dit-elle d’un ton enjoué et si cela peut nous permettre de déjeuner en paix c’est encore mieux non? Ma douce Patricia est rongée par son quotidien avec Marcel et elle s’emploie à ce que le moindre de ses faits et gestes lui ménage une paix toute relative. Bonne Mère comme cela doit être usant.
    Épurée, pierres et verre coloré, douche italienne attenante, la chambre du haut est un véritable petit bijou. Elle servira surtout à mes invités car j’ai parfois du mal à utiliser les escaliers. La chambre de Maë Lynette a été transformée en bureau pour Bébé. Les dossiers qu’il traite n’ont pas leur place sur ma petite table de salon, j’ai donc troqué contre l’antique vaisselier de mémé, qu’elle me pardonne, un très beau bureau-secrétaire en pins des landes pour ranger ses documents confidentiels. Ce meuble pèse aussi lourd qu’un âne mort, Ash et Marceau peuvent confirmer mes dires.
    Je suis consciente que ma santé chancelante ne m’autorise pas à faire n’importe quoi, je hais l’idée de devoir déambuler en fauteuil roulant un jour, mais cela aurait été idiot de n’avoir pas pris ceci en compte. Je dispose donc d’un monte-charge qui me permettra d’accéder à l’étage sans risquer de me rompre le cou dans les escaliers. Mon Sam l’a utilisé pour visiter la chambre du haut. Tip top a été son unique commentaire. Je comprends que ma liberté de mouvements me sera accordée au prix de nombreux sacrifices, notamment celui de mon amour-propre et de ma vanité. Ils vont en prendre un sacré coup si j’ai besoin d’utiliser un FTT.
    Lorsque se referme mon portail, je me sens souveraine en ma maison…

    PeTiTS DéSaGRéMeNTS... 28 Juillet 2016

    …Moral au trentième dessous à cause d’eux. Cette fois, je ne baisserais pas les bras!
    J’avais oublié à quel point les rues du bourg sont élevage de commères.
    Il y a seulement quelques mois en arrière, ma première réaction aurait été le sauve-qui-peut. J’aurais envisagé le retour sur les marches du temple. Mon espagnol parlé n’est pas rouillé et puis c’est comme faire de la bicyclette, cela ne s'oublie pas me serais-je dit. Sauf que là je n’ai plus besoin de fuir, il est temps que je résiste à leurs manigances. Cela dit, à aucun moment je n’ai envisagé qu’ils oseraient se présenter au portail. Ces gens ont un culot monstre.
    Heureusement, mes deux cerbères étaient présents ce jour-là.
    Les échos du village leurs étant récemment parvenus, mon … géniteur et sa pouffe se sont pointés à ma porte afin de me souhaiter le meilleur en ces lieux familiaux qui m’accueillent. Inutile de préciser que j’ai refusé de les recevoir. Durant de nombreuses années ils m’ont dénigré, humilié, accusé à torts et ignoré les souffrances que me faisait subir Christian. À l’époque Penjÿ avait réussi l’exploit d’obtenir une mesure d’éloignement à leur encontre, mais du fait que la juge m’ait autorisé à revenir dans la région, la procédure est annulée.
    J’ai été victime du harcèlement de ma belle-mère de l’enfance à l’adolescence et monsieur J. n’a pas une seule fois pris ma défense, ils sont ignobles. Ce qu’ils m’ont fait vivre après le départ de Miriette, jamais je ne pardonnerais. Jamais. Politesse, respect, courtoisie, j’ignore quels ont été les mots que Bébé a employés, mais il les a éconduits en un rien de temps. Cela ne m’a pas empêché de pleurer toutes les larmes de mon corps. Patricia a eu toutes les peines du monde à me réconforter. Finalement, elle m’a éloigné de la maison en prétextant des achats en ville. Nous avons passé le reste de l’après-midi à parcourir les allées d’un grand marché couleur locale. Sachets de lavande, miel de lavande, olives du terroir, savons bio et ail rose de Provence : Pat m’a complètement épuisée en me faisant aller d’un étal à l’autre, et ils étaient nombreux.
    J'oubliais, il y a aussi les santons pour le premier Noël de la pitchoune, huit figurines que Patricia a payées une fortune. Du haut de ces huit mois, elle va apprécier la nativité la petite Lilou.
    Tandis que Pat montre ses achats à Marcel, Ash la mine conspiratrice, m'attire à l’arrière de la maison. Je reste sans voix. À la place du roncier, se trouve une superbe cabane de jardin en bois traité avec des volets aux fenêtres et une petite terrasse-balcon. Elle est adorable, l’on dirait presque un bungalow. Bébé m’avoue que le pré montage avait été caché dans le hangar du voisin, Marceau. Il a fallu la ramener sur le char bringuebalant de Milo, le cousin de Marceau qui les a ensuite aidés au montage. Le petit plus, c’est cette magnifique balancelle fleurie qui était dissimulée à l’intérieur. Maintenant elle trône sur ce qui après travaux sera une terrasse aménagée, mais pour l’instant cela ressemble plutôt à une esplanade au sol irrégulier. Mon pécule fond comme neige au soleil, alors il faut que je me calme un peu sur les travaux. La façade, les portes et volets doivent eux aussi être rénovés, mais il me faut rester raisonnable, tout ne peux pas se faire d’un claquement de doigts. Il m’arrive à présent de citer Marceau mon proche voisin dans mes confidences, en fait Marceau réside en bout d’allée du quartier Alceste et bizarrement ce vigneron confirmé, il a d’autres cordes à son arc, a sympathisé avec Ash. Il est vrai que moi-même je l’apprécie aussi. Bref, ledit Marceau m’a laissé entendre que sans taille et sans lumière depuis des années, les ceps de vigne de mon jardin sont voués à disparaître. Ils sont déjà tous rabougris, leurs rares feuilles s’étiolent et les fruits des grappes restent à l’état de crottes de souris. Il se propose d’en prendre soin et de les tailler avant les premiers gros gels. Je ne demande que ça, je crois que cela ferait plaisir à pépé Virgile.
    Dernière soirée en famille avant que Patricia et Marcel ne remontent en Rhône-Alpes. Patricia est restée quelques jours de plus, elle craignait une récidive des indésirables. Apparemment Ash a su être convaincant puisqu’ils ne sont pas revenus. Cela m’étonne un peu.
    Entre un vent à décorner les vaches et une chaleur saharienne, la végétation tord le nez. Moi aussi. J'ai un mal de chien, l'infirmière vient deux fois par jour depuis avant-hier, et pire, mon cœur se remet à faire des siennes. Rien d'alarmant, mais à surveiller. Je me suis rendue chez le cardiologue en urgence et … il ne m'a rien appris que je ne sache déjà. Je dois me ménager, être prudente et consulter dès que je ne me sens pas bien. Cela a suffi à inquiéter Bébé qui à nouveau veut me reconduire aux Aspidies. Moi j’aspire à goûter à ma maison toute neuve aussi notre divergence d’opinion s’est terminée en querelle de poissonnière avec un langage extrêmement fleuri en ce qui me concerne.
    Juste un petit coup de gueule entre amoureux, pas de quoi soulever le toit.
    En y réfléchissant sérieusement je me dis qu’Ash n’a pas tort, je devrais contacter d'excellents spécialistes afin d’organiser mon parcours de santé au cas où. Rhumatologue, neurologue, cardiologue, cette fichue maladie m’oblige à me projeter et je déteste ça.
    Pour ce qui est de la météo, l'on finit tranquillement de cuire et c’est pour cela que nous avons pris la direction de Palavas. Ce n’est pas l’idéal en pleine saison car la station fourmille de vacanciers. Certes les commerçants ont besoin de cette contribution financière pour vivre, mais les envahisseurs se croient tout permis, c’est lassant. Il y a quelques années de cela, des désœuvrés avaient tagué toutes les façades de l’avenue, mes tantes et les voisins étaient rageurs et s’ils avaient mis la main sur ces petits cons, ceux-ci auraient passé un sale quart d’heure.
    Hylam, madame et les enfants nous ont rendu visite en coup de vent. Pourvu qu’il se contente d’un spécimen de chaque, les gamins sont usants. Surtout Camilla. Mademoiselle m’a détruit les tympans avec son livre de contes. Quatre ans tout juste et elle lit presque couramment. Terrence est calme, mais toujours à l’affût de nouvelles expériences. Là, il avait décidé de tester mon espagnol parlé. Son Crush de vacances se nomme Pilar, ceci explique certainement cela. Hailie semble au-dessus de tout, sans la nurse elle … je ne juge pas, je constate. C’est une bonne personne, mais Dorothy est passée par là.
    Hylam est allé passer quelques jours chez l’un de ses amis, propriétaire d’un petit vignoble situé entre Valence et Romans et s’est en sortant de chez lui qu’il a décidé de venir nous saluer. Non loin de la propriété viticole se trouve un petit village, Beaumont-Monteux. Il paraîtrait que le lieu recèle un trésor de végétation inscrit aux jardins remarquables. Ils ont visité l’endroit, une communion parfaite avec la nature m’explique-t-on. D’ailleurs les enfants ont également ressenti la paix qui en émanait. Au fur et à mesure qu’Hailie me décrivait le site j’avais l’impression de connaître. Cela me rappelait effectivement quelque chose, mais impossible de me souvenir quoi.
    Trois jours en bord de méditerranée et j’en ai vite eu assez. Trop bruyant, trop passant, les gens sont curieux et sans-gênes. Nous sommes repartis en soirée à cause de la chaleur, mais auparavant nous sommes allés au restaurant des tantines. Faire honneur à leur cuisine est un devoir de famille que j’accepte avec plaisir. D’accord j’admets que je n’ai pas goûté à grand-chose, mais Ash a donné de son appétit pour nous deux.
    Si mon cœur doit cesser de battre, c'est que ce sera dans l'ordre des choses. Tout ce que je vis à présent est du rabiot alors je refuse de me mettre la rate en court-bouillon, mon unique vœux pieux étant que cela se passe rapidement. Évidemment que j’ai peur mais … Samuel est un mécréant, pour lui le Paradis et l’Enfer ne sont que mystification de curés et sur le sujet son esprit rationnel tire des conclusions pour le moins surprenantes. Selon ses dires la grande faucheuse fait table rase du passé, anéanti toute trace de vie. Plus rien ne vient troubler le repos de l’âme, par conséquent la mort n’est que rien. Libre à lui de croire, moi je ne jure que par la Bonne Mère, la seule qui ne m’ait jamais déçue. Elle prend soin de mes chères disparues en mon absence. J’ai longtemps souhaité la mort, mais l’aventure ne me tente plus, pas aussi tôt, j’ai encore des comptes non soldés. Pour faire court, de ma querelle avec Ash il ne reste que résidus, je l’ai convaincu que ma place est à la Petite Paix. Qui prouve à Bébé que la cruauté du sort refusera de me suivre aux Aspidies?
    Mais c’est bien sûr! J’ai retrouvé d’où me venait cet air de déjà-vu. J’oublie sans regrets.
    Non, le chant des cigales ne rend pas fou. La balancelle a été baptisée avec majesté…

    MiSTRaL BRûLaNT... 8 Août 2016

    ...Mes peurs sont moins vivaces. Elles sont comme la lie au fond d'une bouteille d’un vin d’exception!
    Elles se déposent en moi, gare à ne pas secouer de trop le flacon.
    J’ai posé les premières pierres d’un foyer, mon foyer. C’est une belle aventure et je ne veux pas la gâcher. Tout n'est pas encore parfait, mais je tiens mon courage des deux mains et je m’y cramponne de toutes mes forces. Avant son départ, Bébé m’a confié aux tantines. Elles veilleront de loin sur moi, à la Provençale. C’est-à-dire se pointer à l’improviste à ma porte afin de vérifier si mon réfrigérateur est empli correctement.
    Il est bien entendu que se sera tous les deux ou trois jours. J’ai dû accepter, sinon j’étais condamnée à l’exil aux terres. Personne ne veut comprendre qu’à présent je maîtrise les douleurs qui assaillent mon corps entier. Je me suis assurée un suivi médical, entourée de personnes compétentes. Que veulent-ils de plus? Il est inutile de grogner après eux puisque je suis la seule fautive, depuis des années je leur donne une mauvaise image de ma petite personne. Bornée, maladroite et incapable de me prendre en charge. Tout ça c’est fini. Comme le dit souvent Nadège les jours où je doute, j’ai donné mon coup de talon et je remonte à la surface. Doucement, sûrement.
    Mon Caramel est en Région Parisienne pour l’instant, une nouvelle année faite de missions et d'études d’interventions qu’il aura à conduire avec son référant commence pour lui. Ensuite il s’envolera pour Londres. Il m’a promis de me rendre visite aussi souvent que faire se peut, mais je sais déjà que ce ne sera pas simple. Ash a tenu à rencontrer Florence, mon auxiliaire de vie et Anne l’infirmière qui pratique régulièrement mes soins. Les pauvrettes, il les a étouffées de recommandations. Je ne serais pas facile selon lui. Où a-t-il été chercher cela?
    De retour du Bangladesh Bébé jouait au trappeur des bois en laissant son système pileux n’en faire qu’à sa tête. Il a décidé de retrouver figure humaine uniquement parce qu’il devait rejoindre de futurs collègues sur Montpellier. Qui dit travail dit tenue impeccable. Cela m’a arrangé de voir disparaître le gourou illuminé auquel il ressemblait avec une barbe de deux mois.
    Nous avons reçu Patricia et son mari durant quelques jours puis nous sous sommes offert une dernière récréation à Palavas. Que l’on ne me dise pas que l’air marin rafraîchit, c’est une galéjade. Certes il y a eu d’épouvantables rafales de vent qui se calmait en fin de matinée pour laisser place à une véritable cuisson.
    Nous avons dû nous contenter de l’antique ventilateur plafonnier pour tempérer le salon. L’on se croirait dans l’un de ces films à ambiance coloniale. Le système de rotor à cinq pales gigantesques n’est plus d’aucune utilité. Pire c’est une véritable guillotine suspendue au-dessus de nos têtes. Quant au bruit qu’il émet … cet hélicoptère est là depuis des décennies et jusqu’à présent il était hors de question d’y toucher. Maë Lynette le protégeait bec et ongles. Souvent pour blaguer, mes oncles, mes cousines, une bonne partie de la famille en fait, disent que pépé Virgile a construit la maison autour.
    Farniente en rêvant et observation de la faune locale ont été mes principales occupations.
    Les vacanciers sont assez distrayants. Entre-autre cette famille qui arrive à huit heures trente sonnantes et installe un véritable campement sur la plage. Ils ont planté des piquets de brise-vent pour délimiter leur espace, les ont habillés de longues bannières en plastique colorées et déposés leurs parasols, glacières et lits de plage sur le sable. Premiers arrivés, derniers partis, ils ont rentabilisé leur campement au maximum. J’ai adoré les regarder. Petit-déjeuner, jeux de plage, déjeuner, pédalos, goûter, baignades. M’est avis que s’ils font cela durant quinze jours, ils doivent être plus épuisés à leur retour de vacances qu'à leur départ.
    Bébé lit attentivement. Quels sont les objectifs de la synergologie? Non mais franchement, il me désespère, nous sommes en bord de plage et il est déjà au travail.
    J’admets, il lui est arrivé de venir me taquiner et j’en oublie le reste.
    Douceur et dynamisme, cet homme a un sens inné du rythme et surtout un excellent sens de l'orientation. Les yeux fermés, il trouve la salle de jeux en empruntant les petits sentiers. Il fait des pauses, admire la vue et use de détours insolents qui me donne de longs frissons. J'aime les mots doux, mais aussi ceux vulgaires, qu’il me susurre au creux de l'oreille. Je recommande le sorbet kiwi-fruits de la passion pour … la gourgandine que je suis s’égare. En résumé, ces quelques heures en bord de mer ont été bienfaisantes pour l’harmonie de notre couple.
    La félicité a pour prénom Éphémère car le samouraï s’est senti obligé de s’inviter à la fête, il m’a déchiré de la nuque au coccyx et son pote le rat a grignoté mes lombaires. Du coup Omar le cafard faisait les cent pas dans ma tête. Anti-inflammatoires à haute dose et ça repart. Vraiment de quoi rassurer Ash.
    Mon pigeon voyageur s’est envolé la mine soucieuse. Des volets bleus seraient d’un bel effet…

    JaRDiNS SeCReTS... 12 Août 2016

    ...Clamer que le climat méditerranéen est tropical serait une tromperie. Ce matin, je me pèle!
    Je ne vais pas allumer le chauffage à la mi-août tout de même. Tant pis pour le glamour, je passe un pull-over taille XXL, je ne suis même pas sûre qu’il soit à moi ce chiffon informe, mais je m’en moque il me tient chaud. Bébé est absent alors j’abuse du charming en complétant ma tenue d’un vieux slim et de chaussettes montantes. Une trace de rouge à lèvres et c’est bon. J’ai décidé de ne faire aucun effort aujourd’hui vu que je n’ai rendez-vous qu’avec la balancelle sur laquelle je m’installe pour lire. Bouquiner est la base de l’écriture me répète inlassablement Sam. Nouveaux mots, perfectionner une orthographe déficiente et découvrir les différentes structures de phrase. Presque la Sainte Trinité si je l’écoutais. En même temps il n’a pas tort, je commence mes cours dans peu et je me rends bien compte que je ne suis pas … brillante.
    Je passe ma journée de la balancelle au réfrigérateur et inverse. J’ai besoin de m’approprier mon univers, les heures calmes qui bercent la solitude que j’ai choisi. Je ne me sens pas seule, au contraire cette quiétude me pousse à m’intéresser à ce qui m’entoure. Dès dix heures trente du matin les insectes bourdonnent, les trilles des oiseaux percent mes tympans, le bruissement du feuillage me berce et les ronrons lointains des automates de récolte de Marceau qui parcourent ses champs d’herbes officinales. Il est temps pour moi de changer de tenue, je sue à grosses gouttes. Je viens d’apprendre que les fleurs de guimauve auraient des propriétés anti-inflammatoires, je vais essayer. Après tout ce ne sont que des plantes disait un gendre prévenant en préparant une tisane de belladone à sa belle-mère. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il faut utiliser prudemment ce que nous offre Mère nature.
    Bébé a vu large avec le réfrigérateur, genre pour famille nombreuse. Mes quatre yaourts et les fruits et légumes qui ornent les étagères se sentent un peu perdus. Je vais demander à Florence de me faire quelques courses au cas où Ash déciderai de me faire une visite surprise. Cela ne va pas le faire s’il trouve le coffre à nourriture presque vide. Je mange peu et je ne dors pas beaucoup non plus. Malgré une bonne couverture gastrique, mon estomac endolori à cause des anti-inflammatoires me fait cruellement souffrir et cela surtout en milieu de nuit. Mon véritable sommeil ne vient qu’au petit matin. Pour moi cela a été longtemps été une question de survie. Mes années cauchemar éveillée m’ont conduit à l’insomnie chronique. Je prenais un peu de repos mais comme dans l'armée, je faisais quart, à savoir jamais de sommeil profond avant que Christian ne se soit endormi ou qu'il ne soit sorti, C'était la règle, ma règle pour rester en vie. J’évitais ainsi les sauts du lit barbares. Aujourd'hui encore, il m’arrive parfois de paniquer en découvrant Bébé contre moi à mon réveil. Les nuits Charybde et Scylla ne sont jamais bien loin, à présent j’écris lorsque le sommeil me fuit. Jamais au grand JAMAIS je ne referais nuit blanche sur un site de rencontres. Il y a une éternité de cela, je m’étais créée un profil sur Netlog, un nid à Fakes. J’ai appris à me mépriser grâce à leurs applis originales et leur messagerie instantanée.
    J’ai fait l’énorme bêtise de me livrer totalement à un inconnu et peu à peu je suis devenue dépendante de nos connexions. J’y passais des jours entiers et une bonne partie de mes soirées. Je me réservais un minuscule créneau afin de rejoindre ma troupe puis je rentrais sagement pour rassurer mon correspondant. Le dialogue était clos vers minuit et lorsqu’il me croyait bien protégée dans l’appartement, je partais galvauder aux heures les plus intenses de la rue. Ash me l’avait pourtant formellement interdit. Les séquelles de ma vie antérieure ont fait que j’étais loin de donner l’image d’une belle personne et je pense que c’est ce qui a attiré cet homme.
    Nous n’étions pas des débauchés juste amoureux pensions-nous. Il est certain que je n’aurais pas dû publier la littérature abjecte qui nous unissait virtuellement. Faute de pouvoir exprimer nos émotions de façon tactile, il nous arrivait de libérer nos libidos exacerbées sous forme de textes publiés sur Netlog. À ce propos, si je peux me permettre un conseil, à moins de faire rapidement connaissance au troquet le plus proche avec le gagnant du jour, fuyez le plus loin possible avant que cela ne dégénère.
    Pour moi cela a été douloureux et avilissant.
    Certains des commentaires des abonnés à ma page auraient dû me mettre la puce à l’oreille. Les plus répugnants m’ont heureusement fait prendre conscience de mon égarement. Je pense avoir éprouvé un véritable coup de cœur pour Gärtner, mais ce n’était certainement pas assez fort pour solidifier cette relation afin qu’elle perdure. Il a lâcher prise le premier et à présent je suis en mesure de l’en remercier. Si je veux être honnête, je dois écrire que je comprends pourquoi, mais qu’en faisant cela il m’a poussé à le haïr de toutes mes forces. Cependant il m’a rendu l’estime de moi-même.
    J’aime écrire, par mes mots je retrouve un certain équilibre. Je n'ai aucune prétention quant à un éventuel statut d'écrivain. Cet itinéraire de reviviscence est un peu comme une séance psy, mais je me dois de préciser que certaines des confidences que je fais au grand jour sont parfois … tronquées. Je désire avant tout préserver l’identité de mes amis et de ma famille aussi me suis-je réservée le droit de modifier certains patronymes. Tout comme ma Petite Paix, mes écrits sont mon jardin secret. J’ai appris de mes erreurs, maintenant les seules bulles de bonheur que je m’octroie, ce sont celles que je partage avec Bébé et je tiens à souligner clairement qu’aucune n’est virtuelle.
    Quatorze degrés en matinée et trente et un à la mi-journée. Entre chocolat chaud et thé glacé…

    SuMMeRDay... 17 Août 2016

    …Il pleut sur les vacances de Mumy. Onze degrés aux alentours d’Adélaïde, je me sens moins envieuse!
    Je pense que le temps va se détraquer ici aussi. Madam’ a pris la peine de me demander si j’appréciais mon petit chez moi. De papotes en papotages nous en sommes venues à parler de la météo. Grande conversation donc. Je ne m’en plains pas, c’est l’une des rares fois où elle me Skype directement pour prendre de mes nouvelles. Malgré les six heures d’ensoleillement par jour et des froids polaires la nuit, Philip et Dorothy prolongent leur séjour d’une semaine. Bébé aura encore du temps pour bousiller la voiture neuve de son père. Je ne le souhaite pas, ça voudrait … Ash rode le nouveau bijou de Philip dans son périple. Dans sa course aux publications professionnelles rares devrais-je dire. Si j’ai bien tout compris, des parutions originales restent dans le lieu où elles ont été éditées pour la première fois. J’ignore ce que Bébé pense trouver dans ces textes, mais il sillonne la région Parisienne de long en large à la recherche du Graal. Il semblerait que ce soit pour écrire un paragraphe du mémoire qu’il rédige pour son entrée au bureau.
    Je dis ça, je ne dis rien.
    Il va falloir que je m’affole un peu, Ash doit me rendre visite, mais j’ai aucune idée de l’heure de son arrivée. Je savais pertinemment qu’il ne pourrait pas rester loin de moi très longtemps.
    À cause de la canicule, depuis plusieurs jours je ne porte qu’un caftan du matin au soir. C’est un vêtement trois en un, je confirme. Il me sert de robe de plage, ou agrémenté d’une belle ceinture il devient une parfaite tenue bohème pour le resto et luxe suprême, moi je l’utilise en guise de chemise de nuit. Sa coupe ample me garde au frais et cela me donne l’impression de me balader en tenue d'Ève.
    Seulement là, si Ash me trouve attifée ainsi, il va penser que je passe mon temps, alitée. Ce n’est pas la grande forme je le reconnais, mais les douleurs se sont enfin calmées. La chaleur épouvantable qui règne dès la fin de matinée m’épuise. Je garde mes volets fermés et je vis constamment dans une semi-obscurité pourtant cela ne suffit pas. Je passe des heures sous la douche. Un vent brûlant roussit la végétation environnante ce qui fait que le maire a activé les rondes anti incendies. Florence a rempli mon réfrigérateur en prévision du retour de l’ogre, aussi je fais bombance pour le déjeuner. Sandwiche au thon, salade de fruits et, direction la balancelle. Maillot de bains, crème solaire et lunettes de soleil obligatoires malgré le point d’ombre où je me trouve. Le craquement des branchages agités par le souffle soudain apaisé du vent, le bourdonnement des avions haut dans le ciel bleu azur, les stridulations des cigales fadas qui résistent à la chaleur et le zonzonnement des gros bourdons qui portent tout le poids du monde sur leurs ailes me bercent et j’en oublie mon livre. Ma balancelle étant un véritable nuage, je me suis endormie.
    C’est Marceau qui déplace ses planches sèches de son appentis à son hangar qui me réveille. Il veut refaire son poulailler me dit-il. Parce que bien sûr il s’est arrêté pour me saluer. En digne enfant du pays celui-ci ne craint pas la chaleur et sa peau est noir boucanier de mai à octobre. À côté de lui, Bébé en serait presque pâlichon. Avant de me réinstaller à cuicui land, je lui offre une bière bien fraîche, il est ravi. Sa femme le sera certainement un peu moins, car cela ne devait pas être la première lampée alcoolisée de l’après-midi. Il n’est pas ivre mais joyeux. Il m’a charrié sur les coquelicots qui ornent mon caftan. Marceau n’est pas le paysan ivrogne que l’on peut imaginer en lisant ma description. Habituellement sa boisson préférée est l’eau gazeuse, seulement aujourd’hui il s’est arrêté chez le père Matias avant de me rendre visite, et le vin vieillit en tonneau de l’ancêtre est plutôt agressif. Et pas question de lui refuser le petit verre de l’amitié, Ash y a eu droit et il s’en souviendra encore longtemps.
    Ash, que dire de son arrivée fracassante. J’ignore quel est le mot à utiliser pour décrire son était d’esprit. Irrité, exaspéré, furieux, remonté, la liste serait longue pour peu que je me donne le temps de lire celle des synonymes de colère noire. Il a été confronté a des gens possédant une mentalité pourrie. Il ne comprend pas que de tels individus soient autorisés à exercer alors qu’ils ignorent la signification du terme impartialité. Des planches pourries me dit-il. Je ne sais pas où se situe le problème, il ne veut pas entrer dans les détails, mais je pense qu’une fois encore on l’a toisé de haut à cause de son accent, de sa couleur de peau ou qu’on lui a carrément dit qu’il n’avait rien à faire dans le système judiciaire Français. Ça il l’a entendu plus souvent qu’à son tour. Ash est d’origine Indienne et de nationalité Britannique depuis son adoption, il a fréquenté de grandes écoles et il est plus intelligent que tous ses détracteurs alors le comportement xénophobe de ces connards me rend dingue. L’amalgame entre religion, terrorisme et nationalité fait que les gens deviennent … de grossiers imbéciles. Ce sont, la plupart du temps, les médias qui entretiennent cette peur de l’autre. Je ne parle pas de politique, je refuse de m’engager sur ce terrain glissant, mais tout de même, certains partis n’ont réflexions publiques que pour cibler l’étranger, le coupable d’où provient tous les maux.
    Se laisser massacrer durant des années est normal, car nous ne le redirons jamais assez, la peur et la douleur annihilent toutes velléités de fuite. J’aurais mieux fait de me taire. Voulant distraire mon Pain d'Épices, j’ai engagé la conversation sur un fait de société qui actuellement perturbe les consciences.
    - Du point de vue légal, tirer dans le dos de son mari n'est pas un cas de légitime défense! dixit l'expert en justice. Il est parti au quart de tour l’homme. Cela m’a un peu contrarié je dois dire.
    - Même si c’était le seul moyen pour elle de ne pas se faire assassiner? À l’époque, si j’en avais eu le courage, Christian aurait eu le même sort que le psychopathe expédié en enfer dont il est question aujourd’hui à chaque journal télévisé. De mon point de vue, c’était mérité.
    - La vraie justice ce n’est pas la loi du Talion ma Chouquette! Ce procès a été bien trop médiatisé pour que les jurés aient pu délibérer en toute sérénité ! Et tu ne l’ignores pas me semble-t-il, la peine requise dépend du ressenti du jury!
    - Bestiasse allez vaï! Fils de Pan, tu n’es pas magistrat pour … et zut tiens! Tu me saoules Bébé!
    Je sais, mes arguments sont indéfendables, un rien brutal, mais cela m’a soulagé. Si, fils de Pan est exactement ce que je voulais écrire, il suit le troupeau et cela m’agace. Je me reprends, cette querelle ne rime à rien. Terrain glissant, mais je persiste et signe, mon soutien va à Jacqueline…
    Il suffisait de détourner son attention. Bébé adore le concept de la chemise transparente…