• CoNVaLeSCeNCe... 09 mai 2017

    ...Skatter est le seul chat au monde qui dort dans une niche et qui déguste ses croquettes dans de la porcelaine!
    Entre repos et lecture, je me reconstitue une santé en compagnie de Bébé. J’ai eu le fin mot de l’histoire quant à l’arrivée impromptue d’Ash lors de mon hospitalisation. Très inquiète, Florence lui a demandé de venir d’urgence à mon chevet.
    Ce matin mon réveil interne a sonné à six heures tapantes et depuis j’imite Zébulon dans le lit sans trouver de bonne place. Alors plutôt que de réveiller Bébé je me lève pour allumer la cheminée. Il m’a suffi d’un coup d’œil à la fenêtre pour m’apercevoir que le temps est exécrable. Cela s'apparente aux giboulées de mars, plus qu'à une pluie de printemps. Dix-sept degrés, je suis gelée, voilà c'est dit. Début mai et je ressors la polaire, incroyable.
    Lors de mon absence Ash et mon auxiliaire de vie ont aménagé un emplacement sous le hangar pour Skatter, le chat errant qui ne vagabonde plus depuis qu’il s’est installé chez moi. Une jatte fleurie, du service dépareillé de mémé, est pleine de croquettes à ras bord. Certes, cela part d’une bonne intention j’en conviens, mais les souris et autres mulots vont être à la fête d’ici peu. En même temps le greffier pourra facilement les attraper comme ça. Un grand bol d’ezu complète le menu de Skatter. Ash et Flo ont dû récupérer la vaisselle dans le cellier, maintenant ce chat a des goûts de luxe. Pire, Minou-minet dort confortablement installé dans une … niche. La vieille couverture du Youki, cétait le chien de ma grand-mère, lui sert de tapis douillet. Je n'en reviens pas, Ash a accepté la bestiole.
    Lorsqu’il est venu me chercher à l’hôpital, je n’ai pas fait attention à la voiture qu’il conduisait. Ce n’est qu’en arrivant à la maison que je me suis rendue compte que c’était un véhicule de location. Oh Sainte Mère, j’avais à peine posé ma question que Bébé s'est laissé aller à un langage populacier. William est en disgrâce depuis qu’il s’est risqué à déplacer l'étoile chéri de Bébé dans le parking. Il désirait gagner une place, pour mettre à l’abri du trafic de la rue, la berline de l’un de ses collègues, venu tout droit de région parisienne ; William l’avait invité pour deux jours,
    Ne maîtrisant pas toutes les applications de conduite de la Mercedes, William a carrément rayé tout le côté gauche du bolide d'Ash contre l'une des colonnes du parking. Ce n'est que de la tôle froissée, mais Ash n'a franchement pas apprécié qu'on lui abîme son joujou. Qu’elle idée aussi de laisser trainer le double des clés à l’appartement ? Il avait réussi à me cacher son exaspération, mais avec ma question j’ai ravivé le souvenir du crime de lèse-Mercedes. Le pauvre William a intérêt à se faire oublier et ce pendant longtemps. Je pressens que ce n’est pas non plus la pire catastrophe qui soit car depuis quelques mois Bébé ramène de la documentation sur les nouveaux joujoux qu’offre la gamme à l’étoile. Lorsque ses yeux se posent sur les C 63 AMG, ils s’illuminent façon Lucifer.
    En parlant du diable, ma tante Madeleine est venue en éclaireur à la Petite Paix. Son frère voudrait me rencontrer mais il redoute mes réactions. Il a bien raison car depuis l’âge de douze ans je n’ai jamais pu communiquer avec monsieur J. autrement que par des cris, des insultes ou du silence méprisant. Il ignore quel a été mon parcours de vie depuis que j’ai quitté le domaine et ce qu’il ne sait pas, la marâtre a dû l’inventer.
    Une nouvelle plus réjouissante, le maître artisan que j’ai choisi m’a annoncé que ses employés venaient poser la véranda mardi prochain. J'ai longtemps hésité entre une piscine et un abri côté jardin. J’ai choisi de faire poser une varangue créole. Les jours de grande canicule, j'irais à Palavas pour me rafraîchir ; je crains trop le froid pour avoir l'utilité d'un grand bain. D’autant que pour cela il me faudrait sacrifier plusieurs arbres du petit verger.
    Cette petite pièce d’appoint sera largement ouverte sur le jardin. Nous y serons à l’abri du mistral hargneux qui propulse esquilles et branchages, du soleil virulent de l’été et des regards. Le meilleur sera que nous ne risquerons pas l’incendie à chaque barbecue et une option à laquelle je n’avais pas penser -Ash si- nos entrevues sensuelles sur la balancelle resteront cachés des curieux, derrière les canisses.
    Une lourde tâche m’attend, dissuader Ash de me prendre dans ses bagages lors de son prochain départ et ce ne sera pas chose aisée car cette fois-ci a été la fois de trop. J’ai dû promettre de me rapprocher des tantines.
    Reach out, i’ll always be there. Je commence à le croire…

    EN TouTe QuiéTuDe… 12 mai 2017

    ...Le calme avant la tempête. Le piranha ne dort que d’un œil et j’appréhende la crise!
    Je m’oblige à faire une demi-heure de marche chaque jour puis je me pose soit à la cuisine soit au salon. Il faut absolument que je prenne rendez-vous chez un kinésithérapeute, mon médecin me le répète à chacune de ses visites.
    Ce qui est nouveau pour moi, est que de temps en temps j’éprouve le besoin à m’essayer aux recettes de famille que m’a laissé mémé. Il me semble que cela m’aide à me concentrer et me détend. Bébé est un viandausore, aussi me suis-je lancée dans la confection d’un bœuf bourguignon et je crois m’en être bien sorti. Pas de riz, un wok de légumes pour accompagner, j’attends l’appréciation. Peut-être que cela éloignera l’esprit de Bébé de ses soucis.
    Les ‘‘blessures’’ de son étoile le perturbe. D’après le carrossier, la réparation serait assez complexe et surtout très onéreuse. Malgré la promesse d’une participation aux frais, il va falloir une vie entière au pauvre William pour se faire pardonner. Quelle que soit les interventions pratiquées, ce genre d’engin coûte la peau des fesses à son propriétaire et Ash en est parfaitement conscient lorsqu’il signe le chèque.
    En fait ce qui l’ennui vraiment, c’est qu’à la revente la valeur en sera diminuée et il a du mal à décolérer.
    Un soir de la semaine Madam’ a appelé son fiston pour lui proposer de lui prêter son joujou pour ses déplacements en région parisienne, le temps des réparations. Les garçons se moquent souvent de la couleur de la voiture de leur mère. Je dois dire que le toit et les rétroviseurs couleur praline sur une carrosserie chocolat est du plus bel effet. Dorothy tient à sa Chevrolet comme à la prunelle de ses yeux aussi pour qu’elle se risque à la confier à Bébé, elle doit avoir sacrément confiance en ses méthodes de conduite. Perso, je prie la Bonne Mère lorsqu’il se met derrière le volant de mon dauphin. Môman a oublié qu’à présent Ash vole de ses propres ailes. Ne dit-on pas que c’est l’intention qui compte, Bébé apprécie l’offre de sa mère à sa juste valeur. Il l’a remercié ; il s’est senti honoré, oui, mais non, échanger le luxe et la performance contre une … voiture, ce n’est pas envisageable. Ringard Bébé, il flirte avec l’ostentation ça me saoule profondément cette addiction aux belles voitures. À présent je suis certaine qu’il va y avoir de la location chez son concessionnaire attitré et des négociations pour un achat-reprise.
    Sam et sa compagne Édith sont venus nous rendre visite. Samuel a appris inopinément mon séjour à l’hôpital. Furieux que je ne l’en ai pas informé, mais surtout inquiet, il est venu aux nouvelles. Stoïque j’ai attendu que l’orage passe et que l’on me croit, ce n’était pas une bonne pluie mais de la grêle. Le regard goguenard de Bébé m’a soutenu dans l’épreuve.
    J'adore Sam, jamais il ne m'a ménagé sous prétexte de me protéger.
    Je lui confie que je me sens diminuée et devoir me ménager à mon âge me pèse. J'aimerais aller marcher au cœur de la garrigue, faire du VTT le long du canal, courir dans le sable et sauter comme un cabri par-dessus les vagues qui flirtent avec la digue. Là, je suis obligée de faire potiche en me posant sur le canapé, de faire la sieste comme un nourrisson -Maë Lynette n'a jamais fait de sieste même après soixante-quinze ans- et d'ingurgiter des tonnes de médicaments.
    Ce n’est pas étonnant que je ne mange rien. Trop peu, mon estomac est en éruption.
    Sam pense – à juste raison- que ce n’est pas la maladie qui me ronge ces jours-ci, mais le fait que j’appréhende l’entrevue avec l’auteur de mes jours. Ma Petite Paix est une bulle où monsieur J. n’a pas sa place.
    – Qu’est-ce qui te retiens de refuser ou de le rencontrer ailleurs? Ah Sam, mon cher Sam, avec toi tout est si facile.
    Je me sens protégée dans ma bulle, rien de ne peut m’arriver. Quant à refuser net cela m’est compliqué, je me sens encore enfant face à monsieur J. et surtout trop de griefs qui ne parviennent pas à franchir mes lèvres m’étouffent.
    Pour une seule fois je voudrais lui tenir tête, voilà c’est dit.
    Mais, parce ce qu’il y a toujours un mais avec Sam, selon lui je ne reprendrais jamais racine si je ne m’imposais pas un rendez-vous avec mon passé -c’est à croire qu’il a été psy dans une autre vie- je dois me donner une chance. Nadège ne dirait pas mieux.
    - Où alors? Tu l’injuries avec ton célèbre ‘‘vas te faire une soupe d’esques’’ cela nous amusait beaucoup au centre, personne ne comprenait, mais rien qu’au ton de ta voix l’on devinait que c’était insultant, vulgaire!
    Ben voyons. Mon cher Sam oublie que mon géniteur la connaît celle-là puisque mémé la lui servait une à deux fois par semaine quand elle ne pouvait plus supporter son gendre et ses manières de caporal de la gestapo. Perdu dans les méandres de mon intellect une étincelle jaillit et je commence à me dire que … pourquoi ne pas affronter monsieur J.
    Ma lutte contre mes démons m’occupe à plein temps, mais le fait de me réjouir de la présence de mon frère de cœur m’a permis de faire une pause.
    Le maçon et les poseurs de véranda sont au travail depuis quelques heures et déjà les quatre poutres épaisses qui vont soutenir la structure sont posées. Cependant je suis ennuyée car la cabane de jardin se trouve à présent pile poil au centre des énormes pièces de bois.
    Après courte réflexion Bébé a trouvé une idée géniale, à savoir la transporter dans ce que nous appelions le roncier avant que monsieur André ne débroussaille ce fourré inextricable qui attirait toutes sortes de bestioles indésirables.
    Des mûriers sauvages, des aubépines entrelacées le tout sous l’œil bienveillant d’un pin parasol miniature y poussaient. En ôtant tout ce qui gênait la croissance du petit pin, monsieur André en a fait un petit lopin aéré qui pourrait contenir la cabane et en repeignant la petite maison de la même couleur que les volets cela devrait lui donner du cachet.
    Ma chère Pat a répondu présente à mes appels déchirants. Droite dans ses bottes…

    FiN De TRaVauX... 20 mai 2017

    ...La varangue est superbe. Le grand parasol et le salon de jardin se sentent soudain inutiles!
    Qu’ils se rassurent, pour l’instant les barbecues sont toujours d’actualité dans la cour, je ne veux pas que notre petit paradis créole soit déjà emboucané par des odeurs de graillons. Je ressens une certaine fierté en contemplant ma Petite Paix côté pile. Et Maë Lynette doit être heureuse, de là-haut elle voit combien je prends soin de sa maison.
    Éclairage agréable, aération garantie et ombrage protecteur serait le slogan qui pourrait décrire la véranda.
    Les fenêtres coulissantes aux vitres teintées sont agrémentées de canisses en écorces de pin qui feront office de rideaux lorsque le soleil tapera de trop. Sur les côtés l’artisan a installé des persiennes à déplier par jours de beau temps et refermer lorsque le mistral frappe trop fort. Le parfum de neuf est enivrant. Et grâce au parquet céramique couleur bois blanchi il m’est très agréable de ne plus me tordre les chevilles chaque fois que je veux approcher le petit jardin. L’ensemble est couronné de belles tuiles canal en terre cuite, c’est somptueux.
    Oups, aurais-je oublié d’écrire que Madam' s'est invitée pour quelques jours lorsque Bébé sera de retour du Sri Lanka?
    Lorsque notre ardent Phébus sera trop enthousiaste à la tâche, Mumy se repliera sous l’abri et il se pourrait bien que pour une fois elle survive à la chaleur sans râler. Je peux toujours rêver, elle trouvera autre chose.
    L'étage refait, ma Petite Paix n’aura rien à envier aux belles maisons bourgeoises du hameau. Trois pièces ont déjà été restaurées. Une grande chambre, une salle de bains et, un salon d’hiver à la place de la chambre de Maë Lynette. Cette pièce étant très lumineuse Ash en a fait son sanctuaire de travail. Lors d’une brocante au bourg il s’est procuré un bureau et un meuble de rangement rafraichis pour trois francs six sous. Ses documents confidentiels ne trainent plus sur la table du salon ou sur mon couvre-lit et Florence est nettement plus sereine. Une fois ou deux elle est tombée sur des clichés d’observation et elle a failli se trouver mal. Grand seigneur, Ash m’a réservé l’une des étagères du meuble pour que j’y relègue certains de mes textes imprimés et reçus en recommandés non ouverts. Mon écriture m’est avenir alors je protège ce qui pourrait un jour m’être argent de poche.
    L’autre partie de l’étage est vieillot et … hanté. Au fond du couloir une petite volée de marches conduit à un grenier et à une petite mansarde de bonne éclairée par une fenêtre de toit couverte. Je ne pensais pas avoir utilité de ces asiles pour araignées en retraite, mais mon petit nid devenant aussi passant qu’un hall de gare, j’envisage de faire transformer ces mouchoirs de poche en une belle chambre avec salle d’eau pour nos hôtes.
    En début d’après-midi je me suis allongée sur le grand transat, sous la varangue pour lire, mais trop confortablement installée, je me suis presque endormie. Bébé est venu me rejoindre aussitôt sa séance mail terminée, je l’ai senti se pelotonner contre moi et … tout doux Brutus aurait dit pépé, inutile de fantasmer. Blottis l'un contre l'autre certes, mais bercés par la douce mélodie pastorale que nous fredonnaient les cigales, cela a été uniquement une sieste vertueuse, un moment de pur bonheur
    Les réaménagements de ma Petite Paix augmentent considérablement la surface des sols à entretenir. Aussitôt suggéré, aussitôt procuré. J'ai envoyé Bébé faire quelques courses, du coup, sur le chemin du retour il s'est arrêté au repaire du Castor pour se renseigner sur l'appareil qui conviendrait le mieux. Le prix étant raisonnable, il est revenu avec un nettoyeur professionnel. Aspiration et lavage, c’est Florence qui va être contente
    Incroyable, Perry Mason a fait joujou avec la laveuse pendant une demi-heure, il a astiqué le sol de la terrasse déjà impeccable et l'on dirait qu'il a fait cela toute sa vie. Mémé dirait, il faut bien que jeunesse se passe.
    Ash s’inquiète énormément pour moi. J'ai beau tout faire pour le rassurer, il me couve du regard à chaque fois que je me déplace, et ce qui m’agace par-dessus tout, c’est qu’il vérifie plusieurs fois par jour si je prends bien mes médicaments.
    Testarde comme une mule, je me refuse à l'accompagner à Londres et il le vit très mal. Moi aussi. Cette protection rapprochée me pèse et je ne veux pas d’un énième flicage en règle de la part de môman, je ne supporterai plus.
    Le statu quo se maintient au prix de gros efforts de ma part.
    Dans quelques semaines Ash va présenter une thèse à ses pairs et j'ai peur qu'il ne soit plus préoccupé par ma convalescence que par son oral de criminologie. Provocation, répression et punition, bref pour moi cela se résumerait à une copie simple grand maximum. Bébé lui a étalé son sujet sur une soixantaine de pages incluant ses recherches en psychologie criminelle. Je tente de me persuader qu’il s’en sortira haut la main, non je suis certaine qu’il saura faire la part des choses.
    Pat rêve de prendre le large. Une difficile épreuve m'attend prochainement...

    EN MoDe DéFiaNCe... 23 mai 2017

    …Discrète, mais prête à bondir. J’ai confiance, ma Nanouche veillera au grain!
    Je refuse de mêler Bébé à mes histoires de famille. Je lui ai clairement fait comprendre que je ne souhaitais pas sa présence lorsque j’affronterai mon père. Mon tandoori n’est pas vexé, il est juste blessé de mon peu de foi en son discernement, il prétend que mon pè … monsieur J. ne vient pas pour me narguer, mais pour tenter de renouer un lien affectif. Qu’en sait-il? Ash ne connaît mon géniteur que de nom alors je ne lui laisse pas la parole sur le sujet. Parfois, il me vient à penser que Bébé en sait plus sur ma famille qu’il ne veut bien le dire. Je suis déconcertée de constater qu’il semble apprécier monsieur J. puisqu’il m’a instamment prié de rester modérée dans mes paroles. Pas déconcertée, furieuse.
    Quelques-uns de ses collègues occupent deux chambres de l’hôtel du Midi en bord de mer, pour un séjour dit de cohésion. Frank a loué un petit bateau et Ash doit les rejoindre au port pour participer à ce cheminement d’unité. Une concertation vivement conseillée par le service donc Ash ne peut y échapper. L’atmosphère est légèrement tendue entre nous deux, à son départ j’ai droit au regard courroucé du grand homme, celui qui possède la science infuse. Un bisou expédié comme si j’étais contagieuse et … il mène sa vie de son côté, je fais de même du mien.
    Malgré un temps magnifique, les campings peinent à démarrer la saison. L’ambiance réception est à la soupe à la grimace. Patricia et Papey se sont posés sans problème au cent quatre-vingt-neuf, à cinquante mètres de la grande bleue mais à une petite heure de ma Petite Paix. Ils devaient m’y rejoindre en camping-car pour le ‘‘grand affrontement’’, mais au dernier moment, Pat a été obligée de prendre un taxi. Marcel a trouvé le moyen de jouer au cascadeur en nettoyant le toit de son camping-car. L'échelle a glissé sur le rebord mouillé de la galerie de l'engin et le mari de Pat est tombé sur le dos. Plus de peur que de mal, mais, douleurs, médecin d’urgence, anti-inflammatoires et un splendide hématome en prime. Résultat des courses, il doit rester tranquille pendant quelques jours. Les parties de boules au camping vont être rudes. C’est un peu chercher la tuile, on ne va pas escalader un camping-car en ayant petit-déjeuner au blanc sec avec les copains. Patricia me confie qu’elle a sérieusement morflé juste avant de descendre à Palavas. Pour rester pudique, j’écrirais que Marcel a passé une semaine difficile. Un après-midi, tellement ivre il a dû aller se coucher à seize heures, la pauvre Pat tremblait de peur qu’il ne dévale les escaliers tant il titubait, les pas plus que hasardeux. Je pense que dans la famille de Marcel, la dipsomanie est héréditaire, son père est décédé à l’âge de quarante-huit ans d’un cancer du foie. Marcel n’est pas un mauvais bougre, mais lors de ses crises il se sent persécuté, son humeur est massacrante et ses paroles sont incohérentes et vraiment blessantes. Je passerais sous silence les pathologies digestives que Patricia remarque. Dans les bons jours il est tout autre, hospitalier, serviable, en un mot, plaisant. Connaissant sur le bout des doigts les ravages de l’alcoolisme, je ne peux qu’être compatissante envers ma Pat. Entre papotes et popote nous avons passé le temps agréablement, un court séjour en bord de mer est décidé sur un coup de tête.
    Bébé a laissé le GPS en mode British dans mon carrosse et la voix de Kate est un véritable supplice. Pas pire que le James de sa S-500. Que n’avait-il besoin d’une assistance pour se rendre au bourg et dans la ville voisine? Le pire est que je ne sais plus comment on fait taire cette pie, c'est franchement désagréable. Les turn left, turn right, cross the roundabout, beware car crash at two kilometers, drive carefully limited to 50 km/h, à chaque directive sa voix nasillarde et impérative me donne l'envie de tout arracher. Et à chaque intersection, infatigable Kate répète à l’infini les turn around as soon as possible. ‘‘La ferme Kate, je connais la route bon sang, c’est cet idiot de Bébé qui t’a configuré pour Lodève, moi je vais à Palavas, Pa-la-vas, tu comprends oui ou non?’’ J’ai failli péter un câble et me regarder manipuler l’écran tactile en conduisant donnait de telles sueurs froides à ma Pat que celle-ci s’est mise à son tour à tripatouiller dans les applications et a finalement trouver comment couper la chique à la bavarde.
    Nous étions attendus chez les tantines pour un bon repas et ensuite nous sommes rendues sur la plage. Le vent frivole, mais c’est supportable. Ceci dit, pour une fin mai en approche, il n’y a pas encore grand monde.
    Ça y est. Raymond, la légende locale est de retour. À la belle saison, avec son caddy de courses à quatre roues qui lui sert de déambulateur, empli d’un matériel indispensable à son loisir favori, le vieux pervers de soixante-seize ans sonnés en mars me dit ma tante, parcourt la plage avant de trouver … belle fortune. Quand il l’a repéré, il installe son siège sous un vieux parasol pourri puis il sort sa petite glacière du caddy, il s’assoit et le voilà au spectacle. De quinze heures à dix-sept heures, planqué sous son immense abri en toile défraîchi, il reluque entre les jambes des filles qui bronzent façon étoiles des mers échouées. Lorsqu’il se lasse du spectacle, il sort ses jumelles, cherche une nouvelle attraction puis il remballe son attirail et part installer son nouveau poste d’observation quelques mètres plus loin. Le bougre est repéré depuis bien longtemps de toutes les bonnes âmes du quartier; son teint rouge brique et son sourire idiot ne bouleverse pas ceux qui le connaissent. S’il tentait autre chose que des regards libidineux, certains le coucheraient d’une pichenette et lui indiquerait manu militari le chemin du poste de police le plus proche. Il est plus pitoyable que dangereux et sa libido le pousse peu à peu vers la crise cardiaque. Au terme de ses promenades récréatives, Raymond rentre sagement dans sa résidence en se moquant royalement du regard courroucé de ses colocataires féminines, car bien sûr toutes les mamies du cent quatre-vingt-trois ont connaissance de sa marotte.
    Nous avons rejoint Marcel en fin d’après-midi. Grâce à l’aide de ses camarades de vacances l’installation du campement est terminé. Avant-toit, brises vent, salle à manger d’extérieur et chaises longues sont opérationnels. Les barbecues sont interdits aux emplacements, mais il y a un lieu dédié pour les inconditionnels, dont fait partie Marcel. L’endroit est très attractif puisqu’une buvette y est mise en place chaque soir. Pour ceux qui ne veulent pas cuisiner pour le déjeuner, un petit bistrot fait office de restaurant ; il est parfait si l’on veut se nourrir de salade de tomates ou de riz, de sandwiches, de frites, de pizza, de hamburgers, de paellas ou de poulets frits pendant quinze jours. Patricia est prévoyante, elle utilise une plancha et leurs repas sont plus sains.
    En soirée Bébé est venu se prélasser auprès de sa Chouquette, il était mort de chez mort, Son après-midi a été intense nous a-t-il dit avant de s’écrouler comme un château de cartes. Ski nautique, wakeboard, flyboard, bouées tractées puis parachute ascensionnel, jet ski et planche à voile à venir. Ses collègues sont des détraqués de l’exercice physique, pour la cohésion il n’y a rien de tel que le sport. Le temps que Marcel mette la pierrade en chauffe, ceci pour dire élégamment prendre l’apéritif avec ses potes au petit bar, ma Canaille s’est endormi la tête posée sur mon ventre. Ash joue au gros dur mais il a besoin de se faire cajoler de temps en temps. Il ouvre tout de même les yeux pour déguster la traditionnelle salade de tomates du premier soir des vacances de Pat et Pappey. Cette préparation tient d’un pêle-mêle d’ingrédients dans lequel les tomates ne servent qu’à donner une touche de couleur. Pensez donc, œufs durs, thon, cornichons, olives verte, persil plat et dés de feta se côtoient joyeusement afin de remplir les estomacs pour la nuit.
    Le lendemain matin, Ash et moi sommes allés à nouveau au camping pour prendre le petit-déjeuner avec Patricia et Marcel, puis Bébé est allé rejoindre ses collègues. Le lieu de villégiature de Patricia et Marcel est un festival de découvertes pour moi. D'une année sur l'autre, j'oublie combien les mouettes y sont grasses comme des dindes de Noël. Cela se comprend, les gens leur balancent tout et n'importe quoi. J'en ai vu une picorer des tomates cerise et des peaux de melon. Et si les mouettes sont très bruyantes, les hérons surenchérissent à l'heure de la sieste. Les pies, les tourterelles ainsi que d'autres pique-assiettes tournent autour des caravanes, des tentes et des bungalows, le bec à l'affût. Les lieux sont très ombragés, si bien qu’à trois heures du matin, à cause des lampadaires qu’ils prennent pour la lumière du jour , de petits volatiles piaillent et se battent pour du pain ou des restes oubliés sur les tables. Ils ne dorment donc jamais? Malgré la rue qui nous sépare, on les entend parfois de notre chambre qui donne face aux abris de plein air. À cause de cette lumière artificielle, ces pauvres bestioles ne savent même plus distinguer le jour de la nuit.
    Je m’amuse de peu en regardant les gens qui sans complexes défilent avec leur rouleau de papier toilette accroché à la ceinture alors que leurs mains sont encombrées d’une cuvette contenant la vaisselle sale de la veille. C’est certainement ce que l’on nomme le deux en un. Les nanas les joues chiffonnées et le cheveu en bataille n'ont pas l'air de se préoccuper de leur apparence. Didier, le rossignol de service est de retour me dit Pat. Elle le mordrait volontiers si l’occasion se présentait. À lui seul cet homme ferait détester tous les provençaux tellement il est lourd. Cela ne le dérange aucunement de s’arrêter aux emplacements pour participer à la discussion familiale. Il lui arrive même de se planter au milieu de l’allée et de se faire conversation à lui-même tout en s'adressant à la cantonade. Du coup, personne n'ignore qu'il habite Marseille mais que Palavas est son paradis sur terre et qu’il va s'y installer définitivement dès qu'il sera à la retraite. Je plains sincèrement ceux qui vont devoir le supporter, moi en cinq minutes il a réussi à me dégoûter du plein air en collectivité. J’ai rejoint illico la maison de bord de plage.
    Le vent des fous s'est levé, l’air est brûlant et il m’est bien agréable de me poser sur la terrasse. Je me laisse bercer par la rumeur des vagues. Un plus tard , tandis que Marcel est parti s’éclater avec ses cannes à pêche, Patricia est venue me rejoindre et nous sommes allées flâner les pieds dans l'eau. Aujourd’hui les chaussures d’eau sont de mise, les vagues qui se sont intensifiées font rouler les petits galets en bordure de plage et il arrive que certains soient vraiment mordant.
    En fin d’après-midi notre pêcheur est revenu avec une honorable friture et deux belles dorades qui cuites en pierrade, feront plaisir aux fanatiques des boissons alcoolisées dites stimulantes d’appétit. Ceci posé, l'exilé de Fukushima que Marcel a retiré des eaux tumultueuses ne donne vraiment pas envie de le déguster, beurk. Ses écailles sont d’un vert-bleuté peu engageant et ses nageoires d’un rose-orangé gélatineux. De plus il possède plusieurs épines dorsales palmées et une dentition tranchante sur deux épaisseurs, une bestiole digne de paraître dans la série Sharknado. Marcel l’a conservé dans un seau afin de le montrer à Ash qui l’a trouvé très … intéressant. Le pauvre animal a été rejeté à la mer en fin de soirée une fois que tous les résidents du camping l’aient admiré, Papey était fier de sa prise.
    Il est temps de remonter à la Petite Paix et pour une fois ce n’est pas de gaîté de cœur.
    Ce ne sont pas de grandes effusions mais je fais bonne figure, ce qui se traduit par un sourire presque engageant. Il me semble que les yeux de monsieur J. brillent de ... satisfaction.
    La présence de Patricia me rassure, comme Lassie chien fidèle elle guette du pas de la porte.
    Mon cœur bat à se rompre lorsque le portail s’ouvre en grand. C’est comme si ma mémoire se déverrouillait en même temps. Digne et protectrice Pat se rapproche. Elle salue mon père d’un simple signe de tête. Elle m’observe le temps de voir si je tiens le choc, le temps qu’il me faut pour me composer un visage serein. Puis, à peine mon visiteur est-il descendu de sa voiture, que sans filtre Pat recommande à monsieur J. de me ménager car elle sait qu’il l’ignore, je me relève tout juste d’un problème cardiaque. De quelques mots elle lui laisse sous-entendre qu’il ne faut pas m’escagasser de trop ou il aura à faire à elle, presque une menace, puis elle s’éclipse en me souriant.
    Je la sais prête à bondir si elle me voit verser une larme et ça me suffit.
    Mon père est très intelligent, il comprend illico qu’elle sait qu’il a trop souvent merdé avec moi et là le message est bien passé. Pendant un bref instant j’ai cru lire de l’admiration dans les yeux de monsieur J. et je parierai sans risque en affirmant qu’aucun de ses ‘‘hommes’’ n’a jamais dû oser s’adresser ainsi à lui.
    Au lieu de nous jauger comme de parfaits inconnus nous aurions dû nous jeter dans les bras l’un de l’autre, mais aucun de nous deux ne sait qu’elle attitude adopter. Moi parce que cela fait des années que je pense réellement le haïr et lui parce qu’il ne me reconnaît plus en cette jeune femme que je suis devenue. Les années ont défilé, il me semble plus accessible, moins généralissime aurait dit Maë Lynette. Ses traits se sont adoucis me semble-t-il et la toute-puissance autoritaire que je lui conférais s’est estompée lorsque j’ose enfin le dévisager. Nadège dirait que la petite fille que je n’ai jamais pu m’empêcher de rester face à monsieur J. a grandi , ce qui fait que l’appréhension qui me paralysait vient de disparaître soudainement. Monsieur J. ne m’a jamais maltraité physiquement, mais son regard était d’une telle froideur lorsqu’il s’adressait à moi après le départ de Miriette que je n’ai jamais pu me reconstruire, c’est dans le noir de ses yeux qu’a pris naissance ma culpabilité de n’avoir pu sauver ma sœur.
    Il paraît heureux de me voir. Véritablement.
    Soudain ma colère et mes ressentiments pèsent moins lourds sur mes épaules. J’ai méprisé cet homme en partie à cause de la femme qu'il a épousé et qui l'a poussé à se détacher de moi. Je la vois comme le bourdonnement incessant au creux de son oreille, celui qui lui ordonne d’ignorer ses émotions vraies.
    J’ai exigé qu’il vienne seul s’il désirait me revoir, refaire connaissance avec sa fille, il a tenu parole et je lui en sait gré.
    Des années durant, GI Joe et Cruella d'Enfer ont été mon quotidien. Là il me semble apercevoir un homme qui désire sincèrement se faire pardonner car je ne pense pas que ce soit uniquement le soleil qui fasse briller ses yeux lorsqu'enfin, il se décide à me serrer dans ses bras. Je serre les dents en évitant de reculer d’un pas, je suis pétrifiée.
    Il n'a plus rien de cette personne fière et martiale qui me rabrouait pour le plaisir malsain de sa femme. Il est venu la main tendue alors je me dois d’honorer le drapeau blanc. Tout à coup je mesure le ressentiment qu’éprouvait ma grand-mère envers son gendre, cette même colère qui m’habite depuis si longtemps par empathie.
    Oubliés treillis, tenue de parade et fourragère. Bizarrement en chemisette et pantalon de toile, monsieur J. se montre sous un jour sympathique. Des années de rancœurs et de déceptions retenues hantent ma mémoire, je renifle bruyamment en cherchant à retenir mes larmes qui se déversent subitement sur mes joues.
    Patricia, tel un lémurien farceur, se redresse à la fenêtre de la cuisine, mais sa bienveillance à mon égard l’aide à comprendre que ces larmes me sont nécessaires et elle disparaît presque aussitôt.
    - Petite tu as tellement fait défaut à la famille, si seulement tu pouvais en prendre conscience à cet instant!
    Ce sont ces quelques mots qui ont ouvert les vannes. Soudain je n'avais plus le désir de revenir sur la longue liste de griefs que j'entretiens contre monsieur J. J’éprouve comme une irrépressible envie de faire table rase du lourd passif qui met une distance démesuré entre lui et moi.
    - Comme tu ressemble à ta mère! Autant que je puisse me souvenir d’elle, c’était une femme magnifique et empreinte de tellement de hardiesse qu’elle m’effrayait parfois!
    Dans mes souvenirs ce n’était pas maman qui le tourmentait mais Maë Lynette qui froissait à longueur de temps ses certitudes. Je ne comprendrais certainement jamais pourquoi elle avait autoriser leur union si elle exécrait autant monsieur J. Certaines histoires de famille n’ont pas à être comprises me répondait-elle lorsqu’à l’adolescence je lui faisais part de mes nombreux questionnements.
    Je ne suis pas encore prête à céder du terrain et l’entendre me comparer à ma mère n’arrange pas les choses. Maman est restée intouchable dans mon cœur et monsieur J. l’a trop fait souffrir pour qu’il se permette aujourd’hui de prononcer son nom. C’est trop tôt, mais plus tard je lui demanderai des comptes, je ne suis plus une enfant. Il y a un progrès, nous avançons dans la communication. Auparavant, le plus longtemps que nous tenions sans nous bouffer le nez était de vingt minutes à peine. Là, depuis plus d’une heure nous restons courtois dans le dialogue, certes nous évitons d’aborder les sujets qui fâchent et jamais l’expression tirer les vers du nez n’est autant adaptée à notre conversation. Toutefois, assis l’un en face de l’autre dans mon havre de paix j’ai comme la sensation que la signification du mot père lui revient en mémoire. Qu’il s’inquiète pour ma santé m’est encore inconcevable alors je reste évasive sur ce qu’il en est.
    Le plus surprenant c’est qu’il semble en connaître pas mal sur mon parcours, il reconnaît avoir perdu pied avec Miriette et moi lorsque maman est partie. Son excuse à mon abandon lorsqu’à son tour Miriette nous a quitté, est qu’il me savait plus forte que lui, plus combative. Je prends soudain conscience en l’écoutant qu’il aurait aimé me voir rejoindre sa deuxième famille dès que j’en aurais eu l’âge et cela ravive ma colère ; le nuage se déchire, je pense entrevoir un aveu. Toutes ces années où j’ai été maltraité moralement c’était pour me préparer à suivre ses pas, à reprendre le flambeau?
    Je ne comprends pas pourquoi cette conviction m’apaise. Me voulait-il près de lui finalement?
    Le temps de nous préparer une boisson fraîche il est retourné à sa voiture pour aller chercher la surprise qu’il me réservait. Et encore des larmes lorsqu’il me tend les deux albums de photographies qui me réconfortaient tant après la disparition de maman et de ma jumelle. J’étais persuadée que la marâtre les avait jetés avec le reste de mes affaires. Tout comme ma collection de classiques que je croyais perdue à jamais. Je m’étais procurée ces livres un peu avant mon entrée à la fac et cela avait été un véritable crève-cœur lorsque Christian m’avait obligé à m’en séparer. D’où monsieur J. les a-t-il sorti? En quelques mots je lui explique que j’ai dû abandonner les études que j’adorais à cause des maltraitances que me faisais subir Christian et que j’avais régressé à un point tel qu’il m’a fallu réapprendre à écrire correctement. Que j’y travaille encore. L’évocation de mon mariage le met plus que mal à l’aise, je crois que cela restera à jamais un sujet tabou pour lui, se sentirait-il coupable de n’avoir rien fait? Toujours cette sacro-sainte force dont il me croit nanti?
    Je n’ai jamais douté de l’intelligence de mon père, seulement j’étais lucide sur son peu de discernement.
    D’un commun accord nous avons détourné la conversation par des propos plus légers.
    J’ai fait un bijou de la maison de ma grand-mère me dit-il. Et la fontaine que je suis depuis son arrivée apprécie le compliment lorsqu’il m’affirme que j’ai hérité du bon-goût et des aptitudes de maman à faire d’une maison un foyer où il fait bon vivre. Mes douleurs sont toujours à fleur de peau, mais à son départ il me plaît à espérer que ce sont les prémices d’un rapprochement durable à l’avenir.
    A son retour Bébé est surpris de me trouver tranquillement allongée sur le canapé, Maupassant dans une main et une photographie de maman dans l’autre. Il s’était déjà imaginé le pire puisque je ne répondais à aucun de ses messages. Douze en à peine quarante minutes pour être précise. Il était inquiet de me savoir seule car Pat repartait pour le Saint-Maurice dès que mon père aurait pris congé. En effet, les heureux retraités prennent la route direction Lamalou-les-Bains pour une dizaine de jours. Ils ont réservé un emplacement sur une aire de camping-car prévu seulement pour les curistes.
    Me découvrir endormie, les traits apaisés a totalement rassuré Bébé car il doit se rendre prochainement en région parisienne et il se voyait déjà me prendre en excédent de bagages. En fait je ne dormais pas réellement, je rêvassais à la possibilité d’accueillir convenablement Ash dans notre famille comme la sienne l’a fait pour moi. Après cet après-midi le chemin ne me semble plus aussi long.
    Je le laisse me poupougner, me câliner, me dorloter, me choyer et me mignoter en abondance, c’est ma récompense pour avoir réussi une épreuve somme toute pas si douloureuse que cela.
    Quelques réminiscences. Elle n'a ni bijoux ni robe à porter. Une amie lui prête un collier…

    RieN D’eXTRaoRDiNaiRe... 29 mai 2017

    …Des centaines de kilomètres d’asphalte, des heures de concentration. Je déteste quand Bébé fait ça!
    Penjÿ se rappelle à ma mémoire et c’est assez douloureux. Lui aussi aimait se détendre en conduisant et cela ne lui a pas particulièrement réussi. Au terme d’un arrêt de confort écrirais-je pieusement, c’est-à-dire à peine dix minutes hors de l'habitacle, Bip-Bip repart sur les chapeaux de roues. Son assurance sur l’asphalte m’inquiète souvent et tant qu’il ne me confirme pas son arrivée, je ne suis pas tranquille. Il ne joue pas avec sa vie ni celle des autres mais son aptitude à la conduite et son expérience de la route le rendent trop sûr de lui, ce n’est que mon avis. Une fois de plus j’ai râlé car il y avait un Montpellier-Paris en gare à l’heure ou il est parti, et il aurait pu le prendre sans problème. Tant qu’à louer une voiture, il peut le faire en arrivant sur le lieu de ses déplacements professionnels, mais non, monsieur s’impose des heures de trajet sous prétexte que cela lui permet de réfléchir. Cela me stresse encore plus lorsqu’il me donne ceci comme excuse, comment peut-il jouer de prudence s’il a la tête ailleurs qu’à sa conduite? Quand il est au volant de son «avion de chasse» je m’inquiète un peu moins, mais cette fois-ci ce n’est pas la marque qu’il préfère que l’agence lui a attribué alors cela m’ennuie d’autant plus.
    Pour passer le temps et ne pas céder à mon anxiété, je me suis intéressée aux aventures du sympathique petit gars à la baguette en bois de houx. C’est sans fin cette histoire, quatre heures trente plus tard j’ai la tête en compote et je n’en suis qu’au début du troisième opus de la saga. Une pause thé et biscuits est la bienvenue et j’y retourne. Aucun message de Juan Manuel, je suppose que Fangio est encore scotché au ruban noir. Ash ne sait que trop combien mon sommeil m’est précieux alors il s’imagine sans doute que je dors comme un nourrisson en attendant de ses nouvelles. Il est vingt-trois heures lorsqu’enfin Bébé m’annonce qu’il s’installe dans sa chambre d’hôtel. Abandonnant Harry aux turpitudes de la vie, je me suis endormie très rapidement … sur le canapé.
    Á mon réveil, je n’ai pas de douleurs particulières et ma tension est normale, mais je me sens bizarre, Ce n’est pas pire qu’à l’habitude pourtant quelque chose me tracasse. J’en découvre la raison lorsqu’en allant déposer des cagettes sous le hangar je trouve l’écuelle de Skatter le chat errant emplie de croquettes et bien poussiéreuses me semble-t-il. La bestiole n’est pas réapparue depuis la construction de la varangue. Le bruit et le passage répété des ouvriers a dû l’effrayer, mais tout de même sa gamelle aurait dû le faire revenir. Voilà que je me mets la rate au court-bouillon pour un chat maintenant.
    J’ai donné une grande liste de courses à Florence mon auxiliaire de vie en lui précisant que j’avais une envie de petit pois. Il m’arrive d’avoir des caprices alimentaires aussi ai-je bien insisté sur cet achat. D’humeur kiwi ou pâtes, cela ne veut pas dire que je mange davantage, mais seulement que mes repas du jour consisteront en cet unique aliment.
    Aujourd’hui ce sont des petits pois et des fruits en conserves.
    - Évitons une seconde visite au service des urgences! Me dit Florence en pouffant de rire. Et le plus sérieusement du monde elle me tend un superbe ouvre-boite électrique. Je ne peux m’empêcher de rire car en ce moment je ne suis pas très adroite de mes mains et cela a dû se remarquer. Belle anticipation.
    À peine arrivée Flo repart en catastrophe à l’épicerie du village. Certes elle a pensé à l’ouvre-boîte, mais elle avait oublié les petits pois. Florence est l’une de ces personnes qui aime ce qu’elle fait et elle le fait avec dévouement. Elle a plaisir à briquer les intérieurs et les âmes de ses patients. Elle est vraiment de bonne compagnie et elle affirme à qui veut l’entendre que son travail vaut toutes les salles de sport. Je la crois volontiers car elle est fine comme un fil de haricot.
    Heureusement qu’elle était présente, j’ai failli me trouver mal après le passage du facteur. Je suis sonnée.
    L’interruption des hostilités a été signée, pas encore l’armistice. Ceci pour expliquer que je ne m’attendais pas à recevoir un nouveau présent de la part de monsieur J. Il m’a fallu relire plusieurs fois le nom de l’expéditeur pour comprendre que le paquet que je tiens entre mes mains provient du domaine. Après avoir ignoré mes anniversaires depuis deux décennies,
    mon père fait preuve de générosité pour la seconde fois en quelques jours. Mes mains tremblent en ouvrant le colis et je ne peux retenir un cri de surprise en prenant conscience de ce qui se trouve sous mes yeux.
    Ce que contient le paquet est le témoignage d’un passé familial que je croyais à jamais perdu. Il s’agit de la collection complète des images anciennes noir et blanc qui appartenait à maman. Chacune d’elle est protégée par du papier de soie et classée selon son appartenance à divers évènements. Fêtes traditionnelles locales, aïeuls et grands-parents en costumes de l’époque, édifices vénérables et régionales. Ces clichés cartes postales sont d’une telle valeur sentimentale que des larmes perlent à mes yeux. En emménageant chez Maë Lynette j’en ai retrouvé quelques unes que je vais ajouter au coffret. Aux dires de ma grand-mère certaines de ces petites gravures, les plus défraîchies, sont répertoriés par les collectionneurs et auraient une valeur … respectable. Le fantôme de Maë Lynette a dû venir escagasser monsieur J. pour que celui-ci se soit laisser aller à un tel niveau de faiblesse. Afin de me faire parvenir ce trésor, a-t-il dû la combattre ou laisser dans l’ignorance la harpie? Je reconnais qu’il m’arrivait de croire que ma belle-mère les avait vendus lors d’une brocante, elle en est capable car elle ne possède aucune érudition. Je tente de me persuader que monsieur J. possède un cœur après tout , mais je crois me souvenir que lorsque j’étais plus jeune, rien de ce qu’il m’offrait n’était gratuit.
    Je sais que tu en prendras soin, je te les donne avec toute mon affection. Papa. Ces quelques mots jetés sur un petit bristol finissent de me … c’est sûre il va bientôt tomber des grenouilles.
    Je me refuse à l’admettre, mais là il vient de marquer un point. J’aimerais pouvoir le remercier de vive voix, mais j’ai une peur viscérale que ce soit Cruella qui décroche.
    Mon cerveau est en mode circonstances atténuantes. Skatter le chat errant...

    Le FiL De La Vie… 01 juin 2017

    …Pas un seul musée n’en possède ne serait-ce qu’une copie. L’Apollon de l'Héraut somnole sous mes yeux réjouis!
    Abandonné au repos Ash ressemble à un modèle pour peintre ou sculpteur de renom. Sa peau caramel brun dans laquelle je croquerais volontiers, il m’arrive de le faire parfois, attire mon regard comme un aimant. Là ses beaux yeux marrons sont à demi-clos, mais grands ouverts ils m'hypnotisent quand ils se posent sur moi avec tendresse. Ses cheveux ont diablement repoussé depuis l'an dernier et cela lui confectionne une crinière sans attache qui me bouleverse.
    Allongé sur un transat, vêtu simplement d'un short à la George Michael couleur treillis, mon Pain d' Épices est beau comme un dieu grec. Bébé aime faite une courte sieste après le déjeuner, toutefois il ne s’accorde ce petit break que les jours de grosse chaleur et uniquement à la Petite Paix. Lorsque nous sommes à Palavas il va sur la plage à la rencontre des pêcheurs. Il aime bavarder avec des gens venant de tous horizons. Certains sont avares de paroles, mais Ash possède un don pour délier les langues. Le meilleur équipement du pêcheur c’est le silence lui avait dit Grégoire un jour que Bébé l’assommait de question. Ash n’a pas lâché prise et à présent ils sont copains comme cochons, Grégoire lui réserve une place sur sa pointe d’épi chaque fois que nous prenons nos quartiers à Phébus.
    Je suis un tantinet vexée car Skatter est rentré au bercail aussitôt le retour d’Ash. Le chat a dormi dans sa niche sous le hangar durant toute une matinée et en début d'après-midi il s’est faufilé dans la maison pour aller sauter sur les genoux de Bébé comme s'ils étaient les meilleurs amis du monde. Skatter s'est mis à ronronner dès que Ash a commencé à le caresser. J’en ai été scotché, d’habitude ces deux-là se tolèrent tout juste.
    Je révise mes cours car je viens de m'apercevoir que je n'ai pas fini le travail demandé. Il est vrai que ces jours-ci je n'ai pas beaucoup touché à mon clavier. Je suis en mode lecture, monsieur Ferrimont sera fier de moi car il faut lire à outrance pour commencer à écrire correctement dit-il souvent.
    Je dois admettre que ces jours-ci je n’ai pas la tête aux études, mes pensées sont verrouillées sur ma famille et je n'arrive pas à faire abstraction de la cruauté avec laquelle ma stupide belle-mère m'a maltraité. Je suis tracassée par toutes les années gâchées, les années qu'elle nous a subtilisées et que jamais monsieur J. et moi ne pourront rattraper.
    Pourquoi refuse-t-il de me donner ne serait-ce qu’un début d'explications?
    Bébé souhaiterait m'emmener à la propriété, il pense que cela me ferait du bien et me permettrait de faire un pas en direction de celui dont j'ai toujours du mal à écrire et prononcer le nom.
    Il fait une chaleur d'enfer sous la varangue, j’ai oublié de baisser les stores. Ash n’a ni l’envie ni le courage de bosser et moi, je suis incapable de me concentrer sur mes exercices. C’est définitif, je hais la conjugaison., je hais le futur simple, je hais le conditionnel, d’ailleurs je suis incapable de les reconnaître ces deux-là. Nous tentons de faire larmuse et rapiette en regardant un DVD, mais d'humeur badine Bébé se désintéresse totalement de ce qui se passe sur l’écran.
    Coup de frayeur le trois juin, un attentat a eu lieu à Londres. J’ai été emplie d'effroi avant de me rappeler que Bébé est sur Paris. Cette odieuse agression m'a profondément touché car parmi les victimes se trouvent des personnes proches de l'oncle de Bébé et la nièce adolescente de mademoiselle Françoise, l'intendante de Madam’, a été blessée par les gens qui fuyaient en panique. Comment se peut-il que des hommes se transforment en animaux sauvages au nom d’une religion? Les animaux eux, tuent pour se nourrir, ceux-là n’ont aucune excuse.
    Ça y est, Bébé est dans la dernière ligne droite. L'évaluation et l'appréciation de ses tests font que dès à présent il a la possibilité de choisir dans quelle "branche" il va officier. La semaine dernière, il a assisté à plusieurs conférences et il n'a que l'embarras du choix pour sa future carrière. Il est temps pour lui de voler de ses propres ailes et de prendre des initiatives sans avoir à en référer à un supérieur. Grâce à la publication de ses écrits et à sa formation sur le terrain, il obtient la gestion et l'organisation du service qu'il guignait depuis longtemps. Je suis très fière de ma Canaille. Toutefois, c’est à Cologne qu’il va devoir faire une spécialisation afin de faire ses preuves et ça n’est pas vraiment fait pour me plaire.
    Ash fait le choix d’étudier à la Petite Paix et il m’arrive de penser que ce n’est pas toujours une bonne idée. Il corrige, approfondit et améliore le rédigé de ses dernières analyses et son manuscrit se révèle être un véritable pavé dont les fiches qui le composent traînent un peu partout sur les meubles. Mais voilà, en m’apercevant monsieur s’éparpille souvent et ses yeux emplis de coquineries affectueuses me font comprendre combien il me porte affection. Je vais rester correcte et écrire simplement que son inclination se situe en dessous de … j’apprécie la démonstration.
    J’adore quand Ash prend ses aises en bûchant à la maison et qu’il dépose ses documents ça et là, il me fait confiance depuis toujours. Ce que j’ai parfois sous les yeux est assez déroutant, voire effrayant et j’ai du mal a en regarder certains.
    Toutefois cela m’ennuie pour Florence qui n’a nul besoin de tomber sur de telles horreurs. Je lui demande toujours d’attendre que Bébé ait remis en chemise ses fichiers avant de briquer le salon. Certes la plupart des polycopiés sont rédigés dans la langue de Shakespeare, mais les clichés d’observation eux, sont très explicites.
    Une nouvelle fois, je tiens à spécifier que les dates de mes chapitres ne sont inscrites qu’à titre indicatif afin de me situer dans le temps. Ma Petite Paix est immobile, elle me sert d’horloge et de boussole.
    Aujourd’hui nous avons été gâtés pour le déjeuner auquel j’ai dû faire honneur car Ash surveillait chacune de mes bouchées. Il paraît que je ne suis pas raisonnable quand il s’agit de me nourrir. Bref, je suis quasiment sommée d'avaler une salade de salicornes, tomates cerise et grenades, assaisonnée d’une vinaigrette sucrée-salée. Les salicornes sont des algues sauvages, mais dans le magasin Bio du bourg l’on en trouve en conserve. Elles ne valent pas les fraîches, mais elles font illusion. Et Pour bien enfoncer le clou j’ai dû me servir un ramequin de salade de pêches. Mon ogre lui a englouti quatre courgettes rondes farcies et son riz d’accompagnement.
    Vive son jogging matinal, c’est grâce à cela qu’il garde la ligne.
    J’ai reçu au courrier le compte-rendu de ma consultation chez le cardiologue. Je comprends à présent pourquoi Ash est venu se poser à la Petite Paix pour seulement deux jours, mes résultats le tenaient en souci.
    Mes problèmes de santé viendraient du piranha qui me dévore, il fait danser la gigue à madame diastole et madame systole, d’où mes pertes de connaissance. Je passe rapidement du quinze neuf au neuf huit et il arrive que se soit plusieurs fois par jour Quand je suis en crise. D’autres examens sont à prévoir car le spécialiste suspecte une insuffisance aortique. Je vais devoir ingurgiter je ne sais quelle mixture en vue de ces analyses et … ce n'est pas ce qui me tourmente le plus. Durant des années j'aurais aimé disparaître d'un claquement de doigts. Dans mes tous premiers entretiens psy je déclarais à Nadège être déjà morte et que Lady faucille était mon amie imaginaire. Aujourd’hui je suis consciente d’être aimée et je ne souhaite pas faire de la peine à ceux qui m’accordent leur affection. Si mon cœur s'arrête de battre c'est qu'il sera temps pour moi d’aller ailleurs, mais à présent je considère l’avenir, mon avenir comme possible sans avoir toujours des papillons noirs qui m’empêchent de le savourer. Vivre est peut-être la meilleure des punitions que je puisse donner à celui qui m’a brisé.
    Bébé doit se rendre en urgence à Londres et il ne veut pas que je reste seule, même pour deux jours. J'ai le choix entre les tantines et … les tantines. D’autorité il a pris le volant de mon carrosse et il fonce comme un dingue en direction de Palavas après avoir réservé une place au parking de Mauguio et un billet pour Gatewick. Il m'a déposé sur la petite place attenante au resto déjà ouvert de mes tantes et débrouille toi avec ton sac ma cocotte. Il m'a jeté devrais-je dire. Je suis la compagne d'un grand malade. Il a bien dû rouler sur cinquante mètres avant de passer la marche arrière pour venir m'embrasser. Là, je m'inquiète surtout pour mon dauphin, surnom que les autochtones ont donné à ma voiture.
    Quelques jours de méditation me permettront peut-être de me remettre sérieusement à l’écriture car c’est page blanche depuis une bonne semaine. Je sens que je vais me faire tirer les oreilles par mes professeurs.
    Pari tenu, Ash a attrapé son avion au vol.
    Samuel m'a enfin donné de ses nouvelles. Son stage en milieu hospitalier n'est pas simple. Il pensait s'être endurci au contact de la promiscuité des détenus d'une maison d'arrêt, mais l’univers carcéral déjà déprimant n’est rien en comparaison d’un service de soins palliatifs. Le plus éprouvant me dit-il, c’est faire face à ce monde aseptisé où seul le confort de soins atténue les douleurs de la maladie qui compromet l'avenir de ses étudiants. La lutte de l’esprit que leur offre Samuel permet aux patients d’affronter l’ennui et la souffrance. Pour la plupart cette érudition ne leur servira jamais, ils en sont conscients, mais ce sont les élèves de tous âges les plus assidus que Sam n’est jamais eu.
    Hippolyte, quinze ans, en phase terminale d'une maladie foudroyante incurable, abruti par la morphine et ses effets indésirables, trouve la force de dompter son mal lorsque Sam lui fait la lecture des poèmes de Gérard de Nerval. Le cerveau est un organe complexe qui protège son hôte indépendamment de la volonté de celui-ci.
    Sam distille son érudition littéraire avec tellement de cœur et d’empathie que je suis certaine qu’il réussira sa formation.
    La teigne, le retour. Il y avait très longtemps que je n’avais pas eu de nouvelles de la furieuse et la voilà qui se pointe à nouveau dans mon horizon. Je bouillonne de rage contre monsieur J. qui lui a fait part de la visite qu’il m’a rendue. Les propos de grenadière que la Joce a tenu en parlant de moi ont offusqué ma tante qui a envoyé ce poison se faire … bref, Mamaiette a utilisé un langage fleuri pour la remettre en place. Selon la femme de mon père, je suis une fille de rien qui n’a jamais procurée que de l’embarras à la famille et qui à présent profiterai de son installation dans la maison de sa grand-mère pour manigancer je ne sais quel complot envers elle. Mon père aurait renoncé à me fréquenter depuis bien longtemps, mais par bonté d’âme il se serait rendu à la Petite Paix car je l’en aurais supplié. Cette femme est une grande malade, elle est en pleine crise depuis qu’elle a appris que je suis en possession des cartes anciennes de maman. Mamaiette a appelé son frère pour le remercier de ma part et bien sûr Jocelyne, c’est son prénom, a brodé sur la conversation. Je l’ai affronté tant de fois par le passé qu’aujourd’hui elle ne m’inspire qu’indifférence, enfin c’est ce que je me laisse croire. Je n’admets toujours pas qu’à peine installée chez nous, elle a bouleversé ce qui était mon univers de petite fille, qu’elle se soit faite mère pour Miriette et que dans son esprit malade je sois devenu le petit canard boiteux a rejeter. Cela a été l’enfer lorsque ma jumelle est partie, jamais de coups, mais certains mots font encore plus mal que des gifles. Et je ne comprends toujours pas pourquoi mon père a accepté ceci. Ash me répète souvent qu’il me faut prendre mon courage à deux mains et m’en retourner au domaine familial, c’est là-bas que se trouvent les réponses.
    Le fil ténu qui me lie de nouveau à mes origines m’aide à résister à son obstination malsaine…

    CouSiNaGe, CouSiNaDe… 09 Juin 2017

    ...Pour raccrocher le wagon au train, il va me falloir prendre un bain de famille. C’est du Nadège tout craché!
    Les tantines ont organisé une cousinade à l’occasion de l’anniversaire de mes petites cousines Sylvie et Odile, sœurs jumelles elles aussi, c’est dans les gènes de la famille, et que des filles.
    Ash m’avait promis d’être de retour à temps pour me soutenir lors de ce week-end de folie et il a tenu parole.
    Je crois me souvenir qu’en matière de bringue la famille se pose en maître, mais étant alcoolique, je l’admets plus facilement à présent, je ne me sens pas prête à refuser fermement un verre d’alcool proposé avec insistance. D’autant que cette réunion de famille m’angoisse vraiment et qu’une vodka serait la bienvenue pour apaiser mes craintes. Pourquoi ai-je accepté? Je me le demande encore, mais il est trop tard pour faire machine arrière et Ash m’assure être très fier de moi pour avoir fait ce pas décisif.
    Le modeste village de mille cent vingt-six âmes où nous avons posé nos bagages est un paradis. Tout n’est que verdure et terres maraîchères où arbres fruitiers et potagers se succèdent à perte de vue. Le quotidien laborieux de mes oncles. Leurs plus proches voisins résident à plus d’un kilomètre du corps d’habitation alors l’on ne risque pas de querelle à propos des décibels. Bal musette et musique rock n’roll en alternance, il en faut pour toutes les générations et open bar.
    La veille il a fallu aménager une partie du hangar de stockage afin de la transformer en dortoir grâce aux lits pliants de camping et aux matelas d'appoint que le mari de Mamadeine a patiemment collecté auprès des voisins. Interdiction de rentrer chez soi bourré, c’est la règle. Pendant ce temps les tantines ont confectionné canapés et amuse-gueules pour l’apéritif. Le repas prévu est pantagruélique, comme à leur habitude Mamaiette et Mamadeine ne laisseront repartir le ventre vide aucun de leurs hôtes.
    J’ai beaucoup de mal à me mettre dans l’ambiance, heureusement que Bébé n’est pas loin.
    Je dois certainement passer pour une méprisante car je salue peu de gens. Je ne vais pas non plus me précipiter au cou du premier venu sous prétexte que nous aurions des gènes communs. Oui je l’admets, la plupart des hôtes de mes tantes me sont inconnus. Je ne les reconnais pas serait-il plus juste d’écrire. Nadège a raison, il est grand temps pour moi de renouer avec ma famille, aussi est-ce pour cela que Bébé et mes tantes m’ont attiré dans ce traquenard.
    C’est avec une certaine réticence que je me suis laissée convaincre et je m’en doutais, la ribambelle de curieux qui me dévisage me met mal à l’aise. Du coup j’accompagne Richard aux plantations car dans le feu des préparations il a oublié de programmer l’arrosage. Le père des jumelles est décédé alors qu’elles étaient toutes minots, Richard est leur beau-père. Moi je l’apprécie énormément et lorsqu’il tient le bar au restaurant des tantines, il amuse son monde. Ses réparties et pitreries l’ont fait connaître de tout un côté du canal, y compris des habitués des campings environnants.
    Cet intermède m’a permis de me reprendre.
    Le devant de la maison ressemble à une guinguette avec ses ballons fluo, ses lampions et ses guirlandes accrochés aux poutres de la terrasse. Des tables ont été disposées sur le parquet amovible qui sert aux manifestations de plein air du village. Mes oncles sont conseillers municipaux et adjoints alors ceci explique cela. Salades en tous genres et boissons dans les réfrigérants n’attendent plus que le lancement des hostilités. Sous la frondaison, le long du cours d’eau, deux beaux cochons de lait rôtissent en broche. L’odeur qui parvient à mes narines m’ouvrirait presque l’appétit.
    Lorsque les reines de la fête sont arrivées, elles n’en croyaient pas leurs yeux car elles ne s'attendaient qu’à un simple repas en famille, pas à une telle cousinade. Surprises et émues elles nous ont souhaité la bienvenue puis les conversations et la musique d’ambiance reprennent. Ash me guide en mode garde du corps, il sait que les rassemblements m’angoissent. Je suis toute en suspicion dès que l’on m’approche, la femme de monsieur J. me dénigre tellement que je pensais que beaucoup me tourneraient le dos, mais je suis surprise. Je ne ressens aucune animosité de la part de celles et ceux qui me saluent, ils ont juste l’air surpris de me croiser et l’on me gratifie d’un regard plaisant et amical en réponse à mes civilités. Comme à mon habitude, je me suis faite une montagne d’une taupinière.
    Pourtant le moment que mon cerveau et moi-même redoutions le plus a fini par se produire. Les conversations se sont soudain faites plus discrètes à l’arrivée de l’oncle des jumelles. Monsieur J. était assurément l’invité le plus attendu des hôtes de ma tante Madeleine.
    - J'espère qu'elle a fait l'effort de prendre ses médicaments aujourd’hui!
    Je serais bien incapable de mettre un visage autour de la bouche de celle qui près de nous a chuchoté ces mots, mais aussitôt tous les regards se sont tournés en direction des arrivants. Tous, sauf ceux qui me dévisageaient intensément.
    Bébé, la mine contrariée a serré plus fermement ma main entre ses doigts en signe de réconfort et du menton il m’a désigné la voiture qui venait de se garer dans le champ qui sert de parking pour l’occasion. J’ai aperçu Mamaiette et Mamadeine qui me cherchaient des yeux, lorsque nos regards se sont croisés je les ai rassurées d’un pauvre sourire.
    Juste le temps de quelques embrassades, de faire étalage de son savoir-vivre et mon père me découvre. Étonné et ravi il s'approche de moi et il m’embrasse en me serrant dans ses bras. Je tremble comme feuille au vent.
    Les yeux de la harpie qui lui emboîte le pas sont fixés sur moi pareils à ceux d’un serpent hypnotisant son dîner, froids et nuisibles. Aucun commentaire désagréable ne sort d’entre ses lèvres, et pour cause. Ashlimd me tient par la taille et d’un regard malveillant il dompte la mégère qui renonce à me maltraiter de sa langue fourchue. J’ai même droit à un signe de tête glacial contraint et forcé par le quand dira t-on. Le duel n’aura donc pas lieu.
    Étiennette et Pierrot nous rejoignent pour un toast et il est temps de rejoindre nos places.
    Comme à son habitude Bébé a veillé à ce que je mange un petit quelque chose et je n’ai pas eu besoin de me forcer pour goûter au cochon de lait cuit à point. Une minuscule part de fenouil braisé et de petit pois pour accompagner. C’est délicieux, mais ce n’est pas aussi simple car les remèdes tressent mon estomac dès que j'avale quelque chose. Depuis plusieurs jours je me nourris de fruits, de soupes froides et de pains au lait, rien de vraiment … je suis écœurée par la quantité phénoménale de nourriture qui emplit l’assiette de Bébé. Une série de joggings intensifs, une diète au bouillon de légumes et la silhouette d’Apollon de Bébé ne sera pas gâchée. Il peut donc se permettre de se diriger vers la table des desserts ou trône à présent le gâteau d’anniversaire de taille démesuré. Trente bougies entourent un biscuit caramélisé représentant un Umpty Dumpty de quinze centimètres. La figurine est censée représenter les jumelles, à ce stade je dois préciser que ce sont des originaux dans la famille. Je me suis laissée charmer par la génoise fourrée crème pâtissière et framboises. Plus tard je vais certainement devoir rendre des comptes à mon estomac, mais peu importe j’assume.
    Ash et moi avons bénéficié d’une place de choix à l’une des tables du banquet. J’ai refais connaissance de parents originaires de Marseille, du côté de mon arrière-grand-mère maternelle, je ne peux l’expliquer mais cela m’a bouleversé.
    Bons gènes ne peuvent mentir me disais-je en écoutant ma grand-tante par alliance me narrer les exploits de jeunesse de ma grand-mère Lynette. Cette vieille personne avait l’air un rien envieuse en me livrant ces ragots croustillants. J’en suis convaincue à présent, c’est ma grand-mère qui m’a léguée sa nature coquine. Selon ma voisine de table, ma chère mémé a bien vécu avant de se marier, son tempérament de feu et sa silhouette agréable lui auraient valu … disons que de beaux papillons l’ont courtisé, mais que peu on bénéficié de ses faveurs. Lorsque pépé est apparu dans son horizon elle n’a eu d’yeux que pour lui. Sacrée Maë Lynette, c’est elle qui dès mes premières menstrues m’a mis au courant des générosités que nous octroie parfois le destin à nous les femmes comme elle disait et ces explications étaient très imagées.
    Tard dans la soirée mon père est venu nous rejoindre Ash et moi. J’ai ressenti comme l’impression bizarre que ces deux-là se connaissaient mieux qu’ils ne le laissaient paraître. Je les ai laissé en tête à tête n’ayant aucune idée de ce qu’allait être leur conversation, mais soudain l’avenir m’a paru plus lumineux. Cependant je ne suis pas encore prête à accepter qu’ils puissent avoir une relation normale beau-père et beau-fils. Ash est ma véritable famille , celle que je me construis jour après jour et laborieusement alors je me refuse à la partager pour le moment.
    Anaïs et Audrey les filles adoptives du fils de mon oncle Gérard ont tenu à ce que je les accompagne au calme pour prendre une boisson digestive. Cette petite pause thé a été la bienvenue pour mon bien-être mais aussi pour réveiller mes souvenirs car plusieurs autres de mes petites cousines nous ont rejoint. C’est là que je me suis rendue compte qu’effectivement il y a peu de cousins alentours. Ce sont donc bien les filles qui assurent la postérité de notre famille. Évidemment il a fallu que la fée Carabosse vienne briser le charme de l’instant par sa présence et sa mauvaise humeur. Elle cherchait son mari depuis plus d’une demi-heure et elle pensait le trouver en notre compagnie. Personne ne me traite en paria et je crois que c’est pour cela qu’elle enrage de ne pouvoir m’exprimer son agressivité devant toute la famille réunie. Parce que bien sûr c’est de ma faute si monsieur J. l’a délaissé.
    Vers quatre heures du matin le dortoir de fortune s’est rempli. Bébé et moi bénéficions d’un traitement de faveur puisqu’une une chambre d’amis nous attendais, je me suis endormie dès que ma tête a touché l’oreiller.
    Bébé délaissant l’accélérateur pour une conduite pépère, le retour à la Petite Paix s’est effectué paisiblement et nous n’avons pu faire autrement que de parler de Jocelyne. Même si cette femme changeait totalement de comportement envers moi, jamais je ne pourrais pardonner tout ce que j’ai enduré par sa faute. Je me sens minable car je me dis que j’aurais dû l’affronter au lieu de m’enfuir comme une voleuse. Ses sauts d’humeur étaient flippants mais ils ne me terrorisent plus, c’est déjà ça. Ash reste évasif quant à son entretien avec monsieur J. et il me laisse entendre que si mon père a été démissionnaire c’est qu’il avait certainement de bonnes raisons. Je préfère ne rien rétorquer à ceci car j’aurais vite tendance à utiliser un langage fleurie pour défendre mon point de vue.
    L’effort de prendre son traitement? Un début de réponse...

    TuRPiTuDe eT DéCHéaNCe… 14 Juin 2017

    ...L’un en face de l’autre mais chacun dans notre monde. Étudier, apprendre, retenir!
    Aujourd’hui Ash et moi avons établi notre salle de classe à l'étage pour qu’au rez-de-chaussée Florence ait tout loisir de s'adonner à son passe-temps favori, parodier la tornade blanche.
    Bébé aime se torturer par plaisir, tout doit être parfait. Lorsqu’il doute il devient imbuvable C’est pénible à la longue et je me souviens que lors de l’élaboration de leurs plaidoiries Penjÿ le rappelait sans arrêt à l’ordre, Ash faisait ses corrections tout haut avec force protestations et grognements lorsque certains termes ou annotations ne lui convenaient pas.
    J’ai près de moi monsieur bougon en personne, il grommelle entre ses dents en maltraitant le feuillet qui ne correspond pas à ses attentes, c’est insupportable. Je le foudroie du regard, mais cela le fait sourire.
    Grammaire, concordance des temps, construction de phrases et … au secours je me noie dans de simples exercices de remise à niveau. Il en faudrait peu pour que j’abandonne ce travail de titan, mais j’ai besoin d’occuper mon esprit pour me reconstruire. L’écriture est ce qui me convient le mieux m’a affirmé ma thérapeute et il est vrai que j’aime beaucoup ça. Mais il me faut expliquer une nouvelle fois que je repars de très loin et qu’il m’est nécessaire de prendre des cours afin de me familiariser avec ma langue maternelle. L’enseignement en littérature est la cerise sur le gâteau, ce qui me protège du renoncement. Le hic c’est que je ne parviens pas à me concentrer totalement sur mes leçons depuis que j’ai pris un bain de famille. Mon esprit vagabonde autre part. Lors de ma dernière séance psy Nadège a voulu que je développe mon ressenti après coup. Cela n’a pas été une partie de plaisir car tout s’entrechoquait dans ma pauvre tête. Croiser la marâtre m’a une nouvelle fois perturbé, mais cela m’a permis de réaliser que peu, personne n’adhérait à ses délires. Je me suis privée de ma parentelle à cause des idées noires que la mégère a insufflé à mon esprit depuis ma tendre enfance. Pas que, malheureusement en rattrapant la réalité, certains de mes choix m’ont paru … abominables.
    Je dois me délivrer de ces sombres réflexions et quoi de mieux que l’écriture pour y parvenir.
    Bébé m’encourage du regard car il a compris que pour cette rédaction, je ne sais pas trop par où commencer. Je voudrais pouvoir le faire sans être de parti pris ou renifler à chaque mot posé. Je crains de ne pouvoir être objective, je ne le désire pas non plus. Entre la concordance des temps et la continuité des faits l’exercice va m’être difficile, mais à un moment ou à un autre il faudra que cela se fasse alors je me lance. Ceci dit, confession, chronique ou essai, je ne sais pas trop comment intituler ce qui suit, à savoir une longue liste de récriminations envers celle qui a pourri mon enfance et mon adolescence. Avec le recul, je suis arrivée à me convaincre que c’est le cocasse de certaines de ces vicissitudes qui m’a permis de ne pas sombrer dans la folie.
    - Les rares fois où elle nous adresse la parole elle semble ailleurs.
    - Le jour de son mariage l’on aurait dit qu’elle se dirigeait vers un abattoir, elle a fait mauvaise figure toute la journée.
    - Lors de la cérémonie de promotion du Fernand elle était incapable de faire la différence entre un soldat et un officier, elle aurait au moins pu s’y intéresser.
    - Elle n’est pas exubérante, elle est seulement lunatique. Enthousiaste à remuer les collines puis tout à coup elle entre en dépression, c’est usant. Ce n’est pas étonnant que personne ne l’invite.
    Maë Lynette, Mamaiette et bien d’autres se sont toujours posées de nombreuses questions au sujet de Jocelyne qui n’a jamais essayé de se lier avec les membres de la famille. Elle les critique et les fuit comme la peste et quand elle est obligée de fréquenter les uns ou les autres elle incarne madame malheureuse.
    Le jour de l’anniversaire des jumelles, la réflexion au sujet des médicaments que la Joce ne prendrait pas m’a remis tous ces questionnements en tête.
    Mes cousines prennent cela à la rigolade, cela se voit qu’elles n’ont pas eu à vivre avec la marâtre. Moi je ne la trouve pas fantasque mais versatile. Elle ranime les braises et l’instant d’après elle souffle un air glacial. Je devais avoir une douzaine d’années lorsque j'ai surpris une conversation entre les domestiques, mais je n’y ai pas plus prêté attention que cela. Pourtant bien vite je me suis rendue compte que ceux-ci avaient raison. Le mode de fonctionnement de cette femme est déconcertant disaient-ils et certains pensaient qu’elle porterait préjudice au domaine. Heureusement cela n’a pas été le cas puisque Guillaume veillait au grain. Les sottises de la Joce la faisaient passer pour une pauvre d’esprit aux yeux des villageois producteurs et ceux moins nuancés la traitait de caractérielle ou carrément de détraquée. Je crois qu’en mon for intérieur je le pensais aussi et ses divagations me faisaient si peur que je ne tenais pas à y être associée, d’où mes révoltes régulières. Dans ces moments-là monsieur J. s’appliquait à fuir les cris. Quant j’en venais aux projections d’objets divers, il hurlait à son tour. Maë Lynette disait souvent à son ex-gendre que sa femme était désembrayée, qu’un jour ou l’autre il allait devoir la mettre en cage. Enfant, je me suis souvent demandée ce que j’avais fait pour la rendre aussi méchante, mais avec le temps j’ai compris qu’elle n’avait aucune raison de me tourmenter, qu’elle le faisait uniquement parce que ça l’amusait. Elle a brisé m a force vitale en affirmant à qui voulait l’écouter que j’étais la seule responsable du décès de ma sœur que j’entraînais dans les bêtises. Je suis consciente de la fausseté de ses paroles mais cela m’est encore très douloureux de me les remémorer. Et pas une seule fois monsieur J. n’a pris ma défense, ses absences faisaient office d’arguments, ainsi il me condamnait ouvertement.
    Je rouvre de temps en temps cette blessure avec ma thérapeute et à chaque fois je ressens cela comme la confession d’une faute que je n’ai jamais commise.
    Nadège me suggère une approche radicale mais je m’y refuse, je n’en aurais pas la force même accompagnée de Bébé.
    Depuis peu, chacune des ‘‘originalités’’ de ma belle-mère ont trouvé sens , j’en suis atterrée. Pourquoi des médicaments?
    Cela a tourné en boucle dans mon esprit jusqu’à ce que je demande des explications à un médecin en retraite, ami de Maë Lynette. Celui-ci m’a expliqué que peu de ses confrères sont capables de diagnostiquer ce trouble. Il m’a fallu lui parler longuement du comportement de Jocelyne et l’hypothèse qu’il émet tient la route. La femme de monsieur J. souffrirait d’une maladie psychique responsable de dérèglements de l’humeur provoquant en alternance une phase maniaque définie comme un épisode d’excitation pathologique, et une phase dépressive comprenant souvent une grande tristesse, aucun goût au plaisir, une perte d’énergie et parfois des idées suicidaires. Cela correspond tout à fait aux agissements de ma belle-mère. Il s’agit de bipolarité m’a expliqué le médecin et effectivement cette maladie peut être contenue grâce à un traitement lourd. Je saisis à présent, nous flirtons avec le mélodrame depuis des décennies et si la Joce persiste à ne pas prendre ses médicaments, nous risquons la tragédie à tous moments. Je crois que je commence à déceler où est la faille de mon père, mais cela n’empêche en rien ma colère contre lui. La malveillance et la hargne que la marâtre déversait sur moi ont laissé des stigmates à mon esprit, je n’oublierai jamais. À tout bout de champ, elle répétait que nous la fatiguions, qu’elle était lasse, qu’elle était faible, et cela durait à n’en plus finir. Il est vrai que lors de la fête de famille nous l’avons trouvé diminué, elle semblait être étourdie dès qu’elle faisait une dizaine de pas.
    Je me souviens du temps où elle trouvait toujours un prétexte pour repousser l’offre de monsieur J. à l’accompagner dans ses randonnées, soit elle ne se sentait pas en forme, soit elle avait prévu autre chose. Dès que son mari avait le dos tournée la fatiguée courait comme un lapin à travers champs et vignes pour harceler les ouvriers qui retapaient l'ermitage des employés. Ils n’allaient pas assez vite, ils faisaient tout de travers, ils n’étaient que des incapables, son manque de diplomatie a valu bien des sueurs froides à notre pauvre Guillaume, le régisseur du domaine en l’absence de monsieur J.
    Parfois elle partait en crise de larmes du matin au soir, jusqu'à épuisement puis le jour d’après elle riait gaie comme un pinson sans vraiment savoir ce qui la mettait en joie.
    Je me souviens tout particulièrement de l’une de ses dépressions cataclysmiques. Selon elle, c’était la honte de sa vie, la fin du monde proche. Lors d’une manifestation culturelle au village, elle s’était distinguée par son peu de connaissances, la pauvre Jocelyne n’avait pas été fichu de trouver les réponses d’un mots croisés niveau débutants. Le comique pour moi, c’est qu’elle a demandé toute une série de dictionnaires à monsieur J. et qu’elle n’en a jamais ouvert un seul. Elle a toujours été incapable de terminer quoi que ce soit ; vingt minutes d’un jeu de société avec ses rares amies et elle envoyait promener les pions sous prétexte que celles-ci trichaient. D'aussi loin que je me souvienne, je ne l'ai jamais vu lire, de véritables ouvrages je veux dire. Elle ne parvient pas à se concentrer plus d’une heure ou deux et ce serait l’un des symptômes de la bipolarité. Ceci dit, de mon humble avis, son attitude ne doit pas être entièrement imputable à sa maladie.
    Et plus j’y pense, plus je crois qu’il est impossible que son comportement ne soit imputable qu’à son trouble. J’ai eu droit aux périodes grains de riz car elle n’aimait plus sa silhouette, lors de ses ‘‘régimes’’ toute la maisonnée devait s’adapter à ses couillonnades alimentaires. Il nous fallait ingurgiter des bouillons de poireaux matin midi et soir, des potées choux, carottes, oignons à midi et … deux jours d’abstinence de protéines plus tard elle nous faisait une crise de boulimie à en avoir la nausée. Je ne m’étonne même plus que mon rapport à la nourriture soit faussé. Souvent livrée à moi-même je me passais de repas et mes colères dantesques lorsqu’ils insistaient avaient que la cuisinière et l’épouse de Guillaume n’osaient plus me contraindre aux repas. Il y a eu aussi les épisodes prise de tête où la marâtre se sentait responsable de toutes les misères du monde, Non ce n’était pas de l’empathie, mais sa bêtise qui prenait le dessus.
    La théorie du chaos et ses effet papillon tout le monde connaît. Avec elle cela se traduisait par, je n’ai pas rentré la poubelle donc le facteur a écrasé le chat ou encore, ma permanente n’a pas pris, les poules ne pondront plus.
    Vu de l’extérieur c’est très amusant j’en conviens, le vivre au quotidien est moins drôle.
    Parfois il lui prenait l'envie de tout bouger dans la maison puis tout faire remettre en place une semaine plus tard en invectivant les domestiques parce que ceux-ci avaient pris la liberté de déplacer les meubles sans son autorisation. Madame passait des heures au téléphone avec son frère pour, la semaine suivante ne plus vouloir lui adresser la parole.
    L’humeur fluctuante est un autre symptôme de la maladie. J’en veux à ma belle-mère, elle a gâché mon enfance, mon adolescence et j’en suis convaincue à présent, la relation que j'aurais pu avoir avec mon père, tout cela par jalousie. Qu’elle soit en mode idées noires et suicide fait d’elle la championne toute catégorie du mal-être et le pire c’est que pendant des années j’ai suivi le même chemin. De ce fait jamais mon père et moi n’avons pu faire deuil commun de Miriette.
    Je ne suis pas certaine de ce que j’ai entendu en écoutant à la porte ce jour-là, mais une conversation des tantines me revient en mémoire en écrivant ce chapitre. Selon les braves femmes leur frère ne partait jamais tranquille en mission car, au paroxysme de sa démence, Jocelyne lui aurait dit un jour qu’il avait déjà perdu une fille et que l’autre pourrait fort bien disparaître aussi. Est-ce à cause de cette menace à peine voilée que monsieur J. ne prenait jamais ma défense? Je le crois sincèrement à présent. La réflexion qu’elle a faite en état de dépression était grave, cependant mon père a toujours été aux petits soins pour elle, il n’a pas hésité à m’offrir aux caprices délirants de sa femme acariâtre qui se défoulait sur la gamine que j’étais. En réfléchissant à tout ceci, je ne sais si je dois le plaindre, lui laisser le bénéfice du doute et croire en ce rapprochement qu’apparemment il désire. Sa vie est certainement une part d’enfer et c’est tant mieux. Ma rancœur guide parfois mes mots.
    Dans ses périodes je me sens bien et je conchie la terre entière, Jocelyne ne dormait que quelques heures par nuit et le reste du temps elle faisait comme si nous n’existions pas, sa musique à fond dès quatre heures du matin. Cela m’aidait bien à me détendre et récupérer pour aller en cours. Lorsqu’elle était chagrine, elle se rendait en ville pour dépenser sans compter dans des achats tous plus inutiles les uns que les autres. Monsieur J. entrait des des colères noires à son retour, mais elle parvenait à chaque fois à l’attendrir. Ou alors elle déposait son flacon de somnifères sur la table sans un mot.
    Si cela n’avait pas été aussi triste je crois que j’en rirais.
    Totalement irresponsable il arrivait que cette toquée envoie le fils de seize ans d’un des employés du domaine faire des courses au village voisin en l’autorisant à conduire la voiture de monsieur J. Le jour ou Hervé a failli provoquer un grave accident j’ai cafté à mon père et cela m’a valu la reconnaissance des habitués du domaine mais aussi une sacrée punition.
    Et voici une dernière anecdote qui montrera combien le manque de savoir-vivre de la Joce est profondément ancré en elle. Un après-midi où mon père recevait en grande pompe l’un de ses supérieurs en vue d’une promotion, la furieuse n’a rien trouvé de mieux que de claquer une bise sur chaque joue de son épouse. Jamais je n’ai oublié la stupéfaction atterrée de mon père, ni le regard interloqué du gradé et de ses accompagnants, ni celui sidéré de ladite épouse qui hésitait entre l'envie de rebrousser chemin ou d’exprimer son mépris envers celle qui l'accueillait comme s’il s’agissait d’une bonne copine. L’étiquette entre grade est très réglementée et l’impair qu’a commis Jocelyne a dû rester dans les annales du département militaire. Une fois la surprise passée, la bonne éducation qu’a reçu cette personne a fait le reste. Ignorer le crime de lèse-majesté et sourires de circonstance. Il me semble me rappeler que le personnel du domaine ainsi que les troufions présents ont éclaté de rire … à couvert bien entendu. Papa a quand même tirer la gueule deux jours durant, mais il m’est avis que la Jijie , c’est le surnom affectueux et ô combien ridicule qu’il donne à sa femme, n’a toujours pas compris pourquoi. J'aurais des dizaines d’anecdotes à narrer si je me laissais aller à le faire, cependant je n'en ressens plus le besoin, pas à l’instant en tous cas, car je viens de me rendre compte que si un jour monsieur J. lisait ces lignes, cela pourrait lui faire plus de mal qu’à moi m’octroyer l’apaisement de l’esprit auquel j’aspire tant. Les sentiments que j’éprouve envers lui deviennent si contradictoires que je m’y perds, mais maintenant que j'ai découvert ce qui m'a valu toutes ses années de maltraitances psychologiques et de méchancetés gratuites, je n'ai qu'une envie, c'est de mettre son aliénée de femme en morceaux, petit bout par petit bout. Je suis toute en bienveillance pour les personnes bipolaires qui conscientes de leur état font leur possible pour se sentir mieux. Je les admire de subir avec courage, parfois une vie entière, la contrainte d'un traitement lourd, on ne guérit pas de cette maladie, on la muselle. Mon manque de compassion et mes attaques sont uniquement dirigés vers celle que je méprise pour son refus de se soigner correctement.
    Mauvais rêves mauvais rêves laissez-moi, jolis rêves jolis rêves restez là. Merci mémé…

    AMG C 63 S... 17 Juin 2017

    ...Le nouveau joujou de Bébé. Je ne peux pas vraiment dire que se soit une surprise!
    Ash est en région Parisienne pour plusieurs réunions entre services. Son point de chute est chez Henri et lorsqu’il m’a annoncé que son séjour se prolongeait, je me suis mise à flipper et aussitôt mon imagination a enfourché sa trottinette. Je voyais déjà mon Fripon se livrer à la débauche. Je dois préciser qu’Henri est d’une nature très conviviale et deux de ses associées ont été très … accueillantes avec Ash la dernière fois qu’il a rejoint le cabinet de son référant.
    Aux dires de Bébé, un peu trop peut-être.
    Ash m’est fidèle je le sais, j’en suis sûre, pourtant je ne peux m’empêcher de me faire un sang d’encre lorsque de belles femmes entrent dans son champ de vision. Je ne me sens pas à mon aise en présence de ses confrères féminines, ma voix y est pour quelque-chose. Ma plastique est peut-être agréable, mais je ne contrôle pas les sons tantôt gutturaux tantôt aiguës qui franchissent mes lèvres et cela me rend dingue de devoir me justifier. Je travaille pourtant à améliorer mon timbre de voix avec un orthophoniste, mais les résultats ne sont pas ceux escomptés.
    Bébé m’a entraîné sur les chemins de la perdition, ou est-ce l’inverse, depuis bien longtemps. Il connaît la rapidité avec laquelle je peux me transformer en mauvaise fille, alors je suis certaine que d’aller voir ailleurs ne lui apporterai rien.
    Je m’ennuie comme un rat mort depuis mon hospitalisation, aussi me suis-je risquée à faire quelques pas dans l’allée et finalement je me suis retrouvée chez Hélène et Marceau. Ils ont été surpris de ma visite car ils pensaient je j’étais toujours à Palavas à me faire dorloter pas mes tantes.
    Il est vrai que pour l’instant je fais peu d’exercice, seulement avec mes kinés car je m’essouffle très vite. J’ai encore perdu quelques grammes car je me rends compte que je flotte dans mes robes d'été pourtant très ajustées. Stéphane et Frédérique entretiennent mes muscles et ma locomotion ainsi que mon mental. Toutefois lorsqu’ils se risquent à mentionner mon appétit, à savoir la prise de repas réguliers et consistants, la voix dissuasive, moqueuse plutôt, de mon ex-mari résonne à mes oreilles.
    - Mais oui, laisses-toi aller ma grosse, je te vendrais à la prochaine foire aux bestiaux et je vais me faire un sacré paquet de pognon! Se moquait-il. Alors je jetais le reste de mon assiette à la poubelle et je le regardais se bâfrer.
    Je l’aimais et pour rester sa merveille je devais me priver de nourriture. À présent il arrive que même une salade me donne la nausée alors je n’insiste jamais. J’essaie de me convaincre de laisser le révolu au passé, mais il est des séquelles qui ont la vie dure. J'ai passé un moment très agréable en compagnie de mes voisins et Viserys leur petit garçon de sept mois est un bambin adorable. Pour le retour c’est Marceau qui m’a raccompagné, Hélène ne voulait pas que je rentre à pieds. Je suis allée m’allonger sur la balancelle et je me suis endormie comme une souche.
    C’est un tremblement de terre qui m’a réveillé.
    Ostentation? Non, Ash aime les belles voitures tout simplement et il possède de quoi s’en offrir une plus récente de temps en temps, alors pourquoi s’en priverait-il? Cette fois-ci c’est un V 8 bi turbo avec beaucoup de chevaux et un son rauque, très rauque. Comme j'avais négligé de fermer le portail, j'ai aussitôt pensé qu'un samaritain égaré faisait demi-tour dans ma cour mais j’ai été scotchée dès que j’ai aperçu ce qui produisait le bruit assourdissant qui m’avait tiré de mon sommeil.
    Mon Pain d’Épices au volant de son étoile désirait me faire apprécier le son mélodieux du moteur.
    Bonne mère, il s’est vraiment lâché cette fois.
    Grâce à l'intervention d'un carrossier spécialisé, Ash a pu rétrocéder sa S Cinq cent au concessionnaire chez qui il s’offre ce genre de ‘‘babiole’’ très bruyante. Un brin nostalgique quand même, Bébé adorait cette voiture. Un record, il l’a gardé plus de dix-huit mois. Je me souviens d’une berline que Madam’ lui avait payé et qu’il n’a utilisé que trois mois car il ne la trouvait pas assez nerveuse à son goût. Madame mère avait râlé une fois encore, les lubies de son fils lui donnent le tournis et à moi aussi. Fort heureusement il s'est assagi. Ce n’est pas vraiment probant en contemplant la bête dont l’intérieur est luxueux et la carrosserie rutilante. Les toiles d'araignée menacent de se répandre dans le coffre-fort dirait ma grand-mère si elle la voyait, quant à moi je n'ai pas fini de m'inquiéter en le sachant au volant de cette météorite.
    Je me suis vu offrir un galop d’essai le lendemain en début d’après-midi. Désirant mettre sa mécanique à l’épreuve, nous avons pris la direction du col où des lacets à n’en plus finir m’ont fait tourner la tête et mis le cœur au bord des lèvres. Je crois n’avoir jamais eu aussi peur de ma vie. Pour me récompenser Bébé m’a gracieusement désignée comme sa copilote.
    Ma conception du "rodéo" sur asphalte étant beaucoup plus raffinée que la sienne, j’ai aussitôt instauré de nouvelles règles du jeu que je lui ai susurrer à l’oreille.
    - Ta notion du récréatif est d’une toute autre dimension que la mienne me dit Ash admiratif en s’esclaffant. Je lui ai fait une promesse diabolique qu’il ne peut refuser. Nous poursuivons notre périple par une centaine de kilomètres avec interdiction de tourner à droite. Et un gage pour le conducteur chaque fois qu'il lui est impossible de faire autrement. Autant dire que cela a été trois quarts d’heure de franche rigolade. Les endroits improbables dans lesquels nous atterrissons sont autant de lieux que nous n'imaginions pas si près de la maison. Le clou du spectacle c’est lorsque Bébé s'est engagé dans l'entrée d'une propriété sécurisée pour faire un demi-tour. Le gardien des lieux avait un fusil sur l'épaule et son regard n’avait rien d’engageant. Ash lui a expliqué que nous nous étions perdus et que nous cherchions comment reprendre la départementale en direction de Montpellier, ce qui n’était pas exacte, mais ce monsieur n’avait pas à le savoir. Il nous a très gentiment remis sur le bon chemin.
    Ash s'est fait un trip Schumacher sur une ligne droite et lorsque j'ai réalisé que le compteur tutoyait les deux cents, j'ai failli m'évanouir. Heureusement qu’il n’y avait pas de radar parce que cela aurait fait mal aux points de conduite du fou du volant. L'un des gages de Bébé, le dernier, consistait à nous improviser une petite collation sucrée, histoire de terminer de notre promenade de façon agréable. Après un bref arrêt dans une pâtisserie, nous nous sommes rendus aux ruines de la pinède. Le site est abandonné depuis des lustres, mais il est connu de tous ceux qui ont des intentions coquines. Et par chance c’est désert à l’heure ou nous nous y installons. Ce qui a suivi restera de l’ordre du confidentiel.
    Ma jupe retroussée et sa chemise ouverte. Macarons et tartelettes aux framboises...