• UNe DeS SoLuTioNS... 21 Février 2017

    …Quelques gouttes d’un élixir floral connu additionnées d’une deuxième séance psy et je vais mieux. Je vais bien!
    Les doutes qui me tourmentaient quant à ma relation avec Ash se sont dissipés et me paraissent ridicules à présent. Je suis vraiment la quiche aux poireaux que je prétends souvent être.
    Bébé tient à avancer dans son projet de vie commune aux Aspidies et ce n’est pas une mince affaire car il lui reste peu de temps. Sa nouvelle affectation sera très chargée en heures au bureau, mais son staff actuel le suit dans sa migration. Connaissant ses méthodes de travail ils pourront le seconder efficacement dans les nombreuses procédures qu’il devra appliquer. Le fini d’un dossier dépend souvent de la synthèse de ses réflexions, des conclusions qu’il présente après avoir étudié chaque détail. Dès la dernière semaine de mars vont se dérouler une quantité de sessions auxquelles il ne pourra se soustraire aussi profite-t-il d’une accalmie pour prospecter les agences. J'étais loin de m'imaginer que la banlieue de Londres comportait autant de quartiers si différents les uns des autres. Certes suivant notre choix le cadre serait agréable, mais lorsqu’il m’a annoncé les prix de location, j’ai un peu rechigné. Son parcours de formations est encore conséquent, Ash exerce en parallèle ce qui lui permet d’être à l’aise financièrement, toutefois il envisage de poursuivre une carrière au niveau européen désirant intégrer un service d’experts. Ne voulant pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, je n’en expliquerai pas d’avantage sur ses futures fonctions.
    Je dirais de manière humoristique que pour l’instant Bébé est en recherche d’appartement.
    Je me suis comportée tellement bêtement que je m'en veux encore, mais ce qui est fait n’est plus à faire. J’appréhende la visite de Bébé car depuis ma fuite éperdue je n’ai pas eu l’occasion de vraiment évoquer le sujet avec Ash. Il y a quelques heures de cela, il m’a fait savoir qu’il descendrait me rejoindre pour quelques jours. Je suis sur un petit nuage.
    Évidemment je l’ai attendu une partie de la journée et à dix-sept heures toujours personne. Je connais de trop les aléas inhérents à sa profession aussi me suis-je fait une raison, ce serait pour le lendemain.
    Il était pratiquement vingt heures lorsque la balise du portail s’est soudain allumée. Autant dire qu’à cette heure-ci mon apparence était loin d’être convenable pour jouer d’hospitalité. Comme à mon habitude lorsque je suis seule, j’avais passé l’un des pyjamas en flanelle de ma Canaille, ma coiffure tenait plus d’un nid de merles en chantier que d’un apprêt soigné.
    Pour couronner le tout je sommeillais sur le canapé en mode lézard sur son rocher à cause des anti-inflammatoires que j'avais pris avec un yaourt nature, mon repas du soir. Je me suis levée d’un bond, manquant me fracasser les tibias contre la table basse. J’aurais aimé reprendre figure humaine en mettant un peu de couleur sur mes lèvres, un nuage de poudre pour dissimuler ma pâleur et une goutte de parfum pour … l’attrait, mais le bougre ne m’en a pas laisser le temps. La porte d’entrée s’est ouverte, catapultée contre le bloque-porte et Ash le regard narquois est entré précipitamment.
    Bébé était fier de lui, son entrée m’a fait sensation. Comprenant mon embarras sublimé par ma mine de déterrée il s’est approché plus calmement de moi et m’a donné un baiser hollywoodien, non … bollywoodien. Re-nuage.
    Mais Bonne Mère, pourquoi faut-il toujours qu’il en revienne à la nourriture?
    Son premier souci a été de savoir depuis combien de temps je n’avais pas pris de repas correct.
    J’admets que ces derniers jours ce n'est pas le festin des grandes occasions et, une chance que Florence ait rempli mes réserves sinon l’ogre aurait encore râler. Je m’en sors bien, le cellier déborde de fruits et légumes.
    Du coup je dévie la conversation sur le fait que lui n’a pas pris le temps de dîner avant de se lancer sur l’asphalte. C’est à ce moment-ci que le tarte-express que m’a offert Pat entre en jeu. Crêpes salées aux oignons frits, œufs chèvre frais et ananas caramélisés beurre salé. Eau piquante pour faire glisser le tout, je me garde bien d’acheter la moindre goutte d’alcool en ce moment. Le chat du Cheshire guette, je le soupçonne d’être tapi non loin de mon esprit.
    Il y a peu j'aurais été incapable d’improviser un en-cas sur le pouce, mais à présent les recettes de ma composition sont reconnues délicieuses et pour ce qui est des gestes du quotidien qui me sont encore difficile Bébé m’encourage à grand renfort de compliments. Je me souviens des toutes premières pizzas que j’avais cuisiné lors d’une soirée PPCW de Bébé. Je m’en étais fait toute une montagne pourtant tous les ont trouvés délicieuses. Ash m’avait présenté cela comme un service de confiance et je n’avais pas pu refuser. Une fierté, mes premiers pas en solo en cuisine après des années passées à me croire médiocre, nulle et maladroite comme me le répétait Christian. Je pense que d’aucuns riront en lisant ceci, mais de préparer sur les plaques les pâtes toute prêtes, de me servir du four pour les précuire, de disposer les ingrédients choisis par ces messieurs, de les assaisonner correctement et de surveiller la cuisson, m’avait donné des sueurs froides. D’ailleurs je crois me rappeler que ce soir-là, le stresse avait exigé sa récompense, trop de vodka.
    Après une douche quasi pudibonde, nous nous sommes blottis l'un contre l'autre et nous avons papoté jusqu'à tard dans la nuit. Je ne me lasserai jamais de ces moments-là.
    Apparemment tout est beau dans le meilleur des mondes, ses frères ont été remis à leur place me dit-il avec assurance. Je ne sais pas jusqu’à quel point je dois le croire. Madam’ ronchonne, je l’aurais deviné, elle pense que je ne suis pas assez préparée, ni résistante pour le soutenir dans sa notoriété grandissante. Je traduis par, Mylhenn fait tache dans le paysage. Ash lui aurait dit que tous sauf Philip avait des œillères, qu’il avait toute confiance en moi et qu’il était certain que je m’élèverais à ses côtés en temps voulu. Les débats sont houleux, je me suis jurée de ne plus m’en mêler.
    Bébé me promet, je ne lui ai rien demandé, de s’essayer à l’indépendance. Je doute qu’il se rende compte de ce que cela implique ; couper le cordon lui aurait été possible depuis belle lurette, mais cela ne lui a jamais été nécessaire. Se poser chez papa-maman présente de gros avantages, une kyrielle de serviteurs gère son quotidien et je crois même qu’il aurait besoin d’une carte pour se rendre à la buanderie familiale. J’exagère à peine. Ceci dit, il fait parfois les courses au bourg lorsque je le lui demande et si c’est nécessaire c’est le roi du balayage.
    Pour me faire plaisir Ash s’est lancé à fond dans la recherche d’un petit nid douillet, mais je m’interroge, je ne suis plus très sûre de vouloir l’occuper s’il le trouve. J’ai tellement lutté contre moi-même pour obtenir mon indépendance, que quitter ma Petite Paix ne serait-ce que pour deux ou trois mois par an, me donnerai l’impression de me trahir. Rien n’est simple dans ma tête, Sam doit avoir raison, je n’y suis pas toute seule.
    Mon concept du vivre à deux est … bizarre, quasi excentrique et Ash ne l’a pas parfaitement intégré. Je ne suis pas prête à m’installer aux Aspidies. Parce que je connais Ash, au début cela sera pour quelques mois et ensuite il voudra que j’emménage définitivement. Mes réticences jaillissent par chaque pore de ma peau, mais il se refuse à les voir, à les admettre.
    - Rapport prix-quartier, il serait plus avantageux d'acheter que de louer me dit-il. Là je regimbe. Certes il n’a pas tort, un bien immobilier en banlieue de Londres vaut la peau des fesses, mais on l’on est assuré de récupérer une plus-value plus que confortable à la revente. Je ne veux pas qu’il investisse dans un bien. Pas pour de mauvaises raisons. Tout ce dont moi j’ai besoin pour l’instant se trouve dans le cocon que je me construis dans la maison de Maë Lynette.
    Ash m’accompagne dans ma reconstruction, mais je ne me projette pas encore dans un nous durable. Alors pourquoi ai-je eu autant peur de le perdre il y a peu?
    Parce qu’il me fallait poser les choses honnêtement, j’ai fait réapparaitre Madam’ dans la discussion. J’en veux à Dorothy de posséder ce caractère rigide voire inflexible et de sa façon de me jauger à chacun de mes mouvements, ce qui me met souvent en rogne. Pourtant je ne suis pas aussi obtus que je le laisse paraitre, j’ai compris qu’en m’asticotant régulièrement, elle tente de me faire réagir ou de me faire me dépasser. Elle voudrait aussi me façonner à son image comme elle l’a fait avec Hailie, car elle a enfin saisi que son fiston n’a aucunement l’intention de se défaire de sa Chouquette. Pour ce qui est de ma santé, jamais je ne lui reprocherais quoi que se soit car elle n’a jamais hésité à appeler du personnel soignant pour me soulager lors des crises qui me tordent de douleur. J’ai du mal à le croire, mais Bébé me certifie que le soir où Dorothy a appelé l’urgentiste, elle lui aurait suggéré que je pouvais souffrir de ce fameux syndrome du voyageur. Qui mieux que Mumy était en mesure d’en appréhender les symptômes. Elle n’a pas insisté, le praticien étais sûr de lui. Que ne l'a-t-elle pas vilipendé comme elle le fait si bien avec moi, cela m'aurait évité de faire la bouffonne.
    Audi, vide, tace, si vis vivere in pace dirait Cicéron.
    Je vais devoir, non pas m'excuser c’est hors de question, mais essayer dorénavant d'entretenir des relations plus cordiales avec la famille de mon Caramel. À cet instant, je crois que le mot qui me qualifie le mieux est versatile. Malgré les heurts avec Dorothy, l’agitation qui règne à chaque instant dans la maisonnée, les rumeurs de la domesticité et le côté tour d’ivoire de ma chambre, je pense que finalement j’apprécie de vivre à la résidence. Oui Sam, je suis unique en mon genre. Je me suis endormie serrée contre Ash et le monde aurait bien pu s’écrouler que je ne m’en serais pas aperçue.
    Sur le tapis coco près de la porte-fenêtre, trône une superbe amphore brune. Modelée en relief, une Psyché dotée de délicates ailes de papillon est incrustée dans l’argile avec laquelle a été confectionné le volumineux vase ventru.
    L’énorme bouquet de mimosas que contient l’amphore embaume tout le rez-de-chaussée. Bébé ne pouvait pas mieux choisir comme présent. Il me connaît à la perfection, il n’a pas oublié que Psyché est l’un de mes personnages préférés de la mythologie grecque. Psyché serait la personnification de l’âme humaine ; les épreuves qu’elle aurait subies représentent celles que l’humain doit surmonter pour parvenir à la connaissance de soi. Ceci en passant par l’expérience du Mal et l’amour du Bien. La désolation qu’a été ma vie durant les dix dernières années et le sentier plus ou moins bosselé sur lequel je chemine actuellement me porte à croire que les personnages de la mythologie grecque savaient manier la parabole à la perfection. Nadège aussi est forte à ce petit jeu-là.
    Mettre de l’eau dans mon vin avait dit Philip. Entends, vois et tais-toi, si tu veux vivre en paix…

    INTeRMèDe PaLaVaSieN... 25 Février 2017

    …Deux consultations de contrôle en moins de six jours. Bébé est présent, cadeau!
    Malgré le confort offert par sa voiture de location, Ash ne choisit que du haut de gamme, j'étais aussi cassée que si je m'étais assise sur des sacs de noix. Pourtant Montpellier n’est pas le bout du bout du monde, mais les deux aller-retours que j’ai dû effectuer m’ont harassé. Ces trajets étaient obligés dans la mesure où mes rendez-vous chez le rhumatologue et le neurologue étaient programmés à trois jours d’intervalle. Être porteuse de spondylarthrite ankylosante offre un avantage, il faut toujours voir le bon côté des choses, c’est qu’il m’est très facile d’obtenir rapidement des rendez-vous spécialistes. Ash m’a pratiquement obligé à ces consultations car selon lui les pics de stress subi ces dernières semaines pourraient être l’une des causes de mes douleurs résiduelles. Pour moi ce ne sont que les prémices avortés d’une crise et connaissant mon corps, je ne me suis pas trompée. Mis à part poursuivre les séances de kinésithérapie, respecter à la lettre mon traitement et me reposer, il n'y a rien de plus à faire d’autre que de prendre mon mal en patience.
    Bébé a droit à une petite pause. Pendant que je rassemble mes idées afin que ma narration soit acceptable, Ash réalise le marathon des vignes et oliviers en solitaire, une petite douzaine de kilomètres tout de même. Il ne risque pas de prendre un coup de chaud, à mi-faîte du col, la température flirte avec le zéro degré depuis plusieurs jours. J’abandonne rapidement mon clavier car rien de présentable ne me vient à l’esprit. Quelques pas à l’extérieur, pourquoi pas?
    Bottes fourrées et doudoune, bonnet, écharpe et gants coordonnés, me voilà parée à affronter le grand nord. Il n’y a que le premier pas qui compte dit-on, en ce qui me concerne, le second et le troisième relèvent de l’enthousiasme. Mon modeste domaine semble en hibernation tant la végétation est éteinte, durant l’hiver ce n’est plus qu’un trou béant, très laid, entouré de ronciers et d’arbustes squelettiques. L’un des amis des tantines, fleuriste de profession, se fait jardinier paysagiste à ses heures perdues. L’embellissement de l’aire de loisirs du restaurant, en clair le terrain de pétanque, a été conçu par André et un professionnel n’aurait pas mieux fait. Au printemps André pourrait peut-être limiter l’étendue des dégâts.
    Plus près de chez moi, à Lodève, exerce un ingénieur en aménagement paysager, ce professionnel est de grande renommée, mais aux dires de certains ayant eu recours à ses services, cet homme serait en couple avec la vanité faite femme. Autrement dit, ce ne sont pas les desideratas de ses clients qui prévalent, il n’assume que son génie créatif. C’est comme cela qu’un client des tantines s’est retrouvé avec un labyrinthe végétal dans son parc alors qu’il désirait de simples plessis pour délimiter des massifs. Ce comportement doit être inhérent à la profession car Gärtner, ingénieur paysagiste plasticien à ses dires, souffrait également du syndrome Kuzko. Il m’arrive de hurler ma haine envers les donneurs de leçons. Mis à part qu’il m’a fallu deux moques de thé brûlant pour me réchauffer, j’ai apprécié ma courte balade.
    Ayant appris que Bébé était à la Petite Paix, les tantines nous ont convié à passer quelques jours à Palavas. Ash apprécie Étiennette et Madeleine pour la protection qu’elles m’accordent depuis toujours, alors c’est avec grand plaisir que nous répondons à leur invitation. À mi-chemin entre auberge et bouchon rustique, le petit restaurant familial est un joyau de convivialité et il ne désemplit pas en pleine saison. De fin mai à mi-septembre il y a affluence, les quinze tables de la salle et la table de convivialité de la terrasse sont réservées par certains habitués des campings environnants qui se sont fidélisés au fil des ans. Chaque week-end c’est le rush, mais le règlement est draconien, pas de service le soir. Seul le bar est ouvert jusqu’à dix-huit heures, hors saison également afin d’entretenir le lien avec les riverains.
    Une terrasse donne sur le potager du restaurant, un espace modeste sur lequel sont cultivés les légumes de saison qui servent en cuisine. Toutes petites, Miriette et moi affectionnions particulièrement ces soirées sous la tonnelle où, les Bouches-du Rhône rejoignait l’Occitanie le temps de festivités animées. Comme notre grande famille est composée du cocasse, du truculent et de l’originalité des gens du Sud, cela faisait parfois des étincelles. C’est devenu moins compliqué, mais il fut une période ou j’avais rejeté tout ce qui pouvait me rappeler ces instants, famille proche y compris.
    Les locaux sont vieillots mais très accueillants, il y règne une certaine convivialité qui fait que lorsque l’on en a passé la porte une fois, l’on y revient régulièrement. Ces jours-ci la chaleur tente une percée, alors munie d’un plaid et d’un châle je me suis posée sur la terrasse. L’herbe a envahi le jardin, mais apparemment oncle Richard prévoit déjà de l’éradiquer, ses outils de jardinage ornent les portes grandes ouvertes de l’appentis. Il m’est impossible de lire, je rêvasse.
    Selon les tantines, je dois me mêler aux irréductibles, les voisins ne sont pas des clients comme les autres me disent-elles. L’entourage des tantines était inquiet car depuis plusieurs mois le dauphin avait déserté leur parking. L’on s’inquiète pour la santé de la petite. J’ai trente-trois ans et pour eux je reste la petite à Colette. Lorsque l’on me nomme ainsi, cela fait sourire Ash, il ne réalise pas que tout ce petit monde vit en autarcie et que les enfants des uns deviennent ceux des autres dès leur naissance, cela ne changera jamais. Durant le repas Ash me surveillait du coin de l’œil alors j’ai dû faire semblant de me nourrir correctement en me laissant tenter par un flan de légumes et un minuscule morceau de lapin accompagné de brochettes d’ananas et pruneaux. La salade de fruits d’hiver de Mamaiette est fabuleuse car elle fait mariner la macédoine dans du vin d’orange et au moment de servir elle écrase finement cinq ou six grains de poivre du Sichuan et les parsème sur les fruits avant de mélanger le tout. Accompagnée d’une part de gâteau de Savoie, c’est le bonheur total. Les desserts de mes tantes sont mon péché mignon.
    Ah oui le dauphin, c'est ma voiture. L’antenne radio en forme d’aileron et la couleur identique à celle des charmants mammifères voltigeurs l’ont fait surnommer ainsi par les familiers des tantines dès ma première apparition avec, sur le parking du restaurant. Les parents de la petite la gâtent vraiment trop avaient commenté les piliers de bar. C’est moi qui me suis offert ma voiture, mais cela dit, ils n’ont pas tout à fait tort puisque c’est grâce à la pension que me verse monsieur J. que j’ai pu l’acheter. Dans l’après-midi je me suis rendue à la petite épicerie mitoyenne au restaurant que possède Madeleine, je me suis jetée dans la gueule du loup devrais-je dire car le lieu est le repère officiel des commères du quartier. Leur façon de parler de moi comme si j’étais ailleurs est trop comique pour que je m’en offusque.
    Ces dames s’inquiètent pour ma santé et elles le font savoir à Mamadeine sous forme de questions révélatrices de leur curiosité.
    – Mylhenn est bien trop maigre, comment arrive-t-elle à tenir sur ses jambes?
    – Vé, avec ce qui lui arrive elle a bien de chance de pouvoir encore se déplacer. Tu es sûre Deine que ce n’est pas le même mal que sa mère qui la ronge? La Provence dans toute sa splendeur. Les pipelets tournent en boucle sur mon apparence et cela n’en finit pas. Ouf, une bouteille de limonade, un pot de moutarde, un kilo de pommes, un gel douche, un bocal de soupe de poisson faite maison plus tard, ces dames sont enfin rassurées sur mon sort et soudain j’existe à leurs yeux.
    – Au revoir Deine, au revoir petite, prends soin de toi. N’oublies pas que la famille est un réconfort pour ceux qui souffrent!
    Mon sourire est figé et je les salue d’un signe de tête, mon esprit lui les envoie au diable. Le réconfort de la famille parlons-en. J’éprouve encore trop de ressentiments envers certains de ses membres qui m’ont lâchement abandonné. Beaucoup savaient ce que Christian me faisait endurer et aucune aide de leur part ne m’est venue … payé, oublié, balayé.
    À peine les deux clientes sorties qu’une autre les remplace et celle-ci c’est une véritable bazarette. Ce qu’elle ne sait pas, elle l’improvise, je crois que cette technique se nomme prêcher le faux pour savoir le vrai et la Norine que l’on surnomme la Nine excelle dans l’exercice. Pensez donc quatre-vingt trois ans cette année. Cette vieille chouette commence fort.
    – Tiens donc Deine, ta nièce se rappelle enfin que tu existes?
    – Est-ce vrai que tu as restauré la maison de Lynette? Sans laisser ma tante répondre elle s’est tournée vers moi le regard inquisiteur. Toujours conserver la même stratégie avec ces gens-là, j’acquiesce d’un signe de tête en lui présentant mon plus beau sourire.
    – Peuchère, la pitchoune a perdu la parole? Elle doit être bien là-haut et le fantôme de la vieille se sent sûrement moins seul! Je ne sais pas si c’est son rire ou les mots prononcés, mais il m’est venue à l’idée de la remettre en place vertement. Le regard de Mamadeine m’en a dissuadé, pas de vagues avec les clientes. Voyant qu’elle n’obtenait aucune réaction de ma part, la chouette se penche par-dessus le comptoir et se met à chuchoter à l’oreille de ma tante tout en me surveillant de temps en temps du regard. Chuchoter c’est à voir, marmonner plutôt, en me désignant du menton.
    – Elle sait qu’il est sorti de prison? C’est un sacré malfaisant celui-là, il a appris que la petite occupe la maison de Lynette? Il ne faudrait pas qu’il aille l’embêter pour sûr! Je ne peux m’empêcher de sourire, Mamadeine est plus qu’embarrassée. Au hameau tout le monde connaît tout le monde alors il serait bien difficile de nier. Les commerces des tantines font le lien entre une terre accueillante et un village prospère, Madeleine et Étiennette ont pour devoir de maintenir l’équilibre fragile qui règne entre les deux forces. Celle d’un peuple qui parle fort, qui se la raconte, qui est susceptible, qui possède un humour très particulier, qui se veut chaleureux et celle des pionniers des lieux qui se sont dispersés et multipliés, mais qui au final se reconnaissent comme les détenteurs unique des traditions. Le manque d’intimité en est une, il est impossible ici de dissimuler quoi que ce soit à ses semblables. En même temps je suis persuadée que ce sont les tantines qui prennent un malin plaisir à alimenter le feuilleton intitulé Mylhenn Notre Nièce. Je ne leur en veux pas, je les aime trop. Comment se peut-il qu’elles soient de la même engeance que leur aîné.
    Mamaiette tente de détourner la conversation sur les douleurs de la Nine, celles dues à la brume humide de ces derniers jours. Mais non c’est raté, le temps qu’un pot de confiture, que quelques légumes, que du produit vaisselle et qu’une éponge atterrissent dans son panier, voilà que son regard accroche le mien.
    – Toi, j’espère que tu vas le garder ton gars, parce qu’il a l’air charmant! C’est bien vrai ce qui se dit, ce sont les immigrés qui vont renouveler le sang de nos petits-enfants! Quelle garce, je suis sciée-clouée, je n’ai rien vu venir.
    - Bonne soirée Deine, à demain si cela doit se faire! Comme si de rien n’était, elle pose son billet de dix euros sur le comptoir et sort tranquillement. Ce n’est pas de la médisance, juste un caquetage sans importance me dit ma tante, pour moi ces langues de vipère baveuses mériteraient une distribution gratuite de mornifles.
    J’étais bien au-delà de l’énervement lorsque je suis allée rejoindre Bébé. Cela l’amuse plus qu’autre chose, l’on ne peut pas empêcher les gens de parler me dit-il. Goujat va. Il n’a rien à craindre lui, on le trouve charmant apparemment. Lorsqu’il repère des butors ou des tisseuses de cancans il se met aussitôt en mode Lord, oui j’admets qu’il passe pour un homme bouffi d’orgueil dans ces moments-là, mais il y gagne sa tranquillité.
    J’apprécie énormément mes séjours chez les tantines. Lors de mes périodes tourmentées il m’arrivait de braver les autorités afin de me rendre auprès de Maë Lynette, ma grand-mère. Lorsque celle-ci sacrifiait à ses devoirs d’élue, elle me confiait aux bons soins de ses belles-sœurs. De ce fait leur modeste pigeonnier situé au-dessus du restaurant me servait de refuge discret et douillet. La plupart du temps le modeste appartement est inoccupé. Il accueille parfois mes tantes lorsqu’elles sont trop fatiguées pour remonter aux terres après une journée de travail.
    Ce qui fait que lorsque nous sommes présents dans le petit studio, Ash et moi disposons d’un divan confortable que nous agrémentons quelquefois d’une certaine tiédeur affective et … secrets d’alcôve.
    Nous sommes allés au cinéma car j’ai eu envie de voir l’adaptation qui est faite du roman, Je Voulais Retrouver ma Mère. C’est l’histoire d’un petit garçon indien qui, à l’âge de cinq ans se perd dans la gare de Calcutta. Avec détermination, armé de rares souvenirs de son village, Saroo parvient à retrouver sa famille vingt-cinq ans plus tard. Ce film est très émouvant, il m’a arraché une pluie de larmes. D’ailleurs il m’a semblé que Bébé avait lui aussi les yeux brillants en sortant de la séance. Ash n’est pas de ceux qui dissimulent leur émotivité.
    Retour à la Petite Paix pour des instants studieux. Ash révise des notes qui lui permettront d’aborder avec confiance un programme chargé. Les sujets en sont la sociologie criminelle, la psychologie criminelle, la sociopathie narcissique et la criminalité d’opportunité. Je l’ai lâchement abandonné à la complexité de ses études afin de me consacrer à mes propres révisions. J’ai énormément de mal à me concentrer sur ma préparation, les mots dansent devant mes yeux et mon esprit se focalise sur le cataclysme qui pourrait m’emporter à nouveau.
    Le chat du cheshire est dans la place. Ash a pris la route sans que je parvienne à lui confier mon tourment…

    ALoNe WiTH THe CaT... 04 mars 2017

    ...Ma dépendance est de retour et je suis seule pour la combattre. Cela me terrifie!
    Suite à son premier voyage en camping-car ma Pat a créé un site confidentiel à l’attention de ses proches et amis fidèles. Elle y poste de magnifiques photographies agrémentées de merveilleux commentaires dont elle a le secret. Je m’y suis connectée dans l’espoir de détourner mon esprit des affres de l’addiction. Aujourd’hui plus qu’hier et certainement moins que demain, mon ’’précieux’’ lance des appels déchirants à mon cerveau par vagues successives et je comprends avec effroi qu’une fois sur sa lancée, rien ne l’arrêtera. Je lutte pourtant de toutes mes forces mais le combat est rude car de cruelles douleurs physiques et morales l’accompagnent. Trop de souvenirs insupportables sont associés à mon addiction à la vodka. Il m’arrive souvent de souhaiter que les mauvais traitements qui m’ont conduit aux urgences m’aient rendu amnésique au lieu de me priver définitivement de maternité. Entre lèvres sèches, battements sourds de mon cœur et spasmes musculaires j'ai passé une nuit abominable à essayer de me raisonner en buvant. En buvant des litres de thé dans l’espoir d’apaiser cette soif inextinguible d’alcool. Le manque embrase chacun de mes nerfs et je suis incapable de penser à autre chose qu’à ce toxique. Pire, j'ai été à deux doigts de faire des courses en ligne afin de me procurer discrètement mon Absolute. L'alcoolisme est une maladie dont on ne guérit jamais, je crois l’avoir déjà écrit, plusieurs fois. Je m’étais cru tirée d’affaires car j’ai passé le cap de la demande pulsion, de l’ultimatum inévitable, du coup j’en ai oublié l’envie plaisir : le glougloutement apaisant du liquide qui se déverse dans un verre, la fraîcheur des glaçons qui le recouvre de buée et l’attente de la brûlure qui irradiera ma gorge. Sournoisement le chat du cheshire est réapparu.
    Faute d’un sommeil réparateur, je paresse une partie de la journée en pyjama sur le canapé. Je n’ai goût à rien, seule cette cruelle sensation de manque habite mes pensées. Je suis torturée sans pouvoir reprendre la main, même la présence de Flo en fin d’après-midi n’a pas détourné mon esprit de l’infâme mixture.
    Mon alcoolomanie, je la revendique mienne, m’entraîne dans un délire de comparaison. Similaire au félin de Lewis Caroll, elle attire mon regard, tirée à quatre épingles et comme le matou tigré du cheshire elle possède la faculté d'apparaître et de disparaître selon sa volonté. D’un calme à toute épreuve, d’une sensualité nonchalante, elle arbore un sourire séducteur qui masque sa traîtrise. Patiente et fascinante, elle n’a cependant aucune chance de se racheter un jour.
    J’ai retrouvé sur une clé USB des pépites d’écriture que je désirais le plus éradiquer de ma mémoire. Ce que j’écrivais à l’époque sur ma dépendance à l’alcool est identique à ce que je ressens aujourd’hui.

    « … Comme celui d'Alice au pays des merveilles, le chat dont je parle ne me quitte jamais des yeux. Il se fait discret et reste tapi dans les méandres de ma volonté. Il observe attentivement tous mes faits et gestes. Une seule erreur de ma part et il bondit hors de sa cachette. Entre paradis et enfer il sait attirer mon attention en se faisant tantôt câlin, tantôt menaçant. Sa bouille de prédateur me séduit d'un sourire enjôleur. Pendant des semaines, des mois durant, avec patience il fait le guet inlassablement, puis soudain il ouvre grand les yeux et prépare ses griffes acérées. J’ai beau lutter avec acharnement, l’envie me possède tel un sort jeté, le dérapage est proche.
    Cela commence par un regard de plus en plus soutenu sur le poison scintillant, mes lèvres deviennent sèches et déglutir me devient quasi insurmontable. Je suis rapidement vaincue, je deviens son jouet, sa victime, le gibier du gros chat qui m’observe, impitoyable. Cela commence par un regard insistant sur la bouteille qui trône sur le bar. L’ironie est que j’ai conservé ce flacon d’ivresse afin de me souvenir d’où je reviens. Le breuvage m’attire inexorablement et lorsque je m’empare d’un verre, je sais que je suis perdue. Peu m’importe qu’il soit pur ou aromatisé à la cerise, aux épices ou à la pêche blanche, une fois la première gorgée avalée j’en deviens esclave. La vodka m’est ambroisie teintée de sensualité. Une seule gorgée calmera les élancements de mes muscles me dis-je, mais je prends vite conscience que cela ne suffira pas. Vient alors le premier verre, le deuxième, la moitié de la bouteille et, dans un dernier soupçon de lucidité je me vois la vider entièrement. Mon regard est déjà parti à la recherche de la suivante.
    Le poison me dévore les entrailles et le cerveau, mais rien ne peut m’arrêter, je suis invulnérable.
    La démarche chancelante, les yeux injectés de sang je me trouve les mêmes excuses que les fois précédentes pour couvrir ma déchéance. La machine lancée et il n’y a que moi qui puisse la stopper, j’en suis bien incapable.
    La mélodie des glaçons qui tintinnabulent à mes oreilles est une complainte qui me pousse à descendre toujours plus profond aux enfers. Il est bien connu qu’il n’y a pas de bonne vodka si celle-ci n’est pas accompagnée d’une poignée de petits cubes transparents. J’ai encore bonne conscience, je ne fais de mal à personne sauf à moi-même.
    La deuxième bouteille entamée, enveloppée dans un brouillard bienfaisant, la tête en feu, je suis persuadée d’avoir trouvé le parfait désinhibiteur. Plus de douleurs, plus de tristesse, plus de chagrins ni de souffrance. Le monde est à moi et du haut de mon petit nuage je contemple en toute innocence le commun des mortels, avec condescendance. L’impression d’invulnérabilité me conduit à braver tous les dangers mais rien ne peut m’arriver puisque je suis indestructible.
    Dans ces moments-là j’évite de me confronter à mon reflet, je suis terrorisée rien qu’à l’idée de ce que je pourrais y apercevoir. J’ai pleinement conscience que le vide se fait autour de moi, la plupart de mes amis se lasse, ils ne trouvent plus la force de m’attraper par les cheveux pour m’empêcher de couler définitivement.
    Sans volonté aucune, je me complais à avaler l’un après l’autre les verres qui me tuent à petit feu. C’est un enfer paradisiaque, un monde inaccessible aux êtres censés qui me conduisent tous deux vers une destinée peu reluisante.
    Je compare ma dépendance aux griffes de Cheshire, elle m’emprisonne sans espoir d’empêcher les dommages collatéraux. On ne guérit JAMAIS de l’alcoolisme et si quelqu’un prétend le contraire, c’est un menteur.
    Il me faut donner un sacré coup de talon pour remonter à la surface, je me refuse à être la victime de cheshire à vie … »

    À l’époque où j’ai écrit le texte ci-dessus, un semblant de lucidité commençait à poindre en mon esprit. Bonjour, je me nomme Mylhenn, je suis alcoolique. Je fais souvent ce premier pas, mais cela s’arrête là.
    Si j’ai fait le mauvais choix à une certaine période de ma vie, je ne dois m’en prendre qu’à moi-même. Aujourd’hui j’ai atteint le chemin de non-retour. Sobre, je demande pardon à toutes celles et ceux que je fais souffrir, mais cette soudaine détermination à m’en sortir est encore trop fragile pour qu’elle soit véritablement sincère. Ma thérapeute m’explique que mon désir d’abstinence n’est pas total, le poison qui me détruit lutte encore trop puissamment contre ma volonté pour que j’accède au renoncement définitif. Cela viendrait de ce que mon cerveau perçoit toujours mon alcoolisme comme une issue de secours, il n’admet pas encore que le plus difficile de mon existence est derrière moi. Alors de temps en temps le chat du Cheshire se rappelle à ma mémoire histoire que ma sobriété ne soit pas un fait acquis.
    J'aime Ash de tout mon cœur. Il a été tellement généreux dans ses encouragements que je ne peux pas me permettre de le décevoir. Ash est mon phare, il m’empêche de me perdre dans le brouillard de ma dépendance, mais cela ne fait pas tout. Si je veux mener à bien ma guerre, je dois me battre pour ma survie, pas pour ceux qui tentent de me maintenir la tête hors de l’eau, autrement cela ne marchera pas. Je l’admets, j’a grave merdé cette fois-ci. Pourquoi, Bonne Mère, n’ai-je pas vider mon sac avant son départ? Parce que j’ai eu honte tout simplement.
    Heureusement, je sais qui appeler à mon secours et lui ne me jugera pas non plus…

    HoNey DayS... 09 mars 2017

    …Un pied au-dessus du gouffre, j’ai demandé de l’aide. L’on me dit que j’ai fait preuve de courage!
    J’ai été bien entourée et j’ai la chance inouïe d’avoir pu compter sur l’aide efficace de personnes bienveillantes. J’ai dû me cramponner à ma volonté de toutes mes forces pour gagner la nouvelle bataille, pas la guerre.
    Certes au bord du précipice, mais j’ai tenu bon, je n’ai pas sauté.
    L’on m’a tenu la main, pourtant j’ai été plus qu’été odieuse, blessante, insupportable. Sans me faire de reproches, mes anges gardiens se sont fait remparts pour me protéger de la malédiction. Je les en remercie infiniment.
    D'après le spécialiste en addiction qu’il m’a fallu consulter, cet état de manque soudain et violent est venu de ce que ma dépression post voyage a bouleversé mon comportement. Mon mal être a été trop rapidement guéri si bien que mon cerveau n’a pas eu la dose de réconfort à laquelle il est habitué.
    Alcool et médicaments forment un redoutable cocktail qui peut conduire droit au cercueil. Soudain le flash, j’ai réalisé que je voulais vivre. Après des années de mélancolie, d'envies morbides, de souhaits funestes, je n'appréhende plus l’avenir. Ce serait mensonge que de dire que plus rien ne me préoccupe, la perte de mon autonomie me ronge, mais ceci sera le prochain combat que je mènerai car pour l’instant seules les souffrances morales intolérables que j’impose à mon entourage me sont priorité.
    J’ai lu quelque part qu’un alcoolique, un vrai, boirait de l'eau si ça pouvait le saouler. En ce qui me concerne, mis à part me noyer aucune eau aussi prodigieuse soit-elle ne pourrait effacer la genèse de ma mélancolie chronique.
    Un entretien avec un alcoologue, c’est tout nouveau pour moi. Je me suis retrouvée quelques années en arrière lors de mon premier entretien avec Nadège. Le médecin a écouté religieusement et sans jugement mes élucubrations de future repentie, le désir de stopper net la locomotive n’est pas ancré assez profondément en moi pour que mes paroles soient vraiment sincères me dit-il. Et paf, il m’est déjà très compliqué voire impossible de me livrer totalement alors si en plus il brise mes espoirs dès mes premières confidences, s’en est terminé de mes bonnes résolutions. Il n'a fait aucun commentaire lorsqu'en bonne patiente alcoolique je me suis trouvée des excuses pour mes excès passés, bien trop d’excuses je m’en suis rendue compte moi-même. Se trouver face à une personne muette et immobile qui vous écoute en vous fixant attentivement est très déstabilisant. J’avoue que j’ai été tentée de la lui jouer à l’envers, mais comme je l’écrivais plus haut, nul retour en arrière n’est possible, alors d’alcoolique je suis passée à incontinente verbale. La façon dont il m’observait était flippante, rien ne transparaissait sur son visage, j’avais l’impression d’être un animal sauvage que le chasseur étudie, il se fondait à mes révélations. Il fut un temps où je ne lui aurais pas pardonné cette introspection qu’il me faisait subir, l’adulescente que j’étais est devenu adulte en une séance avec un addictologue ; j’ai subitement saisi qu’il me fallait accepter son aide, ma dernière chance.
    Ce monsieur est peu bavard, c’est ma petite personne qui fait tout le boulot. Je dois explorer mes possibilités, lui ne fait que reconstituer mon discernement et d’après mon cheminement de pensées, plusieurs objectifs me sont offerts.
    Il me faut consciemment accepter la maladie, je le répète encore, l'alcoolisme est une maladie. Mon cas n’est pas désespéré puisque j’ai eu la force de lutter ces derniers jours et surtout celle de demander de l’aide.
    Il me faut découvrir le déclencheur qui provoque cet impératif et soudain besoin d’alcool et, selon l’addictologue, la rémission serait à portée de main. Je suis cafie de bon vouloir, pourtant je sais que si l’on me tendait un verre à cet instant, ce n’est pas moi qui gagnerai le premier round. Je dois éloigner la tentation par un dérivatif mais aucun ne me vient à l’esprit. Pourtant en fin de séance le praticien m’affirme que je possède déjà l’exutoire salvateur.
    Le schéma thérapeutique est différent pour chaque patient. Dans mon cas, cela dépend de mon histoire, de ma personnalité, de mes difficultés familiales et relationnelles. Le nombre des séances dont j’aurais besoin se décidera en fonction du degré de ma dépendance et surtout de ma relation à l'alcool. J’entre dans la catégorie alcool refuge. Ma chère vodka me sert de médicament, elle m'étourdit en un suicide plaisir que je sollicite avec ferveur. Elle me procure une amnésie temporaire que je souhaite définitive car elle soulage mes blessures de l'âme. Tout serait si simple pour moi si je croyais au discours du praticien. C’est du réchauffé car Nadège me l’a déjà servi au cours de nos premières séances. Admettre son alcoolisme est le premier pas vers l’apaisement. Je m'appelle Mylhenn, je suis alcoolique, je ne nie pas être malade de l’alcool. Ce mantra est celui qui devrait m’éloigner de la déchéance, me tenir à distance de la vague.
    Deuxième séance ; demander de l’aide implique que l'on veuille cesser totalement de boire de l’alcool.
    C’est lamentable à dire, mais je n'y suis pas totalement prête. Renoncer définitivement en été aux petits plaisirs que me sont mon ambré framboise ou un verre de rosé frais en apéritif tient de l’utopie. C'est déjà trop pour parler d'abstinence, d’ailleurs je hais ce mot, à mes oreilles il résonne culpabilité et serviteur d’un Dieu en lequel je ne crois plus. Mon véritable souci est la vodka. Elle m’a trop longtemps servi de réconfort, parfois même elle m’aidait à rendre les coups, elle était ma seule amie et lors de mes manques c’est vers elle que se dirige toutes mes pensées. Je ne dois pas avoir suffisamment touché le fond puisqu’il est hors de question que je fasse la démarche de me rende à une réunion de la fraternité.
    J’ai tenu, je tiens et je tiendrais, j’ai d’excellents outils de travail en mains.
    Je possède en moi la force de résister au chant des sirènes, je suis apte à dompter Cheshire.
    Devenir un légume si je fais le mélange médicaments et alcool me terrifie.
    Lâcher prise, renouer avec mes racines, avec monsieur J. en particulier. Je ne veux pas l’admettre mais cela me ronge depuis bien trop longtemps. Et le plus important, restée sex bomb pour mon Pain d’Épices.
    Il paraît que me concentrer sur mon écriture est une aide inespérée, une force. C’est le fameux antidote dont parlait l'alcoologue. J'ai tous les atouts en main, à moi de prendre les bonnes décisions.
    À son retour Bébé n'était pas content du tout et je ne lui donne pas tort. J'ai eu droit à ses remontrances pour n'avoir pas osé lui parler de mon manque, puis à ses félicitations pour avoir résisté et su demander de l'aide.
    Le dramaturge Yves Mirande a écrit : Tu noies tes chagrins dans l'alcool ? Méfie-toi, ils savent nager…

    BiG WoRKS... 12 mars 2017

    …Cent cases pour les réunir tous. À présent ce me semble un peu grand!
    Marceau, Papey et Ash se sont mis au travail dès le milieu de la matinée. Depuis mon installation à la Petit Paix mes livres étaient entreposés dans un réduit sous l'escalier qui conduit à l'étage et je dois dire que cela me chagrinait un peu. Il y a quelques temps de cela Jérémy, le fils de Pat m'a suggéré une idée sympa que je me suis décidée à adopter. Il s’agit d’un kit de lames de bois laqué teint, certaines blanches, d’autres noires. Entrelacées et fixées solidement à la cloison, elles formeront un damier dans lequel chaque case pourra recevoir dix à douze bouquins. Une fois terminé cela devrait rendre du plus bel effet sur le mur en crépi brut du salon, juste en face de la cheminée. J’ai vu un peu large, mais Ash pourra y disposer ses livres de travail et sa série brochée sur l’Inde, ainsi cela donnera de la valeur à mes casiers.
    Marcel et Pat sont de sortie en camping-car dans le sud. C’est un peu tôt pour le camping, mais ils rendent visites aux amis qu’ils se sont faits au cours de leurs séjours estivaux. Ayant lu mes derniers écrits, Patricia était inquiète aussi a-t-elle demandé à Marcel de faire un détour par le quartier Alceste afin de se rendre compte par elle-même de comment j’allais. Elle me connaît à la perfection, par mail ou en communication je suis la pro de la dissimulation.
    Leur venue tombe à point nommé, Pat me tient compagnie tandis que son Marcel donne un coup de mains à Ash et Marceau pour l’installation du meuble. Mon amie s'est mise au piano et comme d'habitude, sa cuisine généreuse me permettra de voir venir pendant deux ou trois jours. Mon amie, Pat est bien plus que cela, c'est celle qui m'a tendu la main la première alors que je passais mon temps à m’auto-détruire. J’ai pu la tranquilliser quant à ma maladie, mais en ce qui concerne mon moral elle n’est pas dupe. Une discussion nécessaire, nous a obligé à nous éloigner des oreilles indiscrètes.
    Récemment, en observant le Papey, une sensation de déjà vu s’est imposée à mon esprit. Certains soirs il lui arrive d’être plus ou moins chancelant et incohérent en paroles. Ça a fait tilt dans mon esprit quand plusieurs fois il m’est arrivé de découvrir ma Patricia dépressive et rongée par une souffrance morale mystérieuse dont elle refusait tout net de me divulguer la cause. La honte l’empêche de se confier à ses amies alors il lui arrive parfois de craquer. Son aveu aujourd’hui a dû énormément lui coûter, mais elle avait besoin de libérer sa parole.
    Marcel est régulièrement aspiré par la spirale infernale de l'alcoolisme et ma Pat endure cette épreuve depuis plus de quarante ans. Elle aussi a connu les affres de la dipsomanie, durant des années le martini Rosso était devenu son refuge, l’île enchantée où l’amnésie la berçait durant quelques heures. Pat possède une telle force de caractère qu’elle n’a pas sombré totalement, elle a su se préserver à temps afin de protéger ses enfants. Je crois qu’elle a compris qu’à présent j’étais à même de recevoir ses tristes confidences.
    De prime abord Marcel passe pour ce que l’on nomme en Dauphiné, un personnage. Toujours la blague aux lèvres, ses réparties surprenantes fusent puis sans savoir pourquoi il devient irritable, susceptible et bourru. Son sourire avenant se transforme en un rictus boudeur qui sanctionne un interlocuteur surpris de ce changement soudain d’humeur. Personne n’y fait vraiment attention, ses amis le connaissent ainsi depuis des décennies.
    Patricia m’explique que lors de ses grosses crises Marcel s’isole, se cache pour boire, il enferme ses boissons comme si un sentiment de honte l’étreignait brusquement. Il a parfois tellement peur de manquer de bières, de pastis et de vin qu’il se constitue un stock hallucinant. L’alcoologue que j’ai consulté nomme ceci le réflexe de survie du grand buveur. Ce qui tue Patricia à petit feu c’est la capacité qu’a le Papey à gommer de sa mémoire ses débordements, les lendemains de cuite, quatre à cinq fois par semaine. Patricia elle thésaurise ses excès à outrance et le comportement qui va avec. Elle s’en rend malade. Marcel trompe son monde, on le trouve sympathique et avenant, un peu lourd parfois, parce que leurs hôtes ignorent qu’il a déjà trois pastis d’avance lorsqu’il est invité en soirée. Les activités telles que des parties de pétanque ou de carte lui servent de prétextes lorsqu’ils sont au camping me dit-elle, mais Dieu merci il ne prend jamais le volant quand il est ivre. Cela prouve évidemment qu’il a conscience de l’état dans lequel il se met et lorsque Patricia tente de le raisonner il use de déni et s’emporte violemment. Il n’est plus tout jeune et ses enfants disent à Pat que c’est pour se donner des forces qu’il boit ‘‘un peu plus qu’avant’’. Ses trois enfants sont eux aussi dans le déni et je suppose que c’est le seul moyen de défense qui leur procure un certain soulagement. Ils sont bien conscients de l’alcoolisme de Marcel, mais … c’est leur père. Cette aide espérée qui ne viendra jamais entame profondément le moral de Pat, d’ailleurs elle m’a confié douloureusement ne plus en attendre de leur part. Il lui est arrivé d'envisager un départ définitif et pour qu'elle ose me l'avouer c'est que ma gentille Pat est vraiment au bout du bout. Cela me peine énormément, Patricia ne mérite pas ça, elle qui m’a apporté tant de soutien lorsque je me trouvais au plus mal. Je ne peux lui être d’un grand secours en ce moment car je me bats toujours férocement contre mon craving. L’addictologue m’a prévenu que se pourrait être très compliqué et il a raison, une petite voix dans ma tête m’invite subitement de son chant des sirènes : Allez, un seul verre ça ne peut pas te faire de mal! Un faux pas n’est pas synonyme d’échec m’a-t-on dit, pour moi s’en serait un.
    Cette promenade sur fond de confidences intimes nous a fait énormément de bien à toutes deux.
    En fin de journée ma bibliothèque commence à prendre de la gueule. Marcel a même commencé à raccorder les appliques électriques au meuble et à l'intérieur de quelques cases. Bébé n’a rien d’un Bob le bricoleur, mais il a joué aux gros bras pour ces messieurs et je le sens tout heureux d’avoir ainsi participé aux travaux.
    Nous avons passé une super soirée avec Pat, Marcel, Marceau et sa famille que nous avons invité pour le remercier de son aide. Pour la première fois de ma vie, j'ai donné le biberon à un nourrisson. C'était ... déroutant. Viserys a eu quatre mois avant-hier, en plus de son lait maternisé il a droit à une cuillérée ou deux de compote. C'était amusant de le voir mâchouiller sa cuillère en caoutchouc. Un goinfre aux dires d’Hélène. J’ai peine à croire que chacun en ce monde a été pareillement innocent. J’en suis toute remuée, perdre son regard dans celui d’un nourrisson est très flippant pour moi.
    J'ai surpris le regard de Bébé sur moi tandis que je tenais Viserys dans mes bras. Je m’imagine qu'elles ont été ses pensées et cela m’a fait mal. Le bonheur puissance dix d'Hélène et de Marceau depuis la naissance du petit est presque palpable. Ils font la plupart du temps l’impasse sur une bonne nuit de sommeil, mais la présence du minot est une magnifique compensation. Pat a également intercepté le regard de Bébé, au petit-déjeuner elle tente de me tirer les vers du nez, mais il est hors de question que j'engage une conversation sur le sujet même avec elle. Ma Pat est ce qui se rapproche le plus d'une mère pour moi, mais je trouve le sujet encore trop douloureux pour me livrer.
    Marcel et Ash ont terminé les finitions en petite fin de matinée, le rendu est su-perbe.
    L’intervention de Flo étant prévue pour l’après-midi, je n'ai pas voulu que Pat fasse le ménage. Les deux pigeons voyageurs ne sont pas restés pour le déjeuner, ils étaient attendus chez leurs amis à la Grande-Motte pour treize heures.
    Bébé et moi en avons profité pour nous concocter une petite dînette en amoureux et terminer la journée au calme près de la cheminée car Mister freeze est de retour. Et aussi en partie à cause de Flo qui n’aime pas nous voir trainer dans ses pates comme elle dit. J’apprécie énormément cette personne car elle sait respecter notre quiétude. Ma concentration n’est toujours pas au top mais je tente la lecture. Les Mémoires de la Forêt sont une délicieuse pépite en trois tomes que Bébé m’a ramené de Paris. En gros ce sont les écueils de la vie contés par des animaux. L’on pourrait croire que ces ouvrages ne s’adressent qu’à des enfants, mais les adultes ont de quoi s’en inspirer. En lisant le premier tome je me noie dans une plume bouleversante. Un voyage intellectuel inattendu.
    Bébé lui, répond à ses mails, il a levé le pieds pour les recherches d’un appartement Londoniens. Il se dit au sein de sa famille que certains de leurs membres sont intéressés pas un achat associé et que cela pourrait aboutir rapidement. L’appartement d’oncle Donald reste inoccupé la plupart du temps alors celui-ci envisage de le céder à une agence pour une vente flash au terme de laquelle il obtiendrait une option préférentielle sur un bien dans ce même quartier où les résidences partent comme des petits pains. À voir avec les cousins évidemment, mais ils n’ont aucune raison de s’y opposer puisqu’ils n’y viennent jamais. Hylam est le seul à ne pas manifester d’enthousiasme à l’idée et pour cause. Les rumeurs de la valetaille laissent entendre que le frère de Bébé serait un rien volage alors il est probable que le 127 bis est l’endroit parfait pour roucouler avec sa dulcinée du moment. Il y a un comble à tout cela, depuis que Môman n’est plus encombrée par ma présence, elle semble soudain m'apprécier et elle souhaite ma visite prochaine. Que dit Pat parfois? Ah oui, compte là-dessus et bois de l’eau. Madam’ m’a fait misère, alors je vais lui enseigner la patience.
    AMG C63 S. Non ceci n'est pas un code secret, mais l’appellation du joujou que Bébé envisage de prochainement s'offrir.
    Dix. J’ai poursuivi mon inventaire personnel et admis mes torts…

    ORBiS uNuM... 14 Mars 2017

    ...Je n’ai nulle prétention à m’approprier la devise des chevaliers d'Aragon. Un seul monde!
    Ces deux mots représentent exactement ce qui qualifie ma Petite Paix à mes yeux. Et cela me suffit. C’est au cœur de ces vieux murs que s’effectue ma palingénésie. Je perçois le bonheur, il est à ma portée.
    Cent trente-cinq. C'est le nombre de livres que j'ai retrouvé dans les cartons sous l'escalier et ceux que j’ai disséminé un peu partout dans la maison. C’est en les triant, les dépoussiérant et les plaçant dans les cases de la bibliothèque que j’ai découvert cette multitude hétéroclite. Je n’irais pas jusqu’à dire que tous m’ont permis de me cultiver, mais beaucoup m’ont servi à oublier ma paranoïa naissante à mon retour d’Amérique du Sud. Bon nombre m’a été offert par ceux qui croyaient à la cicatrisation proche de mes maux, ils n’avaient pas compris que ma scarification morale était bien plus profonde. Ma thérapie lecture s’avère interminable, mais aucune de ces personnes ne m’abandonne.
    Cet après-midi le sournois samouraï joue de ses katanas. J'ai connu pire, pourtant Frédérique ma kiné, a renoncé à me manipuler. Lorsqu’elle pose ses doigts sur moi je ressens ce qu’elle nomme une douleur exquise. Moi je dirais que cela s’apparente plutôt à une brûlure dû à un coup de soleil flash. Du coup, je suis à nouveau condamnée au repos, je ferre les cigales comme disait mémé. Je perds mon temps en le laissant s’écouler en regrets stériles. Ne pas pouvoir gérer l’entretien de ma maison me rend triste. Florence mène l’ouvrage de mains de maître et moi je regarde.
    À présent que ma bibliothèque est opérationnelle, j’envisage l’installation d’un coffre scellé pour les dossiers sensibles que ramène quelquefois Ash chez nous. Nul n’est à l’abri d’un cambriolage. Ces documents sont ses outils de travail alors je n’ose imaginer les complications que cela provoquerait s’ils tombaient en de mauvaises mains. Déposer sa mallette verrouillée sous le lit lorsque nous nous absentons n’est pas une solution à long terme. Réflexions, réflexions.
    Je me suis aperçue que le réduit sous les marches est un véritable dépotoir. Ceci dit j’ai récupéré l’antique gaufrier de mon arrière-arrière-grand-mère, il ressemble à une raquette de tennis, à l’intérieur des soufflets sont gravés quatre cœurs. Cela fera du plus bel effet sur le mur de ma cuisine, je l’accrocherais près du baromètre cigale de pépé. Cet objet est tout ébréché mais il m’a été impossible de m’en séparer, et puis il n’est pas si moche que cela après tout.
    Au fond du fond de la niche j’ai découvert un carton tout déglingué, couvert de … vie extraterrestre. Vraiment, je ne saurais pas qualifier ce qui le recouvrait. Un sacré trésor, j’en ai extirpé deux bonnets à pompon tout mités, un plaid en fourrure qui appartenait au chien de ma grand-mère, une nappe déchirée, une mallette de jeux de société dans laquelle bataillent joyeusement des coupures de journaux, des cartes dépareillées et des pièces en chocolat datant certainement du crétacé. Sous l’enveloppe doré, le chocolat a une couleur sulfate de cuivre et, enveloppé dans un torchon moisi, une boîte à musique dont le mécanisme ne fonctionne plus. Tout ce fatras a fait connaissance avec la poubelle.
    Une chance que mes livres confinés avec ces déchets n’aient pas été couverts de moisissure
    Nous sommes à la mi-mars et pourtant il m’a fallu disposer une fois encore des bûches pour la cheminée façon pyramide Kapla. Oups, Florence a rangé les bûches. Cela fait très campagnard, trop même. Pour habiller l'espace entre la cuisine et le salon j’ai commandé un paravent à pochettes-soufflets dans lequel je glisserai mes DVD. L’estampe japonaise qui décore le tissu est superbe, je suis impatiente de le recevoir car ils tardent à me livrer.
    Skype improvisé avec Patricia, celle-ci avait besoin de vider son sac, elle est outrée. Non ce n’est pas Marcel qui est en cause pour une fois.
    Mon amie possède un domaine agricole où elle reçoit parfois des animaux blessés ou âgés que lui confient leurs propriétaires pour une convalescence sereine. Ces derniers jours, Marquise, trente et un ans, pâture tranquillement dans un pré adjacent à la maison. Qu'elle n'a pas été la surprise de Marcel quand avant-hier en fin de journée, il a vu surgir les gendarmes accompagnés du représentant local de la SPA et d'un vétérinaire. Un voisin nouvellement installé près de chez eux a alerté tout ce beau monde car il soupçonnait Pat et son mari de mauvais traitement sur ladite Marquise. Marcel et Pat étaient bouleversés. Ils ont immédiatement appelé le vétérinaire qui prend soin des animaux de la ferme pour seconder la personne réquisitionnée par la gendarmerie. Après remise de documents du propriétaire et examen de l’animal, il a été confirmé que Marquise était en bonne santé, bien nourrie et … âgée. Tout comme les humains, les chevaux perdent de la masse musculaire avec l'âge et il est normal qu'ils paraissent efflanqués. Marquise a un abri pour la nuit avec du foin et elle est bien en vue pour une surveillance parfaite. La cavalerie s’en est allée la queue entre les jambes aurait commenté Marcel. Le voisin surveillait derrière sa barrière et il est rentré à grands pas dans sa maison lorsque les gendarmes se sont approchés. La porte a claqué si fort que le bruit a dû être entendu jusqu’à Bourgoin m’a dit Patricia. Si cet imbécile continue à titiller les agriculteurs du coin il va retrouver une remorque de fumier bien chaud devant son portail. Ce n’est pas une menace mais une promesse a dit un ami de Papey aux gendarmes. En effet, le grincheux insulte généreusement et régulièrement Robert parce que ses vaches sèment des bouses le long du sentier privé derrière sa propriété. Certains feraient mieux de rester en ville, ils ignorent tout des coutumes en campagne, ils jugent et déposent leurs exigences ridicules.
    J’ai offert un thé à la menthe à Florence avant qu’elle ne se mette à l’ouvrage. Lors de certaines de ses interventions il y a si peu de travail qu’elle se transforme en dame de compagnie. Aujourd’hui en est un. Lorsque je suis seule je n’occupe que le salon et la chambre, la cuisine sert de décoration. Elle m’en fait assez souvent le reproche et cette fois-ci encore elle ne déroge pas à la tradition. ‘‘Vous n’êtes pas sérieuse Mylhenn, votre estomac va rétrécir si vous ne vous alimentez pas correctement’’ Serviable et bienveillante ma Florence, comme le ménage n’était pas l’un des travaux d’Hercule, elle s’est appropriée le contenu du réfrigérateur afin de me confectionner quelques gourmandises salées. Un cake aux olives noires, une salade cœur de laitue-kiwi et une mini quiche jardinière de légumes, sans pâte. Mon auxiliaire de vie fait mes courses selon mes envies, mes choix, mais la plupart du temps elle retrouve ce que j’ai réclamé sous vide, intact dans le frigo. Elle ne comprend pas ma façon d’agir, qu’elle se rassure moi non plus.
    Je viens de commencer un polar dont l'action se situe en plein cœur d'une Guadeloupe fascinante, envoûtante et déroutante. Cela me permet de faire l’impasse sur le tison et la lame qui me torturent cruellement.
    Les heures se suivent et se ressemblent. La ménagerie réclame sa livre de chair…

    QueLQueS BLueTTeS... 19 Mars 2017

    …Une fois encore je vais faire référence au Marchand de Venise. Les pics de douleur sont insupportables!
    Dix-neuf degrés affichés au thermomètre extérieur près de la porte-fenêtre. Le printemps est proche. Je suis frigorifiée, aussi ai-je préréglé mes radiants à vingt degrés et cela aurait dû suffire à me maintenir au chaud. Et bien non, mon corps entier refuse de m’obéir. Ma S.A s’est brusquement manifestée. Très agressive cette saleté réclame sa livre de chair. Chaque pas m'est calvaire, l'on dirait que mes chevilles sont transpercées d'aiguilles. Idem pour mes hanches et mes genoux. Quant à mes mains il me semble qu’elles sont soudées à mes poignets, tout est grippé, même mes doigts sont raides. Cela fait bien plus de cinq cent grammes tout ça.
    Chill-out d'ambiance, couverture chauffante et thé bouillant sont les compagnons de cette fin de matinée tourmentée.
    Il est certain que je pourrais aller m'aérer côté verger, mais pouvant à peine me déplacer cela serait plus que risqué. En cas de chute je serais incapable de me relever et qui sait combien de temps je resterais cloué au sol.
    Vissée au canapé, je suis sur pause. Il m’est impossible de me concentrer sur une lecture et pas question d’allumer le téléviseur tant je trouve les programmes abrutissants. Je sommeille un temps sur l’air des pêcheurs de perles et shootée aux anti-inflammatoires je me noie dans mes hallucinations. J’ai dû finir par m’endormir pour de bon car c’est Florence qui me ramène à la réalité. Mes membres sont raides comme des passes lacets si bien qu’elle est obligée de les masser aux huiles essentielles. Sans entrer dans les détails, mon auxiliaire de vie œuvre pour une association privée qui la rétribue en grande partie, le reste étant à la charge des patients. En devenir de grand handicap j'ai obtenu neuf heures d'intervention par semaine. La structure d’aide à la personne comporte neuf employés qui gèrent au maximum six patients. Je dis bien patients, car chacune des interventions se fait chez des particuliers qui comme moi ont des problèmes de santé. Florence possède divers brevets qui l’autorise à pratiquer des actes de premiers soins. Elle est donc qualifiée pour bien plus que de l'aide à la personne, comme tous les membres de l'association d’ailleurs. Mon infirmière a parfois recours à elle pour des toilettes sensibles chez de vieilles personnes.
    Ash vient de me faire part des recherches d’oncle Donald. Celui-ci aurait trouvé un appartement situé dans le quartier Français de Londres. Le petit plus serait qu’il est situé à quelques kilomètres d’Heathrow ce qui serait super pratique pour Bébé. Heathrow-Lyon Saint-Exupéry, Bébé n'aurait qu'à récupérer sa voiture dans le garage, trois paliers au-dessous de son appartement en région Lyonnaise pour me rejoindre dans le Sud. Le hic, car il y en a un, c’est la vétusté du la vielle gentilhommière familiale qui rebute les agents immobiliers consultés. Les pourparlers se poursuivent, il se pourrait qu’une totale remise en état soit exigée avant la vente-échange.
    Lorsqu’Ash officie au Royaume-Uni il stationne sa voiture dans le parking privé de l’office. Les premiers arrivés disposent des meilleurs emplacements au ‘‘balcon’’ tandis que les retardataires doivent descendre aux étages inférieurs, les places n’étant pas nominatives. Les deux gardiens ne vérifient que les plaques adhésives amovibles du pare-brise désignant le service auquel appartient les magistrats et leurs "apôtres". Il y a cent cinquante places et pas une de plus. Les malchanceux qui ratent le coche se retrouvent dans le parking des visiteurs, certes propre et climatisé, mais relégué au diable vauvert. Il m’est arrivée d’y entraîner Bébé pour des plans pas possible et le pire c’est qu’il a totalement adhéré.
    Du croustillant qui restera de l’ordre de l’intime.
    Pendant que Flo s’active, moi je rêvasse en souriant bêtement, le regard perdu dans mes pensées. Là sur l’instant, il me revient à l’esprit l’amusette que j’avais proposé à Bébé un jour de flânerie en ville. Un divertissement sans prétention qui tend à prouver une fois encore combien je suis extravagante. Or donc, lors de cette petite escapade en amoureux, une idée farfelue m’est venue à l’esprit. À peine sommes-nous assis à la terrasse d’un café que je propose à Bébé de nous faire passer pour des touristes étrangers, le genre bouchés et obtus qui se refusent à baragouiner quelques mots de Français.
    Nous convenons d'utiliser un langage inventé à consonance pays de l'est. Sonia et moi adorions duper nos interlocuteurs en faisant ceci. Le ‘‘draïchböak dazen tönoaa’’ déclamé sur tous les tons avait du succès, il rendait fous les serveurs de brasseries ou nous nous installions. La malheureuse victime de notre jeu idiot à Ash et à moi tentait désespérément de comprendre ce que nous lui demandions, pour cela elle bafouillait un peu d'Anglais, d'Italien, d'Espagnol dans l'espoir de capter un mot providentiel, Ash avait de la peine pour elle et il se retenait à grand peine de lui avouer notre supercherie. Moi c’est mon hilarité que je contenais difficilement. Pour faire plus réel nous lui avons montré ce qu’avait commandé nos voisins de table. Un Schweppes et un jus de fruits. Bébé, sérieux comme un pape, lui a même tendue sa bourse ouverte pour régler les consommations. Je crois que c’est à ce moment-là que la jeune femme a commencé à se douter que nous nous moquions d’elle, aucun touriste ne fait cela. Un ‘‘tröchka’’ en guise de merci puis nous nous sommes levés dignement et l’avons salué avec sérieux d'un "Au revoir mademoiselle, nous vous souhaitons une bonne fin de journée". Je n'en suis pas certaine, elle a murmuré, mais je crois qu’elle nous a qualifiés élégamment d'enfoirés. J’admets que notre façon d’agir a été puérile, mais tellement amusante à nos yeux. Et oui il m’arrive d’augmenter ma dose de petits bonheurs par mes facéties sommes toute bien enfantines. Ma Sonia me manque, à nous deux nous étions les reines de la crétinerie.
    Ce soir le feu crépite dans la cheminée, la livre de chair a été dévorée…

    ENTRe RéVoLu eT DeVeNiR… 24 Mars 2017

    ...C’est confinée dans le vase clos qu’est ma Petite Paix que je me réapproprie mon identité!
    Sa main frôle ma joue avec tendresse, ses lèvres se font joueuses. Elles agacent agréablement le lobe de mon oreille et soudain, comme par magie mes sens s’échauffent. Ensuite … ce sera tout, je resterais discrète sur le sujet. Ash me lit parfois, aussi un rien de respect envers lui me dicte la réserve, inutile de détailler tous nos jeux joyeux. Si je le fais quelquefois, c’est uniquement pour m’exercer à l’écriture décente d’une Dark Romance revisitée, avec des mots bienséants et sans maltraitances faites aux femmes. Une Blue romance.
    D'aucuns penseront que mes journées manquent sacrément d’occupations puisque je passe des heures à narrer mon quotidien. Sauf que cette prolixité m’est thérapie. Pendant longtemps, écrire était la seule activité qui me faisait me lever le matin après une longue nuit d’un sommeil agité qui n’avait rien de réparateur. J’émergeais d’un brouillard glauque avec la sensation d’être retenue par les doigts crochus du croque-mitaine en personne. Je sentais presque son souffle glacial dans mon cou. Ma première pensée de la journée était, il m’a laissé en vie une fois de plus.
    L’esprit englué dans mes délires, je parvenais quelquefois à percevoir la réalité, celle où chaque jour Ash m’encourageais à m’affranchir de mes angoisses. Il n’était pas souvent présent, mais nous nous adaptions. J’ai expérimenté les pires folies et j’aurais gagné sans problème le titre de reine des crétines s’il y avait eu un concours. Cependant, livrée à moi-même, Ash me permettant les erreurs, cela m’a aidé à grandir.
    Fort de notre triste expérience passée, à présent le grand homme laisse souvent un petit mot sucré dans ma messagerie et lorsque cela ne suffit pas, Skipie vient en renfort. J’ai encore besoin que mes journées soient structurées.
    Une première moque de thé au lever, une deuxième après ma toilette puis je m’installe pour travailler. John Dunbar dansait avec les loups, moi je valse avec les mots. Ils sont mes solides béquilles, l'éclosion de mon printemps, ma progression lente vers une vie apaisée et le phare à la lumière éclatante qui me guide vers la rédemption.
    Dois-je réexpliquer qu’après mon ‘‘accident’’ il m’était devenu impossible d’aligner correctement trois mots. Certes un traumatisme crânien m’avait bien amoché, mais les sévices que me faisait subir Christian auparavant, avaient déjà bien diminué mon intellect. Mon discernement, ma propre valeur, mon caractère, mon humanisme et mes pensées, toute ma personnalité avait été parasité par ce fou furieux. J’étais devenu sa chose, une bête sauvage.
    Je parle souvent des coups que j'ai reçus. Parfois aussi, à mots couverts, je laisse entendre que je n'ai pas toujours été blanche comme neige. Ce n’est que pure vérité. La peur, la haine, les cauchemars font que parfois l'on se laisse entraîner à des lieues de qui l'on est. Les regrets sont inutiles, seule l'acceptation des erreurs commises aide à avancer, à dépasser le dégoût de soi. À présent je redeviens jeune femme, l’animal apeuré que j’étais disparait peu à peu.
    J'ai perdu de longues années à me débattre dans des tourments obsessionnels avant de comprendre qu'il ne fallait pas les fuir mais les affronter. Le combat n'est pas perdu d'avance, mais il est loin d'être gagné c'est tout. Chaque jour que la Bonne Mère fait se lever pour moi, j’évalue mes souffrances sur Likert et rassurée je me dis que ce sera une journée de plus sans devoir m’assoir dans un siège avec un train d'atterrissage. C’est ainsi que Sam décrit parfois son F.T.T. Je marche en serrant les dents, d'autres fois en souriant, mais je tiens debout alors je retarde le plus possible mon inscription au club fermé des estropiats. S’il venait l’idée à d’aucuns que par ce mot je brocarde le handicap, que ceux-ci modèrent leurs pensées, estropiat n’est que la façon chaleureuse que certaines familles chez nous emploient pour désigner affectueusement leurs êtres chers en situation de handicap.
    Tout réapprendre demande un certain courage, il suffit de procéder étape par étape. J’avance à mon rythme. Certains ne l’ont jamais compris et finalement je me dis que ce n’est pas plus mal car ainsi j’ai pu distinguer le bon grain de l’ivraie. Mes véritables amis. Ma psy est très fière de moi. Nadège ne me bouscule pas, elle est patiente, tolérante. Elle s’imprègne de mes élucubrations et me les restituent épurées de toutes incohérences en une force qui m’encourage à poursuivre sur cette voie obscure qui m'effraie tellement. L’inconnu. Mon avenir tout simplement.
    Il m’arrive de repenser à toutes ces années où je m'obligeais à respecter le rythme nuit-jour. Je gardais pourtant les yeux grands ouverts une bonne partie de la nuit, m’endormant au petit matin, croyant dur comme fer que lorsque le soleil brille aucun cauchemar ne peut survenir. Je me trompais lourdement, éveillée j’étais envahi par la même sensation d’oppression et d’étouffement que lors de mes délires nocturnes. C’est à cette même époque que j’ai perdu trois années de ma vie, deux ans et neuf mois pour être précise, en restant vissée à mon portable, espérant de la part d’un inconnu virtuel, un soulagement qui ne viendrait jamais. Il en a même rajouté à mes tourments. La seule chose pour laquelle je le remercierai si j’en éprouvais l’envie un jour, c’est qu’il m’a offert sans le vouloir un magnifique présent, l’envie d’écrire.
    Pendant longtemps je ne me voyais aucun futur apaisé, puis l’embellie m’est apparu comme par miracle grâce aux mots que je couche sur mon écran. Certes ma vie n’a pas encore le piquant du piment fiesta, mais j’apprécie les petits bonheurs qui la parsèment à nouveau. La bête rôde encore parfois au tréfonds de mes ressouvenirs, mais de câlins en tendresses, de suggestions en échanges de vues, d’encouragements en accalmies bienfaisantes, Bébé est la potion magique qui annihile mes psychoses. Et lors de ses absences prolongées il veille sur moi par de petites attentions quotidiennes.
    De mes écrits il ressort parfois qu’Ash est l’homme parfait, pourtant il lui arrive de me contrarier, et sans intention de le faire la plupart du temps.
    Il y a deux jours de ceci, en fin d'après-midi Marceau a déboulé au portail comme si son Hilux avait eu le diable à ses trousses. Je ne comprenais rien de ce qu’il me criait de loin jusqu’à ce que les mots attentat et Londres parviennent à mon cerveau. Folle d'inquiétude, blanche comme un linge, j’imaginais déjà Ash couvert de sang, étendu sur un trottoir fourmillant de corps sans vie. Pour un peu Marceau appelait Mamaiette tellement je tremblais, au bord de l’évanouissement. Qu'elle idée aussi de m'annoncer ça de cette façon? Impossible d’avoir confiance en les infos nationale pour obtenir des nouvelles fiables alors j’ai dû attendre deux bonnes heures avant de recevoir un mail de Madam’ qui m’assurait que son fils n’était pas concerné. Qu’il s’agît d’une double attaque terroriste à la voiture bélier et à l'arme blanche, et surtout que l'assaillant a été abattu. Tant mieux, je sais que ma façon de penser n’est pas convenable, mais je suis encore sous le coup de l’émotion. De plus, à l’heure où s’est produit le drame Ash était toujours au bureau.
    J’ai remercié Dorothy, vingt fois pour le moins, en lui confirmant mon empathie pour les familles qui ont subies cette tragédie. Il était vingt-deux heures passées lorsque Bébé m’a enfin donné de ses nouvelles. Les services sont bouleversés, dans tous les sens du terme m’apprend-t-il. Je veux bien le croire. Je parviens sans difficulté à faire l’impasse sur les dangers que pourrait rencontrer Ash lors de ses obligations, mais je garde à l’esprit qu’il se produit parfois des tragédies impossibles à augurer.
    Dieu n’est pas mon ami, mais en me couchant ce soir-là, je lui ai adressé une prière…

    CaLMe D’aPRèS TeMPêTe... 29 Mars 2017

    …Orages, pluies et grêles mêlées. Les arbres fruitiers sont en bourgeons et d'autres en fleurs!
    La catastrophe. Il fallait s’y attendre disent les anciens sans précisions aucunes, ils savaient.
    Nous avons eu beaucoup de chance au quartier Alceste, contrairement à certains, nous n’avons pas été inondés. En même temps cela aurait été étonnant au sommet du col. Cela dit, la rivière derrière la Petite Paix gronde comme un torrent furieux. Mon jardin est en passe de devenir un site touristique aussi couru que les chutes du Niagara. Non, j’exagère à peine, ça bouillonne et tourbillonne. La pluie est féroce et refuse de plier depuis deux jours.
    Située à quinze kilomètres en amont, plusieurs fermes ont subi de nombreux dégâts, soixante centimètres d’eau recouvrent le sol et ça monte toujours. Les jardins et les poulaillers sont submergés par la boue. Il paraitrait que chez Jeanjean, le faiseur de steaks régional, le toit du fenil a atterri au milieu de sa stabulation.
    Tard dans la soirée, Grumpy Bébé est de retour. Monsieur est un rien bougon car l'attentat à Londres a fait que tous les plannings ont été bouleversés. Les familles avaient besoin de soutien après cette terrible épreuve et le service s’est mis sur pause le temps de la compassion et des civilités. Ash a dû terminer l’analyse d’un dossier à l’arrache et il n’est pas satisfait des conclusions émises. Depuis, de causes à effets, tout lui est prétexte à râler. Même la pluie y a droit puisqu’il lui a fallu faire un détour de quinze kilomètres à cause des fossés qui vomissent.
    Je m’en prends plein les oreilles. Ne l’attendant pas avant deux jours je n’ai pas envoyé Florence aux courses si bien que le réfrigérateur est légèrement dégarni. Le peu de clémence de la météo n’autorisant pas à se rendre aussi tardivement au restaurant fait que monsieur s'est préparé lui-même ses œufs au plat avec du fromage râpé et des haricots verts à vingt-deux heures. Pas question que je joue à l’épouse attentionnée. Je préfère bouder devant un programme débile à la télévision, sans m’y intéresser. J’admets que je me suis un peu énervée lorsque Bébé s’est mis à me faire la leçon comme si j’étais une gamine. Ce qui l’a vraiment mis en rogne c’est lorsque je lui ai répondu que j'étais de meilleure humeur quand il n’était pas là, à surveiller le peu de quantité qui me nourrit. Je suis une peste, mais il n’a pas tort. Je veux bien reconnaître que ce soir mon estomac était aussi dépourvu d’aliments que les étagères du réfrigérateur. Prédisant mille catastrophes, désastres et bouleversements météorologiques, les communiqués et les scoops diffusés en boucle m’ont rapidement cloqué. Il m’est alors venue à l’idée de faire amende honorable, je suis allée rejoindre Grumpy qui sortait de la douche. Malheureuse initiative.
    En théorie cela aurait dû être un moment agréable, mais j’ai mal choisi mon moment. Ash ronchonne parce que je me suis servi de son peignoir de bain et qu’il est humide. Pire, je sèche mes cheveux avec le bout des manches qui me sont trop longues. Crime de lèse-majesté. Il sait pourtant que j’aime me réconforter en utilisant ses vêtements lorsqu'il est absent. Ses protestations ont vites manqué de conviction lorsque j’ai trouvé les gestes propices à un armistice réjouissant. Soudain de bonne humeur Ash m'a fait remarquer avec un sourire coquin que j’aurais dû le rejoindre plus tôt.
    Je ne comprendrai jamais cet homme. Douce nuit, bercés par le déluge et au réveil un rideau de pluie fine obscurcit toujours le paysage. Quelques rares éclairs illuminaient le ciel au loin. Le jardin ressemble à une éponge gorgée d’eau.
    La journée a été propice à la lecture, au scrabble et aux … jeux interdits. Nous nous serions crus seuls au monde si Marceau ne nous avait pas rendu visite en fin de soirée, mon voisin a besoin d'un service.
    Marceau doit rendre visite à son oncle Alban très inquiet à cause des pluies diluviennes qui ont inondées une partie des terrains viticoles qu'il possède. Seulement voilà, son Hilux a choisi de tomber en panne. Il désire emprunter ma voiture pour se rendre près de Narbonne. De principe, je n'y vois aucun inconvénient car je ne la fais pas rouler très souvent.
    C'est alors que Bébé a eu une super idée. Ma canaille suggère que nous l'y emmenions et tandis qu'il resterait dans sa famille, nous irions nous offrir un peu de farniente vers Saint-Pierre-La-Mer où paraît-il le temps est ensoleillé. Tant pis s'il ne fait pas chaud du moment que le soleil pointe le bout de son nez. Marceau s’est fait tirer l'oreille sous prétexte qu'il ne veut rien nous imposer, mais je vois bien qu'il est soulagé. Ainsi, il n'aura pas la responsabilité du véhicule. Autant dire qu'en un temps record, je nous prépare un sac avec quelques vêtements, nos trousses de toilette et nos livres de chevet. Bébé lit un énorme pavé en anglais sur les nouvelles légendes urbaines, cinq cent soixante pages d'après de véritables affaires criminelles. Vendredi matin, il m'en a lu une dizaine de pages, cela donne le frisson. Moi, j'ai commencé un thriller psycho époustouflant tout aussi flippant.
    Huit heures tapantes, c'est le départ et vers onze heures, nous déposons Marceau chez son oncle. Un bon repas offert de bon cœur et Ash et moi partons en direction de Saint-Pierre. La grande bleue est déchaînée. L'astre lumineux est au rendez-vous, mais pas très ardent. Qu'à cela ne tienne, la marquise vitrée de la chambre du relais que nous occupons nous protège du manque de degrés. Petites anecdotes de voyage offertes de bon cœur. Au cours du trajet, nous avons traversé un petit bourg à l’aspect moyenâgeux dont le nom était en tout point identique à celui de ma Pat. Bébé et moi en avons beaucoup ri. Ma chère Pat aurait-elle des racines en Languedoc? Il y a des cons partout, ceci est une réflexion personnelle qui n’engage que moi. Nous avons fait un arrêt essence en rase campagne où l'unique pompe était accaparée par un couple âgé qui apparemment ignorait comment manipuler leur carte bancaire pour faire fonctionner la pompe. Las d'attendre, Bébé a fini par descendre de la voiture pour proposer son aide. Sans doute que mon fripon a dû leur sembler louche voir patibulaire à cause de sa couleur de peau, ses cheveux détachés et sa barbe de trois jours, car dès qu’il s’est approché d’eux, les petits vieux sont remontés illico presto dans leur Mégane et papy a démarré sur les chapeaux de roue. Comment interpréter cette précipitation? Du racisme de base, la peur de l’autre, à moins que ce ne soit tout simplement des imbéciles. J'espère seulement pour eux qu'il y avait encore assez d'essence dans leur réservoir pour effectuer les cinquante kilomètres qui les séparaient du prochain poste? Nous nous trouvions en rase campagne, entre vignes et centres équestres. Le mistral secouant violemment tout ce qui se trouvait sur son passage, un parasol ouvert a soudain rasé le pare-brise de notre voiture, j'ai hurlé de frayeur. L'objet provenait sans doute de l’un des campings déjà ouvert à cette époque. Une fois posés, nous avons oublié tout ce qui n'était pas nous et le petit coin de paradis qui nous accueillait temporairement. Grâce aux grondements des vagues qui m’ont bercé, je me suis relaxée et j’ai dormi comme un bébé.
    Ma Canaille m'a fait son numéro de charme et je me suis bien volontiers laissée séduire.
    Nous avons récupéré un Marceau vraiment contrarié au retour. Une partie des parcelles de vignes de son oncle Alban est inondée après avoir déjà souffert des pluies des derniers jours. De Gigean à Portiragnes, des champs entiers de ceps baignent dans trente centimètres d'eau stagnante. Les jeunes plants de l'an dernier sont totalement recouverts et si la terre n'absorbe pas l'eau rapidement, tout ce travail sera perdu, ce sera un véritable gâchis. Marceau, son oncle, ses cousins ainsi que des ouvriers ont passé ces dernières heures à creuser des saignées afin que l'eau s'évacue dans des canaux également gorgés de liquide. Cela va mettre des jours à s'assécher puis il faudra retourner la terre entre les rangs afin de l'aérer et d'éviter la pousse de mauvaises herbes. Ensuite, il va falloir refaire tous les tuteurs des jeunes plants, car ils risquent de pourrir et d'endommager ceux-ci. Cela représente un travail titanesque. Bref, l'humeur de Marceau n'est pas à l'optimisme. Leurs vignobles sont des cathédrales qu’ils entretiennent avec passion, que dis-je, avec dévotion. Nous avons été sincèrement remerciés pour le trajet, l’on nous a offert un lot de bouteilles d'un excellent cru. Soirée cocooning pour clôturer notre escapade, j’avais besoin de réconfort pour que cesse mon anxiété dû au départ de Bébé pour les Aspidies. Au cas où, je précise que cocooning ne vaut pas forcément dire sexe.
    Je suis de mauvaise humeur, jamais je n’aurais dû regarder le journal télévisé en petit-déjeunant, il a suffi d’un mot pour me mettre dans une colère noire. Il était question de suppression de nationalité pour les terroristes avérés, nouvellement convertis à l’islam. Croire que mettre ces gens sur les routes serait la solution est une utopie, ce serait le meilleur moyen pour n'avoir plus aucun contrôle sur leurs faits et gestes. Alors oui je trouve que la réponse au terrorisme qu’envisagent certains de nos politiques vieillissants et dépassés est d'une aberration totale. Je condamne avec fermeté les actes de ces extrémistes mais ce n’est pas d’en faire des apatrides qui va calmer les choses. Au contraire, ils perdront le peu de croyance qu’ils ont en leur pays de naissance et ils rejetteront une identité chancelante dans laquelle ils ne se reconnaissent plus. Jeunes et moins jeunes cèdent facilement à l’appel du djihad car leurs parents ont renoncé à les éduquer correctement faute d’être eux-mêmes convenablement intégrés. Cette jeunesse trouve difficilement un travail et il faut l’admettre, nous sommes en passe de devenir un pays de racistes qui acceptent de moins en moins la différence. Les plus jeunes sont déjà approchés par des réseaux et ils disparaissent le temps d’une formation pour ensuite revenir semer la terreur dans le pays qui les rejette. Ils apprennent à casser de l’incroyant au prix de leur propre vie et peu à peu la terreur s’installe. Alors non, c’est de la bêtise pure et simple que d’en faire des apatrides. Je crois que c’est ce mot prononcé par un des journalistes qui m’a le plus exaspéré. À moindre comparaison, je connais le sentiment d’amertume que cela provoque. L’on se sent humilié, condamné injustement d’où la haine de l’autre et quand par-dessus la rancœur s’en mêle, il ne reste plus que le meurtre de masse à ces personnes nouvellement embrigadées, pour se trouver une appartenance, aussi cruelle soit-elle.
    À cause de mes mauvais choix, l’on m’a obligé à quitter ma Provence, l’on m’a éloigné de mes attaches déjà fragilisées par un parcours de vie qui ne plaisait pas à certains membres de ma famille. J’ai dû renoncer à tout ce qui était moi, à tout ce qui aurait pu m’aider à me reconstruire. Bien vite j’ai eu des envies de représailles envers les personnes qui m’avaient bannies de mon monde. Selon elles, c’était pour ma sécurité, il est vrai que j’étais harcelée par la meute de mon ex-mari, mais au lieu de les punir eux, c’est moi qui ai reçu châtiment.
    En fait ce n’était que pour leur tranquillité à elles car à leurs yeux j’étais devenue incontrôlable et c’était vrai, je faisais n’importe quoi dans l’espoir d’en finir une fois pour toutes. Cette terrible expérience m’avait poussé à la rue et il m’arrive d’en vouloir encore à ces gens qui se disent bien intentionnés, de m’avoir fait emprunter ce chemin de désolation. En même temps c’est la rue qui m’a sauvée. Ensuite je n’ai jamais été aussi heureuse que lorsque j’ai pu regagner ma terre natale. Pourvu que, et je le souhaite de tout cœur, cette idée abracadabrante de rejeter la mauvaise graine hors du territoire, sans contrôle aucun, meurt dans l’œuf. Il y a forcément un brin d’intelligence en chacun de nos élus.
    Pleurer une bonne fois pour toutes plutôt qu’enfouir le traumatisme en soi. Merci Nadège, j’ai compris…

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique