• CHaPiTRe ( XXII )

    BeSoiN D'aMouR... 05 Décembre 2016

    ...Bébé est reparti aux Aspidies, soudain j’ai besoin de la chaleur dévorante des tantines!
    Que ce soit le long du Lez ou en pleine ville, il fait à peine douze degrés, ce qui se rapproche d’un froid polaire pour moi. J’ai pioché au hasard de ma penderie une épaisse doudoune trois quart et même si les hivers ne sont pas rigoureux en bord de mer, mon bagage se compose de pulls, de vestes, de chemises de bûcheron, de pantalons chauds et de chaussettes en mailles montant haut sous les genoux comme celles de nos grand-mères. Ce n’est pas très sexy cela Mylhenn me dira-t-on, j’assume. De toute façon ma lingerie est toujours impeccable, donc si mon Tandoori reviens à l’improviste il ôtera les couches superposées pour me rendre ma féminité. Couverte ou non je suis toujours tête en l’air. J’étais presque à moitié chemin entre bourg et ville lorsque je me suis souvenue que j’avais oublié mon pilulier à la maison et pas question de rester plusieurs jours sans traitement. Mon dauphin a du répondant, un peu trop même. Ash aurait râlé s’il m’avait vu prendre les virages du Mourèze à une telle vitesse et cela d’autant que le revêtement de la route est recouvert de verglas par endroits. Dauphin? À cause du petit aileron qui surplombe le coffre de ma voiture et la couleur de celle-ci. C’est ainsi qu’au village ils surnomment mon tapis volant. Sans jalousie me semble-t-il, ils ressentent juste le besoin de désigner les choses à leur façon. La petite-fille de Maë Lynette est revenue au païs, elle en a bavé alors ils la laissent en paix.
    Comme à leur habitude les tantines m’ont accueilli avec tendresse, bras grands ouverts.
    À la mauvaise saison, les jours de fermeture de leurs commerces, Mamadeine et Mamaiette lèvent le pied. Le ciel est couleur poussière, le vent se dandine et la mer semble faire la gueule. Ambiance poêlon aurait dit Maë Lynette, un temps à faire mijoter. Et pour ce qui est de mitonner, mes tantes sont imbattables. La véritable soupe provençale demande du savoir-faire, beaucoup de temps et de l’amour de la famille à foison. Selon ma tante Étiennette, dix heures du matin est le moment idéal parait-il pour mettre en train cette merveille. Haricots verts, cocos rouges et blancs, carottes, poireaux, tomates, oignons, courgettes et pommes de terre coupés en petits dés sont jetés dans un premier faitout. Rien que des légumes du potager des terres mis en bocaux. Le pistou aux aromates, parmesan a été préparé la veille, encore meilleur. Ensuite tante Madeleine sort le deuxième faitout en fonte pour la cuisson de la poitrine salée, de l’échine de porc avec os, des saucisses Perugine et … d’un blanc de poulet pour moi ajouté en fin de cuisson. On oublie les deux cocottes sur l’un des bords de la cuisinière à bois pendant le reste de la journée. Il suffit bien sûr de rajouter du bouillon de temps en temps dans les faitouts. Vers dix-neuf heures Mamaiette remet en cuisson puis réserve la viande au four. Elle incorpore deux poignées de collerettes dans le bouillon et remue les pâtes délicatement. Ce soir nous patientons avec quelques olives importées du domaine et le merveilleux vin d’orange que faisait mémé pour l’apéritif familial. Nul besoin d’entrées ni de desserts avec ce qui est déposé sur la table. Les assiettes débordent de grâce et d’affection, surtout lorsque chacun, langoureusement, y rajoute une généreuse cuillérée de pistou. Mon arrière-grand-mère, l’originale de la famille, disait souvent que cuisiner pour les siens est aussi jouissif que l’acte sexuel. Cela vaut ce que cela vaut.
    En attendant le festin de la soirée il nous a fallu occuper le temps, faire honneur aux pales rayons de soleil qui se sont montrés. Il est temps pour moi de livrer dans ces lignes le secret de la pétanque asiatique, jeu auquel nous nous adonnons ma famille et moi, en bord de plage. Cette distraction qui vise à manier de la ferraille en toute convivialité, se situe entre pétanque et fléchettes. Elle n’a d’asiatique que la nationalité de son créateur. Cela fait quatre ans qu’An-Xian et sa famille passe ses vacances dans l’un de nos studios. La convivialité étant inscrite dans leurs gènes méditerranéens, les tantines organisent chaque été un repas avec nos hôtes les plus fidèles afin de créer du lien de façon autre que par l’intermédiaire d’une carte bleue. Année après année, An-Xian est de ceux qui acceptent l’invitation. C'est à l'occasion d'une revanche de mauvais perdants qu'An-Xian, féru de fléchettes, créa un substitut de divertissement pour les adeptes du cochonnet que sont mes oncles et cousins. La partie devait être rapide afin de départager les futurs candidats proclamés au baiser de la Fanny. Nous nous sommes tellement amusés que nous en avons fait perdurer les règles proclamées à l’arrache. La partie se joue en dix coups avec trois cochonnets de valeurs et de couleurs différentes. Le gagnant doit totaliser le moins de points, et celui qui en a le plus embrasse la Fanny. Le baiser aussi est truqué, le perdant ne fait qu’offrir l’apéritif aux participants.
    Entre patrimoine et culture culinaire, je réapprends à me fondre dans le monde que jamais je n'aurais dû quitter. Christian m'avait privé de tout ce qui m’était transmissions et traditions familiales, mais au fond de moi j’ai enfin conscience que l’existence reprendra ses droits pour peu que je lui en laisse la possibilité.
    Depuis que j’ai emménagé à la Petite Paix, les radicelles se font rhizomes et plus tard elles deviendront souche d’une lignée forte.
    Je ne dois pas y penser, la lignée c’est terminé pour moi…

    La LéGeNDe DeS CiGaLeS... 06 Décembre 2016

    ...Depuis la nuit des temps, le folklore provençal est ce qui fait grandir les enfants du Sud!
    Les cigales font partie du pittoresque provençal à même titre que la lavande et les oliviers. Toutefois, le mystère de leur création reste troublant. Alors qu’en ce monde toute plante et toute bestiole a sa raison d’être, personne encore n’a pu découvrir ce que ces bruyantes demoiselles provençales, dissimulées sur le tronc des pins et des oliviers, ont comme utilité. Ma grand-mère avait sa version bien particulière de la chose. La sieste qu’elle nous imposait n’était jamais appréciée à sa juste valeur, mais lorsque de sa voix douce elle nous berçait de la légende des cigales, nos yeux de petites filles se fermaient tous seuls.
    « Un jour d'été, les Anges en eurent assez du Paradis et de ses sièges faits de nuages d’un blanc immaculé. Ils avaient besoin de vacances et d’un commun accord ils choisirent la belle Provence ensoleillée pour un repos bien mérité. Invisibles aux yeux des hommes qui leurs donnent tant de tracas et de travail, ils décidèrent de s’installer sous les platanes ancestraux, près de la fontaine dont l’eau est aussi fraîche qu’un matin d’hiver. Un grand verre de flaï, à boire avé modération en main, ils se distrairaient des parties de pétanque endiablées. Pauvrets, une fois à destination, leur surprise fut de taille.
    Il n'y avait pas âme qui vive sur la place du village. Le soleil était de plomb et aucun bistrot d’ouvert à l’horizon pour se désaltérer. Bien pire, ils remarquèrent les champs en friche, les potagers cafis de mauvaises herbes, certains étaient même à l’abandon et les pins quasi léthargique.
    Inquiets, attristés devant ce spectacle désolant, les anges étaient désorientés. Ils devaient apprendre d’où venait cette misère, et savoir où étaient passés les habitants de la contrée désertée.
    Ils se souvinrent alors du vieux curé du village. À plusieurs reprises celui-ci avait été réprimandé pour le concis de ses sermons. Alors les anges se dirigèrent vers la cure dans l’espoir d’y trouver une réponse.
    À leur arrivée, à leur grand étonnement ils ne trouvèrent pas le brave curé en train de prier, le saint homme était allongé sous son boutis, en plein pénéqué.
    Celui-ci ne fut pas surpris de voir apparaître les anges. Les petits jaunes de l’avant déjeuner et beaucoup de croyance l’aidèrent à se convaincre de cette vision. En toute innocence il leur révéla la cause du désastre.
    C'est simple vaï dit-il, mes ouailles se prélassent paisiblement à l'ombre des oliviers et des figuiers car la chaleur accablante du soleil torride de l’été les y oblige.
    Mais quand se mettent-ils au travail alors demandèrent les anges surpris.
    Tôt le matin, à la fraîcheur de la rosée ou bien tard le soir répondit l’homme de foi en baillant et se rallongeant sous son boutis sans plus de façon.
    Forts mécontents les anges s’en retournèrent au paradis où ils firent leur rapport à Dieu. Furieux, le Créateur décida de punir cruellement ces fainéants qu’étaient les provençaux. Le Tout-puissant, d’un geste impérieux, dissémina sur la région une nuée de tambourinaires. Les bestioles avaient pour mission de se dissimuler dans les pins, les oliviers et les figuiers afin d’exécuter la mélodie la plus stridente qui soit. Ainsi, l’idée même d’une sieste en pleine journée serait rendue impossible aux hommes.
    Les magnifiques cigales venaient de naître.
    La punition fut vaine et elle se transforma en béni cadeau, le symbole bruyant de leurs contrés. Les hommes s’habituèrent rapidement aux stridulations apaisantes des insectes, ne changeant en rien leurs habitudes »
    Dans la fraîcheur d’une semi obscurité que procurent les persiennes à demi closes de notre chambre, Miriette et moi sommes endormies. Une fois encore, la voix harmonieuse de mémé nous a caressé les tympans jusqu’à l’endormissement.
    Cette légende est un talisman importé de mon enfance, je la chéris…

    La FêTe DeS LuMièReS... 08 Décembre 2016

    ...Fête des lumignons en famille. Pour une fois je ne m’y suis pas soustrait!
    Pour remercier leurs clients d’une fidélité exemplaire, chaque année les tantines décorent la salle de restaurant à l’occasion de la fête des lumières. Une collation sucrée leur est offerte également.
    Elles m’ont confié la lourde tâche de la décoration du sapin de Noël, ce qui est une belle marque de confiance lorsque l’on sait qu’il m’arrive d’être incapable de mener une activité jusqu’à son terme. Des guirlandes aux boules multicolores, tout est en place. Au sommet du sapin, l’étoile lumineuse clignote de mille feux dorés, cela me rend fière. Pour ce qui est de la crèche, je trouve la tache rébarbative, inutile. Certes, j’adore manipuler ces petites figurines colorées, faites d’argile que l’on nomme santons. Le savoir-faire des santonniers de Provence est une pratique qui mériterait d’être inscrite à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel en France. Il me semble que c’est en pourparlers. La crèche de maman était remarquable, celle de mes tantes l’est tout autant … oui bon, la scène de la nativité est des plus ordinaire avec l’enfant Jésus, la Vierge Marie et Saint-Joseph, avec l’âne, le mouton et le bœuf, les Rois Mages et les bergers. Mais y figure de petits personnages, habitants d’un village provençal, vaquant à leurs métiers traditionnels. Tous font route à travers colline, champ d’oliviers, traversant une rivière étincelante et des champs de thym fleuri. Tous se dirigent vers l’étable, surmontée d’une étoile. Comme je l’écrivais plus haut, le rendu est remarquable grâce à Mamaiette et Mamadeine qui respectent la tradition. Celle de glorifier la naissance du fils.
    En ce qui me concerne, je n’en vois pas l’utilité. L’autre là-haut, le locataire des cieux, il m’ignore depuis ma plus tendre enfance et je le lui rends bien depuis qu’il m’a abandonné à mon triste sort. Je me confie à la Bonne Mère, elle au moins ne juge pas.
    Grâce à mémé je possède une kyrielle de ces très beaux et très réalistes nids à poussière. C’est Florence qui l’affirme car c’est elle qui les a remis à neuf cette année. J’ignore pourquoi j’ai ressenti le besoin de les avoir sous les yeux. Les miens sont une variante plus divertissante que les tristes figurines qui ornent souvent les pieds des sapins. Je dispose d’un cordonnier, d’un vendangeur, d’un rémouleur, d’un berger, d’un meunier au pied de son moulin, d’un homme à la sieste sous l'olivier, d’une cueilleuse de Lavande, d’un gardian sur sa monture, du Papey et Ugolin sur un banc près d'une fontaine et de l'âne avec des fagots de sarments sur son bât, autant dire une boutique. Le dernier en date, c'est le marchand d'ails que Pat m'a offert lorsqu'elle est allée acheter les siens. Cette année, ce sera le premier Noël de sa petite fille Lilou. Elle veut lui présenter une jolie crèche car la petiote sera baptisée avec cinq autres minots de la commune lors de la messe de minuit. Ash et moi sommes invités, mais il est hors de question que j’aille me geler les fesses dans une église, je surveillerai la cuisson de la dinde.
    Malgré l’absence de Bébé, les réjouissances m’ont été très plaisantes. Les tantines avaient dressé un buffet aux délices que leurs hôtes ont grandement apprécié. Un univers différent du martini-pastaga et des feuilletés saucisses. À cause du vent nous avons dû redéposer une partie des lumignons dans la grande salle. Il paraît que dans la restauration il faut s’adapter et mes tantines y parviennent avec bonheur. Toutes deux pourraient d’ores et déjà prendre une retraite bien méritée, mais je crois que comme les grands artistes, elles rêvent de mourir sur scène. Toutefois ma contribution s'est arrêtée à l'installation des lumignons et à la déco du sapin. Après cette besogne de titan, je me suis posée pour le reste de la soirée dans le grand fauteuil de pépé. Ce besoin de m'isoler ne me quitte toujours pas. Il doit être tatoué sur mes méninges à défaut de l’être dans mon ADN. Je ne sais pas si c'est la réalité, mais aux dires de certains membres de ma famille, nous avons un grand oncle ermite qui se serait installé dans une forêt. Peut-être ai-je hérité d’une partie de ses gênes? Je suis un peu perdue sans Bébé. Il revient bientôt pour un mois de congé bien mérité durant lequel il m'enlève pour un périple vers l’inconnu. Il refuse de me révéler notre destination. J'adore le Costa Rica, nous y sommes déjà allés deux fois. Dans des lieux encore sauvages, entretenus par les autochtones, exempts de touristes en quête de frissons, là où quelques particules, à peine un dé à coudre, de ma douce Sonia y ont été déposées et je suis sûre qu’elle apprécie le paradis où la laissé sa Bella .
    Lors de ses congés Ash s’est déjà rendu au Bangladesh et il vise le Sri Lanka pour l’an prochain. Bébé ne renie pas ses origines et il m'a confié que s'il devait participer à d’autres sessions humanitaires, c'est sous ces latitudes qu'il irait donner de son temps. J'admire sa bienveillance envers autrui.
    Ces derniers temps je me questionne sur ce qu'il serait advenu de ma personne si je n'avais pas croisé son chemin? Je me reconnecte au monde, je lutte contre mes obsessions, je réapprends à profiter de la compagnie de mes semblables et surtout, je me débats avec vigueur contre mon moi sombre. Cela je le dois à Ashlimd. Après le départ des hôtes des tantines, dans le silence bienfaisant, j'ai accepté de me réconcilier avec la magie des lumières, de retrouver la paix de l’âme en famille.
    Rite devenu immuable, l’absorption de gélules multicolores avant le coucher…

    LeS TReiZe DeSSeRTS... 17 Décembre 2016

    …J'ai pris congé des tantines un peu brutalement, je préfère attendre Ash chez nous!
    Mes tantes sont d’adorables personnes et j’aurais pu rester quelques jours de plus à me faire materner par elles. Mais leur frère s’est invité à l’improviste et je me refuse à engager le dialogue avec cette personne. Monsieur J. a tenté plusieurs fois de renouer avec moi depuis que je me suis installée dans la maison de ma grand-mère. Je ne veux plus entendre parler de cet homme ni de la harpie qui lui sert d’épouse.
    Au moment où j’aurais eu le plus besoin de leur aide, ils m’ont abandonné.
    Lui a été particulièrement dégueulasse après le départ de maman. Il a délaissé ses deux poupées blondes, il nous a livré à la méchanceté de la marâtre qui s’en est donné à cœur joie pour nous pourrir la vie. Puis à son tour Miriette m’a quitté et j’ai dû subir seule le courroux de cette demi-folle. Alors qu’en peu de temps j’avais perdu ma mère et mon double, la marâtre s’est mise à exiger que je l’appelle maman.
    Jamais, je n’accorderais le moindre pardon, non jamais.
    Florence est une perle, elle a allumé la cheminée, fait un brin de ménage, et décoré l’entrée avant mon arrivée. Mes santons sont un appel à la paix. Comme il me fallait quelques provisions avant notre départ, j’ai expérimenté une nouvelle fois la livraison à domicile. Ni Florence ni moi n’avions envie d’affronter la foule d’avant Noël. J’ai hâte que mon Pain d’Épices soit de retour. En fait j’ai besoin de son aide pour le défi que je me suis lancée. Je ne sais jamais quoi offrir à Patricia et à sa famille qui m’ont accueilli avec tellement de bienveillance. Cette année, l’idée m’est venue qu’un petit fragment de ma Provence ferait plaisir. Je vais personnaliser la tradition des treize desserts à leur intention.
    Comme je l’ai expliqué, Patricia organise le baptême de sa petite fille Lilou pour le réveillon de Noël et Bébé et moi y sommes conviés. Alors, pendant qu’ils seront à la messe, je préparerai une crédence aux douceurs.
    Évidemment, Pat aura confectionné ses bûches faites maison, mais je sais qu'elle appréciera ma surprise. J’éviterais peut-être le sempiternelle « Mais pourquoi as-tu fais de telles dépenses? » Enfin pas sûre.
    Vu le nombre conséquent de gourmandises, Patricia pourra en proposer à ses visiteurs le temps des fêtes car l’on doit laisser ces desserts sur table trois jours durant. Mon seul souhait est que Bébé ne conduise pas à la Fangio car tout serait brisé.
    Certaines de ces friandises seront confectionnées par Mamaiette. Je ne veux pas risquer de me taper l’embarras devant les hôtes de Patricia. Florence est très bonne cuisinière, mais elle m’a avoué ne pas maîtriser tous les mystères des pâtisseries des cigales. Je suis enchantée de mon idée. Mon Caramel l’est un peu moins car pour une fois nous ne prendrons pas son étoile pour nous rendre en Rhône-Alpes. C’est son côté frimeur qui revendique, mais ne lui en déplaise le coffre de ma voiture est plus spacieux.
    Pour la plupart des gens, le rituel des treize desserts ne représente qu'une farandole de douceurs servie lors de la soirée de l’avent, pour moi, c’est bien plus que cela. Quand Miriette et moi étions de toutes petites filles maman confectionnait une desserte extraordinaire pour les fêtes. Ce tableau est resté gravé au plus profond de ma mémoire et de mon cœur. Je me suis longtemps, bien trop, coupée de mes racines, aussi le baptême de Lilou me paraît le moment idéal pour renouer avec les traditions.
    D’une ville à l’autre la liste des douceurs diffère, toutefois la base commune est immuable, ce sont les quatre mendiants. Les fruits secs représentant les différents ordres religieux ayant fait vœu de pauvreté.
    Des figues, raisins secs, amandes et noisettes.
    Des pommes, poires, pruneaux, noix.
    Des mandarines, melon vert d’eau, nougat blanc, nougat noir. Et la pompe à huile, une belle fougasse.
    Un étouffe chrétien comme le nomme-t-on chez nous, il porte le nom de gibassier dans notre région, une fougasse version sucrée en quelque sorte. À l’occasion des fêtes de l’avent, les tantines confectionnent aussi un pain noir au léger goût de pain d’épice à cause de la mélasse qui entre dans sa composition. Ce sera parfait en berceau pour la savoureuse spécialité que Pappey prépare à chaque fête de famille, j’ai nommé, la tomme daubée. Ce n'est pas à proprement parlé un dessert, mais une liaison pour y accéder. C’est délicieux, mais il y a de quoi en être déstabilisé gustativement. Quant à l’indispensable rincette de fruits, c’est moi qui la préparerai. Rincette car l’on ajoute de l’alcool à cette soupe de fruits. Je n’oublie pas les brioches de coings, les très caloriques mais indispensables cédrats et kiwis confits, les oreillettes à l'anis et les croquants aux amandes, le tout made in Palavas.
    Il me semble que tous devraient trouver là de quoi satisfaire leur gourmandise et apprécier.
    Les papillotes, même si elles ne font pas partie intégrante des desserts provençaux, font toujours plaisir. J’ai découvert un chocolatier qui concocte des merveilles. Rien à voir avec la sempiternelle ganache ou l’inévitable praliné, je me suis laissé envouter par des chocolats fourrés à diverses liqueurs d'eau de vie.
    Il me tarde de rejoindre ma Pat. Elle doit se mettre dans tous ses états pour que la soirée soit parfaite.
    Je mange comme un moineau, mais chez elle j’apprécie les effluves de rôtisserie et les fragrances des plats qui mijotent sur le poêle durant des heures lors des repas d’exception. Tard dans la nuit, Pat déposera les écorces de mandarines et d’oranges sur la plaque brûlante du poêle afin de neutraliser les odeurs de cuisine. Ce désodorisant naturel embaume l’atmosphère et fait disparaître les papillons noirs de la nostalgie.
    Passage obligé chez l’ostéopathe. Sereine et valétudinaire, à n’y rien comprendre…

    PLeuRs NéCeSSaiReS… 20 Décembre 2016

    ...Depuis hier soir un trop plein de plaies réouvertes fait que je pleure pour un rien!
    Comme à chaque fois que je reste trop longtemps immergée dans un bain de parenté, des souvenirs heureux que Christian a effacé de ma mémoire me reviennent en rafales.
    Durant mes années misères j’avais fait le choix de résister aux mauvais traitements que m’infligeait Christian en me délestant peu à peu de ce qui faisait mes bonheurs passés. Quand ma survie dépendait de joutes amoureuses une seule chose importait, rester concentrée sur tout ce qui pouvait l’apaiser. Dans ces moments-là je suivais ses directives au plus près et Christian n’était pas exigeant. Un brin crapule, mais le seul Kâmasûtra qu’il savait pratiquer était celui des bourgeois, et encore, seulement celui des jours de fête. Cela me suffisait amplement, cela me donnait l’impression de conserver un semblant d’humanité.
    Je n’avais que Miriette et Maman pour me réconforter par l’esprit. Cruel mais nécessaire, je m’étais confectionnée un entrepôt mémoire dont j’avais jeté la clef afin de ne plus m’y rendre. Trop douloureux.
    Terrorisée, brisée et entourée d’humains spectraux pour lesquels je n’étais moi-même que fantôme, je me suis laissée glisser dans un monde parallèle où plus rien ne m’atteignait. Sauf les corrections que je recevais. Il m’ arrive encore de chercher mes mots, de douter de ma raison et de ne plus trop savoir comment se fait tel ou tel geste du quotidien. Ash nomme ceci mes agissements hasardeux, mais ça ne me console pas vraiment.
    À présent je peux me reconstruire dans la petite maison, perdue entre vignes et oliviers, que m’a laissé ma chère grand-mère. J’ai fait rénover la vieille bâtisse, mais j’y ai conservé un mausolée réservé aux personnes qui m’étaient chères et qui m’ont quittées trop tôt. Mausolée est un bien grand mot pour décrire la pièce où j'ai entreposé tout ce qui reste importance à mes yeux.
    Regrets, ennui, besoin, je ne saurais l’expliquer, toujours est-il que j’ai éprouvé le besoin d’ouvrir la boîte de Pandore, le fameux grenier en l’occurrence. Cette pièce a été conservé en l'état, les toiles d'araignée en moins. Aucune des plaies tant redoutées ne s'en est échappé pour se répandre sur mon monde déjà bien déglingué. Toutefois, cela m'a permis d'atteindre ce que ma psy nomme le palier des progrès involontaires.
    Des larmes, encore des larmes. J’exècre la période de Noël, oui carrément ça s'est clair, depuis que maman nous a quitté Miriette et moi un sombre jour de décembre. Nous avions cinq ans et demi ma sœur et moi, et ensuite plus rien n'a jamais été pareil.
    Fin décembre m’est devenu une corvée qui accable mes épaules et arrache des morceaux de mon cœur.
    Monsieur J. l’a invité à s’installer chez nous. Je l’ai haï dès le premier jour où elle a posé le pied dans notre maison et je reconnais qu’elle me l’a bien rendu. Elle ne tolérait que Miriette, et encore. Moi, j'étais le petit canard boiteux que l'on essaie de dissimuler. Elle m'ignorait la plupart du temps, sauf lorsque monsieur J. était là, cette peau de vache trouvait tous les prétextes pour m'admonester. Ma seule et piètre consolation était que dans son dos, à cause de ses initiales, on lui avait trouvé un surnom qui sonnait comme le nom d’une prostituée dans un roman de Zola. On l’aura compris, je parle de ma belle-mère celle que je nomme souvent la marâtre dans mes écrits.
    Dans tout le fatras de cartons, de vieux meubles, de jouets, d'albums photographiques et de vêtements d'un autre temps, mon regard a été attiré par une petite caisse fermée hermétiquement. En l’ouvrant j'y ai découvert un trésor. Les vieux vinyles de chants de noël que Maë Lynette nous passait en boucle les soirées de l'avent, avant. C'était à peu près la seule chose que je tolérais dans les fêtes de fin d'année insipides et déprimantes. Mémé avait le même timbre de voix que maman lorsqu'elle fredonnait les mélodies mièvres de ces chants, mais cela me réconfortait un petit peu. Je ne sais pas ce qui m'arrive aujourd'hui, mais je n'ai jamais parlé de maman à qui que ce soit, sauf à Pat qui a exorcisé la plus grande partie de mon chagrin en m'accordant son amour de mère, un amour sans condition, au risque de s’y perdre.
    Je ne possède pas de tourne-disque pour écouter ces vinyles et je le regrette. Le son est ignoble, mais j’ai retrouvé sur le web Jésus est né en Provence interprété par Robert Miras, peu de gens doivent s’en souvenir, mémé le passait en boucle. Et dès les premières notes de Parle-moi maman je me suis mise à pleurer, tout m’est revenue en rafales. Un chagrin indicible m’a fauché sans que je m’y attende, si un peu, j’ai sangloté à fendre l'âme. Bonne Mère jamais je n’aurais pensé que cela pouvait encore faire aussi mal.
    En ce noël maudit, Maë Lynette se consolait comme elle pouvait de la perte de sa fille et elle ne parvenait pas à endormir notre chagrin à Miriette et à moi. Maladroitement, car trop impliquée, elle est peu à peu parvenue à nous soulager de notre peine, à nous réconforter avec un tel dévouement que je lui en serais éternellement reconnaissante. Notre père lui, n'était resté que le temps de l'enterrement avant de retourner à son affectation, à la marâtre. Ce premier Noël sans maman avait été terrible et c’est là que j’ai compris que le père Noël n'existait vraiment pas. J’aurais aimé échanger, nous aurions échangé sans regrets nos cadeaux contre un seul qu’il n’a pas daigné nous apporter. Ma maman, notre maman.
    Sans doute étais-je la plus forte pour résister à tous les malheurs, petits et grands, qui ont jalonnés notre enfance malmenée. Est-ce pour cela que maman a rappelé Miriette à ses côtés? Parce que j'étais trop brise fer pour la rejoindre sur son fragile nuage? Ma chère maman a choisi la plus réservée et la plus sage de nous deux pour lui tenir compagnie et il ne se passait pas un jour sans que les deux misérables ne me le rappellent. J'ai cessé d'être une enfant l’année de mes dix ans.
    Au temps des jours heureux, la petite peste que j'étais entraînait Miriette dans des situations pas possibles et disparaissait lorsqu'elle comprenait que nous allions nous faire attraper. Je me souviens avoir expérimenté toutes les bêtises de Sophie de Réan avec des variantes plus ou moins discutables. De l'heure du lever à celle du coucher, nos deux ombres accolées caracolaient dans la maison joyeuse et vivante. Il y régnait un parfum de lavande, de confitures et de cire. Chaque matin, maman passait son tablier fleuri et prenait le chemin de la cuisine pour préparer notre petit-déjeuner avant l'école. Ensuite une domestique prenait le relais et madame Colette supervisait la préparation du repas et le ménage. Après le déjeuner, elle nous reconduisait à l'école et deux après-midis par semaine maman faisait son devoir de femme de militaire. Je n'entre pas dans les détails, mais ceux qui ont vécu dans ce milieu savent de quoi je parle. Ces jours-là, elle trouvait tout de même le temps de nous confectionner un gâteau pour le goûter et après la collation elle nous attendait de pied ferme pour les devoirs. Maman nous imposait une demi-heure de lecture en attendant le repas du soir. J’étais tellement torturée lorsque j’ai remis la main dessus que j’ai jeté à la poubelle ces vestiges du passé littéraire de mes jeunes années. Je le regrette amèrement.
    Lorsque maman n’a plus pu se lever à cause de la maladie, la maison a commencé à ressembler à un couvent où chacun avait fait vœu de silence. L'on nous interdisait d'entrer dans sa chambre, ce n'était pas bien de rire alors qu'elle souffrait, il fallait lui éviter notre présence agitée. Ils n’ont jamais compris, à part mémé, que c’étaient nous, ses petites filles, qui la maintenions en vie. Le jour est venu où l'on nous a éloignées afin de ne pas la voir en train de mourir à petit feu. Maë Lynette nous a couvées comme elle le pouvait, mais c'était notre mémé, pas notre mère. Miriette et moi n'avons pas eu le droit de lui dire adieu et j’ai compris très tôt que c’est cet éloignement qui l'a poussé plus rapidement à la tombe.
    J'en ai encore le cœur brisé.
    Il y a eu d'autres douleurs, la culpabilité que l'on m'a infligée, mon caractère bien trempé qui m’a conduit à me comporter en adolescence rebelle, un tout qui m’a dirigé au pire. Nadège m’assure que faire ressurgir cette partie de mon passé est un passage obligé pour faire mes deuils. Jamais je ne pourrais dire définitivement adieu à ma jumelle et à maman. Le visage de Miriette m’apparaissait chaque fois que je me confrontais à un miroir, et plus j’avance en âge, c’est celui de maman qui prend sa place.
    Il parait que celle-ci ressemblait comme deux gouttes d’eau à mon arrière-grand-tante Giulia. Des yeux d’un bleu presque pâle, un visage ravissant et des cheveux d’or. Maë Lynette disait « exactement les mêmes » en parlant d’elles. Généreuses, aimant être entourées de ceux qu’elles aiment et possédant un courage à toute épreuve. Cela a dû cafouiller quelque part parce qu’en ce qui me concerne c’est raté.
    Diéu nous fague la gràci de vèire l'an que vèn, e se noun sian pas mai, que noun fuguen pas mens…

    ÉTReNNe ReNVeRSaNTe… 25 Décembre 2016

    ...Les préparations des confiseries ont pris sur notre temps. Rhône-Alpes en vue, enfin!
    Bébé est rentré pile poil à l’heure prévue pour le départ. Je commençais à trouver le temps long car il a été absent durant un mois. Tout de lui me manquait. Sa présence apaisante, nos moments câlins, son affection friponne et … sans caresses accidentelles, ces dernières semaines m’ont paru interminables.
    Nous sommes attendus pour le baptême de Lilou et le réveillon chez Patricia.
    Ma chère Pat salue mes efforts de reconstruction dès mon arrivée. Elle m’entoure de tout son grand cœur, je crois bien que notre complicité est enfin restaurée. Le traité de paix est définitivement signé avec Ash, le virus qui les a un temps divisé a disparu. Par virus j’entends une relation virtuelle qui a failli mettre à mal l’attachement que me porte Patricia. Bébé avait laisser aller notre relation à vau l’eau durant quelques mois et ma Pat avait eu du mal à admettre que nous avions été manipulés les uns et les autres. À présent tout est rentré dans l’ordre et c’est un poids de moins sur mes épaules.
    Or donc, la fête a été folle, champagne pour tous. Avec la permission de Géraldine, la maman de la petite Lilou, Ash et moi avons offert un joli pendentif à la reine du jour. C'est un ange en nacre sur lequel est incrusté un minuscule diamant rose monté sur une chaîne en or.
    – Tu as encore fait des folies! Je savais bien qu’à un moment ou un autre j’y aurais droit.
    Nous avons terminé bombance en milieu de nuit.
    Vannée je me suis fait une joie de rejoindre ma chambre. J’écris ma chambre car je l'ai occupé si longtemps que Pat l'a gardé pour mon usage personnel. Cette pièce a longtemps été mon pied-à-terre dans le monde de brutes que je fuyais désespérément à l’époque. Elle me servait de refuge, d’hôpital, de cachette et de cocon afin de m’isoler pour m'abandonner au virtuel. Cela m’aura au moins appris une chose, c’est une bêtise que de vivre exilée du reste du monde.
    Située derrière le conduit de la grande cheminée du salon, l’endroit bénéficie d’un climat équatorial. Lorsqu’il fait froid c’est l’idéal, mais à ras de toit l’été, cela devient vite un sauna. J’ai souvent froid alors cela me convient très bien. J’y ai retrouvé quelques vêtements, des affaires de toilettes, quelques livres et un vieux parfum qui a failli me coûter mon bonheur à venir. Je m’expliquerai là-dessus un jour peut-être.
    Nous nous sommes endormis comme des masses dans ce sanctuaire.
    Ash m’a fait languir jusqu’au passage du père Noël pour me révéler la destination du voyage qu'il m'offre comme présent. Je n’ai su qu’au moment de la distribution des cadeaux que nous nous envolons pour … le pays de ses ancêtres. Je suis refaite. Le cachotier a concocté cette surprise lors de son voyage au Bangladesh où des opportunités lui ont permis de lancer le projet qu’il a concrétisé une fois de retour aux Aspidies. Mon Caramel fait un retour à ses origines et il me prend dans ses bagages. Jamais je n’ai été aussi ravie d’être à jour de mes vaccinations auxquelles il va falloir en ajouter une ou deux car dans certaines contrées m’a-t-on dit, soit par philosophie, soit par religion, les gens entretiennent une hygiène déplorable. Il paraîtrait même que la peste sévit encore. Je suis certaine d’une chose, Bébé ne me laissera jamais courir le danger. Il était radieux, Patricia un peu moins, lorsqu'il m'a montré les billets d'avion.
    J’ai vraiment hâte. Ça y est voilà que je m’inquiète pour le réveil du samouraï…

    MoN GRaiN De SeL… 29 Décembre 2016

    ...L’intention est extrêmement courageuse. Cette grâce présidentielle fera peut-être jurisprudence!
    Cependant, cela va compliquer sérieusement l'expérience judiciaire de celles à qui viendrait l’idée de se libérer de façon brutale, de l’emprise d’un compagnon violent.
    Je ne conteste pas le fait que la victime et accusée ait souffert durant de longues années et qu'elle ait ressenti soudainement le besoin de mettre un terme à son calvaire. Comme beaucoup d'entre nous, en état de sidération, il lui a été impossible de se présenter dans un commissariat pour porter plainte.
    Cela lui donnait-il le droit de se faire justice elle-même? Je ne porterais aucun jugement sur cet acte commis car le nombre de fois où j’ai moi-même éprouvé le désir d’abattre Christian ne se compte pas. Ce n’est en aucun cas la peur de la prison qui m’a retenu, mais l’emprise qu’il exerçait sur moi. Personne ne peut comprendre à quel point j’aimais mon mari, à quel point je désirais changer son comportement de toute mon âme. L’emprise est une domination, un ascendant intellectuel et physique exercé sur une personne. Il est impossible d’y échapper et encore moins lorsque les sentiments sont de la partie.
    Dans ce cas précis la justice a condamné une action qui ne pouvait passer pour de la légitime défense. Cette justice-là a fait son boulot, ce pour quoi elle était requise, elle a ignoré l'enfer qu’un mari brutal faisait vivre à sa compagne jour après jour, année après année, au profit du geste en lui-même.
    Personnellement je conçois que cette malheureuse ait fini par craquer, mais cela est interprété à raison comme l’acte d'une criminelle qui a tiré dans le dos de son bourreau, un geste lâche aux yeux de personnes attachées aux principes moraux.
    Il a fallu des décennies de maltraitances et de menaces sur ses enfants pour que le cerveau de cette femme martyrisée lui ordonne de supprimer son bourreau, à cet instant précis. Elle ne sauvait pas sa vie, mais elle en reprenait le contrôle après des années de châtiments. Je ne sais pas si je me fais correctement comprendre. Toutes ces femmes cruellement déchirées dans leur chair, dans leur tête, n'ont plus la force de réagir et durant des années elles acceptent un sort abominable. Puis tout à coup, dans un éclair de lucidité elles commettent l’irréparable. Le mari de cette victime accusée n'a jamais été inquiété et cela malgré les coups qu'elle recevait, les attouchements que ses filles subissaient, l’enfer qu’elle vivait au quotidien.
    Afin de remettre les choses à leur place, je tiens à préciser que loin de donner des ailes, la peur paralyse.
    Cette femme a commis ce geste désespéré justement parce que son bourreau lui tournait le dos. Cela se discute, je comprends, toutefois la justice a traduit ceci par préméditation.
    La bêtise des médias a été de faire monter la sauce comme il se dit vulgairement, afin que l’accusée soit prise en pitié, mais cela a eu l’effet contraire. Tirer dans le dos de quelqu’un est indéfendable du point de vue de la loi et la réponse des magistrats, métier ô combien frustrant, a été correcte. Lors d’un procès en assise, les jurés et le juge s'appuient sur des faits rapportés et établis par témoignages et consultations du dossier judiciaire de l'accusée. Il est impossible que les médias aient eu connaissances de toutes les pièces dudit dossier avant d’orchestrer ce battage médiatique et cette pression populaire qui n’ont fait que desservir le travail des avocates de l’accusée. La condamnation était courue d’avance.
    Je ne crois pas qu’il soit judicieux non plus de présenter l’accusée-condamnée comme l'icône deux mille seize des femmes battues. Elle a affronté tardivement sa terreur, mais n’était en rien en péril à l’instant où elle a tiré. Cependant en écrivant cela, je suis bien consciente qu’elle l’a été durant quarante-sept ans de sa vie aux côtés d’un criminel avéré. La seule chose que je puisse lui souhaiter, c’est d’être enfin rassérénée auprès de sa famille et pour ce qui est de se pardonner je suis intimement convaincue qu'elle ne se sent pas coupable. La logique qui l’a poussé à tuer son mari restera incompréhensible à la plupart dont elle-même.
    Ashlimd, qui pourtant était l'un de ces magistrats qui se refusait à mêler justice et tolérance, m'a toujours dit se sentir démuni pour gérer de tels cas. Comment rester impartial lorsqu'en face de vous se tient une femme brisée et couverte d'ecchymoses? Dans ce cas, apparemment, l’un des torts de la condamnée en question a été aussi d’être trop "propre" et trop calme lors de son arrestation. Du grand n’importe quoi.
    Depuis des années le dossier brûlant des "femmes battues" est récupéré par tous les politiques et aucun ne sait le gérer. Cela fait si longtemps que les uns et les autres promettent des lois, des aides, du changement que personne n’y croit plus. De longues années pendant lesquelles, comme tant d’autres femmes j'ai lutté seule pour me reconstruire, de longues années où des tergiversations stériles ont bloqué tout espoir de légiférer correctement sur le sujet. Combien de temps faudra-t-il attendre encore?
    Au nom de la Justice, il faut reprendre les choses à la base, refondre un code pénal obsolète dont on se sert comme d’une Sainte Bible. Il faut créer des services de gendarmerie où le personnel qui accueillera les victimes sera compétent en la matière. Il faut aller à la rencontre des associations qui œuvrent efficacement à l'accompagnement de ces pauvres femmes parfois lamentablement stigmatisées. Certains intervenants sont pleins de bonne volonté, mais manquent de formation. Ils ne possèdent pas toujours la diplomatie requise pour recevoir des personnes en état de choc. Dire à une femme martyrisée que son mari est un salaud, même si c’est la réalité, cela ne se fait pas. J’ai pleuré de son absence sur mon lit d’hôpital et il m’a fallu des mois pour oser prononcer à voix haute que mon ex-mari était une ordure de la pire espèce. Horriblement maltraitées et meurtries par leur conjoint, certaines ne seront jamais prêtes à entendre la vérité. Je reviens là-dessus une dernière fois, dans le cas qui m’interpelle ici, la justice n'avait pas à être chaperonner par une surmédiatisation, ni par une population déchainée, ni par le grain de sel apporté par des personnalités people qui ne détenaient pas tous les tenants et les aboutissants de ce terrible drame.
    Cela n’a contribué qu’à fausser le verdict, au lieu de dix ans fermes de détention, du sursis aurait été largement suffisant. Cette condamnation était de trop.
    Une grâce politique certes, mais bienvenue. Erreur corrigée…

    ENTRe DeuX… 01 Janvier 2017

    …Retour à la Petite Paix. En franchissant la porte d’entrée, la surprise est de taille. Gâtée outrageusement!
    Une superbe bannière occupe une partie du mur au-dessus de la cheminée. Elle a été réalisée à partir d’un cliché d’un lieu que j'affectionne tout particulièrement. La forteresse de Mornas. Conçu dans un tissu finement alvéolé, le panneau a tout d’un gigantesque tableau en noir et blanc. À présent je comprends mieux les regards complices qu’ont échangés Pat et Ash lorsque celle-ci a découvert un présent identique à celui-ci, sauf que pour elle, c’est la Tour de Montléans. J’admets, j’étais légèrement envieuse. Totalement. D’autant que les ruines de ce château féodal en Rhône-Alpes sont elles aussi très attachantes. Il m’est impossible d’expliquer pourquoi les vestiges de la Forteresse me sont aussi familiers et quasi indispensables à mon horizon. Depuis toute petite, c’est une histoire d’amour entre eux et moi. Maman disait que la citadelle et ses fortifications avaient eu importance pour moi dans une autre vie. C’est tiré par les cheveux, mais ça expliquerait le lien que j’entretiens avec ce lieu. Inutile de dire que mes larmes étaient sincères.
    J'ai offert à Bébé un étui à cigares en argent gravé à ses initiales, mon Churchill apprécie. Je le sais car il me gratifie d’un gros câlin. Broyée entre ses bras et chancelante sous ses baisers. Ce fripon a parfois tendance à oublier que je ne suis qu’une petite chose fragile. Nous nous sommes rendus chez Hélène et Marceau pour leur présenter nos vœux en avance car nous serons absents le jour de l’an. Bébé désirant plus que jamais me séquestrer aux Aspidies à notre retour d'Inde et histoire de me rassurer, j’abandonne à Hélène un trousseau de clés de ma maison, au cas où. Florence sera aussi de vigilance, ainsi je pars tranquille. La maladie me laisse tranquille pour l'instant, mais je ne suis pas à l'abri d'une énième rechute. Entre les deux vols, les excursions et le dépaysement, le samouraï et sa meute pourraient être rapidement de retour et seule avec une telle fatigue cela ne serait pas évident à assumer.
    Je dois me montrer raisonnable me dit Ash, il sera plus prudent de laisser sa famille veiller sur moi. L’inde n’est pas un pays que les européens visitent impunément m’assure-t-il, je devrais y être confrontée à de fortes poussées émotionnelles, tant par le ressenti que le visuel. Certaines scènes de vie pourraient m’être choquantes et me déstabiliser. Pour une fois je vais écouter Ash car le ton sérieux qu’il adopte pour me mettre en garde me donne à penser qu’il s’inquiète réellement. D'autant qu’il va repartir pour un marathon infernal Londres-Paris dès fin janvier et que je ne serais pas l’une de ses priorités. Alors, alea jacta est.
    Certaines des vieilles richesses que j'avais entreposé chez Patricia sont enfin parvenues au terme du voyage. Ce pactole, ce sont des livres, j’en ai essaimé partout où je suis passée et lorsque j’en ai fait la réflexion à Jérémy le fils de Patricia, il m’a donné une super idée pour ma future bibliothèque. L’Écume des Jours a retrouvé sa place sur ma table de nuit, un petit pas en avant pour moi.
    Alors que je faisais une petite sieste, Ash a fait connaissance télévisuelle de la comtesse de Peyrac dans le premier acte de ses tribulations. Son seul commentaire à mon réveil a été : - Elle a une sacrée santé cette Angélique! Ash n’a pas tort, je n’en ai jamais fait le compte, mais le nombre d’amants de cette héroïne est légion et ce, multiplié par le nombre de films que comporte le divertissement. Bref, toujours est-il que mon coq de bruyère était bien émoustillé et que c’est donc dans l'improvisation la plus totale que je me suis transformée en … la pose sensuelle d'Angélique plait énormément à ses galants et il en est de même pour le mien. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais si j’avais su plus tôt que visionner des films romanesques inspirait autant le Maharajah je lui en aurais proposé d’autres autrement plus suggestifs et dentelles. Au cas où, je tiens à préciser que je ne parle pas de films indécents ici. Au moins je sais maintenant comment rendre son allant à Bébé les jours de paresse. Ceci dit, Nuits Secrètes me l'avait déjà révélé imaginatif, là nous sommes passés au niveau supérieur, mes dentelles n'y ont pas résisté, dommage elles étaient vraiment sexy, mais me retrouver cul nu au milieu du salon en milieu d’après-midi m’a été … vivifiant.
    Réveillon du jour de l’an à l’appartement de mon Caramel sur Lyon.
    Ash et moi avions carrément zappé que William passait les fêtes de fin d’année en famille, aussi à notre arrivée à l'appartement l'on se serait cru dans un congélateur. Cela dit, la constatation se fait dans les deux sens, William a certainement oublié la consigne en éteignant tout en prévision de sa longue absence. Bébé a réactivé le chauffage, prévenu le concierge de notre présence et de la fête qui allait se dérouler dans l’appartement. Moi, je me suis improvisée maîtresse de maison afin que la soirée soit des plus conviviale. Difficile de trouver un traiteur au dernier moment, mais j’y suis parvenue. Les collègues de Bébé sont de véritables boute-en-train alors il était inutile de prévoir une playlist élaborée pour le cas où la conversation s’éteindrait. Quand tout a roulé, je me suis éclipsée. Je ne tenais pas à me fatiguer de trop avant notre départ pour Delhi. J'ai salué la fine équipe à deux heures du matin, les laissant terminer aux alcools forts, aux cigares et … à la soupe à l'oignons. On est Lyonnais ou on ne l'est pas.
    Mon pain d'épices s'autorise une soirée explose tête une fois l'an et la misère que je lui fais le lendemain ne l’en dissuade jamais. Là c’était l’occasion ou jamais alors je n’ai pas trop râlé. Monsieur a ouvert les yeux vers quinze heures et c’est un zombi qui se traine jusqu’à la cuisine. Même après la douche Bébé a une tête abominable et je ne me gêne pas pour me moquer de lui car il n'a pas la force de me répondre. Mon héros n’est qu’un homme et le voir préparer cette mixture ne me dit rien qui vaille. Sous mes yeux ébahis il emplit un grand verre de jus de goyave dans lequel il presse le jus d’un citron vert et y rajoute quelques feuilles de menthe ciselées. Et comme mon Pain d'Épices est un grand malade, il rajoute une bonne pincée de poivre de Sichuan moulu pour affiner sa potion miracle. Il paraît que cette épice possède diverses vertus entre autres celle de calmer la veisalgie. Quelques coups de cuillère à mazagran et il avale ça d'un trait. Mon estomac en est tourneboulé. Force m’est de reconnaitre l’efficacité du breuvage, une heure plus tard Bébé se trouve d’attaque pour une séance de ménage. Un bien grand mot pour quelques coups de balais, le passage rapide de la serpillère et le dépôt des sacs poubelle au local.
    Dans l’hindouisme certains dieux comptent plusieurs mains et je suis certaine que Bébé fait partie de leur céleste séjour depuis que lui et moi avons chevauché la vague en fin d’après-midi. L'association de sa baguette de lumière et de mon temple sacré donne un … je dirais que cela est distrayant et magique. Il nous faut redescendre sur terre, demain dans la soirée nous partons pour Paris, je ne tiens plus en place. Je constate avec satisfaction que le temps où mon seul lien avec l’extérieur était le virtuel est désormais loin. D'indispensable, mon portable m'est juste devenu utile.
    Décoiffée et lascive. La bergère a eu à cœur de contenter le prince des Mille et Une Nuits…

    DaNS LeS STaRTiNG-BLoCKS… 03 Janvier 2017

    …Après quelques vérifications de dernières minutes, enfin sur le dépaCarrément pourri le temps en Rhône-Alpes et cela ne nous incite pas à nous promener main dans la main en ville. Heureusement nous nous envolons bientôt pour des contrées plus accueillantes. Je crois que je m’avance un peu car selon Ash c’est l’humidité qui nous attend là-bas. Il m'arrive souvent de me plaindre du froid, mais là j’ai de bonnes raisons de le faire, à Lyon on avoisine le zéro degré. Je suis transie des pieds à la tête. Bébé fignole ses dernières recommandations et un emploi du temps aux petits oignons pour son staff. Comme cela risque de durer, j’occupe mes dernières heures en région Lyonnaise au centre commercial de la Part-Dieu. Quelques achats de dernière minute ai-je dit à Ash. Au départ ils consistaient en deux produits de toilette et des baskets confortables, puis prise d’achetite aiguë, je me suis emballée. La chaleur n’est pas étouffante à cette période de l’année, c’est une demi-saison trop fraiche pour ignorer la prudence me dit-on. Deux jeans, une jupe longue, une veste fine, deux chemisiers, une surchemise, deux pulls légers et des chaussures de ville, aïe aïe aïe, mon Fripon n'aurait jamais dû me dire "prends ce qui te fait plaisir ma Chouquette" en me tendant sa Golden Card. Et dire que ma valise était soi-disant prête. Ah oui, je me suis achetée aussi une grande écharpe légère style keffieh pour me couvrir. Les touristes femmes qui montrent leurs épaules, un décolleté prononcé et, en résumé, il faut se voiler de la tête aux pieds, sinon l’on est très mal vu. Que de gens compliqués, je comprends mieux à présent pourquoi Bébé est parfois … bizarre. À commencer par ses cheveux. En Inde la chevelure, tant celle des hommes que des femmes, a une dimension spirituelle très importante et elle est honorée dans de nombreux rituels. Certains croyants, au cours de pèlerinages spécifiques l’offrent aux dieux en échange de la naissance d’un enfant, d’une vie plus faste ou de la guérison d’un proche. J’ai l’immense chance que les médicaments n’abîment pas ma crinière car là-bas, selon les critères de beauté féminins, les cheveux doivent être longs, forts et brillants. Voilà certainement pourquoi Ash apprécie ma texture blonde. Il se dit aussi que les cheveux des femmes indiennes sont à la fois synonymes de chasteté et de fécondité. Oups, en ce qui me concerne c’est raté pour les deux. Une femme doit toujours porter ses cheveux attachés ou nattés, surtout si elle est mariée ou fiancée. Le seul moment où ils sont détachés est réservé à l’intimité car empreint de sensualité. Je pressens que ce voyage va m’ouvrir un monde qui jusque-là m’était inaccessible, celui du moi intime de Bébé.
    En guettant l’heure de notre correspondance pour Paris, Bébé trouve encore de quoi s'occuper à la recherche de notes pour sa thèse et jeter un œil sur les avancées des dossiers qu’il a confié aux membres de son staff. Il lui faut un temps infini pour décrocher à cet homme-là.
    L’une de ses bonnes résolutions pour la nouvelle année est de travailler son relationnel aussi Ash est-il allé rendre visite à Ahmed à l’épicerie, le temps de prendre un thé et surtout de se renseigner sur l’ambiance sociale du quartier. Il parait que de nombreuses dégradations s’y soient produites ces derniers jours et effectivement en arrivant nous avions remarqué que des porches et des vitrines ont été taguées et les vitres de deux arrêts de bus sont explosées. Rien d’inquiétant, les lendemains de réveillons sont toujours agités.
    Je me suis endormie dans le canapé, sans doute le traitement d'appoint que mon rhumatologue a prescrit en raison du voyage. Je prie la Bonne Mère pour que cette saleté de maladie ne me pourrisse pas mon séjour. Je ressens une légère douleur au niveau du thorax, je me refuse à y prêter attention, inquiète je suis.
    Sodishan a offert à son frère un puzzle représentant la déesse de la Justice. Un bandeau sur les yeux, elle brandit un glaive et une balance. Interprétation moderne s’il en est une, Justice est enceinte et sexy en diable. Les trois mille cinq cents pièces dans des tons or, sépia et noir que contient la boite vont offrir à Ash une belle leçon de patience les soirs où il sera isolé et désœuvré. En attendant, le casse-tête géant est relégué dans sa chambre ainsi que la plaque qui va le soutenir. La douleur s'estompe, il n'y a donc aucune raison de tourmenter Bébé avec mes petits bobos.
    Direction Saint-Exupéry et tard dans la soirée, embarquement pour … Bhârat.
    Je me suis documentée sur le pays qui a vu naître Bébé, et voici ce que j’en ai retenu.
    À travers l'histoire, la république de l'Inde a porté différents noms. De nos jours, dans sa Constitution, l’article premier déclare que le vaste pays est une union d’états dont Inde et Bhârat sont les deux noms officiels. Nom qui fut à l'origine celui d'un roi légendaire de la mythologie hindoue, Bharat Chakravarti. Premier et unique empereur de l’inde, il a conquis et unifié le pays. Toute sa vie il aura été vertueux et tous les indiens sont considérés comme les descendants de Bhârat. Pour la petite histoire, Bharat serait le fruit de l'union d'un roi et d'une femme vivant dans la jungle, il aurait été élevé par sa mère seule au milieu des animaux, s'amusant à ouvrir la gueule des tigres pour compter leurs dents.
    Je suis attirée inexorablement par ce pays où les légendes s’intègrent totalement à la réalité…

    FaiRe Le PoiNT… 04 janvier 2017

    …Petites satisfactions, grande fierté. Que de chemin parcouru en cinq ans et quelques mois!
    Entre ciel et terre, pour passer le temps et surtout pour faire abstraction du stressé remuant qui se trouve près de moi, je m’offre une gentillette rétrospective de ma laborieuse reconstruction.
    En me remémorant notre rencontre, je me souviens que j’étais en mode autodestruction lorsque Ash s’est invité dans mon univers kaléidoscope. L’avenir, mon avenir ne m’était pas envisageable, je me condamnais à le réduire au minimum en un temps record jour après jour. Chaque week-end c’était pire, je m'abrutissais de danses, de vodka, de dangers.
    C'est au cours de l’une de ces soirées suicide annoncé que, moulée dans une robe sexy et aussi bourrée qu'un canon un jour de bataille, j’ai croisé pour la première fois le regard de Bébé. Je crois me souvenir qu’il n’avait rien de complaisant, mais ce n’était pas du mépris. En tous cas rien de vraiment flatteur, autant dire que ça n’était pas gagné. Cependant durant une fraction de seconde, un quelque chose dans ses yeux a suscité mon intérêt et les miens se sont attardés plus qu’ils n’auraient dû sur lui et c’est certainement ce qui l’a poussé à m’aborder. Quand il m’a entrainé à sa suite sur le dancefloor, j’en ai été assez surprise, il y avait alentours une bonne dizaine de filles de plus belle apparence que moi et surtout il ne m’était pas venu à l’idée de refuser. De me rebeller devrais-je dire, en ce temps-là je ne supportais plus que l’on me touche, au moindre contact je devenais une furie. Une danse, une autre et encore une autre. Il essayait d’engager la conversation, mais j’avais si peur qu’il soit effrayé par le son de ma voix que je suis restée muette, répondant par onomatopées. Et pour cause, je n’aurais pas supporté qu’il se moque de ma voix. Les autres je m’en accommodais, mais lui cela n’était pas envisageable et aujourd’hui encore je suis incapable d’expliquer ceci.
    Plus tard dans la nuit il me poursuivait d’un regard désapprobateur à chacun de mes aller-retours au bar. Je continuais à boire, beaucoup trop comme à mon habitude et ayant malgré la brume de l’ivresse remarqué que son attention était encore portée sur moi, je m’efforçais de paraitre la plus ignoble possible car il me fallait détruire tout ce qui pouvait m’arriver de beau, c’était presque viscéral.
    Grand, beau, viril, un accent dans la voix dont le timbre était suave, un brin d’exotisme dans l’apparence et surtout, tous les pores de son être suintaient la bienveillance, l’homme idéal, fonce Bella. Oui, mais non. Engluée dans les vapeurs de l'alcool, le coma éthylique me guettait lorsque je suis sortie de la boite de nuit en titubant. Une honte rétrospective me saisit en y repensant.
    Mon comportement à risque aurait pu me valoir bien des ennuis. Apparemment la Bonne Mère veillait sur moi, c’était bien la seule. J'étais pensionnaire dans un foyer, mais j'aimais la rue, je m'y fondais, j'y disparaissais. Question hygiène ce n'était pas top, mais je me contentais des antiques bains-douches du vieux Lyon, une horreur. L’eau était à peine tiède et parfois colorée à cause de la vétusté des canalisations. Une ou deux fois, et il n’y a rien de glorieux à cela, j’ai profité de la salle de bains douillette d’une conquête d’un soir aussi perché et pété pompette que moi. Je filais à l’aube avant qu’ils n’aient recouvré leurs … capacités. En ce temps-là j’exprimais le meilleur de moi-même. Il m’est arrivé parfois de m'offrir une nuit à l'hôtel, mais cela ne collait pas avec mes convictions, je le faisais uniquement pour ne pas sentir la rue, pour récurer les plaques de crasse qui recouvraient ma peau.
    Le Maharajah, je l'ai surnommé ainsi dès l’instant où Ash m’a pris sous son aile.
    Tellement ivre je ne m’étais pas rendu compte qu’un bon samaritain m’avait suivi. Il m’a récupéré au vol au moment où j’allais m’affaler sur le trottoir. Sans lui j’y serais sans doute restée un bon moment. Loin de le remercier, j’ai débité bon nombre d’insultes et d’idioties avant de me rendre compte que l’alcool m’avait fait oublier que de ma bouche ne sortaient désormais que des sons tantôt criards tantôt sépulcrales. Il n’y prêta aucune attention, un sacré critère de sélection s’il m’en avait fallu un. D’un élégant geyser j’ai badigeonné ses chaussures hors de prix, puis dix minutes plus tard ce sont les jantes chromées de sa belle voiture qui ont été baptisées. Hagarde, je ne savais plus où j’en étais. À la troisième éruption, il m’a maintenu fermement la tête en avant, éloignant mes cheveux du flux malodorant qui s’échappait par saccades de ma gorge.
    – Voyons le bon côté des choses, le cuir des sièges de ma voiture a échappé au pire!
    Et en plus il avait de l’humour. Moi je n’avais que mon mal-être destructeur à lui accorder. Mon irascibilité ravageuse ainsi qu’une superbe gueule de bois en prime.
    La brume de l’alcool étouffait tous discernements, mais quand il m’a fait franchir le seuil de sa porte, je l’ai fait sans crainte. Il m’a conduit à la salle de bains puis m’a fait m’allonger sur son lit vêtu uniquement de l’un de ses sweats, là encore j’ai obéi sans me poser de questions et je me suis endormie comme une souche sitôt la tête sur l’oreiller. Je savais ne rien avoir à craindre de lui. Il est allé jusqu’à me déclamer une comptine de sa voix de velours pour apaiser le cauchemar récurant qui m'a assailli une fois de plus en fin de nuit et au jour levé je me suis rendormie dans ses bras, légèrement mortifiée tout de même car il venait de refuser poliment l'accès au temple sacré que je lui offrais avec élégance en guise de remerciements. Au réveil, humiliée de m’être montrer sous un aspect aussi peu reluisant, j’ai profité de sa courte absence pour le planter là, sans explications.
    Nous ne nous sommes pas revus durant quelques semaines puis un soir nous sommes retombés l'un sur l'autre dans le bar branché de mon ami Marc. S’en est suivie une longue conversation au terme de laquelle il m’a proposé un toit, son toit.
    - Mylhenn, tu es la détresse incarnée, pas la malveillance! M’a-t-il répondu lorsque je lui ai demandé ce qui le poussait à me faire confiance.
    - Cela aurait été dommage aussi pour moi de ne rien tenter non? La façon dont il m’a regardé en me disant ceci m’a pour le moins déstabilisé. Me trouvait-il attirante moi le vilain petit canard?
    Pendant quelques temps j’ai fait de sa vie un enfer, j'apparaissais et je disparaissais au gré de mes besoins de liberté et comme il était souvent en déplacement cela m’arrangeait bien. Je me suis calmée quand j’ai compris que je ne pourrais jamais lutter contre sa profession qu’il embrassait déjà avec cœur.
    Notre première véritable nuit nous l’avons passé à regarder des nanars, ces vieux films complètement débiles ou l'on en rit avant d'en avoir commencé la projection. Ce premier câlin a été mémorable, Ash m'a enseigné que faire l'amour n'est pas un rapport de force entre les deux partenaires, mais un partage. Le parcours était certes chaotique, long et douloureux, mais je grandissais à ses côtés. L’incertitude m’a assailli un temps car stupidement je me suis laissée entraîner dans une relation virtuelle toxique où l’on a essayé de me convaincre qu'Ash n'était pas celui qu'il me fallait. Cela a été à deux doigts de réussir. Lorsque nous nous sommes retrouvés Ash et moi, plus jamais je n’ai mis en doute que de vivre auprès de lui était la meilleure chance que j’avais d’atteindre le bout du tunnel.
    Mes pas sont hésitants et il m’arrive encore de trébucher. Bébé est mon guide, le seul, l’unique…