• De PaRFaiTS CRéTiNS… 23 Octobre 2017

    ...Ne dit-on pas faute avouée, à moitié pardonnée. Ce n’est que du folklore!
    Le grand homme n'a pas vraiment apprécié ma connerie et je découvre son côté balai dans le rectum. On repassera pour le flegme British et la placidité légendaire du peuple Hindou. Un rien vénère mon bonhomme quand je lui ai annoncé le désastre. Je conçois qu’il se fâche, mais j’aurais pu finir en barbecue tout de même. Cet homme n’a aucune empathie.
    Je veux bien admettre que j’ai commis un crime de lèse-majesté en détruisant le présent que Madam’ lui a offert, mais qu’a-t-elle à toujours choisir des cadeaux aussi onéreux? Je sais mon argument est indéfendable. - Cinq cents cinquante euros le keffieh, je n’ose imaginer le prix d’une couverture? Je m’en tire bien! J’ai tenté de détendre l’atmosphère, mais je n’aurais sans doute pas dû le faire sur un ton humoristique. Apparemment c’est la catastrophe de l’année et monsieur monte rapidement sur ses grands chevaux.
    - Tu ne crois pas que tu aurais pu faire un peu plus attention? Pourquoi ne l'avoir pas plié et rangé dans la commode?
    - Parce que … mais parce que c’était trop tentant, il ne fallait pas le laisser à ma vue, tu sais combien j’aime t’emprunter tes vêtements quand tu n’es pas là! Je reste prudente dans mes déclarations, je ne veux pas réveiller le félin qui dort en lui. Je ne suis pas ta bonne ai-je pensé silencieusement. Je sais c’est petit.
    L’exprimer à haute voix n’aurait fait qu’envenimer les choses et à ce stade de la semonce cela n’aurait pas été judicieux de ma part. ‘‘Ton plaid écossais est sur le grand coussin si je me souviens bien, non? Purée, il a mangé du lion.
    - Oui Bébé, mais tu sais très bien que c'est de ton odeur dont j'ai besoin quand tu n’es pas là! Réponse claire et audible.
    - Entre mes sweats et mes chemises tu as largement de quoi! Franchement tu me saoule là! Grand silence, œil noir.
    - Tant qu'à passer mes fringues prends un pyjama, tu es une vraie gamine bon sang! Tu n’es pas blessée au moins?
    Ses remontrances commencent à me gaver sérieux et la menace de me transformer en une tornade catégorie cinq se précise. Je coupe court sans répondre, bonne nuit monsieur le ronchon. C’est au début de la conversation qu’il aurait dû me demander si je n’avais rien. Il n'a pas franchement apprécié ma façon de disparaître de l'écran.
    Les quatorze messages qui suivent le prouvent.
    J’ai passé l’âge de me faire sermonner comme une gosse et je me suis excusée. Oui, bon, j’ai merdé sur ce coup-là, je le lui rembourserai son bout de tissu. Évidemment que ce n’est pas ce qu’il me demande, môman va commander un autre keffieh en me maudissant et tout rentrera dans l’ordre.
    Aussi irrité soit-il, comparé au fou furieux que j’avais épousé, Bébé n'est pas crédible dans ses colères, il n'y a pas d'agressivité dans ses paroles, c’est le ton moralisateur qu’il emploie qui me rend dingue.
    La fureur du citoyen lambda le pousse naturellement a utiliser le célèbre ‘‘Putain tu fais chier’’ mais aucun de ces mots ne franchira jamais les lèvres de Bébé, je le sais. Dans l’exaspération Ash reste relax. Après cette dispute virtuelle, il n'y a pas de réconciliation possible sur l'oreiller donc je me sens un peu frustrée par cette privation d’armistice récréatif. Je lui envoie un émoticône cœur à une heure du matin, dix minutes plus tard je reçois une kyrielle de bisous.
    Le drapeau blanc a été accepté.
    Once in a blue moon est ce qui se rapproche le plus de l’expression ‘‘une fois tous les trente-six du mois’’ dans la langue de Molière. Je crois me souvenir que la toute première fois ou j’ai entendu ceci c’était lorsqu’un monceau de vaisselle squattait l’évier, selon monsieur j’aurais dû démarrer un lave-vaisselle. J’admets, les tâches ménagères et moi nous ne sommes plus compatibles depuis que mon deuxième prénom a été Cosette durant une éternité. Three years a slave.
    Ash s’est aperçu que je ne prenais pas mes médicaments régulièrement, aussitôt la lune bleue est réapparue.
    Puis cela a été à cause de mes fiches de travail qui ont atterri sur son bureau et qui, selon Ash, y sont restées ad vitam æternam. Oui, la plupart du temps je remets mes tâches au lendemain, et alors?
    À mon retour d’Amérique du Sud j’ai eu plusieurs fois envie de me supprimer alors remettre cet acte au lendemain est ce qui m’a certainement sauvé la vie. Se libérer de l’emprise d’un conjoint violent n’est que la première étape pour une femme brutalisée. Je suis persuadée que peu de personnes sont à même de comprendre ce qui se passe dans sa tête ensuite. Les séquelles sont énormes car des années de maltraitance ne s’oublient pas d’un claquement de doigts. Surtout si la victime a aimé son bourreau à la folie auparavant. Moi ce qui m’a longtemps rongé, c’est la culpabilité. Celle de n’avoir pu conduire Christian vers une vie plus apaisée. Malgré le nombre d’années passée depuis ma ‘‘libération’’ je suis encore intimement convaincue qu’il est arrivé quelque chose de terrible à mon ex-mari et que son cerveau a refoulé cet évènement. Il se venge sur plus faible que lui, les femmes en l’occurrence. Au procès, certains ont affirmé que sa brutalité est apparue au début de l’adolescence. Nadège me répète que je cherche des excuses à celui qui me détruisait à petit feu et j’ai conscience qu’elle n’a pas tort, mais c’est plus fort que moi.
    Certains aspects de la personnalité de mon père me renvoient à la mienne propre. De charmants, nous devenons mordants l'instant d'après. Mon persiflage est insupportable, mais je ne l’utilise que contre les personnes qui m’agacent et plusieurs fois j’ai constaté que monsieur J. use du même procédé pour abattre les interlocuteurs qui l’importunent.
    Ash avait peut-être raison, depuis que je fréquente régulièrement mon père, je me rends compte que cet homme est correct et que le seul reproche que je peux lui faire à présent c’est … ma belle-mère. Du coup je ne sais plus auquel des deux je dois le plus en vouloir. La Joce bien sûr, c’est de sa faute si ma relation avec monsieur J. a été aussi tendue durant des années. J’ai thésaurisé la totalité de mes rancœurs et elles ont dévoré ce qui aurait pu devenir une belle relation avec … il est trop tard pour les regrets, je dois reconstruire et ne plus faire les mêmes erreurs.
    Je me compare souvent à Miriette, trop à ce que m’affirme ma thérapeute. J’étais enfant lorsque ma sœur s’est éteinte et ce que je mets en balance aujourd’hui n’est pas vérité et ne l’a jamais été. Ma jumelle était douce, gracieuse et tellement jolie, comme maman. J’étais sa copie conforme, pourtant la marâtre m’a toujours considéré comme le vilain petit canard. Jocelyne adorait ma sœur qui était plus docile que moi et si réservée, elle me la citait constamment en exemple. Nadège m’a expliqué que ce comportement visait à casser notre complicité. Cela la Joce ne l’a pas réussi, mais elle a brisé ma confiance en moi. J’étais téméraire, impertinente et jamais je n’ai tremblé lors de ses colères, je la défiais et c’est je crois ce qui la rendait encore plus odieuse. Maintenant c’est le mot pitoyable qui me vient à l’esprit.
    Bébé m’assure qu'entre mon père et moi il y a de touchantes similitudes. Nous sommes comme deux livres ouverts, mais pas à la même page. Je ne cherche pas à en comprendre plus, Ash sait de quoi il parle, ça me suffit. Je sens que je commence à m’attacher à mon père, mais l’inquiétude est présente, si je réponds de mon affection à celle que celui-ci semble vouloir m’offrir, est-ce qu’il ne va pas m’abandonner une nouvelle fois?
    Jocelyne a obtenu une permission d’un jour. La savoir en psychiatrie sonne comme une reconnaissance de ce qu’elle m’a fait endurer, j’en éprouve une certaine joie. Monsieur J. militaire dans l'âme n’a jamais su montrer ses sentiments, mais il est détendu et rasséréné depuis que sa femme est interné. J’espère qu’elle n’aura pas le temps de se montrer désagréable avec lui et hérésie, mes tantes prient Saint-Lithium et Saint- Zyprexa pour qu’elle se tienne tranquille une journée durant.
    Cette semaine, jamais faire mes courses ne m’a paru aussi oppressant. Ce jour-là j’ai côtoyé deux pauvres types comme il en existe des milliers, pourtant ceux-ci ont remporté la palme d’or.
    Nanette est caissière dans l’hyper ou je me rends, nous avons plus ou moins lié connaissance et sympathisé. Le peu qu’elle m’ait confié de son parcours de vie n’est pas réjouissant, pourtant elle joue de sa bonne humeur et de son optimisme. Les caisses sont prises d’assaut dès dix heures du matin et il me faut attendre plus de quinze minutes à celle dédiée aux handicapés. Beaucoup de ménagères la prennent pour une caisse rapide et personnes n’y prêtent attention.
    Alors la plupart du temps c’est vers Nanette que je me dirige, elle me fait passer illico. Elle sait que je possède le passe m’autorisant à doubler les autres clients. Ça râle, mais elle tient bon, j’ai priorité.
    Or donc, tandis que Florence manipule mes courses avec efficacité, Nanette et moi papotons en banalités d’usage. Soudain une frappe malencontreuse et la pauvrette est obligée de recourir à l’aide de la responsable des caisses. L’intervention de cette personne est des plus rapide, à peine cinq minutes, mais cela a laissé le temps à deux connards, désolée pour cet écart de langage mais il n’y a pas d’autre terme pour les désigner, de venir déposer un paquet de pâtes, six œufs, un pot de confiture, un pack de bière et un camembert sur le tapis. Des impatients, mais pas des abrutis de base aux capacités intellectuelles limitées, habillés de jeans troués et suant la toilette lointaine. Nullement le genre d’abrutis qui cherchent la provocation et la confrontation avec le vigile. Ceux-ci sont bien coiffés, propres sur eux et se sont copieusement aspergés d’eau de toilette. Les plus dangereux en fait.
    - On ne fait pas ce travail si on est pas foutu d’appuyer sur les bonnes touches! C’est pas les chômeurs qui manquent pourtant! Le ton employé est mordant et les ricanements qui accompagnent cette tirade me mettent mal à l’aise. Nanette a tressailli, mais elle reste imperturbable en me tendant mon ticket de caisse.
    - Pas étonnant que tout tourne mal dans le pays, le boulot est réservé à des étrangers qui ne savent même pas s’exprimer en français! En entendant cela je n’ai pu m’empêcher de me retourner pour dévisager les deux hommes.
    Grossière erreur, je suis prise à témoin.
    - Et oui madame, voilà ce qui arrive quand on confie des tâches à des gens qui sont incapables de les assumer! Née dans un pays où les droits de l'homme se sont développés, je suis écœurée par la xénophobie que manifeste ces crétins envers Nanette. Je hausse les épaules préférant me taire, je n’ai nullement envie d’engager le dialogue. Je récupère ma carte bancaire et je m’apprête à suivre Florence.
    - Et tu sais ce qui est le pire? C’est que de plus en plus d’associations se créent pour aider ces gens! Comme si nous n’avions pas déjà suffisamment de misère en France! Le regard de celui qui vient de surenchérir exprime une telle répulsion en s’approchant de Nanette que j’en ai mal pour elle. Toute cette mauvaise humeur pour une peccadille.
    - Personne n’a les couilles pour, mais moi je te mettrais tout ça dans un container et bye bye, bon retour au pays!
    C’est le révoltant de ces propos, plus que le regard suppliant de Nanette qui m’a interdit de m’en mêler.
    D’ailleurs comment aurais-je pu faire comprendre à ces deux ahuris que beaucoup de ceux qu’ils dénigrent avec hostilité sont plus instruits qu'eux. Les exilés sont persuadés d'accéder à un monde meilleur en venant en Europe et parmi eux il y a des ingénieurs, des médecins, des chercheurs ou des professeurs d'universités. Nanette est française de Nouvelle-Calédonie, son père a des ancêtres kanak et sa maman vient de Nouvelle-Guinée alors il est vrai que sa couleur de peau peut prêter à confusion. Et n’en déplaise à ces ploucs, elle a suivi là-bas un programme universitaire en UFR.
    Les médias qui rapportent tout et n’importe quoi et les politiques d’extrême droite contribuent à cette triste vision de l'autre, celui qui n'a pas la bonne couleur ou la même culture. Ces gens m’écœurent, et cela d’autant plus quand parfois je distingue cette lueur de répugnance dans le regard de ceux qui observent Ashlimd. L’humain est effrayant.
    Bientôt novembre. Une pensée chaleureuse pour ceux qui appartiennent au club fermé de la cloche…

    Du BaDiN à L’aFFLiGeaNT… 5 Novembre 2017

    ...Raisins blancs et lait d’amandes. Tu n’est pas raisonnable, un stoquefiche est plus épais que toi!
    Ma tantine n’a pas tort, je suis dans ma période auto destruction. Et heureusement Mamaiette ignore que je nourris Skatter avec les bons petits plats que me prépare mon auxiliaire de vie. Mon estomac me fait tellement misère que j’en suis arrivée à m’interdire le thé. Pouah, de l'eau gazeuse dans un mug ce n'est pas top. À cause de ce régime d’ascète je pèse quarante-sept kilos, huit toute mouillée, je ne suis jamais descendue aussi bas.
    Depuis ma grosse bourde nos Skyp-échanges sont très réservées. Ash et moi ne sommes pas en froid, mais c’est tout comme. L’histoire du keffieh m’ennuie vraiment, je n’aime pas abîmer ce qui ne m’appartient pas. Évidemment que pour Ash l’incident est clos, moi cela me tracasse encore. Ceci posé, ce n’est pas vraiment ce qui m’inquiète lors de nos discussions. Je ne veux pas qu’il se rende compte de ma maigreur alors je superpose les couches de lainages lorsque nous nous connectons. Quand Bébé devient trop curieux je prétends que l'humidité de l'air me rappelle la banquise où je n’ai jamais mis les pieds soit dit en passant.
    Ash a rapidement compris mon stratagème, j’oublie souvent qu’il me connaît par cœur. Il n’est pas content, mais alors pas content du tout. Ma pâleur et mon visage émacié se remarquent, je suis nigaude, j’aurais dû me maquiller. En même temps cela aurait été un peu ridicule de mettre du blush et du brillant à lèvres avant d’aller dormir.
    Ce n’est pas à un vieux singe que l’on apprend à faire la grimace dit-il sarcastique en fronçant les sourcils. La leçon de morale qui suit est longue, très longue. Il en ressort que je ne suis pas une comédienne née et que je l'inquiète plus que je ne le rassure avec mes bêtises. Bébé doit gérer quelques imperfections de planning à Cologne, alors inutile que j’en rajoute. Il est contrarié alors autant lui expliquer franchement pourquoi je ne vais pas bien avant qu’il ne se fasse de fausses idées. Je me sens bouffonne avec mes préoccupations qui n’ont rien d’extraordinaires à comparer de ce qui lui arrive. Bébé m’explique que l’un de ses assistants a cafouillé sur un dossier ce qui a obligé tout leur staff à reprogrammer un emploi du temps déjà bouclé. Ash étant responsable, c’est lui qui a essuyé l’orage et il n’aime pas se faire remonter les bretelles pour rien. Réunion de travail en urgence et j’imagine que le pauvre garçon qui a commis l’erreur a dû voir le feu du ciel s’abattre sur lui, à l’avenir il suivra à la lettre les instructions de son responsable. Or donc j’ai dû passer aux aveux afin d’éviter la retraite forcée chez mes tantes.
    Je confie au surveillant général que je somnole beaucoup, mais que c’est normal car le rhumatologue a réajusté mon traitement à la hausse en prévision des mauvais jours. Cela devrait se dissiper d'ici une semaine ou deux, le temps que mon organisme se fasse à cette nouvelle posologie. J’ai bien peur que Florence en prenne aussi pour son grade parce qu’elle ne lui a pas fait part de mon état et franchement cela me vexe. Tous, les uns après les autres en remettent une couche, quand vont-ils comprendre que je connais mes limites? Pour me rétablir je dois toucher du pied les profondeurs, alors que l’on me laisse tranquille.
    Lorsqu'elle prend ses médicaments correctement, elle peut être tout à fait agréable. Ce n'est pas moi qui le dit, mais ses belles-sœurs. Mes tantes parlent de Jocelyne évidemment. Monsieur J. leur a rendu visite accompagné de son boulet en fin de semaine. Il paraîtrait que la marâtre a été capable de se tenir correctement et d'entretenir une conversation sans que l'on ait envie de lui taper dessus. Tout comme mes tantes, je remercie Saint-Lithium et Saint- Zyprexa, pardon Bonne Mère. C'est mesquin, mais il m’est impossible de ressentir une quelconque empathie envers la femme de monsieur J.
    Depuis plusieurs jours nous subissons une tempête épouvantable, un vent à décoiffer les cocus nous dirait élégamment notre cher Marcel. Une pluie battante ruinent les champs au sommet du cirque et quand il fait un temps pareil je m’inquiète pour ceux qui résident là où se trouvent les roches les plus friables.
    Je suis un brin mélancolique et stressée, je dois me concentrer sur mes examens du trimestre qui me sont une véritable épreuve à cause de mon manque de confiance en moi. Mes copies ont été validées, j’ai déjà lu deux livres imposés sur trois et … arrête d’en rajouter ma fille, tu es sur la bonne voie.
    Chaque année à cette époque il a faut organiser la fermeture du troquet des tantines qui était déjà sur pause depuis une quinzaine de jours. Pour raisons d’hygiène, l’association de Conchita et de monsieur Propre est nécessaire afin que tout soit nickel au moment de clore les volets de sécurité, l’auberge ne rouvrira que l’an prochain. Sans me l’expliquer, à chaque fois j’en éprouve un petit pincement au cœur. Le repas de clôture a été un festival grâce aux voisins et amis des tantines qui eux aussi ont fêté l’évènement comme il se devait. Les sœurs de monsieur J. ne sont qu’à une décennie de la retraite et elles s’inquiète déjà pour l’avenir des deux commerces. Qui pourrait reprendre la petite buvette et son épicerie attenante? Personne de la famille j’en ai bien peur.
    Petit retour en arrière. De retour aux Aspidies, le grand homme m’a carrément menacé de m’enlever. Mon petit manège qui visait à lui cacher ma perte de poids l’a profondément agacé. ‘‘Soit tu me rejoins de ton plein gré, soit je fais le déplacement pour te ramener avec moi, tes simagrées commencent à sérieusement m’ennuyer Mylhenn’’. Mon prénom sonnait comme un ultimatum alors, après avoir jeté l’indispensable dans une valise, j’ai pris fissa la direction de Montpellier-Méditerranée. Une heure trente plus tard j’atterrissais à Londres. Un grognon m’attendait à l’arrivée car ayant pris mon billet à l’arrache je n’ai pas eu le choix de l’aéroport et Ash a dû faire un grand détour pour me récupérer. Il m’a conduit directement à l’appartement. C’est sublime. C’est une maison bourgeoise transformée en duplex, un rez-de-chaussée et un étage. Le logement que nous occupons donne côté parc ce qui nous isole de la rue. Une baie vitrée à bow-window fait que du salon nous avons l'impression de flotter au-dessus de la pelouse parsemée de petits topiaire parfaitement entretenus. L’on accède à l'entrée par un sentier pavé. Green, pensez green. De la verdure de partout, même sur l’une des façades. Une chambre parentale, une plus petite en face de la salle de bains. Ce qui est moins top c’est que ladite salle de bains possède une grande fenêtre qui donne sur le côté rue. Une rue très passante alors il y aura intérêt à brider nos instincts primaires, le temps de baisser le panneau filtrant. Quant à la cuisine, c’est une pièce ouverte avec un îlot qui donne sur le salon, proportions famille nombreuse comme je devais m’y attendre. L'électro-ménager est en place, mais la fratrie n'arrive pas à s'entendre pour les meubles. Sodishan s'en moque royalement et Hylam a des goûts de vieux selon Ash qui aimerait un peu de fantaisie. Autant dire que nous sommes partis pour camper sur de l’à peu près. Tout ce qui porte jupon refuse de s’investir dans ce casse-tête, moi y compris. Je connais trop Madam’ pour me risquer à ne serait-ce qu'une suggestion pour la couleur du paillasson. Je reste six jours alors ce peu de meubles me va parfaitement du moment que nous sommes à des lieux de la résidence. Le court séjour d’été que nous y avons passé est un bon souvenir, que cela le reste.
    Une nouvelle fois Mumy a prouvé qu’elle est la championne de l’hospitalité festive.
    Le soir d'Halloween elle a organisé une fête pour les enfants, beaucoup d’enfants. Citrouilles, sucreries, toiles d'araignée et déguisements. Bébé et moi y avons été conviés et je reconnais que nous avons passé un excellent moment.
    Vers vingt-trois heures les petits sont partis à la chasse aux fantômes dans le parc. Ash, Papily, Steven et Peter déguisés en spectre à l’aide de vieux draps passés à la bombe fluorescente se faufilaient dans les allées sombres et faisaient peur aux minots surexcités. On devait entendre les cris de bonheur des gosses jusqu’à Londres centre-ville.
    Tout ce petit monde a regagné ses pénates et mis sous la couette après une dernière bouchée de l’énorme gâteau citrouille que Mumy a confectionné elle-même. Oui bon, avec l’aide de James et mademoiselle Françoise.
    Comme il était très tard nous avons dormi dans la chambre de Bébé, Papily ne voulait pas que nous reprenions la route.
    À mon grand étonnement personne n’a reparlé du keffieh. Toutefois les inepties qu’a sorti mon Fripon au petit-déjeuner m’ont donné envie de l’étrangler, monsieur envisage de revendre son étoile a-t-il dit sérieusement à Sodishan, Ash n'a pas tort en prétextant qu'il ne roule pas assez. Il utilise le train et les transports aériens la plupart du temps et suivant où il atterrit il loue des véhicules afin de gagner du temps. Son concessionnaire et ami lui a offert de la proposer dans son service de location de luxe car ainsi il ne sera pas obligé de s’en séparer. Je sais que Bébé est ‘‘amoureux’’ de son joujou alors cela risque de lui être compliqué. À suivre.
    Dans chaque pays réside au moins un imbécile, selon Ash c’est Karl Jakob qui remporte le trophée en Allemagne. Avec une extrême lourdeur il a maintenu que l’origine du prénom et du nom de famille de Bébé n’est pas politiquement correcte et il lui a carrément conseillé de les européaniser. Mais dans quel monde vivons-nous? Karl a lourdement insisté sur le fait que cela pourrait également porter préjudice à un éventuel avancement de carrière. Cet homme est ridicule.
    L’administration avec laquelle Bébé collabore à Cologne emploie bon nombre d’agents auxiliaires provenant d’origines diverses. Fares est Syrien il n’a rencontré aucune difficulté pour obtenir une promotion. Du coup Ash a méchamment remis à sa place ce Karl en lui disant que ce sont ses préjugés qui finiront par porter tort à son propre avancement car au cas où il l’ignorait la discrimination quelle qu’elle soit est punie par la loi. Son nom a consonance germanique n’est pas forcément plus séant qu’un autre et il ne suffit pas à combler son manque de valeurs morales. Et toc, bien mouché le donneur de leçons xénophobe. Pour des raisons évidentes, les parents adoptifs de Bébé ont accolé leur nom de famille au sien. Accolés seulement pour des raisons administratives, mais aussi parce que Philip et Dorothy tienaient plus que tout à ce que la fratrie conserve son identité première. Les enfants une fois devenus adultes leur sont infiniment reconnaissants. J'ai fait de mon mieux car je vise une bonne moyenne. Le loup rôde, même pas peur…

    ENTRe SaGeSSe eT BoN SeNS... 12 Novembre 2017

    ...Des années durant j’ai été réélue miss Jérémiades. Il y a trop longtemps que cela dure!
    L’exploration de mon moi profond me déconcerte. Avec le recul et l’aide bienveillante de ma thérapeute je perçois enfin le bout du premier tunnel. La somme de mes contradictions est ce qui fait de moi ce que je suis. Carrément désorganisée du bulbe me dit régulièrement Samuel. À la moindre de mes contrariétés je rejetais la faute sur Christian, cela m’évitais de trop réfléchir et surtout, le rôle de victime m’a longtemps convenu car cela me permettait de nourrir mes peurs. En même temps ce sont ces même peurs qui m’aidaient à poser les pieds au sol chaque matin.
    Puis un jour mon statut de personne assistée m’est devenu insupportable.
    Moi que tout effrayait, la promiscuité autant que l’isolement, les déclarations vengeresses d’un fou furieux que je prenais pour argent comptant et surtout ma propre violence, j’ai pris mon baluchon et je suis partie à l’aventure en pensant que cela résoudrais tous mes problèmes. Grossière erreur car j’en ai rapporté d’autres avec moi. Nadège a fini par me faire admettre que c’est mon périple en Amérique du Sud qui m’a fait apprécier mon séjour dans la rue. Je m’étais créée une passerelle entre deux mondes afin de pouvoir me choisir un avenir, mais à mon retour je n’ai pas su comment m’en servir et je suis retombée dans mes travers. En pire.
    Miss Jérémiades est morte sans que je m’en aperçoive, cela m’apparaît comme une évidence, ce ne sont plus que des murmures de pessimisme qui assaillent mes pensées. La peur panique, celle qui me saisissait à l’idée de croiser Christian n’est plus aussi prompte à se manifester. Je n’oublie pas qu’il m’a solennellement promis hors témoin qu’il m’enverrait au cimetière dès qu’il en aurait la possibilité. Jouer de ma terreur était bien plus efficace que ses coups. Aujourd’hui, la morsure de l’emprise ayant disparu, je suis à même de réfléchir posément. Ma mort, qu’aurait-il à y gagner maintenant, quatre ans après sa sortie de prison? Et c’est cette réflexion qui me permet de voir clair en moi, au fil du temps le sommeil éternel ne me semble plus aussi séduisant, mais je l’accepterais quand le moment sera venu.
    Parlez du diable et il apparaîtra disait ma grand-mère.
    Quand on pense au loup on en voit la queue, cela n'est pas très élégant pourtant c'est la seule chose qui me soit venue à l’esprit en me heurtant à Christian. En manque de fruits, de pain complet et d’autres petites courses je décide de me rendre en coup de vent à l’épicerie du bourg. Idée peu judicieuse ce jour-là, car une fois encore je me retrouve nez à nez avec Christian. Pourquoi a-t-il fallu qu’il vienne acheter son Schweppes et ses bières brune dans la même épicerie que moi? Il n’y en a qu’une au bourg alors ce n’est que coïncidence. Mon ex-mari remporte la palme d’or des goûts particuliers, comme si la bière brune n’était pas assez amère, il y rajoute du Schweppes.
    Mon panier rose fluo à la main je traverse allègrement les deux allées du petit commerce sans prêter attention aux pipelettes qui occupent les lieux une bonne partie du temps d’ouverture. Toujours les mêmes, celles qui ont juré sur leur Grand Dieu que jamais elles n’ont remarqué mes ecchymoses. Autant dire que ces vachardes là je ne les salue pas. Je sens leurs regards dans mon dos, mais c’est leur silence soudain qui m’alerte.
    - Salut Mylhenn, tu n'as plus peur de sortir seule maintenant? Tu veux peut-être que je t'accompagne jusqu'à ta belle voiture? Je sursaute en entendant sa voix, Christian me fait face. J’en suis la première surprise mais je parviens à croiser son regard. Par ses provocations il espère me déstabiliser pour que je perde contenance devant les commères du quartier qui n’en ratent pas une miette. En plus des promotions, ma confrontation avec Christian doit être du pain béni ces vieilles peau. Sans me l’expliquer, je ne me sens pas menacée par le ton sarcastique qu’il emploie ni par sa superbe. Ce sont l’appréhension et la méfiance qu’il lit dans mes yeux qui servent de moteur à son arrogance, cela l’amuse plus que tout, mais là il en est pour ses frais. Je lui tourne le dos, je récupère un dernier article sur le rayonnage et je me dirige tranquillement vers la caisse. Ce n’est qu’une fois à l’extérieur de l’épicerie que je me rends compte de ma bravoure, de ma stupidité. Et s’il lui était venu à l’idée de m’agresser, aucune des personnes présentes n’auraient pris ma défense. Je me rassure illico en pensant combien il est lâche dans ses actes. Je crois me souvenir que le sans témoin était sa routine. Une fois rentrée à la Petite Paix je n’ai pu m’empêcher de verrouiller ma porte.
    C’est une fois au calme que j’ai analysé calmement la raison de ma contrariété, le pourquoi du trouble que je ressentais encore. Et en mettant le doigt dessus une peur rétrospective m’a assailli, c’est en transe que je suis allée vérifier si chacune de mes fenêtres était bien fermée. Christian était accompagné de l’un des hommes qui m’avaient menacé en son nom. Je ne l’ai pas reconnu immédiatement, le regard déplaisant, sale comme un pou et alcoolisé, Alexandre, Ali pour les intimes, m’a dévisagé comme si j’étais une extra-terrestre. Plus que cela, une proie.
    À présent j’affronte Christian du regard ce dont je me sens pas peu fière, mais il m’est impossible de répondre à ses insultes ou à ses intimidations, la frousse de la gifle ou du poing qui m’étourdira restera à perpétuité en moi.
    En m'installant à la Petite Paix je savais Christian à quelques kilomètres à vol d’oiseau de moi. Cependant mon cerveau a négligé de me faire savoir que je rencontrerai forcément mon ex-mari au détour d’une rue ou d’un commerce, le hameau étant d’une superficie modeste. L’injonction d’éloignement ne coure plus alors j’imagine qu’il en profite pour jouer au chat et à la souris, mais mon instinct me commande de ne plus de fuir. Je m’efforce de l’écouter.
    Que celui qui a peur des feuilles ne se rende pas au bois dirait ma Pat. Il en est hors de question que je m’enferme, j’ai pris goût à la forêt, à ma nouvelle vie. ’'Je la taquine, ce n'est pas du harcèlement, au pire une piqûre de rappel’’, voilà ce que Christian a répondu à Samuel lorsque celui-ci lui a demandé de se tenir éloigné de moi. Je ne comprends même pas pourquoi Sam lui adresse encore la parole? Va-t-il comprendre un jour qu'il a à faire à un déséquilibré?
    Le temps est exécrable et glacial., mes méninges sont sur pause.
    Sans grande conviction je me suis installée devant la télévision et je zappe d’une chaîne à l’autre lorsque je tombe sur un reportage qui traite des violences faites aux femmes. Leur histoire d'amour a tourné au cauchemar, titre original s’il en est un. Propos de psychiatres à chaque témoignage d’une nouvelle victime, reconstruction et ce que ces femmes sont en droit d’attendre de la justice. C'est la meilleure émission que j'ai visionné en dix ans sur le sujet. Sans doute parce qu’on parlait enfin de la réalité de mon vécu. Je n’étais plus l’unique, celle qui n’a pas compris ce qu'il était, celle à être restée avec son bourreau en espérant le voir changer un jour, celle qui a mis des années à se reconstruire avec des idées suicidaires en tête et celle à qui il a fallu renouveler sa confiance en l’homme. L'une des participantes, il y a quatre ans de cela son compagnon avait tenté de la noyer, expliquait que lorsqu’on élevait la voix près d’elle, elle ne parvenait toujours pas à maîtriser son désir de s’enfuir à toutes jambes. Moi c’est le désir de violence qui m’assaille parfois.
    J’ai reçu le résultat de mon contrôle d'aptitude et je le trouve correct pour un premier essai, treize sur vingt.
    Il m’a été attribué un travail personnel afin de m’améliorer dans les dialogues, pour cela je dois étudier les verbes de paroles en lisant des auteurs qui utilisent ce procédé, donc Simenon et Agatha Christie m’attendent sur la table du salon.
    Ma thérapeute constate une légère régression dans mon meilleur. Cause à effet? Avoir plusieurs fois été mise en présence de Christian y est certainement pour quelque chose. Pas que.
    Loin de mes pensées étaient les détraqués qu'il avait lâché à ma poursuite lorsque j’ai été exfiltrée en région lyonnaise pour ma soi-disant sécurité. Du moins je le croyais, ces gens-là m’ont terrorisé en me menaçant des pires représailles si je persistais dans les poursuites judiciaires engagées contre Christian. Ma faiblesse a été de les croire car la plupart étaient des collègues de travail de mon ex-mari qui eux aussi possédaient un port d’arme. L’agence de sécurité privée où travaillait ces dingues exigeait de leurs employés qu’ils disposent d’un port d’arme à titre personnel et finançait une formation par an pour l’utilisation d’une arme en service de protection. Je suppose que c’était une façon détournée de se dédouaner en cas de pépin alors j’ai applaudis des deux mains quand j’ai su que la société avait cessé toute activité. Au plus mal il m’est arrivée de penser que le décès de ma Sonia pouvait leur être imputé. Ce doute m’a longtemps rongé.
    Ma raison a repris le dessus, j’ai compris que mes angoisses non avouées, parfois si profondes que je les méconnais, étaient ma faiblesse. À certains moments je me trouve inexcusable de n’avoir pas su résister aux châtiments que m’infligeait mon ex-mari et le passé vient me tourmenter. Heureusement cela ne dure jamais très longtemps. Ces dernières semaines Nadège remet l’accent sur mes contradictions, pourquoi la rue, pourquoi un comportement risqué alors que mon indépendance financière était assurée? J’avoue que je suis incapable de lui donner une réponse valable.
    Bébé a rendez-vous avec d’anciens collaborateurs pour une soirée PPCW. Un écart auquel il se livre une ou deux fois l’an, Poker, Pizza, Cigare, Whisky. Il s’en est manqué de peu que je sois asphyxiée par la fumée de leurs cigares l’unique fois où Ash a réuni ses collègues en ma présence. Ma contribution à cette soirée avait été de confectionner des pizzas maisons, les premières que j’accommodais depuis mon ‘‘accident’’, je n’étais pas peu fière des compliments que cela m’avait valu. Ash n’a jamais réédité, je me relevais à peine d’une pneumonie et une brume épaisse parfumée aux forts relents de tabac avait envahi l’appartement. Je dois reconnaître qu’en ce qui me concerne ce n’est pas l’atmosphère enfumée qui m’avait le plus dérangé ce soir-là. Je l’écris sans m’autocensurer, certaines des fréquentations de Bébé sont imbuvables.
    Pétris d'orgueil, imbus d'eux-mêmes ces hommes se croient investis d'un pouvoir surnaturel . Du moment ou Ash m’a informé de la teneur de sa fonction, il a toujours tenu ma discrétion pour acquise. Ce soir-là ces messieurs en sont venus à s’exprimer sur le dossier compliqué qu’administrait l’un d’eux et celui-ci m’apercevant a émit la phrase de trop. Cela concernait ma présence, mes oreilles indiscrètes. Ash l’a assuré de mon honnêteté, de ma capacité à comprendre que ce que je pourrais entendre de leurs échanges ne se divulgue pas à tout vent, mais ce crétin arriéré a refusé net de poursuivre la discussion. Ash a très mal pris le peu de considération que ce rustre m’accordait, pour lui je n’étais que la blondasse qu’Ash se tapait en attendant la suivante. Vulgaire mais réaliste, depuis Bébé me tient éloignée des prétentieux, des confrères matadors et auxiliaires méprisants. Je n’ai pas à côtoyer la faune spécieuse de sa profession m’a-t-il dit. À présent le tournant qu’a pris sa carrière me satisfait pleinement, il bénéficie du respect et du succès qui lui sont dû.
    Camilla, chère petite Camilla, sans elle la vie serait sans saveur.
    Le week-end, Hailie et Hylam aiment se détendre en famille lorsque leur carnet de galas le permet. Ils apprécient tout particulièrement la simple balade qui dirige leurs pas sur le millénium Bridge, non loin de leur domicile. Cette passerelle est devenue encore plus célèbre depuis que celui dont on ne doit pas prononcer le nom l’a fait voler en éclat.
    Hailie et Ash essaient de me convaincre que la vue y est exceptionnelle, mais je me refuse à tenter la balade. Depuis mon expédition en Amérique du Sud j’ai du mal à franchir ce genre de construction. Il me faut préciser que mes pas m’ont de nombreuses fois conduit dans des contrées où de simples ponts fait de cordages et de planches permettaient de traverser des gorges vertigineuses ou des torrents bouillonnants. À voir gambader les autochtones sur ces assemblages de fortune je me disais que je ne risquais rien à les imiter et puis un jour je me suis retrouvée les fesses à l’air, les pieds dans le vide alors après coup tout ce qui est pont ouvragé me donne des sueurs froides.
    Et le Millénium n’est ni plus ni moins qu’une passerelle à mes yeux.
    Bref, Camilla trottinait allègrement devant ses parents sur ledit Millénium, impossible de lui faire donner la main comme à son habitude. Le monument est très fréquenté le dimanche et ce qui devait arriver arriva, la gamine se mêle à un groupe de touristes et disparaît en un éclair. Ce sont ses cris perçants qui ont guidé les pas de ses parents vers elle. Un brin affolés ils l’ont récupéré qui se querellait avec un couple de personnes âgées. Ces gens s’étaient rendus compte qu’elle n’était pas accompagnée. Camilla toute en larmes et en hurlements tenait tête aux inconnus qui voulaient la prendre par la main pour la conduire auprès d’un policier. Si seulement cela pouvait lui avoir servi de leçon.
    Hylam surnomme sa fille infernale Xéna et franchement cela lui va comme un gant, elle n’a peur de rien. Peut-être devrais-je lui parler de la Rafagnole, cette bête descendu tout droit d’un croisement entre le dahu et le croquemitaine. Ce monstre né en Provence, Maë Lynette nous menaçait de l’appeler quand Miriette et moi étions trop intrépides. Toutefois je doute sérieusement que cela soit suffisant pour effrayer Camilla, elle adore les contes à faire peur.
    Mon havre, mes résolutions. Affronter mes craintes...

    MoN GRaND HoMMe… 20 Novembre 2017

    ...Londres est son point de chute professionnel, pour lui la solution est toute trouvée. Je repousse l’échéance!
    Chaque fois que Bébé prend la route une tempête ravage mon bon sens. Son choix de carrière implique qu’il soit ‘‘instructeur d’investigations’’ suppléant sur deux services de grande importance dans deux pays différents et je supporte de moins en moins de le savoir sur l’asphalte, les longs trajets qu’il s’inflige me minent.
    Penjÿ est encore trop présent à ma mémoire, l’état de la voiture du meilleur ami de Bébé après l’accident pour être plus précise. À ce sujet, Ashlimd et moi avons la même conversation et l’aurons encore dans un mois puis un autre. Je ne nomme Bébé par son prénom que quand il m'exaspère et là il ignore mes recommandations car il ne voit pas les choses comme moi. Le savoir fatigué, conduisant un bolide à pleine puissance me terrorise, mais il m’affirme que c’est de cette façon qu’il parvient à faire le vide dans sa tête. J’en frissonne.
    Il y a eu les années stage, les longues séparations pour cause de formations, les séjours de perfectionnement et maintenant une fonction transitoire prenante. Ash travaille très dur pour honorer la promesse qu’il s’est faite étant tout jeune homme et celle engagée sur l’âme de Penjÿ alors une fois encore je vais taire mes émotions et faire confiance à la résistance du grand homme. Je ne profite jamais totalement de sa présence en sachant qu’il doit repartir et il m’est impossible de contrôler l’appréhension qui m’envahit quelques heures avant chacun de ses départs. Ce sont ses récents trajets sur Cologne en voiture de location qui une fois encore m’ont poussé à affronter l’acharné de l’asphalte.
    Cette fois-ci il est de retour à point d’heure, épuisé par ses longues journées de travail. Il dépose le porte-documents qui contient ses sacro-saintes chemises tamponnées rouge sang sur la table du salon en me recommandant de ne pas y toucher. Pas maintenant, pas hors de sa présence. Ce doit être encore du gratiné.
    Je ne lui laisse pas le temps de décompresser, d’entrée je rentre dans le vif du sujet. Pour me rassurer il me promet d’être prudent, mais ce n’est pas ce que je veux entendre. Finalement nous signons verbalement un compromis, il prendra plus souvent les transports à sa disposition et j’irais passer quelques jours à Londres lorsqu’il aura du temps à me consacrer.
    Ash est trop raisonnable pour être sincère mais je vais lui laisser le bénéfice du doute. Il ne peut confier son étoile qu’aux soins délicats de James qui consacre un jour par semaine de son temps à choyer le parc automobile de ces messieurs. Ça je m’en doutais, Bébé et sa voiture c’est de l’ordre de l’ineffable, aucun mot ne peut exprimer la relation qu’il entretient avec son joujou. Ceci écrit, James devra uniquement extraire du garage la Mercedes de monsieur Ashlimd, il pourra l'astiquer avec tendresse puis il la remisera à nouveau dans son luxueux box, près de ses semblables. Les hommes de la famille sont tous des passionnés de voitures de luxe et parfois c’est très pesant quand l’on veut passer inaperçu.
    Or donc, l’apaisement est de mise, Bébé s’est fait conciliant et … libertin. Je réalise que je suis plus qu’attachée à ce zigoto, moi la peste qui veut toujours avoir le dernier mot, je capitule rapidement car ses pantalonnades sont imparables. À savoir qu’une relation qui ne se construit que sur le sexe n'a aucune chance de durer. Fort heureusement pour nous, Bébé et moi partageons bien plus que la découverte des mystères du pantalon de l’homme, sinon la flamme qui nous consume ne résisterait pas à l'éloignement. Les sentiments qui unissent un couple doivent être entretenus si l’on veut qu’ils perdurent.
    ‘‘Le secteur est très calme avec ses nombreux parcs alentours’’ me dit Ash. Il cherche à me convaincre d’aménager quelques semaines aux Aspidies, plusieurs fois l’an, en me prenant par les sentiments.
    Boutiques chics, rues ombragées, restaurants en terrasse, le tout proche du centre. De charmants petits cottages colorés côtoient de grandes maisons aux jardins immenses, des accès en bord de Tamise et des sentiers bitumés offrent de superbes balades. Il y a de nombreux pubs pour se rafraîchir ou se réchauffer selon la saison. Il y a également un club de sport où Ash pourra vider son trop-plein d'énergie en faisant de nombreuses longueurs dans la piscine privée. Oups, j’allais oublier le marché de produits bio et un restaurant français. L’énumération des avantages que comporte le quartier que me fait Bébé est digne d’une publicité visant à attirer les futurs résidents du lieu.
    Oui mais voilà, je me refuse catégoriquement à abandonner la Petite Paix, là sont mes nouveaux repères. Et par dessus tout je fais confiance aux spécialistes qui me suivent à Montpellier, alors entreprendre un second parcours de santé au Royaume Uni alors que je n’y résiderai que cinq à six semaines l’an me paraît absurde. Seulement mes arguments sont bien faibles pour refuser d’accompagner Ash à Londres, pire encore, pour clore la discussion il use d’un coup bas auquel je ne m’attendais pas. Rien de cruel, c’est plutôt une main tendue de leur part et mon air ébaudi en entendant cette proposition inattendue le divertit au plus haut point.
    L’aménagement de l'appartement de l’oncle Donald? Surprenant, flatteur, à considérer…

    QueLQueS ReMaRQueS… 25 Novembre 2017

    ...Mon prénom est Mylhenn, je suis alcoolique. Et il m’offre un Château Montbazillac hors de prix!
    Pas question ce matin pour Ma Canaille d'aller caracoler dans le vignoble, il pleut à seaux. La rumeur de la pluie sur les tuiles et les bûches qui protestent dans la cheminée m’ordonnent de rester sous la couette. Je me suis rendormie. Un bien agréable petit-déjeuner m’attend à mon réveil. Un thé blanc dans mon mug isotherme, deux pancakes au sirop d'érable et une poire découpée en quartiers. Bébé me gâte. Je dirais plutôt qu’il m’oblige à prendre cette collation car je fais disette depuis pratiquement vingt-quatre heures. En fait ce petit dèj est un ultimatum avant une sévère remontrance. Ash va-t-il lâcher prise un jour? Comprendre que ma relation à la nourriture est compliquée? Son rien de contrainte m’a obligé à me faire violence et maintenant mon estomac se rebelle. Je me sens bouffie et … sans enthousiasme je me glisse sous la douche. Je suis revigorée et prête à travailler les derniers écrits que je dois rendre prochainement. Ma raison m’y force, mais dans un moment d’égarement j’allume le téléviseur. Bien mal m’en prend, la diarrhée verbale des médias me noie sous un bla-bla politique bien rôdé.
    Aujourd’hui, ces messieurs viennent de ‘‘découvrir’’ qu’il faut mettre en place de nouvelles réformes à l'intention des femmes victimes de violences conjugales. Une fois de plus je suis agacée d’entendre les mêmes inepties, tout est présenté sur le même plateau, Sexisme, Harcèlements dans les transports et au travail, Viols et Violences conjugales. Un joli package que ces gens mettent régulièrement en exergue pour leur tranquillité d’esprit. J’en fait le pari, dans deux ou trois ans l’on en sera toujours au même point. Si en parler suffisait à faire avancer les choses, cela se saurait. Rien ne bouge depuis des décennies. Les violences conjugales doivent être traitées en urgence avec un protocole spécifique. Il y a peu, les femmes violentées et maltraitées n’étaient pas reçues correctement et ne le sont toujours pas dans certains commissariats. Le manque de moyens et de personnel à bon dos. La dénonciation d’un mari violent se fait en état de choc pour la victime et sur fond de perplexité de la part de celui qui reçoit la plainte. Solidarité masculine oblige, cela fait encore rire, de moins en moins je l’espère.
    Jusqu’à présent la plupart des associations était incapable d’accueillir correctement les victimes. Pour l’avoir vécu il n’y a pas si longtemps, je peux dire que ce dont aurait le plus besoin les bénévoles ce serait d’une solide formation. Malgré toute la bonne volonté de ces personnes, l’aide spontanée offerte est parfois plus anxiogène que bienveillante.
    La honte nationale disent-ils, c'est très beau à entendre mais cela n’apportera rien de concret j’en suis persuadée.
    Le show est bien huilé, ne serait-ce que par la minute de silence dédiée aux cent-vingt-trois femmes décédées l’an dernier sous les coups de leur compagnon. Dois-je rappeler que des hommes aussi sont maltraités, harcelés et battus, mais eux sont royalement ignorés. Et une dernière mise au point me paraît nécessaire, la maltraitance se retrouve dans toutes les couches de la société. Médecins, Architectes, Professeurs, Maçons, Artistes, Infirmiers ou Fonctionnaires de police, pas seulement chez l’ouvrier besogneux qui a bu un petit coup de trop. Il se dit tellement d’inepties sur les maris violents que je me vois obligée de préciser que dans mon cas, mon ex-mari était employé dans une agence privée de sécurité, qu’il prenait une douche, parfois deux, tous les jours et que ce n’était pas un alcoolique notoire.
    Inciter les femmes battues à pratiquer le Krav-maga, ils sont sérieux là?
    Cette technique de combat viserait à se débarrasser d'un adversaire belliqueux par la gestion du souffle et du stress. Mis à part un bon coup de pied dans les gonades, et encore, aucune femme maltraitée n’engagera un combat à la Bruce Lee après avoir reçu des coups de poings et des coups de pieds. J’ai essayé croyez-moi. Et autre réflexion personnelle, le compagnon violent n’autorise pas sa femme à pratiquer un hobby, il l’isole rendant impossibles tous contacts extérieurs. Alors quand s’entraîner? Les coups tombent par surprise, malmenée parfois violée, aucune n’a assez d’énergie pour se défendre. Déjà faudrait-il qu’elle anticipe le coup de poing ou la correction qui s’annonce et en ce qui me concerne je ne savais jamais d’où cela, ni à quel moment la première salve allait venir. Les lâches attaquent et sonnent leur victime pour qu’elle soit d’emblée à leur merci, alors aucune n’engagera un corps à corps avec son agresseur, c’est inenvisageable. Elle n’a déjà pas la force de le quitter alors comment trouverait-elle celle de lutter pour sauver sa vie?
    Pour faire court, j’ai perdu mon temps à écouter un énième verbiage sans lendemains.
    Monsieur J. s’est invitée à l’improviste pour le déjeuner. Il est ébranlé par les visites qu’il rend à sa femme, le plongeon dans l’univers psychiatrique bouscule ses certitudes. Me connaissant tellement peu, la seule idée de cadeau qui lui soit venue à l'esprit est une bonne bouteille. En même temps c’est logique pour l’heure à laquelle il est arrivé et cela partait d'un bon sentiment. Le fait est que je ne garde aucun alcool à la maison. Je réussi à grand peine à garder le cap avec cette fichue vodka, alors c’est Bébé qui se charge des alcools lorsque nous recevons.
    Ma dépendance, un combat de chaque jour.
    La Joce est en maison psychiatrique ouverte, en gros elle ne bénéficie pas du port de la camisole qui lui irait si bien. Je suis consciente de l’horreur de mes écrits, mais pour moi elle n’a obtenu que ce qu’elle méritait. Mon père ignore tout des excès de sa femme, de sa cruauté mentale, de son acharnement à me fracasser quand j’étais enfant puis adolescente. Jamais de coups à part quelques gifles, les mots suffisaient à m’anéantir. Christian m’a fait interner dans un établissement de ce genre, selon lui j’étais dangereuse pour les autres, sous-entendu pour lui, et pour moi-même. J’avais osé lui résister, j’étais parvenue à le fuir, il m’a retrouvé et m’a frappé au bon endroit ce qui ensuite lui a permis de me faire admettre en urgence psy. Je me demande encore comment l’on a pu gober l’invraisemblance des explications qu’il a donné à l’expert qui m’a examiné? Je me suis retrouvée sous bromazépam en deux temps trois mouvements avec les nombreux effets secondaires que cela comporte. Ceci dit la sensation d’ivresse que je ressentais a certainement été l’élément déclencheur de mon alcoolisme. Ensuite il m'a fallu attendre l’autorisation d’un juge avant de pouvoir sortir de cet enfer.
    Il règne une telle misère humaine dans ces établissements que s’en est affligeant mais je me refuse à user de compassion envers ma belle-mère bipolaire. Il existe des traitements pour la soulager, mais cette crétine y a sciemment renoncé, préférant entretenir ses humeurs destructrices. J’ai en mémoire le drame qu’a vécu une ado de quinze ans, elle en était à sa troisième tentative de suicide, un appel au secours, banal selon les psys car il arrive que l’adolescence se passe mal. Sauf que la gamine s’est jetée du cinquième étage deux jours après son retour chez elle. Il y a eu enquête, les langues se sont déliées et il s’est avéré que cette jeune fille avait été abusée plusieurs fois par son beau-père. Un reportage a été diffusé aux actualités régionales sur ce fait divers. La psychiatrie n’est pas une science exacte, le cerveau humain est complexe et il existe une multitude de codes à déverrouiller pour trouver ce qui amoindrira les affres d’un patient.
    La pluie a enfin cessé, Ash avait un trop-plein d’énergie à brûler, il est allé jouer au terrassier avec Marceau et Milo. Le cousin de notre voisin vit dans un grand mobile-home posé derrière le verger familial. Milo est un peu ours, mais pas de quoi s’inquiéter pour autant, il faut juste se faire à ses lubies. Hélène m’a raconté qu’une fois il avait rangé des bûches de bois dans leur congélateur de secours, vide heureusement et il n’a jamais su expliquer pourquoi il avait fait cela. Il passe la plupart de son temps à s’occuper de ses ruches quand il n’aide pas Marceau ou qu’il n’est pas victime de ses absences.
    Bébé nous est revenu couvert de boue, mais très heureux d’avoir participer à un travail d’intérêt général. Tous les résidents du quartier Alceste sont venus prêter mains fortes à Marceau afin d’entretenir la voie privée qui nous relie les uns aux autres. Tous à l’exception d’une famille qui doit appartenir à l'espèce des mammifères arboricoles que sont les paresseux. Ces gens ne participent jamais aux travaux communs. Ça jase dans le quartier car l’espace vert autour de leur maison ressemble à une jungle où l’on s’attend à tous moments de voir surgir un singe ou une panthère. Pire, le lieu grouille d’immondices et de carcasses en tous genres, ils ignorent également comment se servir des bacs de tri sélectif.
    Pachole et Chichi sont déchaînés. Le temps est à l’unisson…
    PaSSé Vs PréSeNT… 29 Novembre 2017

    ...Grâce aux effets de manches de son défenseur, la sanction qu’il méritait a été commuée en sursis. C’est affligeant!
    L’agression dont j’ai été victime était censée faire condamner mon ex-mari à une lourde peine, les séquelles dont je souffre sont loin d’avoir été évaluées avec justesse, ce ressenti d’injustice m’a longtemps poursuivi à sa libération.
    En fouillant parmi les premiers écrits que j’ai rédigé pour ma thérapeute, j’ai retrouvé celui-ci. Certes j’y exprimais mon déchirement de façon maladroite, mais c’est grâce à ces lignes que j’ai pu libérer ma parole.
    « TOUTES sans exception, dès que la première gifle est tombée pour une broutille, un gant de toilette oublié, une assiette mal lavée, ont accepté ses excuses, déposé les fleurs reçues dans un beau vase et pardonné une première fois. TOUTES.

    CERTAINES, à la deuxième volée pour un repas qui ne vient pas assez vite ou une chemise oubliée au pressing tentent de raisonner leur bourreau, lui trouvent des excuses. Elles pardonnent une seconde fois. CERTAINES.

    D'AUTRES, abandonnées inertes sur le carrelage, le visage en sang et quelques côtes cassées prennent enfin conscience de que va être leur vie. Surtout ne plus jamais le contredire. D’AUTRES.

    AUCUNE ne pourra quitter son bourreau, renonçant à porter plainte parce que terrorisée, anéantie moralement, violentée. Elle doit se faire oublier, accepter. AUCUNE.

    MOI, détruite par ses sévices et ses corrections journalières j'ai survécu aux coups, aux meurtrissures et aux ecchymoses. J’étais sa merveille, je lui servais à la fois de punching-ball et de Baby-Doll jusqu'à ce qu’il m’anéantisse. MOI.

    EUX, bien planqués derrière leur bureau reçoivent les victimes des pervers narcissiques avec condescendance. Ils laissent ces pauvres femmes en état de choc accomplir des démarches dont elles ont honte. EUX.

    VOUS, une fois par an vous croyez user de compassion en fulminant contre les assassins qui massacrent leur compagne. Vous dénoncez publiquement les violences faites aux femmes. Puis vous nous oubliez jusqu’à la suivante. VOUS.

    LUI, il a profité de la clémence des membres d'une commission de libération faute de place dans sa maison d’arrêt. De loup il s’est fait agneau, il sera bientôt à l’affût de sa prochaine proie. LUI. »

    J’ai vécu la levée d’écrou de Christian comme une trahison. Les mois qui ont suivis je me suis terrée dans les endroits les plus fous de peur qu’il ne tienne sa promesse de m’en faire baver lorsqu’il serait libéré. J’avais de quoi avoir peur car même sous contrôle judiciaire il allait et venait à son gré. Dans le cadre d'une surveillance de sûreté il avait obligation d'un suivi psychiatrique qu’il n’a jamais respecté. Les déplacements qui lui étaient autorisés ne concernait que le trajet allant de son domicile au centre hospitalier où son avocat lui avait trouvé un emploi d'agent de blanchisserie, et retour en fin de service. Pourtant chaque soir il restait des heures au bar sans que la moindre sanction ne lui ait été infligée.
    Six mois après sa sortie il a été pris dans une rixe et il a évité la condamnation qui s’imposait grâce à l’un de ses copains qui a tout pris sur lui. Tous les pervers narcissiques du monde ont encore de beaux jours devant eux m’étais-je dit à l’époque des faits. J’ai été trompée par la justice et j’en éprouve encore ce sentiment.
    Je me suis remise au travail, mais j’ai du mal à me concentrer. Le faîte du cirque nous envoie ses premiers frimas et ça pèle vraiment. J'ai allumé les convecteurs et la cheminée dès notre retour des terres ou je me suis prêtée à un repas de famille. Entre les farcis de la cousine Pierrette, la daube de Lucienne et la socca d’Anaïs il va me falloir des litres de thé pour éliminer tous ces plats riches d’amour que confectionnent mes tantes et mes cousines.
    La vérité est que pour ne pas les vexer lors de ces agapes, je goûte une cuillerée de tout, ensuite c’est l’enfer. Cette fois les tantines ont dégainé l’arme ultime pour le dessert, une tropézienne.
    Mais qu’est-ce qui m’a pris d’en savourer une grosse part? Je vais exploser.
    Lors de ces repas le cake aux figues de Maë Lynette me manque terriblement, elle était la seule à réussir une croûte caramélisée autour du biscuit fondant à l’intérieur. L’absence de mémé se fait parfois sentir, à la Petite Paix je me sens encore sous sa protection. Maë Lynette était celle qui pansait mes blessures, qui essuyait mes larmes de femme désespérée, qui me mettait en sûreté afin que les acolytes de mon mari ne me retrouvent pas et qui me recueillait en manque de ma chère Provence. J'avoue que j'ai eu du mal à écouter les uns et les autres parler d'elle comme de la farfelue du canton, malgré ses soixante-dix-huit ans elle était très jeune d’esprit. Je retrouvais un peu de maman en elle.
    J’abandonne, Marguerite Duras et son amant me deviennent soporifiques. J’ai essayé de faire passer la pilule avec Les pêcheurs de Perles en musique de fond, mais cela reste les cent trente-cinq pages les plus longues de ma vie. Je ne suis pas sotte, c’est de la très bonne littérature, mais ce n’est tout simplement pas ma tasse de thé.
    J'ai été tenté un bref instant de reprendre une correction de l’analyse de La Métamorphose sur le net. Le regard à la fois goguenard et désapprobateur de Bébé plus un rien de mauvaise conscience m'en ont dissuadé. Le cafard m'a flanqué le bourdon. Oui je le reconnais, c’est limite. Les professeurs nous shootent à la littérature de haut vol avant les fêtes, avec ce programme je me sens revivre. C’est ce qu’il me faut pour me détacher de la vodka qui se rappelle à moi ces jours-ci.
    Comme je le disais précédemment, une lutte de chaque instant.
    Lorsque j’ai des difficultés pour m’endormir je rôde comme une âme en peine dans le couloir de l’étage. Celui-ci est encombré par un bahut et par la cantine en cuir de Penjÿ, Ash y tient comme à la prunelle de ses yeux. Quand Bébé a quitté son appartement il y a entreposé ses vieux livres de droits, des plaidoiries manuscrites et de nombreux ouvrages traitants des Dieux dans l’hindouisme. Depuis trois semaines il vampirise ma bibliothèque avec une publication hebdomadaire en douze fascicules au titre alléchant de Spiritualité et religions dans le monde. Qui peut bien lire ce genre d'ouvrage à part lui? Je souhaite vivement que ces cahiers trouvent leur place dans la malle une fois lus. Dissimulé par un fatras que je ne me risquerais pas à énumérer, j’ai découvert dans le bas du buffet le fusil de chasse de mon grand-père. Il était enveloppé dans la couverture de Starlette son épagneul qui le suivait même aux toilettes. Miriette et moi le prenions dans notre chambre les soirs d’orage. Comme son nom l’indique l’animal était un mâle.
    Baskets, jogging moulant, T-shirt de sport et une serviette sur la nuque voilà mon Pain d’Épices prêt pour caracoler entre sarments et oliviers dormants malgré le froid ambiant. Moi, j’ai du sommeil à rattraper.
    Guirlandes et santons vont bientôt surgir des cartons. L’appel du vin chaud et du lait de poule se fait entendre...

    RéuNioNS FeSTiVeS… 14 Décembre 2017

    …Un réveil brutal et une fois éveillée le cauchemar se poursuivait. Respirer m’était insupportable!
    Pour ne pas avoir à revivre la douloureuse sensation de me noyer à chaque inspiration je refusais de m’endormir.
    Cette nuit cette impression de confinement m’est revenue et ce sont mes halètements qui m’ont réveillés. Les souvenirs associés à cette période sombre de ma vie ce sont mis à défiler en cascade et il m’a été difficile de reprendre le contrôle.
    Ash s’est rendu à Cologne pour quelques jours, mais il m’a promis d’être là pour les illuminations du huit décembre. Il a convié à l'appartement quelques-uns de ses collègues et amis à l’occasion de la fête des lumières. Se profile la convivialité d'une soirée arrosée raisonnablement ; ceci dit, selon Patricia il ferait très froid en Rhône Alpes alors autant se réchauffer agréablement. J'ai appris qu'un sans-abri était mort de froid aux environs du Grau du Roi dans la nuit de samedi à dimanche. Je suis atterrée car sur toutes les radios locales la tempête accompagnée de chute de neige était annoncée localement, et il n’est venu à l’idée de personne d’ouvrir un refuge de fortune? Hargne et grogne de ma part contre cette bande de … ne savent-ils pas qu’aux pays des cigales le froid peut se faire aussi mordant qu’un chien enragé?
    Les illuminations à venir ne me sont pas fête en perspective, Sonia était présente lors de celles que j’ai vraiment apprécié. Nous nous moquions d'être vêtues comme des crapules, nous écumions les bars et squattions les fêtes organisées par les associations. Trop guindées pour nous, le genre ‘‘voyez comme nous sommes compatissants’’ Nous offrons une soupe, un lait de poule ou un vin chaud aux démunis isolés. Les joyeux flonflons de chantonnaient l’air du ‘‘dès demain cachez cette misère que nous ignorerons pieusement jusqu’à l’an prochain’’ C’était à vomir. Loin de tout ce tralala Sonia et moi faisions table rase du passé jouissant d’une insouciance retrouvée le temps d’une nuit. Sonia disparue, je ne voyais plus l’intérêt d’aller à la poursuite des lumières colorées. L’ambiance Jingle Bell me faisait hurler et la vodka anesthésiait mon chagrin, je me soûlais à la limite du coma éthylique pour rendre hommage à ma Douce. Je me suis longtemps tenue éloignée de ces réjouissances, c’est dans le foyer de ma Pat que je me suis réconciliée avec les traditions, au début je supportais stoïquement la lueur des lampions qu’elle déposait sur ses rebords de fenêtres, puis peu à peu fantaisie et enchantement du moment me sont revenues.
    Mes os ont besoin de chaleur et une virée dans le froid polaire ne me dit vraiment rien. Confortable et chaude serait la tenue idéale pour affronter la soirée des lampions, mais si je veux que Bébé me dise une fois encore que je suis croquignolette, je dois sacrifier à la mode. J’adore l’invitation muette qui accompagne ces mots.
    Sam et Édith ont passé une semaine à Paris pour fêter leur première année de vie commune. Sur mon conseil ils se sont installés à l’hôtel où Bébé et moi descendons habituellement. À leur retour, ils sont venus me saluer et me remercier du tuyau. Samy m'a offert une boîte de thé Christine Dattner dans un collector laqué turquoise. Cent grammes d'un savant mariage de yuzu, gingembre et citronnelle. Sam sait joindre l'utile à l'agréable, ça décoiffe, j’apprécie ses petites attentions. Ash est de retour pile à l’heure du repas si bien que nous avons tous mis la main à la pâte. Dire que la tarte à la tomate confectionnée par Édith était à se damner n’est pas encore assez réaliste. La conversation a tourné en partie sur leur hôtel, mais en parfaite technicienne de labo qu'est la compagne de Sam, celle-ci s’est cru obligée de me donner un cours sur le thé et les deux zouaves se poilaient dans mon dos, mon ennui devait s’y lire. Je n’avouerai jamais à Édith que le thé blanc avec des glaçons aromatisés menthe m’est substitut à la vodka quand il m’est difficile de ne pas entendre cette vacharde me murmurer sa plainte à l’oreille. Ash n’a fait aucun commentaire, mais je sais qu’il a compris puisqu’il n’a servi que des bières sans alcool lors de la soirée. Nul besoin de prétexte à fournir, c’est Samuel qui me tient la tête hors de l’eau les jours où je ne suis pas loin de craquer.
    Une fois seule j’ai disposé mes santons sur la cheminée et sur le rebord de la fenêtre de la cuisine. Je suis envahie de nostalgie, la plupart de mes nids à poussière comme dit gentiment mon auxiliaire de vie, appartient à mémé et maman, ils se rattachent tous à un souvenir heureux. Florence rouspète, mais elle m'a offert le magnifique pêcheur et son filet. L'an dernier Pat m'a acheté le marchand d'ails dans un atelier spécialisé. La cueilleuse de lavande et le meunier me viennent de mes tantes. Je n’aime pas Noël c’est dit, mais ces belles figurines me réconfortent et je me sens entourée d’affection en les contemplant. Celle que me portait Maman et Maë Lynette.
    Cette nuit le sommet du Mourèze a été saupoudré d’une fine pellicule de neige. Comme du sucre glace sur un gâteau disait Maë Lynette. Deux degrés ambiants et pourtant me voilà transformée en flammerole. Entre la remise d’un partiel, les derniers cours de littérature et la confection de notre malle coffre je n’ai pas une minute à moi. J’ai trouvé un peu de temps pour rendre visite à Marceau afin de le réconforter. Comme tous les fans du chanteur, il vit le drame de sa vie, il pleure son idole disparue. Bien loin de moi l’idée de me moquer pourtant j’ai du mal à concevoir que l'on puisse s'attacher autant à une personne publique au point de la pleurer comme s’il s’agissait de la disparition d’un membre de la famille. C’est la signification profonde du terme fan alors je compatis à la tristesse de ceux qui appréciaient le grand artiste qu’était ‘‘le taulier’’. Un géant au talent reconnu me dit Marceau en soupirant, tout chagrin. Il se sent orphelin.
    Je me prépare au difficile exercice que sont les fêtes de fin d’année pour moi. Si je pouvais seulement en être exemptée cela m’ôterait une sacrée épine du pied. Flo m'accompagne en ville pour mes dernières emplettes et à peine mes achats commencés que je suis déjà gavée par les vitrines enluminées, les guirlandes scintillantes dans la zone piétonne et les chants de Noël qui se répandent dans chaque rue grâce à d'énormes haut-parleurs. Cette année la municipalité a encore frappé fort. Je me fais une raison, mais ça me coûte. Ma Canaille aime ces moments de paix où l'humain se laisse apprivoiser par les croyances de l'homme me dit-il. Durant cette période c'est comme si un voile se déposait sur les esprits afin de les apaiser. Bébé, tout à fait entre nous, tes lectures commencent à influencer ton jugement. Je vais ignorer et me rendre seule au cimetière comme tous les ans. Je ne peux partager ce trou béant dans mon cœur avec personne, pas même avec Ash. J'avais à peine six ans lorsque maman nous a quitté. Un début décembre aux prémices des lumières des illuminations. Lorsque les santons commençaient à être dépoussiérés et les sapins en attente de décoration. Ma peine s’est renforcée du départ de Miriette et de celui tout récent de mémé. Pour moi la période de Noël reste plus une épreuve qu'une fête. Cette année va être la pire de toutes. Ils sont une vingtaine de personnes à se réjouir de passer Noël au domaine. Je suis anéantie. Cela fait des lustres -seize ans exactement- que je n'y ai pas mis les pieds. Bébé aimerait que j'enterre la hache de guerre et que je profite de l’occasion pour lui faire découvrir les recoins secrets où Miriette et moi allions nous cacher pour échapper aux adultes. C’est énervant, mais je crois qu’il a raison de me pousser à exorciser une bonne fois pour toutes ces tourments qui me broient le cœur à chaque fois que l'on me suggère de retourner en ce lieu maudit. Cet été encore, j’ai refusé de les accompagner ses parents et lui lorsque monsieur J. les a reçus. Découvrir la cabane près de la rivière, parcourir les sentiers du vignoble et aller admirer le panorama qui s'étend à perte de vue aux abords de l’îlot aux mûriers. Cet endroit était une petite merveille dans le temps, dans quel état est-il aujourd’hui? La chapelle en ruines, ce serait un début. Depuis sa visite au domaine, Bébé rêve de s’essayer à la conduite de l’un des quads géniaux de monsieur J. Jubilation intense à venir pour mon homme, un rien l’amuse. Florence avait des airs de conspiratrice lorsqu’elle a sorti la housse de son coffre. Ce n'était pas une surprise en soi puisque je savais que la réalisation du couvre-lit confectionné à l'association était terminée. Cependant j’étais loin de m’attendre à ce que celui-ci se soit transformé en un magnifique édredon garni de duvet d'oie. Chacune des découpes de l'un des draps a été brodée en petits carrés vichy bleu, vert et blanc puis recousue entre elles et rajustée proprement sur l'autre drap. Le côté lit est en lin écru. Les sept gros boutons qui donnent plis et gonflant sont de véritables collectors. De jolies mouettes de quatre centimètres environ, faites-mains par un artisan local qui travail certains bois précieux. Ce duvet doit valoir une fortune en travail. Lorsque Flo l'a déplié sur mon lit j'ai versé beaucoup de larmes. Je pleure beaucoup ces derniers temps. J’ai arrosé copieusement la chemise de Bébé lorsqu’il m’a ramené de Cologne un superbe album pour y déposer les cartes postales anciennes de maman. Elles me sont tellement précieuses. Elles seront maintenues à l'abri des catastrophes et à portée de main, protégées par du papier de soie. Aussitôt les précieuses vues classées, j’ai déposé l'album sur la corniche de ma tête de lit. Ma Canaille dissimulait un autre présent dans ses bagages. Quand j'étais petite fille, Miriette et moi recevions un calendrier de l'avent chaque premier décembre. Je crois même avoir aperçu certaines des figurines qu'ils contenaient dans une boîte à biscuits au cellier. J’ai passé l’âge de recevoir cette éphéméride enfantine, pourtant là Bébé m’offre le must, un superbe coffret contenant les incontournables en version mini d’une marque de luxe. Pas des échantillons, mais un vrai produit de soins pour chaque jour jusqu’au réveillon. Cette marque de prestige est confidentielle et surtout n’est diffusée qu’en salons d’esthétiques. Une raison pour pleurer?
    Six heures trente, une douche rapide, du thé bouillant dans un mug isotherme et une ampoule hydratante aux huiles essentielles et correctrice anticernes plus tard, je suis prête à partir. Bébé a le feu aux fesses. Soit mon Pain d’Épices a bouffé du lion, soit son âme d’enfant à pris le dessus. Portes-lès-Valence, un temps de chien, une pluie fine et glaciale.
    Un muffin à la myrtille pour moi, un petit-déjeuner pantagruélique pour le postillon et fouette cocher. Dix heures quinze, Villeurbanne ici Villeurbanne. Bébé réussit à se faufiler dans les embouteillages et nous atteignons le portail du garage privé de la copropriété sans encombre. La conduite en région Lyonnaise est assez sportive alors un incident est toujours à craindre, ma petite Swift en a souvent fait les frais. William cette buse nous attend, vautré tranquillement dans le canapé alors qu’il devait réaliser une partie de la décoration et préparer un espace pour y disposer les deux tables du buffet. Je reste zen car je dois reconnaître que grâce à lui l'appartement de Bébé est correctement entretenu. Ash en aurait été malade s’il avait dû s’en séparer. Son jeune collègue a été une alternative inespérée car la vente était quasiment programmée. Malgré l’épisode S500 Ash a compté son locataire parmi nos hôtes. William est un bon bougre en définitive. Je suis allée dans la salle de bains pour me changer et j'ai découvert un soutien-gorge sur le couvercle de la panière à linge. Soit Will a changé de sexe, soit il a une amie. C’est de son âge après tout et cela ne me regarde pas. Je me suis installée dans la mezzanine pour préparer nos tenues pour la soirée. Bébé a râlé quand je l'ai obligé à prendre son cuir, mais maintenant il me remercie. Le chauffage fonctionne correctement et heureusement car à l’extérieur il fait glacial. Il paraîtrait même qu’il a neigé il y a deux jours de cela. Les garçons s'en sont sortis comme des chefs pour aménager l’espace. Ils ont déposé la vaisselle et les couverts dans des panières décorées, c'est superbe. J'attends le traiteur pendant qu'ils sont à Lafayette. Je les ai expédiés là-bas pour me ramener des bougies d'ambiance, des serviettes en papier et des verres en verre. Mon instinct bourgeois m’interdit de servir du bon vin et du vin de Champagne dans des gobelets en plastique. Ce n’est pas du cristal d’Arques, mais ils sont de retour avec des verres à vin originaux et des flûtes à mousseux multicolores. Dix-neuf heures trente, tout est prêt. Moi aussi. Croquignolette la Chouquette à son Bébé. Robe tricot bicolore avec collant assorti. Une coiffure au top et des yeux de biche au mascara. Des snickers stylées et confortables aux pieds je peux marcher jusqu’au bout de la nuit. Enfin presque, prudent Bébé a déposé mon FTT dans le coffre de la voiture, au cas où a-t-il dit. Très appétissant Ma Canaille. Chemise et pull assortis, pantalon outrageusement indécent et bottines ciel. Mon tandoori fait concurrence aux mannequins professionnels. Ash a vu les choses en grands.
    Le service traiteur est impeccable. Kyr au vin de Champagne, moi j’ai été raisonnable, deux cocktails Shirley Temple et leur cerise confite, c’est sans alcool et délicieux. Popovers au saumon, verrines de crevettes sauce mangues épicées, salade d'endives à l'orange et cerneaux de noix, bouchées-hamburgers en pain d'épice au foie gras et aux pommes, tour à huîtres, mousse de poires en verrines, cheesecakes au … je cesse mon énumération cela devient ostentatoire.
    Musique d'ambiance, conversations détendues, apéritif dînatoire réussi.
    Il était près de vingt-deux heures trente lorsque nous avons rejoint la fête des lumières. Bébé m'a remercié à sa façon pour le blouson. Il a rajouté un keffieh, il commençait à ressembler au petit renne de Noël avec son nez rouge. J’aurais dû enfiler deux collants l’un sur l’autre. Malgré une doudoune, des gants et une écharpe j’ai été transformée en glaçon en un rien de temps. Le crachin glacé ne nous a pas découragés. Un spectacle grandiose qui a pour fil conducteur la lumière affirmaient les sites touristiques. Sauf que là, et ça n'engage que moi, j'ai trouvé que ces illuminations étaient ternes. Pas de joie dans les décors et trop de sérieux dans le choix des thèmes. Éventuellement la place Bellecour et son jardin à la française. Néons étincelants, leds multicolores et lumignons à la flamme vacillante ne m'ont pas procuré plus de plaisir que cela. J’étais déjà de parti pris alors rien de surprenant à cette absence de magie et de merveilleux tant vantés. Les avis étaient partagés parmi nos invités. Lait de poule et vin chaud, une gentille balade urbaine sous des airs de fête. Nous avons finalement trouvé refuge dans un pub chaleureux qui, ô miracle, n'était pas bondé. Nous nous sommes installés dans la salle de billard quasi déserte. Ambiance garantie avec son jeu de fléchettes et une banquette antédiluvienne en cuir qui couvrait la longueur du mur. L'endroit était tellement sympa que nous n’en sommes repartis que très tard. Plus que la fermeture, je ne devrais pas l’écrire. Il nous a été offert d’excellentes bières et des chocolats chauds.
    Les illuminations ne m’ont été que bonus à la soirée qui aurait été tout aussi parfaite sans. Je le réécris, cela n’engage que moi. En début d'après-midi, réveil à treize heures trente, nous avons pris la direction de Maubec. Pat ne m’aurait jamais pardonné si je ne lui avais pas rendu visite alors que nous nous trouvions en Rhône-Alpes.
    Comme tous ses fans je suppose, Pappey avait allumé son téléviseur afin de suivre la cérémonie des obsèques d’une célèbre rockstar, pourtant il n’a jamais été un grand fan du chanteur, l’accablement collectif dû à l’influence des médias.
    Ma Pat ne nous a pas donné le choix, elle nous a retenus pour la nuit. J'aime beaucoup la petite chambre qu'elle me réserve à chacune de mes visites aussi ne me suis-je pas fait prier. Bébé non plus, mais lui, c'est parce qu'il avait un peu trop fait la fête la veille, lui et ses potes étaient bien accompagnés vais-je écrire poliment. En Rhône-Alpes ils nomment ça une murge alors ce petit intermède campagnard ne peut qu’être profitable à Bébé.
    Ma canaille et moi-même avons perdu nos doubles, Sonia et Penjÿ, à quelques mois d'intervalle. Retrouver une telle complicité avec quelqu'un m'a été impossible, mes loulous sont des exceptions, mais je ne me livre pas totalement à eux.
    Quant au maître incontesté des prétoires de l'époque, j’ai nommé Penjÿ, il avait ce plus qui faisait que ma Canaille se confiait à lui sans réserve. L’Uttar Pradesh les liait depuis l’enfance, meilleurs amis pour la vie, sauf que la vie est parfois perfide et cruelle. À présent, Bébé a encore du mal à trouver un équilibre d’amitié véritable. Kunaÿ et Lorré, l'un conseiller en hôtellerie touristique de luxe et l'autre ingénieur en architecture et génie civil, deux professions différentes de celle de Bébé, seraient à mon avis ceux qui pourraient faire d’une fraternisation singulière les prémices d’une amitié durable. Il s'agit du jardin secret de Bébé, alors cela le restera.
    Jérémy et sa petite famille sont venus nous saluer. Son fils Arthur, lui ressemble de plus en plus. L’aîné des enfants de Patricia ne possède aucune passion commune avec Ash, mais ils passent des heures à papoter comme deux vieilles filles lorsqu’ils se retrouvent. La veillée a été conviviale et pour une fois Patricia n'avait pas mis les petits plats dans les grands, elle s'en est même excusée. Sérieusement? Un velouté, un flan aux lardons et une tatin d’abricots caramélisés pour le dessert , pour elle ce n’est pas un repas acceptable pour des hôtes. Copieux et délicieux, elle ne rend pas compte de sa richesse culinaire. Ash est resté dans le modeste au cours du repas et cela a inquiété Pat qui le sait gourmand. Elle s'est gentiment moquée de lui et a proposé une infusion au thym que le bougre a accepté. Un jeu de plateau nous a conduit jusqu’à très tard et Patricia nous a flanqué une belle pâtée. Championne hors catégorie, elle connaît par cœur les titres des séries des années soixante-dix/quatre-vingt. Qui se souvient de l’âge de cristal ou des faucheurs de marguerites à part elle? Nous venions à peine de nous endormir, lorsque le vent s'est brusquement levé. J'ai eu la trouille de ma vie, les rafales les plus violentes faisaient vibrer les tôles du hangar à foin. Entre crissements et coups sourds, c'était lugubre. Le banc du jardin a carrément traversé la pelouse pour aller s'écraser contre le mur du garage, et trois des lanternes phosphorescentes qui délimitent le sentier qui va vers l'appentis de la réserve de bois ont été arrachées. Du coup, nous nous sommes levés vers dix heures du matin. Non pas nous, moi. Bébé est allé au village chercher le pain avec Marcel. Il y avait un boudin à la chaudière organisé par une association qui offrait ses bénéfices au Téléthon si bien que nos deux compères sont revenus avec deux mètres de boudin. Pommes au four et purée maison, le repas était tout trouvé. Beurk, du sang. Je déteste le boudin, mais j'adore la purée que prépare Pat. Les pommes de terre baignent dans le beurre et dans une tonne de crème le tout aromatisé à la muscade avant d’être écrasées. Quant à son pourri Bressan sur pain grillé c’est un … conseil avisé de ma part, ne se servir que si l’on est sûr d’avoir emporter une brosse à dents. Après le déjeuner j’avais du mal à garder les yeux ouverts, j’ai dû à moi seule ingurgiter la moitié de la cocotte de purée. Je suis donc allée faire une petite sieste dans ma mansarde avant le départ et à mon réveil j’ai découvert Bébé blotti contre moi.
    Je serais bien restée un jour de plus chez Patricia. Il faut savoir se faire violence parfois...

    SuR Le Qui-ViVe… 23 Décembre 2017

    ...J’ouvre les tiroirs de mon calendrier de l’avent avec plaisir. J’ai à nouveau dix ans!
    Soin gommage, savon parfumé, ampoule énergisante, perfecteur de teint, les jours défilent avec une rapidité ahurissante. Mon enthousiasme pour les fêtes se cantonnent à cette éphéméride. Ash et moi sommes allés rendre visite à Samuel et loin de m’apaiser cela m’a rendu grognon. D’ordinaire Sam m’est toujours de très bon conseil, mais là comme il n’allait pas dans mon sens j’ai été déçue. Il se place du côté de l’avis général, je dois tailler dans le vif si je veux en finir avec la vendetta que je mène contre ma belle-mère. L’intruse, la marâtre, la piquée sans bon sens qui m’a fait grandir selon les principes d’une schizophrène. Des mots malheureux pour décrire la femme de mon père? Certainement pas, j’assume.
    Le ressentiment me ronge et j’en deviens cruelle. J’ai cette personne en aversion et l’on veut me forcer à retourner au domaine où elle sera. Une épée de Damoclès, voilà ce qu’elle est pour moi. Je suis en âge de me rebeller, mais face à elle je redeviens une petite fille. La gamine qu’elle a harcelé de ses paroles dures et méprisantes. Jamais, à part quelques claques, elle n’a levé la main sur moi, je ne pense pas qu’elle aurait osée. Toutefois, certains mots répétés laissent autant de séquelles que les coups. Fichue invitation.
    Lors de cette escapade nous avons fait la connaissance d’Agnès la sœur d’Édith. Le moins que l’on puisse dire c’est que cette personne n’a pas la grosse tête ni les chevilles qui enflent. Un médecin-clown. Nous avons passé un excellent moment de convivialité. Étant dans ma période fond du trou à cause de ces fêtes idiotes, je broie du noir. Mes loulous ont rebondi en se trouvant un métier qu’ils aiment, moi je ne possède que mon écriture pour me faire avancer. Nadège est persuadée que c’est ce qui va me faire renaître de mes cendres, rallumer la flamme vacillante. L’étincelle scintille faiblement alors je ne suis pas loin de penser qu’elle a raison. Lorsque je crée je ne suis plus cette Mylhenn qui se trouve mille et une raisons pour se plaindre, je suis Mylhenn écrivaine en devenir. Pour l’instant je me situe plus entre le faiseur de lignes et le chieur d’encre. Mon Sam possède tout un vocabulaire très imagé des temps jadis et il m’en fait souvent profiter. Il n’a pas tort, j’ai du boulot avant de placer mon premier ouvrage sur un rayonnage d’une bonne librairie.
    Je pense décliner l’invitation, mais la famille entière va me tomber dessus. La plupart souhaite que je me fasse violence et Bébé n’est pas loin de penser comme eux, il dit qu’en ce moment je m’apitoie, que je ne suis compatissante qu’envers … moi-même. La perspective de ce vingt-cinq décembre de cauchemar qui se prépare me fait redevenir enfant, ce retour aux sources me tourmente au point que j’entends à nouveau les appels de madame vodka. Je les ignore avec difficulté d’autant qu’il me faut gérer mes états d’âme seule car Bébé effectue son dernier voyage dans le triangle des Bermudes -C’est ainsi que je nomme ses va-et-vient entre Londres, Paris et Cologne- avant de profiter de congés bien mérité.
    Contrairement à ce qu’il m’a été dit Monsieur J. n’a pas fait détruire la fontaine et le souvenir du drame survenu dans mon enfance me ramène à l’enfer que m’a fait vivre une tarée qui m'en rend toujours responsable. Je me morfonds entre aliénation et divagation, je sombre au plus profond de l’abîme. Mes rêves sont corrompus par mes obsessions et depuis quelques nuits je réveille le voisinage de mes hurlements.
    Ma pièce à vivre ressemble au souk de Marrakech et cela par la faute d’un bout de chou très remuant. Hélène est malade au point de garder le lit. Épuisée, blanche comme neige et nauséeuse. Cela tombe très mal car Marceau est en plein marché de Noël, la saison des dégustations et des bonnes ventes. Il ne peut se permettre de la rater. Alors en voisine bienveillante et avec l’aide de Florence je garde Viserys quelques heures depuis trois jours. Le pitchoune marche depuis peu, et ce gosse est une véritable tornade. Entre ses jouets et ma batterie de casseroles qu'il s'obstine à sortir du buffet de cuisine à portes coulissantes, j'ai failli me casser la figure un nombre incalculable de fois.
    Le premier jour, ce petit chameau a refusé toute nourriture et il a fallu que nous rusions pour rendre son assiette alléchante. L’esprit inventif de Florence a créé des nuages en petit-suisse, des chenilles-purée, un sapin-dinde et une souris-kiwi. Le minot s’est enfin décidé à manger. Mon auxiliaire de vie est une magicienne et Viserys un artiste accompli. Sa compote lui sert de rince-doigts et avec le fond du pot il peint allègrement ma table à l'aide de son boudoir. Il faut bien que jeunesse se passe dirait Pat. C'est un petit bout chou adorable dont le vocabulaire limité ne l’empêche pas de s’exprimer. Un ange quand il dort.
    Avec un peu de pratique, je pourrais devenir une nounou acceptable. Cela a été une belle expérience.
    J’envisage de faire installer un système de sécurité dans l’enceinte de mon petit paradis.
    Cela n’a rien à voir avec mon ex-mari, je gère ses provocations. D’ailleurs celui-ci a retrouvé un peu de bon sens en cessant ses incursions au bourg, du moins je ne l’y ai pas revu. Je suppose que Sam lui a remis raison en tête.
    Depuis deux jours des p’tits jeunes de la cité d’en bas rôdaient alentour. Je n’ai rien remarqué jusqu’à ce que les gendarmes sonnent à ma porte. Le chemin est privé mais défile qui veut dans l’allée. Je m’étais juste rendue compte que le concierge, le voisin grincheux de Marceau avait cloué à son portail la pancarte voisins vigilants. Les scooters qui passaient et repassaient ne m’avaient pas particulièrement inquiété sauf que d’après les hommes en bleu ces gamins ont visité la maison du père Matias à l’extrémité du quartier Alceste. Résultat des courses, les poules sur la route, une vitre brisée, des insultes bravaches et une cavalcade dans le jardin du papy. Le vieux a sorti le fusil non chargé heureusement. Les gamins eux-mêmes ont appelé la cavalerie en s’apercevant que cela dégénérait. Et pour couronner le tout, le Biotte -drôle de nom pour un chien, je ne sais pas ce que cela veut dire- a mordu le mollet de l’un des gosses.
    Selon les gendarmes il ne faut jamais écrire attention chien méchant à l’entrée d’un domicile car c’est reconnaître que l’animal est dangereux donc qu’il doit être tenu à l’attache. Si un problème survient aucune responsabilité civile ne marchera et ce sera au propriétaire du chien de payer les pots cassés. Depuis l’incident le vieux père Matias ne décolère pas. Il a récolté une amende salée pour l’intimidation au fusil et on l’a contraint de régler les frais médicaux du gamin qui se limitent à une visite chez le médecin. Heureusement ils ne lui ont pas emmené son Biotte.
    Je vais suivre les recommandations que l’on m’a donné, je vais faire installer une alarme car il est vrai que je suis souvent absente et côté jardin c’est tentant de faire le mur pour venir visiter les lieux. Je n’oublie plus de fermer mon portail depuis que des gens du voyage ont fait demi-tour dans la cour, ça m’a servi de leçon. Je ne suis ni raciste, ni homophobe, ni intolérante, ni antisémite et je ne fais pas de discriminations sociales, ceci dit je tiens à ce que mon petit paradis reste vierge de toutes visites non désirées.
    La fin du trimestre a été très intense et je m'y suis totalement consacrée. Toutefois l’ultime dissertation que je dois rendre avant les fêtes ne sera pas une réussite. Je le sens, je le sais, mon esprit est ailleurs. Ce repas en famille au domaine me prend la tête au point de m’en rendre maboul. Ash plie mais ne rompt pas, il me conduit au sacrifice sans état d’âme.
    Comme j’aimerais que le Tardis soit réel. Un dernier gommage aux gommage huiles de citron…

    LeS VeSTiGeS Du PaSSé… 27 Décembre 2017

    ...Une réunion inter générationnelle conviviale. Une fois encore j’ai flippé pour des nèfles!
    Ash, je devrais me rappeler que sa faculté de discernement est … bref il énonce sans filtre ce que je me refuse à entendre. Par honte ou par orgueil c’est moi qui me suis éloignée de mon entourage familial et c’est l’aversion que m’inspire depuis toujours ma belle-mère qui a faussé mon jugement. Depuis peu je tente de raccrocher le wagon au train mais cela m’est très difficile car la plupart ne m’a pas soutenu quand j’appelais à l’aide. Je les ai tous détesté en bloc.
    C’est bien plus tard que ma grand-mère m’a appris que la fada me dénigrait en disant à qui voulait l’entendre que j’avais bien chercher ce qui m’arrivait, que je n’étais qu’une fille perdue. Et bien évidemment qu’elle n’employait pas ce terme pour me discréditer. Pourquoi la croire plus que moi? Ça je n’ai jamais pu pardonner.
    J’imagine que le malaise que certains éprouvent lorsque je les aborde est dû au fait que je ne fais aucun effort pour me lier, pour paraître sous mon meilleur jour à leurs yeux. Anaïs , les tantines et mes cousins des Baux-de-Provence me rendent peu à peu l’optimisme qui me fait défaut. Je crois en de meilleures relations avec les membres de ma famille.
    Je me permet de croire.
    Bébé a dû m’encourager, m’obliger à monter dans la voiture au moment du départ, j’étais à un doigt du caprice. Joyeux homme pour qui Noël est à chaque fois un enchantement, c’est certainement son côté hindou qui le rend perméable à l'ambiance et il aime à croire qu'en cette période tout le monde il est bon, tout le monde il est gentil. Parce qu’il évolue dans un univers professionnel atroce Ash a besoin de croire en la bonté originel de l’être humain, je ne pense pas que ce soit réaliste, mais son humanité le fait indulgent. Heureux homme qui s’encombre de la plaie que je suis.
    Une fois dans la voiture j’ai été secoué par de longs spasmes d’angoisses. Me mettre dans pareil état alors que je me rends dans le cercle familial est au-delà de sa compréhension, pourtant il a tenu bon. Fâché le grand homme m’a dit qu’il était temps que je grandisse un peu, qu’obéir pareillement à mon anxiété est signe de lâcheté de ma part. Ses propos ont sonné comme du mépris à mes oreilles et je l’ai copieusement insulté. Il est resté stoïque le bougre.
    Personne ne comprend que revenir sur les lieux où la mégère règne en maître me répugne. Je sais pouvoir lui faire face à présent, je l’espère car c’est la Mylhenn petite fille qui prend le dessus lorsqu’elle apparaît. Cela fait seize ans que je n’ai pas franchi le portail du domaine. Ce n’est pas tant la femme de monsieur J. qui me pose problème, mais le fait qu’elle n’a jamais su prendre soin de la maison de maman, ce doit être repoussant de saleté.
    Ma tante Étiennette m'a laissé entendre que Guillaume commence à se faire vieux. Le brave homme est le régisseur du domaine en l'absence de monsieur J et la Bonne Mère m’en est témoin mon père était très souvent absent. Une heure quarante de route plus tard, j'étais enfin détendue. Toutefois si cela n’avait été que de moi, je me serais arrêté dans un bar pour m’apaiser d'une vodka ou deux. Ce n’est que le premier pas qui va me coûter pour passer la porte de l’enfer.
    Enfant j’adorais l’endroit, de la fenêtre de notre chambre Miriette et moi avions vue sur la partie la plus spectaculaire de la propriété. Le grand bassin situé le long du passage qui conduit aux terrasses nous était interdit, mais lorsque nous parvenions a semé les adultes, nous allions escalader les marches irrégulières en pierres de taille recouvertes de mousse. Nous faisions prudemment le tour du bassin avant de nous asseoir jambes pendantes les pieds dans l'eau glacée.
    Maë Lynette disait si souvent en plaisantant que Bacchus en personne venait s’y baigner que ma jumelle et moi allions guetter le Dieu de la vigne afin d’apercevoir ses cornes entourées de lierre.
    Le danger ne venait pas du réservoir qui n'est pas très profond, d’ailleurs nous étions deux petits poissons nés. Ce que nous aimions nous, avec l’inconscience du danger que confère l’enfance, s’était danser pieds nus sur les dalles humides, douces et … extrêmement glissantes. Nous admirions l’énorme amphore qui surplombait le tertre, de son col jaillissait l’eau de la source qui entretenait la hauteur de l’eau du bassin. Je ne les ai jamais vu, mais il paraîtrait qu’à la création de ce qui ne devait être qu’une entreprise, la fontaine ornait les étiquettes des produits élaborés dans ce qui est aujourd’hui le domaine familial. Peu de temps après le grand malheur monsieur J. a fait obturer la canalisation et assécher le réservoir. Il ne faisait que nous rappeler l’horrible accident. Heureusement que Guillaume était là pour veiller au grain, sans notre régisseur le domaine y aurait laissé des plumes. La mégère qui avait pris la place de maman était bien incapable de reprendre la main et sa présence a terni mes plus beaux souvenirs. Il ne me reste en mémoire que les vexations et les rebuffades qu’elle m’infligeait. Le départ de Miriette aurait dû nous rapprocher mon père et moi, mais à cause de sa femme cela nous a de plus en plus éloigné jusqu’à ce que ma haine me devienne inextinguible.
    Franchir la voûte en briques qui protège le portail ne m’a pas été aussi pénible que je le pensais. Ceci dit mon cœur s’est gonflé du chagrin qui me mine depuis mes dix ans et demi ; mes yeux se sont portés au-delà des pins, là ou mes cris stridents ont retenti ce jour maudit de septembre. Ces hurlements résonnent à mes oreilles les nuits où Miriette me rend parfois visite. Je crois en sa présence à mes côtés.
    Bébé a marqué un court arrêt, il me laisse le temps de reprendre confiance. La tendre caresse de sa main sur ma joue m’est d’un réel réconfort et répand en moi une modeste dose de confiance. Cousins, tantines, cousines, tontons, toute la smala me lave le visage de contentement. Ma présence n’était pas gagnée et tous en étaient conscients. Cet accueil empressé me fait soudain chaud au cœur. Mon apparition à la cousinade lors de l’anniversaire d’Odile et Sylvie m’a fait bonne publicité et j’en récolte aujourd’hui les fruits, je me sens enfin à ma place.
    Elle se tient auprès de mon père, raide comme un bâton de maréchal et fagotée à la mode va comme je te pousse. En repensant à l’élégante silhouette de maman, je souris intérieurement. Jocelyne se cramponne à monsieur J. car elle vacille comme si elle avait du mal à se tenir sur ses jambes et elle a facilement pris une dizaine de kilos. Elle a toujours été bien lestée, mais la elle fait concurrence à Bibendum. Ma méchanceté envers elle ne s’éteindra pas de sitôt. Durant une fraction de seconde la pitié m’envahit puis le faux sourire qui orne ses lèvres me force à croiser son regard, je tremble comme une feuille car elle me détaille des pieds à la tête, les yeux assassins. Aussitôt je redeviens petite fille.
    Ses lèvres se pincent l’une contre l’autre signe qu’une nouvelle fois elle m’écrase de son mépris.
    Bébé est près de moi, rien ne peut m’arriver. ‘‘La maladie et les médicaments font le plus gros du travail ma Sucrette’’ me souffle-t-il à l’oreille en serrant ma main dans la sienne. Ces quelques mots m’apaisent et je les interprète comme tels. Ma vengeance est en cours, inutile que je me salisse les neurones à la recherche d’insultes bien senties.
    Ses mimiques ne passent pas inaperçues, seul mon père ne s’en rend pas compte. Il décroche la crampon de son bras en veillant à ce que l’une de mes tantes la soutienne puis il s’avance lentement dans ma direction.
    - Bienvenue dans ce chez toi que tu n’aurais jamais dû quitter ma fille! La contentement qu’il montre en me serrant dans ses bras me paraît emprunté mais je lui laisse le bénéfice du doute ; je tiens réellement à qu’il me prouve qu’il a changé.
    L’hospitalité dont mon père fait preuve à mon égard est démonstratif et le gloussement que la marâtre laisse échapper malgré elle en l’entendant me fait me blottir encore plus contre lui. Contrairement à ce que je pensais ce n'est pas la maladie qui la rend méchante depuis toutes ces années, c’est une seconde nature chez elle.
    Le clin d’œil discret que Bébé m’adresse à ce moment-là me rend soudain invincible.
    Mes forces m’ont soudain trahies et je crois que si Ash ne m'avait pas soutenu je me serais écroulée en entrant dans le hall. Je suis consciente d’être guidée par mes croyances, mais très brièvement j’ai cru apercevoir maman qui se tenait près du grand escalier. Le temps a fait son office et finalement les lieux ne sont pas aussi altérés que je ne le pensais. Les peintures ont besoin d'être rafraîchies, l'ocre a viré au rouille et les bancs et guéridons qui meublent l'entrée auraient besoin d'être entretenus par une bonne couche de cire car ils n’ont plus d’éclats. La fainéante laisse se dégrader un mobilier transmis génération après génération. À ce propos, où sont Mireille et Silvan? Pourquoi ne sont-ils pas venus m’accueillir? Ces deux personnes tenaient à notre patrimoine comme à la prunelle de leurs yeux. Seuls mes premiers pas dans la maison m’ont coûté puis je me suis sentie acceptée par tous les fantômes du passé.
    Monsieur J. s'est intronisé patriarche pour la soirée lui qui si souvent désertait les lieux, un hôte qui nous réjouit en créant une ambiance conviviale. Richard et Tatian y vont de leurs pitreries. Eymeric, Solange et leur cadette Emma sont ravis de mettre la main à la pâte pour la préparation de l’apéritif. Pierre se charge de décanter les vins et prépare les cocktails dont il a le secret. Sur mon lit de mort peut-être dit-il en s’esclaffant à chaque fois qu’on le supplie de nous en donner les recettes et les ingrédients. Jocelyne boude assise sur son fauteuil, mais personne ne s’en soucie et impossible d’imaginer Mamaiette et Mamadeine ailleurs qu’au piano.
    La mélodie du bonheur familial donne le ton, l’ambiance est aux chants de Noël.
    Monsieur J. me propose de faire le tour du propriétaire et d’instinct je sens qu’il en a besoin, alors pourquoi le lui refuser?
    Ma Petite Paix me reconstruit peu à peu, mais j’ai conscience que ce retour aux origines est un véritable bain de jouvence. Ici sont mes véritables racines, je suis née au domaine, je me reconnais à chaque porte que je passe, quelques souvenirs heureux renaissent à mon esprit, j’appartiens au lieu.
    Le fait que mon père tienne tête à la Joce en refusant qu’elle nous accompagne, m’a mis dans d’excellentes dispositions pour écouter ce qu’il a à me dire. Depuis des mois je confie à ce journal toutes mes avancées et mes douleurs les plus intimes, pourtant je suis encore incapable de traduire en mots choisis la conversation que j’ai avec … papa. Je lui confère gracieusement ce titre ce soir car je me laisse prendre par des sentiments que je croyais perdus. C’est la trêve de Noël, je ne pardonne rien , j’écoute seulement son point de vue car j’envisage d’édifier les premières fondations d’un avenir commun que je crois encore possible.
    J'aurais préféré qu'il me serre dans ses bras en me disant qu'il m’aimait fort, qu’il n'avait pas oublié maman ni Miriette au lieu d’acheter mon ressentiment, ma fuite, mes doutes, ma peine par une liberté financière qui m'ôtait tous soucis de fin de mois. J’ose lui dire que c’est de son affection et de son soutien dont j’avais besoin. Il se donne la ‘‘plaie’’ comme excuse, qu’elle avait besoin d’attention, qu’elle a des circonstances atténuantes, que Jocelyne a croisé sa route au moment où il avait besoin de réconfort. Il m’affirme les yeux dans les yeux que ses pensées n’étaient jamais loin de moi, mais que l'esprit de corps lui interdisait de se laisser aller, la patrie avant tout. Bien sûr j’aurais dû m’en souvenir.
    Christian? J’étais rebelle, j’avais fait mon choix, j’avais le droit à l’expérience. C’est droite dans mes bottes que je l’ai traité de salaud et il a accusé le coup sans même un froncement de sourcils. Je suis lessivée. Le second round, il y en aura un, risque d’être tout aussi brutal mais il est nécessaire, certaines rancœurs doivent être immolées sur l’autel du pardon.
    Mon père est humain et il a compris la première leçon que je viens de lui donner. La petite fille malheureuse et l’adolescente rebelle que j’étais se sont transformées en une jeune femme qui sais mordre mais qui dissimule ses peurs à l’abri d’une confiance en elle qu’elle est bien loin d’éprouver, ici et maintenant n’est pas le moment de régler mes comptes.
    Nos yeux étaient rougis de pleurs retenus, nos sourires annonçaient un armistice prometteur lorsque nous sommes revenus au salon. Si les prunelles de la rombière avaient été des revolvers je serais morte sur l’instant. Quelle ne me cherche pas, l’étage est dans un état lamentable, les tentures sont défraîchies, les rideaux ont l’air d’avoir été passés au four et les tapis sont usés jusqu’à la trame. La saleté repoussante qui règne dans les chambre inoccupées me donne envie de hurler. Maman est présente ce soir, je ressens son aura.
    Mireille et Silvan, comme je le supposais ne supportaient plus les excentricités de Jocelyne et ils ont donné leur congé à mon père peu après mon admission aux urgences. Les propos que tenait ma belle-mère à mon sujet alors que je me trouvais entre la vie et la mort étaient intolérables. À présent ils tiennent chambres d’hôtes, Ash et moi iront leur rendre visite. L’incontournable bûche de Noël et la ronde des treize desserts nous permettent d’attendre patiemment le père Noël.
    Jouissance béate d’après ripaille. Un cadeau hors de prix…

    La GeNèSe DeS LeNDeMaiNS… 27 décembre 2017

    …Jusqu’à présent peu généreux de son affection pour moi, monsieur J. n’est pas une personne pingre!
    Il s’est surpassé afin de faire plaisir à chacun. Une excellente cuvée pour les hommes de la famille Ash compris.
    Un jeu de console pour les minots et des coffrets parfumerie pour la gente féminine. C’était risqué, mais il a demandé de l’aide à la plus célèbre fashion victim de la famille, à savoir ma cousine Anaïs. Je crois devoir préciser qu’aucune de nous n’a été déçue. Une fois nos présents déballés les messieurs se sont accaparés du cognac et les dames d’une liqueur de menthe dont je tairais le nom.
    Sous traitement, la garce n’en est que plus venimeuse.
    - Il faudrait me payer cher pour que je mette les mains là-dedans, j'aurais trop peur d'attraper une maladie! commente Jocelyne en ricanant lorsque Ash et mon père dépose devant moi une énorme malle. Le cadeau surprise.
    Ash parvient à se contrôler, mais Diet la belle-fille de ma tante Madeleine remet aussitôt la Joce à sa place et cela de façon fort grossière. Ferme ta boîte à camembert, tu l’ouvriras pour le dessert, cette expression enfantine en est la version édulcorée. Je suis émue aux larmes, cette malle contient un véritable trésor que je croyais perdu à jamais pour moi. Je ne fais que l’entrouvrir car je sais ce qu’elle contient et je ne veux pas de témoins lorsque je me rendrais auprès de ma mère.
    J’ai aperçu le châle écossais de maman sur lequel trônait son livre préféré et son miroir à main. Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, je suis la seule responsable de ce gâchis. Je me suis privée de ma famille à cause d’une vendetta contre la fanatique que mon père a épousé et cela me parait absurde à présent. Je n’ai rien de la fille déchue comme la marâtre se plaît à me nommer, j’ai ma place parmi eux. La nuit suivant le jour de Noël j'ai rêvé de Maë Lynette qui nous apaisait de sa douce comptine lorsque nous pleurions Miriette et moi. Mauvais rêves mauvais rêves laissez-moi, jolis rêves jolis rêves restez là. Mémé chantonnait ces quelques mots en nous berçant et aussitôt nos chagrins de petites filles disparaissaient. Cela lui a été plus compliqué quand maman nous a quitté.
    Petit-déjeuner détox pour tout le monde vers … treize heures. Plus tard mon père nous a accompagné Ash et moi au hangar où sont garés les quads ; je veux que Bébé découvre le domaine avec mes yeux. Une fois rassuré sur nos capacités à conduire un tout-terrain biplace, mon père nous a rapidement abandonné à notre sort. J’ai voulu partir du portail dont la voûte n’a pas perdu une seule de ses briques, mais l’un des battants en bois clouté est descellé ce qui fait que l'autre doit rester ouvert. Le mur d'enceinte en pierres est truffé de trouées béantes qui se sont élargies au fil du temps. L'on ne peut pas consolider ces percées sans l'aide d'un professionnel et il y en a peu dans la région., tous sont très sollicités. Ash est impressionné en découvrant les ruines de la chapelle datant de la fin des années mille sept cents.
    Cet été iAsh s’était rendu au domaine en compagnie de ses parents mais ils ne se s’étaient pas aventurés aussi près des vestiges. Les blocs anciens sont couverts de ronces et de mûriers sauvages. Ce lieu a longtemps été consacré avant que le malheur ne vienne le souiller et certains soirs de canicule les éclairs de chaleur s’y font innombrables, plus qu’ailleurs.
    Ash me dit voir mes yeux s’illuminer lorsque je lui parle du domaine, c’est mon Tara. Oui je suis fière d’appartenir à ces arpents de Provence. L'ancêtre des oliviers de l'oliveraie se dresse toujours fièrement. Il est père et protecteur.
    Ensuite j’ai guidé Ash vers la plate-forme panoramique, un terre-plein accolé à la butte qui délimite nos terres de celles du voisin. Des collines toutes en rondeur. La rivière en contrebas est pratiquement asséchée, réchauffement climatique oblige. Pas que, les agriculteurs et les maraîchers abusent du pompage des eaux.
    Avec un pincement au cœur j'ai appris que Guillaume avait fait démonter la petite cabane où Miriette et moi allions jouer au bord du cours d'eau. Elle devenait dangereuse les jours de grand mistral. Alors j’ai conduit Ash à l'îlot aux mûriers. On nomme l'endroit ainsi car il est situé sur le côté abrupt du coteau, les arbres paraissent flotter au-dessus des vignes. Le premier mûrier a été planté par mon arrière-arrière-grand-père, malgré son tronc noueux et ses branches tordues l’arbre se dresse fièrement, on ne remarque que lui. Un tapis de boutures protège ses racines et l’assure d’une descendance incertaine. Monsieur J. s’est essayé au marcottage avec quelques-unes d’entre elles et cela a donné une plante hybride des plus surprenante qu’il couve avec passion. De rares mûres se développent puis flétrissent en cour de maturation. À chaque naissance dans la famille, tradition oblige, un arbre est ajouté à l’îlot. Protégés tels des trésors deux ceps séculaires résistent aux années qui passent au pied du tertre. Les aînés de nos vignes ont bien mérité le repos et il n’y a pas encore si longtemps que cela leurs sarments de taille servaient à démarrer la première flambée de l'année.
    Il est hors de question que je me rende au bassin, vingt-trois années grillées et le poids des accusations pèse encore sur mon âme. J’ai attendu Ash à la naissance de l’allée, sous les grands pins. Bébé veut se rendre compte par lui-même, s’imprégner du lieu pour me faire passation de sa force, du courage qui me manque tant. Tout comme ma thérapeute, il pense que je ressens le besoin du pardon de ma jumelle. Les croyances de Bébé font qu'il est très réceptif aux auras. En me rejoignant, son regard est des plus mystérieux.
    - Tu n’as rien à craindre Chouquette, personne ne te veux de mal, tout n’est qu’apaisement et renaissance là-bas! Elle est là et elle t’attend, quand tu parviendras à lâcher prise, vous serez toutes deux libérées! Là Ash me fait carrément peur.
    Trop de sentiments contradictoires m’assaillent, je me sens réduite à néant et je me laisse tomber lourdement au sol contre l’un des grands pins, mes larmes deviennent intarissables. Bébé s’éloigne en me laissant en tête-à-tête avec le chagrin que je n'ai jamais pu totalement extérioriser enfant. Mes pleurs ne sont pas voués au réconfort, mais à la réédification de mon moi. Tel un animal blessé, je dois panser mes plaies à l’abri des regards. Il est temps que je révèle le secret qui me ronge. Peu de temps après l'enterrement de Miriette j’ai bravé l’interdit en retournant à la fontaine. Du plus profond de mon cœur j’ai supplié la Bonne Mère de me rendre ma sœur et comme elle refusait de m’entendre j’ai ôté mes chaussures puis je me suis mise à sauter et à courir comme une dératée sur les dalles luisantes des pluies d’automne. Il n’y avait plus d’eau dans le bassin, mais il aurait suffi que ma tête heurte les pierres pour que je retrouve ma jumelle. Cela ne m’a pas été accordé non plus et pas même une entorse. Je ne pouvais concevoir à l’âge que j’avais que notre destin est scellé dès notre naissance. Je me suis alors persuadée que c’était celle que je réclamais de tout mon petit cœur qui ne voulait plus de moi. J’ai occulté ma peine et je me suis mise à lui en vouloir. Personne ne s’était rendu compte de mon absence et encore moins que j’avais marché pieds nus dans les flaques et la boue.
    La démesure de mon chagrin refoulé est telle qu’il m’a fallu une heure de temps pour que cesse mes sanglots. Lorsque le répit s’est offert à moi, la nuit poignait déjà et il faisait grand nuit quand j’ai été de retour, monsieur J. était à deux doigts d’envoyer un commando d’élite à ma recherche. Dès que je suis entrée dans son champ de vision, le soulagement s’est lu sur son visage alors je me suis excusée de la frayeur que je lui ai causée. Un comble.
    Recroquevillée au pied d’un pin vénérable, j’ai enfin renoncé à l’inconsolable pour me tourner vers l’avenir, pour apprivoiser l’éloignement définitif. Ash m’a serré très fort entre ses bras et son regard ne m’a pas quitté de la soirée.
    À présent que j’ai dépeins entièrement notre domaine, je me dois d’être totalement honnête et pour cela il me faut écrire que le nom patronymique que j’utilisais en messagerie n’étais pas le mien. Joncquet ne m’a servi qu’à satisfaire l’intérêt malsain des crampons pour mon identité. Et la Bonne Mère m’en est témoin, ils étaient nombreux à venir me solliciter. Je reconnais volontiers que j’étais responsable de ce harcèlement constant puisque mes publications n’étaient que turgescences et lubricité. C’est ainsi que par dérision, nommer mon père monsieur J. m’est devenu assez plaisant.
    Réveillon du jour de l’an oblige, j’organise notre départ pour les Aspidies…





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